
La force d’une idée d’Alain Supiot
En 1899, Alfred Fouillée, connu en son temps pour sa philosophie des « idées-forces » et sa formule célèbre : « Qui dit contractuel, dit juste », publie « L’idée de justice sociale d’après les écoles contemporaines », un article où, selon Alain Supiot, la justice sociale devient pour la première fois un concept de philosophie politique et juridique. Elle est, précisément, une « idée-force » par excellence, qui doit guider, avec l’idée de solidarité, la réforme des institutions face aux réalités du monde industriel moderne. Elle seule permettrait la réalisation de la liberté et de l’égalité concrètes. Fouillée considère la société comme un « organisme contractuel » où la volonté individuelle et l’interdépendance vont de pair, sans exclure pour autant l’intervention de l’État, comme l’ont soutenu des interprètes néolibéraux. Le texte de Fouillée reste intéressant à lire, même s’il est historiquement marqué dans son langage. Il donne en tout cas l’occasion à Alain Supiot d’une mise en pièces réjouissante du néolibéralisme économique – de Hayek et consorts surtout –, de son langage réificateur et finalement de ses résultats, désastreux pour la société et les individus. Sa critique s’étend à Rawls, tandis qu’il fait l’éloge de Michael Walzer. Il présente aussi les écoles contemporaines de la justice sociale, ainsi que sa tradition par pays (Angleterre, Allemagne, France). Un peu plus de « contextualisation » sur Fouillée, rappelant sa personne et son œuvre, n’eût pas été inutile. Il était, faut-il le rappeler, le mari d’Augustine Fouillée, l’auteure, sous le pseudonyme de G. Bruno, de l’immortel Tour de France par deux enfants.