
En solidarité avec la Ghouta orientale
C’est en ce moment, mais c’était prévisible, et d’une radicale logique historique compte tenu des choix politiques et tactiques affichés par le pouvoir syrien, acceptés et mis en œuvre par ses alliés russe et iranien : le bombardement de tous les points de survie des populations civiles pour contraindre ceux qui ne sont pas encore morts au départ.
Il ne pas oublier que 400 000 personnes environ sont concernées, ces populations civiles syriennes, bien sûr traversées de différences mais qui, depuis cinq ans, ont souvent chassé les islamistes radicaux de leurs espaces alors que le pouvoir n’a que peu bombardé ces derniers.
Ce ne sont pas seulement des personnes humaines dont il s’agit, mais aussi de quelque chose d’infiniment rare et précieux, les formes inventées sur le terrain – malgré la pénurie, la famine délibérément utilisée comme arme de guerre par la pouvoir syrien, sous bombes qui n’ont jamais cessé et qui maintenant sont un déluge, et en l’absence d’Etat central –, d’un faire-société, collectivement construit et géré avec des formes inventives de démocratie et d’autogestion, inconnues en Syrie depuis l’instauration de l’Etat de barbarie (Michel Seurat). Toute une culture aussi, avec ses poèmes et ses dessins…
L’histoire ici s’effectue en temps réel et, compte tenu de la technologie des moyens d’informations actuels, il est très difficile pour un pouvoir coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, avec son système de concentration exterminatrice, de dissimuler ses actes, malgré les dénis et les mensonges. Nous qui jouissons en France du luxe de la paix depuis quatre-vingt ans, nous qui avons bu jusqu’à la dernière goutte le sucre de la phrase « plus jamais cela », nous sommes contraints à une position de spectateur gorgé d’informations devant la victoire finale des Hitler du moment (je ne compare pas, j’évoque…), qui est une défaite historique absolue.
Véronique Nahoum-Grappe (Ldh – section Ehess)
Le comité Syrie-Europe, Après Alep demande aux rédactions de médias d’information de relayer les témoignages des habitants de la Ghouta et leur appel pour que les bombardements cessent, que l’aide humanitaire leur parvienne et que le siège soit levé. Nous relayons ci-dessous un des témoignages publiés par l’association Syrie moderne démocratique laïque.

Mes amis,
Le ciel soit loué, j’ai survécu moi et ma famille par miracle, grâce à Dieu.
Les barils explosifs tombent sur nos têtes comme la pluie, ils ont détruit toute notre rue.
La Ghouta est totalement à terre… et les pleurs des enfants n’ont pas cessé une seconde.
Plus de deux cents personnes s’agglutinent dans chaque abri souterrain.
Les abris ne sont pas aménagés pour être habités… nous sommes dans le noir.
Et le froid nous glace les os.
La plupart des femmes qui allaitent n’ont plus de lait à cause de la peur et la terreur.
Certaines femmes enceintes ont fait des fausses couches à cause des bombardements.
Nos corps sont épuisés par la faim, nous n’avons pas de nourriture depuis trois jours.
Ni à boire, ni médicaments.
Nos enfants sont affamés et nous les regardons impuissants.
Qu’ils jouissent donc les rois de la guerre de leurs abris équipés et remplis de nourriture !
Soyez maudits, je ne vous pardonnerai pas et les gens de la Ghouta ne vous le pardonneront jamais.
Quant à toi, le grand criminel, Bachar, je prie Dieu pour qu’un jour tu goûtes la pire des vengeances divines… ton jour viendra !
Quant à vous, Al-Bouydani et Shmeir, le jour du jugement dernier, vous devrez rendre compte de vos querelles de petits chefs.
Vous devrez alors justifier de chaque martyr, chaque blessé et toutes les larmes des enfants.
Wael Alloun, Hamza Bayreqdar et Mohamad Allouche, allez cirer les pompes de vos maîtres et touchez votre butin pour chaque applaudissement… Allez récolter l’argent tâché de notre sang.
Sachez que Dieu patiente mais n’oublie pas.
Mes amis,
Ceci est ma dernière lettre,
Nous ne réclamons rien d’autre que de cesser ce massacre.
Même si le prix est de quitter La Ghouta.
Nous sommes des êtres humains et avons le droit de vivre en sécurité.
Cinq années de siège, de bombardement et d’injustice, ça suffit !
Pour quelle raison devrions-nous lutter encore, alors que la terre entière est liguée contre nous ?
Pourquoi devrions-nous combattre ?
Pour la Ghouta ?
Qu’elle repose en paix, il ne reste plus que des cendres.
Pour mes enfants ?
Je n’ai plus la force de les voir pleurer davantage.
Les larmes de mes enfants et des enfants de la Ghouta sont plus chers que toutes les révolutions du monde.
Nous avons assez enduré.
Nous mourrons lentement… croyez-moi, nous nous considérons comme morts déjà, nous attendons juste la fin de ce cauchemar.
Si nous sortons vivants d’ici, ce sera un miracle extraordinaire.
Et si vous entendez la nouvelle de ma mort aujourd’hui.
Ne soyez surtout pas triste pour moi.
Priez pour mon âme et… pardonnez-moi.
Ward Mardini, le 22 février 2018
Traduit de l’arabe (Syrie) par R. A.

Je voudrais vous dire que ce soir je suis bien plus forte qu’hier !
J’ai retrouvé mes forces quand j’ai appris que la nourriture commençait à être distribuée énergiquement par les braves gars de ma Ghouta !
Les enfants ont mangé aujourd’hui.
On a reçu des dons de farine que les jeunes en ont distribués aux femmes pour qu’elles cuisent du pain sur les fours improvisés, au-dessus du bois de chauffage, et nourrir les familles affamées.
Ce qui me réjouit le plus cœur, c’est que quelques médecins ont fait le tour des abris et ont ausculté les enfants, malgré les bombardements intenses et les difficultés pour se déplacer sur les routes.
Les abris ne sont plus tous dans le noir. Des personnes ont fait don de leurs générateurs d’électricité pour l’éclairage. Mais je ne vous cache pas que ce n’est pas le cas pour tous les abris, beaucoup demeurent plongés dans l’obscurité la plus totale.
Beaucoup d’habitants de la Ghouta, mais surtout les enfants, ont organisé une campagne de nettoyage dans les abris et ils ont même aménagé des chambres pour chaque famille.
Ils ont délimité des espaces avec les rideaux et les morceaux de tissus qui se sont volatilisés avec les murs de leurs maisons pendant les bombardements.
Oui, ils ont transformé « la mort en vie » !
Mais ce qui me réjouit au plus haut point aujourd’hui, c’est cette clémence incroyable qui nous entoure.
Imaginez qu’un missile tombe à coté de votre maison, que vous voyez les éclats de verre partout autour de vous, et que vous constatiez ensuite que, ni vous, ni aucun membre de votre famille, n’a été égratigné, c’est ça la protection divine !
Qu’un hélicoptère lance un baril explosif, que vous voyez les portes, les fenêtres et les meubles voler devant vous yeux, pour découvrir que vous étiez à un centimètre seulement de toute cette destruction, c’est aussi cela la protection divine.
Qu’un obus tombe sur votre chambre une minute après que vous l’avez quittée, pour une raison quelconque, c’est cela aussi la protection divine.
Croyez-moi, si cette clémence divine n’existait pas, nos morts et nos blessés seraient multipliés par dizaines.
Alors, priez pour nous et croyez en la miséricorde.
Et soyez certains que la Ghouta ne mourra pas.
Si jamais on décidait de nous évacuer d’ici, nous reviendrons en libérateurs avec tous les jeunes braves de la Ghouta.
Grâce au bon Dieu !
Warda Mardini, le 23 février 2018
Traduit de l’arabe (Syrie) par R. A.
Rendez-vous le samedi 24 février 2018, à 14 heures, à proximité du ministère des Affaires étrangères à Paris, au croisement de la rue de Constantine et la rue de l’Université, pour manifester en solidarité avec la Ghouta orientale. Stop au massacre et au siège contre les citoyens de la Ghouta. Voir l’événement Facebook.