
L’oiseau rare de Guadalupe Nettel
Traduit par Joséphine De Wispelaere
Le livre surprend par le caractère calme et précis de la langue. Il n’y a pas d’épanchement lyrique ni de facilité dans ces approches de l’affection maternelle. La grande interrogation reste celle de sa légitimité : est-elle naturelle ou construite ?
Dans ce dernier livre paru en français, Guadalupe Nettel se penche sur la relation affective mère-fille, sa légitimité et sa construction, avec cruauté parfois, avec curiosité toujours.
La narratrice est une jeune Mexicaine qui partage avec sa meilleure amie son peu de goût pour la maternité. L’amie, Alina, change d’opinion et tombe enceinte. Mais le bébé, une petite fille, est touché par une malformation et les médecins pensent qu’il ne survivra pas. La mère choisit néanmoins de garder l’enfant et se prépare à le voir mourir à la naissance. Tout est prêt pour un enterrement plus que pour une naissance. Or le bébé survit… Ce récit central est marqué par ce rapport étrange entre une mère (qui n’avait pas vocation à le devenir) et son bébé, fait d’affection et d’admiration, d’amour et de crainte. La narratrice entretient une relation assez froide avec sa propre mère et, si elle ne sent pas le désir d’enfant, se prend d’affection pour un jeune voisin, en pleine crise avec sa propre mère. Cette voix à la première personne s’interroge même sur les oiseaux qui construisent leur nid sur son balcon et qui semblent avoir adopté un autre oisillon.
Le livre surprend par le caractère calme et précis de la langue. Il n’y a pas d’épanchement lyrique ni de facilité dans ces approches de l’affection maternelle. La grande interrogation reste celle de sa légitimité : est-elle naturelle ou construite ? Les divers personnages qui donnent corps au roman réagissent avec une froideur apparente et ne sont pas sûrs de leurs sentiments, même s’ils les laissent se traduire en eux. Ils réagissent de façon spontanée, sans trop théoriser ni laisser place au doute. Largement dépourvus d’initiative, nous les voyons s’adapter aux circonstances. Certains sont affectés par des souffrances réelles et, par moments, laissent poindre des effusions spontanées, comme ce jeune voisin qui finit par quitter sa mère, qui l’envoie vivre en province : il finit par lui avouer son amour, comme poussé par l’occasion. Ou encore Alina qui, émue par la survie de son enfant, apprend à l’aimer et à apprécier sa combativité.
Guadalupe Nettel a le talent de convoquer des monstres et en a fait vivre plusieurs dans ces précédents livres. Tant dans ses romans que dans ses nouvelles, elle présente un univers apparemment normal et y installe un élément perturbateur qui assombrit la trame et saisit le lecteur. Dans ce dernier ouvrage, le monstre dérange d’autant plus qu’il est un simple bébé. Sa naissance oblige ceux qui sont liés à son existence à reconsidérer leur vision des liens qui unissent les enfants à leurs parents, ce qui ne se traduit pas en réflexions mais en actes. Les personnages, d’un type commun, ne communiquent pas leurs inquiétudes ou leurs espoirs : ils agissent ou non, et c’est ainsi qu’ils donnent au récit son rythme et son ton singuliers.
Derrière le flux du texte et les événements qui le marquent se trouve aussi une lourde interrogation sur le destin. À plusieurs reprises, l’autrice fait allusion au tarot, à la capacité de prédire l’avenir ou, tout au moins, aux possibilités limitées de modifier le cours des choses. Face à la complexité des sentiments et à la cruauté de la vie, l’autrice propose une sagesse bouddhiste, signalée de manière récurrente dans le texte, qui permet d’affronter le réel avec une distance rassurante, qui est aussi celle qu’invente son écriture.