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Notes de lecture

Dans le même numéro

Sur l'immigration. De François Héran

avril 2018

#Divers

Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir
François Héran
La Découverte, 2017, 327 p., 21 €
L’immigration en France. Mythes et réalités
E. M. Mouhoud
Fayard, 2017, 195 p., 16 €
Le droit de vote des étrangers, une histoire de quarante ans
Bernard Delemotte
La Licorne/L’Harmattan, 2017, 191 p., 17 €
Église et immigration. Le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne
Laurent Dandrieu
Presses de la Renaissance, 309 p., 17, 90 €
Identitaires. Le mauvais génie du christianisme
Erwan Le Morhedec,
Le Cerf, 2017, 173 p., 14 €
Les trois premiers livres sur l’immigration ont été écrits par des spécialistes et sont fondés sur des dossiers scientifiquement étoffés, avec des statistiques et des données juridiques, politiques, économiques et sociales très précises. C’est à ce titre qu’il convient de signaler leur intérêt alors que le débat public sur les migrations est en permanence parasité par des intérêts multiples, des fantasmes, des haines avouées ou non, et même, il faut le dire, par des a priori sympathiques mais peu informés, souvent considérés comme indiscutables parce que fondés sur une éthique de l’accueil de l’autre et de son droit absolu. Les trois auteurs sont favorables, si on veut employer ce mot, aux migrants et à l’immigration, mais aucun ne dissimule les affects et les passions qui enveniment la discussion.
Le livre de François Héran, sociologue et démographe, ancien directeur de l’Ined, illustre bien cet aspect : largement consacré à la présentation et à la critique précise des politiques d’immigration depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il n’occulte pas – il explicite même avec des noms – les vifs conflits, voire les règlements de compte, qui ont marqué et marquent aussi en interne les institutions de la science statistique et démographique comme l’Ined ou l’Insee. Il n’hésite pas non plus à critiquer, sans ménagements excessifs, certains acteurs du débat public, comme Alain Finkielkraut, Éric Zemmour et Chantal Delsol, ou des organes de presse spécialisés dans la dénonciation des maux de l’immigration. Et il ne craint pas d’examiner, avec ironie, les mots et les expressions qui font florès depuis quelque temps dans le débat public : «  islamo-gauchisme  », «  grand remplacement  », reductio (de l’adversaire) ad Hitlerum, Stalinem, Satanam, dementiam… Le dernier chapitre est un plaidoyer, inhabituel dans le langage des institutions publiques de la science, pour la charité et la pitié (envers les réfugiés). Un ouvrage ni pour ni contre, mais avec l’immigration.
E. M. Mouhoud, professeur à l’université Paris-Dauphine, aborde la question de l’immigration avant tout en économiste. Son principe est simple, peut-être trop simple : comme les chiffres existent, en France et dans d’autres pays ­comparables, pourquoi les ignorer pour ­démystifier les «  allégations les plus invraisemblables  » ? Dans la première partie de son ouvrage, il démonte, données chiffrées à l’appui, «  quinze mythes  ». Citons simplement les cinq premiers : «  La France est un grand pays d’accueil  », «  la France est généreuse  », «  la France accueille “toute la misère du monde”  », «  l’immigration est improductive  », «  les migrants qui arrivent ne sont ni qualifiés ni utiles à l’économie française  », et encore le bien connu «  les immigrés profitent des budgets sociaux  ». Les réponses sont nuancées, elles ne vont pas à sens unique, même si les rectifications de mythes hostiles l’emportent. La deuxième partie est consacrée à des propositions, toujours à partir de bases chiffrées, pour parvenir à des politiques d’immigration efficaces et équitables. L’auteur rappelle in fine que, contrairement à une idée reçue, «  en proportion de sa population, la France reçoit ces dernières années moitié moins de migrants par an que la moyenne des pays riches de l’Ocde [Organisation de coopération et de développement économiques]  », mais il tente surtout de faire justice, sans pathos excessif, aux «  croyances  » économiques infondées à leur sujet, tout en invitant à lutter contre les formes d’exploitation économique et en formulant des propositions positives.
Le droit de vote des étrangers aux élections locales est un sujet sensible : preuve en est que c’est une promesse que la gauche n’a jamais pu ou voulu tenir depuis plus de quarante ans. Dans son livre, Bernard Delemotte, ancien élu local et animateur de «  La lettre de la citoyenneté  », fait l’histoire de ces «  désillusions  » pour les militants qui espéraient cette mesure, parce qu’ils en attendaient beaucoup pour l’intégration et la «  citoyenneté de résidence  ». L’obstacle constitutionnel est l’incidence des élections municipales sur les élections sénatoriales – et deux arguments plus sociopolitiques, défavorables à ce droit, sont aussi ­toujours avancés : la citoyenneté liée, en France, à la nationalité (les étrangers n’ont qu’à choisir la nationalité française) et le risque de créer des «  citoyens de seconde zone  », limités à l’action politique locale. L’ouvrage précise aussi la position de tous les pays européens (quinze accordent le droit de vote à tous les étrangers) et de nombreux pays d’autres continents. À froid, les sondages sur le sujet sont globalement favorables au vote des extracommunautaires. Mais quand il est concrètement mis à l’ordre du jour, les opinions favorables reculent, tandis que les moments de tension (émeutes en banlieue, attentats,  etc..) ont peu d’incidences, semble-t-il, en pour ou en contre. Mais surtout, le sujet n’est pas perçu comme une priorité par les Français.
Après ces lectures, que dire de la lourde charge de Laurent Dandrieu, journaliste à Valeurs actuelles, contre le pape François, dont la culture de la rencontre et l’invitation à l’accueil des réfugiés – en grande majorité musulmans – lui semblent exposer l’Europe au chaos (et bien entendu jouer en défaveur des migrants eux-mêmes : ce souci du bien de ceux qui ne doivent pas être accueillis est admirable). Laurent Dandrieu raisonne en termes de civilisation et d’identité, c’est-à-dire tient le discours de la décadence, alors que le pape se fait tout simplement le porte-parole de la lettre d’une très forte tradition biblique et évangélique : celle de ­l’accueil de l’étranger. Il ne dit pas que les États doivent rester aveugles aux réalités de l’intégration, que toute «  politique d’immigration  » est interdite, mais il exprime ce qui doit rester la priorité ou la visée d’une telle politique. Laurent Dandrieu fait tout de même franchement sourire quand il prend ses références auprès des journalistes de son propre magazine, dont l’amour des immigrés et des réfugiés, surtout quand ils sont musulmans, est bien connu. Et, d’autre part, quand il déploie une laborieuse casuistique, avec force références du côté traditionaliste et intégriste, pour expliquer qu’un catholique a le droit de contester le pape quand il ne s’agit pas de doctrine théologique : chez des gens qui louent les vertus d’autorité et d’obéissance et pleurent sur leur déclin (chez les autres), ces contorsions pour légitimer leur choix sont plutôt cocasses, car ils prennent ce qui les arrange, c’est tout.
L’immigration musulmane et les questions qu’elle pose sont chose trop sérieuse pour être discutées selon les prémisses de Laurent Dandrieu. En réalité, il ne fait que traduire en termes religieux les idées du Front national. Pour avoir un tout autre son de cloche sur cette facette religieuse précisément, on lira avec profit Identitaires, le petit livre percutant d’Erwan Le Morhedec (nom de Koz, le blogueur catholique le plus célèbre), qui dévoile le non-dit et les enjeux de thèses comme celles de Laurent Dandrieu, dont les positions sont du reste tout sauf nouvelles. Ses «  pères  », maurrassiens et autres, dénonçaient les juifs, les protestants et les métèques, étrangers à l’identité française, de même qu’ils rejetaient, comme lui aujourd’hui, le «  venin  » de l’Évangile et l’«  esprit d’insoumission  » du christianisme. Les «  identitaires  » d’hier et ceux d’aujourd’hui, dont la haine touche aussi désormais le déstabilisant pape François, préfèrent une Église catholique qui soit le pilier politique d’une civilisation chrétienne et une digue contre la submersion de l’immigration musulmane. Pour Koz, la seule identité catholique qui vaille – il le dit avec une clarté dont beaucoup de théologiens seraient incapables – est celle qui «  cherche Dieu  » et secourt le prochain.

Jean-Louis Schlegel

Philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur, Jean-Louis Schlegel est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine. Cet intérêt concerne tous les niveaux d’intelligibilité : évolution des pratiques, de la culture, des institutions, des pouvoirs et des « puissances », du rôle et de la place du…

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Le passage de témoin

Comment se fait aujourd’hui le lien entre différentes classes d’âge ? Ce dossier coordonné par Marcel Hénaff montre que si, dans les sociétés traditionnelles, celles-ci se constituent dans une reconnaissance réciproque, dans les sociétés modernes, elles sont principalement marquées par le marché, qui engage une dette sans fin. Pourtant, la solidarité sociale entre générations reste possible au plan de la justice, à condition d’assumer la responsabilité d’une politique du futur. À lire aussi dans ce numéro : le conflit syrien vu du Liban, la rencontre entre Camus et Malraux et les sports du néolibéralisme.