
Tropiques suivi de Miserere de Michel Herland
Édition bilingue de Sonia Elvireanu, préface de Jean Noël Chrisment
Le volume signé par Michel Herland est admirablement rendu en version roumaine par Sonia Elvireanu dans cette édition bilingue. Dans la première partie, Tropiques, sont décrites des sensations suscitées par le monde tropical où réside l’auteur depuis de nombreuses années : son exotisme (la forêt humide, la mangrove, les cocotiers, frangipaniers, jacarandas et autres Allamanda), ses oiseaux (le héron, l’image surréaliste de l’« aigle épouvantail »), etc. L’érotisme domine, le corps féminin est assimilé dans un poème à celui, ondulant, d’une panthère noire. Les amants semblent appartenir à un univers panthéiste où l’amour se fait rite. S’adressant à sa muse, le poète passe du « tu » au « vous » dans un subtil mélange où surgissent parfois les réminiscences inattendues de l’amour courtois. Les palétuviers, ces arbres aux racines aériennes qui s’entrecroisent avant de plonger dans la mer, deviennent un espace fantastique où le désir se transforme à l’instar de la femme aimée, tantôt ange, tantôt putain. La tonalité de la seconde partie, Miserere, est annoncée par le sous-titre, « Ma poésie est une porte qui claque ». Cette porte est celle qui se ferme devant le poète pour le séparer des êtres chers et, tout aussi bien, celle qui se referme sur le vieillard au « souffle coupé », aux « sourcils broussailleux », au « ventre débordant », à « la chair flasque et triste », regrettant la vigueur perdue et les plaisirs d’antan. Tout passe, tout s’efface – Thanatos finit toujours par triompher d’Éros –, les paysages ne sont pas tous ravissants et l’humanité se révèle le plus souvent décevante. La porte claque alors comme éclate la colère de l’auteur confronté à la misère, celle qui frappe les malades et les mourants, les habitants des pays pauvres photographiés par les touristes, tous les laissés-pour-compte de la modernité. Tout aussi lucide qu’érudit, le recueil peint la réalité sans fard, ce qui n’empêche pas le lyrisme de la première partie, conformément à l’ambition d’un poète qui entend, comme Camus cité en exergue, honorer aussi bien la beauté que les humiliés. Grâce aux belles traductions de Sonia Elvireanu, les amateurs roumains peuvent découvrir ce nouveau poète en même temps que les Français, des traductions d’autant plus complexes que M. Herland s’en tient le plus souvent à la versification classique, avec une prédilection pour le sonnet.