
Avec ou sans l’Europe de Samuel B. H. Faure
Le dilemme de la politique française d’armement. Préface de Christian Lequesne
La politique d’armement est à la fois politique de défense, politique de prestige, politique industrielle, politique commerciale, mais aussi politique partisane.
L’Europe fait des progrès dans le domaine de la défense depuis quelques années. L’Union européenne investit pour la première fois dans le secteur pour soutenir les projets communs des États membres, la mobilité militaire se développe et l’UE s’est dotée d’une nouvelle « stratégie globale ». Pourtant, cette « Europe de la défense » ne peut pas se construire sans une Europe des matériels de défense. Or cette dernière reste méconnue, et l’ouvrage de Samuel Faure permet d’en débuter l’exploration.
L’auteur part d’un constat simple : depuis trente ans, la France a construit son propre avion de chasse (le Rafale), coopéré avec les Européens pour un avion de transport militaire (A400-M) et acheté des drones américains. Comment comprendre qu’un même système politico-industriel ait choisi ces trois options opposées ? Ce livre ouvre la boîte noire de la prise de décision dans un secteur qui voit s’affronter des groupes d’individus aux intérêts contradictoires. Il permet de rappeler que « l’homogénéité des élites de l’armement est survalorisée ». En effet, la politique d’armement est à la fois politique de défense, politique de prestige, politique industrielle, politique commerciale, mais aussi politique partisane.
Dans le cas français, la part de politique industrielle est peut-être plus importante que dans d’autres pays européens, puisque la France est le seul pays, avec la Russie et les États-Unis, à compter trois entreprises dans le top 20 mondial avec Airbus (7e), Thalès (8e) et Naval Group (19e). Cette dimension industrielle explique en partie les coalitions divergentes dans le choix d’un avion de chasse, d’un avion de transports et d’un drone. Pour leur donner du sens, Samuel Faure s’appuie sur le concept de « configuration des chaînes d’interdépendances », cher au sociologue Norbert Elias. Ces dernières s’organisent suivant la densité des liens entre les groupes industriels et l’État, d’une part, et la densité des liens entre élites françaises (étatiques et industrielles) et européennes, d’autre part. Selon que les groupes qui s’affrontent relèvent majoritairement de l’une des quatre possibles configurations, on peut expliquer le choix d’une coopération européenne, d’une politique strictement nationale ou d’un achat à un État tiers.
L’auteur revient sur l’historique de chacun de ces trois choix pour le démontrer, s’appuyant sur de nombreux entretiens réalisés avec des acteurs majeurs du secteur. Il en résulte un livre très informé, parfois exigeant en raison du nombre de revirements des élites militaro-industrielles françaises et des sigles des programmes mis en route. Néanmoins, cet ouvrage permet de discuter sérieusement des ressorts d’une « Europe de la défense » et de contribuer utilement à la sociologie des élites militaires et industrielles.