
Le Temps des comètes. 1918 : après la guerre, l'aube d'un nouveau monde, de Daniel Schönpflug
L’ouvrage de Daniel Schönpflug, Kometenjahre. 1918: Die Welt im Aufbruch, disponible en français depuis août 2018, est une exploration historique et littéraire des années charnières qui marquent la fin de la Grande Guerre et le début des années 1920.
Cette « année de la comète », pour reprendre le titre inspiré d’un tableau de Paul Klee, est celle d’une crise profonde, où l’ancien n’est pas tout à fait mort et l’avenir est plein d’opportunités. Pour explorer ce moment décisif, porteur à la fois de deuil et d’utopie, Daniel Schönpflug se plonge dans les écrits autobiographiques d’une vingtaine de figures majeures ou moins connues de cette période. Il en résulte un livre-chorale dans lequel le lecteur est porté d’un pays à l’autre à travers les lignes de front, à la rencontre de grands artistes, de soldats, de penseurs, de journalistes et d’autres destins. Le caractère joyeusement foisonnant de l’écriture et la grande érudition de l’auteur contribuent à proposer une lecture sensible d’une période qui nous est à la fois proche et lointaine.
Le travail de Daniel Schönpflug se distingue au moins dans deux domaines. Tout d’abord, il ne se limite pas aux perceptions franco-allemandes de la Grande Guerre, mais inclut aussi des perspectives extra-européennes pour rappeler à quel point cette guerre a bien été mondiale. On y croise les destins de Laurence d’Arabie, des soldats afro-américains de Harlem qui se sont battus aux côtés l’armée française ou des Indiens qui se posent déjà la question de leur autonomie dans l’immédiat après-guerre.
Un des personnages les plus marquants est celui d’Henry Johnson, afro-américain membre des Harlem Hellfighters, régiment combattant aux côtés des Français. Illustré dans les combats, blessé vingt et une fois, il fut le premier soldat américain récompensé d’une croix de guerre. De retour aux États-Unis, après une brève période de célébration de la victoire américaine, sa volonté d’utiliser son histoire pour lutter contre la ségrégation se heurta à l’hostilité raciale persistante. Dix ans après son retour, il mourut dans le dénuement le plus total.
La seconde singularité de ce travail est l’attention toute particulière qu’il porte au rôle des intellectuelles dans cette période, à la fois Virginia Woolf et Louise Weiss. Il est étonnant que cette dernière figure reste si méconnue. Jeune agrégée de lettres, contre l’avis de son père peu favorable à l’éducation des filles, elle continue ses études à Oxford avant de se lancer dans une carrière de journaliste après la Grande Guerre. Elle est d’abord l’âme du journal l’Europe nouvelle sans en assurer la direction, en raison de son statut de femme, jusqu’au moment où elle évince son patron. Elle s’entoure alors de figures comme Paul Valéry, Saint John Perse ou Aristide Briand. Tout au long des années d’après-guerre, elle œuvre pour la réconciliation franco-allemande, elle qui vient d’une famille déracinée par la guerre de 1870, mais s’engage aussi pour la cause tchécoslovaque.
Cet ouvrage permet de resituer cette période particulière de sortie de guerre avec ses espoirs, ses excès et ses réalisations. Notre perception contemporaine conduit souvent à voir les années 1920 comme une simple transition vers la Seconde Guerre mondiale, en passant trop vite sur le foisonnement littéraire, artistique, mais aussi diplomatique et révolutionnaire qui les a caractérisées. Le livre rend à cette période le service de ne pas la juger par son futur.
Philippe Perchoc