Emploi : l’approche économique ne suffit pas
Pourquoi le diagnostic des économistes sur le chômage ne débouche-t-il pas sur des projets politiques viables ? Peut-être moins parce que la réforme serait « impossible » que parce que leur approche n’intègre pas les dimensions sociales, juridiques et personnelles de l’emploi.
Nul ne sait si la crise du Cpe va déboucher sur une relance utile du débat sur l’emploi. Au moment où ces lignes sont écrites, l’urgence d’en sortir est telle que le statu quo s’impose, le seul enjeu étant d’habiller l’immobilisme pour que personne ne perde la face. Comme toujours dans ce genre de circonstances, on ajoutera une pincée d’argent public pour tenter de faire croire que l’on a fait du neuf à partir des dispositifs existants. À plus long terme, il n’est pas impossible que les choses bougent, personne n’ayant intérêt à rejouer indéfiniment la même scène. L’idée s’impose peu à peu d’un nouveau compromis social combinant l’assouplissement du code du travail et la sécurisation des parcours professionnels dans le cadre d’une réunification des statuts de travail (le fameux « contrat unique »). Même si c’est une tarte à la crème, il faut redire que la flexisécurité danoise fournit une référence utile pour entamer ce grand marchandage. Son intérêt est moins d’offrir un modèle clef en main que de désigner le terrain du compromis (la gestion sociale de la mobilité professionnelle) et sa méthode (l’établissement de relations de confiance entre les acteurs concernés). Reste que l’on peut mettre des réalités fort différentes sous ces mots et qu’un consensus n’est pas pour demain. Parmi les ingrédients du modèle scandinave, il en est un que la société française aura du mal à avaler : le contrôle social. Toute protection collective a une contrepartie en termes de contrôle. L’entreprise n’étant plus ce lieu qui offre une mixte de sécurité et de dépendance, il faudra bien que la société s’en charge. Ce sera le rôle d’un service public de l’emploi aux moyens et attributions étendues, ce qui n’ira pas sans l’obligation pour les individus d’accepter des emplois non conformes à leurs prétentions légitimes. La gauche, pour l’instant, n’aborde pas cet aspect des choses, se contentant de promettre aux jeunes de nouvelles garanties en termes d’indemnisation, de formation et d’accompagnement social1. Ajoutons que l’unification des statuts de travail sous le signe de la flexisécurité devrait logiquement concerner aussi le secteur public, ce qui n’est pas le moindre des défis (voir le texte de J.-C. Barbier).
Quelques assises reconnues du débat
En dépit de toutes ces difficultés, il n’est guère d’alternative pour sortir du malaise social français et l’on peut parier que le chantier finira par s’ouvrir. On s’apercevra alors qu’il est impossible d’avancer dans ce chemin semé d’embûches sans un substantiel supplément d’intelligence collective. Le compromis à bâtir implique de tels changements de points de vue qu’il n’a aucune chance d’émerger sans compréhension partagée des problèmes à résoudre. Dans la confusion ambiante, il devient urgent d’introduire plus de rationalité et l’on doit se demander pourquoi l’expertise n’y contribue pas davantage. Malgré un nombre impressionnant de travaux sur l’impact des politiques d’emploi, les termes du débat public n’ont guère évolué. En schématisant à peine, la gauche et les syndicats misent sur la croissance et la formation tandis que les chefs d’entreprise et la droite ne jurent que par l’assouplissement du marché du travail. En première analyse, les études disponibles confortent plutôt le point de vue libéral. Pour aller à l’essentiel, il semble avéré que le taux de chômage « structurel » (le chômage qui persiste en période de haute conjoncture) est plus élevé en France que dans les principaux pays comparables. En d’autres termes, nous avons plus de chômage à croissance égale et une politique de relance (à supposer qu’elle soit possible) butterait plus vite qu’ailleurs sur les rigidités dans l’allocation de la main-d’œuvre.
Les causes de cette situation n’ont rien de mystérieux. Pierre Cahuc et André Zylberberg n’ont pas tort d’observer que
contrairement à une croyance trop partagée, l’analyse économique a fait beaucoup de progrès dans le domaine de l’emploi et du chômage. Le temps où il y avait autant d’opinions que d’économistes est révolu. Sur de très nombreuses questions, les connaissances sont assez bien établies et font, à l’échelle internationale, l’objet d’un large consensus2.
Comme on le développe plus loin, le problème avec les économistes n’est pas tant la validité de leurs analyses que le cadre normatif non explicité dans lequel elles s’inscrivent. Quoi qu’il en soit, la liste des causes du chômage structurel ne souffre guère de discussion :
le chômage frappe surtout les jeunes peu qualifiés, sans que l’on puisse en déduire que la formation est un remède miracle. Une élévation du niveau général de qualification a des effets pervers lorsque cette qualification est inadaptée. Comme le souligne Marie Duru-Bellat, « l’inflation scolaire3 » génère des situations de déclassement lourdes de gâchis et frustration ;
l’économie postindustrielle va d’ailleurs laisser persister une masse importante d’emplois peu qualifiés dans les services. Le problème principal est donc plutôt de rendre ces emplois attractifs sans trop augmenter leur coût. Compte tenu de la productivité faiblement croissante des activités concernées, le coût du travail peu qualifié est un obstacle bien réel à la création d’emploi. Sur ce point, la gauche socialiste a fait sa révolution même si elle ne l’admet que du bout des lèvres. À preuve le fait que, suite à une accumulation d’études économiques convergentes, le gouvernement Jospin a poursuivi la politique d’allégements des charges sur les bas salaires lancée par la droite en 1993 ;
un autre facteur traditionnellement mis en avant par les libéraux, le niveau excessif de l’indemnisation du chômage, est plus controversé. Il ne va pas de soi que le Rmi contribue massivement à décourager ses bénéficiaires de chercher un travail, même si c’est parfois le cas. Il n’en demeure pas moins que la gauche s’est elle-même ralliée à la logique de l’incitation financière à la reprise du travail, avec l’élargissement des possibilités de cumul d’une indemnité et d’une rémunération d’activité et, surtout, la prime pour l’emploi ;
reste la question de la protection juridique de l’emploi, de loin la plus conflictuelle. Les économistes libéraux ont beau jeu d’observer que les restrictions au droit de licencier ne protègent pas contre le chômage. De plus, les licenciements économiques ne représentent que 2 % des sorties de l’emploi soit beaucoup moins que les fins de contrats à durée déterminée. La protection de l’emploi stable a pour conséquence perverse une concentration de la précarité sur les catégories les plus vulnérables, jeunes et travailleurs sans qualification.
Enrichir l’approche économique
Force est de reconnaître pourtant que ces acquis ne permettent pas d’élever le niveau du débat collectif. Le consensus dont font état Cahuc et Zylberberg existe peut-être au sein de la corporation des économistes professionnels, mais il n’irrigue pas l’ensemble de la société. Les économistes ne sont pas en peine d’expliquer leur peu d’influence sur le cours des événements. La coalition des corporatismes et la démagogie intéressée des hommes politiques fournissent des explications évidentes, mais sont-elles suffisantes ? La majorité des jeunes qui ont manifesté contre le Cpe aurait, du point de vue économique classique, objectivement intérêt à la déréglementation du travail. Faut-il parler d’irrationalité ? Ne convient-il pas plutôt d’admettre que le cadre de rationalité des acteurs sociaux n’est pas celui de la théorie économique ?
Les économistes se placent toujours du point de vue de l’emploi optimal des ressources humaines. La citation suivante de Cahuc et Zylberberg en fournit une parlante illustration :
[Le métier de chômeur] est l’un des plus rentables pour la collectivité. Il assure la réallocation de la force de travail vers les emplois les plus efficaces et constitue ainsi une source essentielle de la croissance.
Sous forme d’une quasi-boutade, cette phrase révèle l’une des apories majeures de l’analyse économique appliquée à la question du travail : sa vision utilitariste de l’activité humaine. Le demandeur d’emploi n’est pas un travailleur, pour la raison que ses efforts ne lui donnent aucun droit ni reconnaissance. N’ayant rien d’autre à offrir que sa force de travail et sa bonne volonté, il n’est même pas dans la situation d’un vendeur ambulant. Son activité n’a ni le vécu ni la valeur sociale du travail. L’instabilité de la relation de travail peut être une condition du bon fonctionnement de la machine économique, mais c’est d’abord la source d’une anxiété, d’une souffrance psychique à laquelle il est difficile de donner une valeur positive, contrairement aux souffrances assumées dans le travail. Le travail est une position sociale dont la mise en cause ne peut être vécue que comme un échec. C’est d’autant plus vrai dans notre pays que les diplômés y choisissent massivement les emplois stables du secteur public ou parapublic.
Le fonctionnement du marché du travail est une construction sociale complexe qui ne se réduit pas à un jeu de règles contractuelles. C’est aussi un ensemble de pratiques, d’attitudes, de conventions informelles et de jeux symboliques qui tendent à faire du travail un lieu socialement habitable. Le problème est que, malgré la mondialisation, tous les peuples n’habitent pas le travail de la même façon. De là résultent des oppositions bien connues, notamment entre la France et la Grande-Bretagne :
La différence avec la France tient à l’esprit et aux conditions dans lesquels le licenciement intervient. En France, soulignent les patrons français installés à Londres, le licenciement est un traumatisme pour l’employé comme pour l’employeur, l’équivalent professionnel du divorce pour faute, pour diverses raisons : longueur de la procédure, rôle inquisitoire de l’inspection du travail, menace de poursuites pénales contre l’employeur. En Grande-Bretagne, le licenciement est moins traumatisant. C’est d’autant moins un obstacle à la réembauche que le salarié licencié est à peu près assuré de retrouver un emploi. Autrement dit, en France, le système se méfie de l’employeur ; en Grande-Bretagne, il lui fait davantage confiance et postule le caractère « raisonnable » de la décision de licencier4.
Dans son dernier ouvrage, Philippe d’Iribarne souligne l’ancrage historique de « l’étrangeté française ». Notre conception de l’homme et de la société nous conduit à interpréter les parcours professionnels en termes de statut et de dignité, rendant la logique marchande difficilement acceptable dans sa brutalité :
La diversité des destins sociaux produite par une économie hautement concurrentielle est interprétée dans le registre de la dignité. Les perdants, tels que les « travailleurs pauvres », ne sont pas regardés comme soumis à une épreuve certes pénible, mais qui reste transitoire s’ils savent en tirer des enseignements. Ils sont atteints dans leur dignité d’homme, déchus. Et déchus sont, de même, ceux que leurs privilèges, si modestes fussent-ils, avaient fait accéder à un certain rang, et qui les ont perdus5.
C’est à la lumière de cette problématique de la dignité que se comprend l’enjeu de la non-motivation du licenciement des jeunes en Cpe. L’obligation de motiver offre au travailleur licencié la possibilité de défendre son point de vue, d’argumenter dans un espace de débat ouvert à la parole de chacun. Mais c’est aussi par ce fait même l’instauration d’une possibilité de contentieux, cela même que redoutent le plus les employeurs. Personne ne croit sérieusement que l’obligation de motiver le licenciement constitue une protection efficace contre celui-ci. La rationalité en cause est d’un autre ordre : il s’agit de la constitution du monde du travail comme monde de parole symboliquement relié à l’espace de la délibération démocratique. Ce n’est pas pour rien que les crises sociales sont toujours marquées par un investissement des lieux de travail par des pratiques de délibération collective.
Il n’y aura pas de réforme sans un minimum de consensus sur les valeurs, objectifs et contraintes à prendre en compte dans l’organisation sociale du travail. Nous ne manquons pas de débats, mais les enjeux n’en sont guère clarifiés. Ceux qui contestent la « pensée unique » le font de manière confuse, se trompant généralement de cible. Il n’est pas pertinent d’opposer au discours néolibéral une autre analyse du fonctionnement de l’économie. On doit en revanche dénoncer l’univocité de ses termes de référence et lui opposer une autre compréhension de ce qui a de la valeur. Les économistes ont mission d’éclairer la société sur le fonctionnement du système économique, mais ils ne pourront dialoguer avec les acteurs sociaux qu’en s’ouvrant à la pluralité des valeurs et cadres de rationalité6. On ne peut continuer à faire comme si la seule question importante était la réduction du chômage : quelle que soit l’urgence de celle-ci, le fait est qu’elle peut être traitée indépendamment de celle de la constitution sociale du monde du travail.
Vers un contrat de travail unique ?
En France, on ne sait pas réformer. Du moins on ne sait plus. Les gouvernants ont beaucoup de mal à imaginer les processus de décision qui permettent de faire évoluer une société. Dans une grande entreprise, lorsque l’on veut opérer une transformation, un virage, un changement, on construit un « projet ». L’État ne connaît pas ces règles du jeu. Les objectifs ne sont pas avoués (pour ne pas effaroucher sa propre majorité) ; le ministère du Budget ne consent pas à dégager les crédits nécessaires ; le comité de pilotage n’existe pas ou il n’est qu’un faux-semblant : ce sont les cabinets qui, quand ils en ont le temps, font les arbitrages.
Toute réforme prend du temps. Face à cette inertie, le Premier ministre a cherché à passer en force en instituant le contrat nouvelle embauche et le contrat première embauche. Ces « coups de force » par lesquels il a fait adopter la nouvelle législation sans discussion pourraient avoir l’effet inverse à l’objectif de réforme de fond : mal ficelés, sans réflexion sur les garanties à reconstruire face à la perte de protection des salariés, construits dans les cabinets ministériels loin des débats avec les partenaires sociaux, les Cne et Cpe pourraient être perçus comme des contre-exemples retardant ce qui devrait être l’objectif d’une réforme des contrats de travail : l’adoption du principe du contrat unique.
Une diversité qui n’apporte rien
Pourquoi un contrat unique ? D’abord parce que la législation actuelle est d’une complexité telle qu’elle pèse sur le marché du travail, en décourageant les meilleures bonnes volontés, du côté des employeurs, en créant une « illisibilité » évidemment nuisible à la transparence nécessaire de tout marché, en pesant sur l’activité des acteurs du service public de l’emploi, submergés de directives et de finasseries juridiques, en embrouillant les employeurs et employés qui ne connaissent pas leurs droits. Ensuite parce que cette société d’inégalités qui est la nôtre (loin de la devise de la République) s’obstine à traiter différemment différentes catégories de salariés. Agents publics « à statut » fortement protégés. Titulaires de contrats à durée indéterminée installés sans risque dans de grandes entreprises soumises à une législation très protectrice. Cdi fragiles des entreprises plus modestes et, partant, moins contraintes par la législation. Contrats à durée déterminée bien sûr. Statut des travailleurs temporaires. Et les multiples contrats spécifiques, inventés par les gouvernements successifs, assortis de conditions particulières d’embauche, de conditions de travail, d’exonération de charges sociales, de niveau de rémunération, d’aides diverses de l’État. Sans parler des multiples sortes de contrats en alternance, contrats de qualification, de professionnalisation ou d’apprentissage…
Si cette multiplicité de contrats avait un effet heureux sur les taux d’emploi ou sur le chômage, les statistiques ne seraient pas aussi catastrophiques ! À vouloir multiplier les cas de figure, on ne fait que tordre le fonctionnement du marché du travail. Les effets d’aubaine aboutissent à gaspiller l’argent public, les effets de substitution à changer l’ordre des files d’attente, des effets pervers conduisent les chasseurs de primes à de mauvais choix, les effets de seuil condamnent au chômage ceux qui sont du mauvais côté du seuil (les 26 ans sont mal partis avec une loi qui favorise les jeunes jusqu’au jour de leur 26e anniversaire !). Il faut sans en aucun doute tailler dans la jungle.
Le contrat à durée déterminée, il faut le rappeler, n’est autorisé par la loi que dans le cas de besoin exceptionnel et provisoire : remplacement d’un salarié absent, par exemple pour cause de maladie ou de maternité, nouvelle commande sans lendemain envisagé. Mais nul ne se préoccupe de respecter la loi. Les employeurs n’hésitent pas une seconde à embaucher en Cdd lorsque cela les arrange. Et il est rare que quelqu’un songe à s’en inquiéter au point d’en saisir la justice ou l’inspection du travail. Le Cdd est devenu, comme le montrent les statistiques de l’emploi, un mode normal de recrutement. Il sert couramment de période d’essai.
Le Cdi, quant à lui, ne protège pas le travailleur autant qu’on peut le croire. Ce contrat peut être rompu par l’employeur pour deux catégories de motif : insuffisance professionnelle ou faute, d’un côté, motifs économiques de l’autre. Dans tous les cas, les dispositifs prévus par la loi pour protéger le salarié sont assez peu protecteurs. Dans le premier cas, les conseils de prud’hommes conduisent à un accroissement du coût pour l’employeur, non à la remise en cause de la décision de licenciement. Dans le second cas, les procédures de licenciement économique, même si elles sont lourdes et coûteuses dans le cas de licenciements collectifs de plus de dix salariés intéressant des grandes entreprises, ne conduisent que très rarement à remettre en cause la décision de l’entreprise. La protection est donc toute relative.
Comment protéger dans un contexte de flexibilité ?
Plutôt que de maintenir cette législation qui a si mal vieilli, mieux vaudrait donc s’interroger sur sa signification et son efficacité aujourd’hui. Le point de départ devrait être ce constat indéniable : la flexibilité et la mobilité de l’emploi sont devenues une donnée du marché du travail. Les pays qui ont réussi à juguler le chômage sont ceux qui ont mis en place les institutions, les législations et les outils d’une gestion efficace du marché du travail. Partant du principe que les changements d’emploi et donc le passage sur le marché du travail sont très fréquents (rappelons que 7 millions de personnes passent chaque année en France par la case « demandeur d’emploi »), ils ont mis en place ce qu’il fallait pour que le marché du travail soit fluide : accompagnement personnalisé des jeunes et des chômeurs par des conseillers du service public de l’emploi ou de professionnels privés ; efforts d’orientation et d’adaptation des qualifications ; contractualisation de type Pare entre le service public de l’emploi et les demandeurs ; obligations faites aux entreprises qui licencient soit d’assurer elles-mêmes le reclassement de leurs salariés, soit de financer des organismes assurant ce service – avec obligation de résultat. Et, en contrepartie des services rendus et des obligations du service public de l’emploi, obligation faite aux demandeurs d’emploi d’accepter les « offres valables d’emploi » et le système d’indemnisation du chômage et de revenus minima construit de telle façon qu’il incite à la reprise d’un emploi. Il s’agit là d’un ensemble cohérent.
On ne peut concevoir et réaliser cette réforme que de façon globale et concertée : il faut au service public de l’emploi beaucoup plus de moyens ; il faut le réorganiser pour lui permettre de répondre à ces objectifs ; on ne peut envisager de soumettre les chômeurs à plus de contraintes et de contrôles si ce n’est en contrepartie du service rendu ; etc. Et tout cela doit être cohérent avec le droit du travail.
Cahuc et Kramarz, dans leur rapport du 2 décembre 2004 à Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo, après avoir souligné les défauts criants de la gestion du marché du travail français, proposent de renoncer à la distinction entre durée déterminée et durée indéterminée. Il s’agit toujours d’un contrat, c’est-à-dire que les conditions de rupture sont explicitées et inscrites dans la loi, dans les conventions collectives et dans les contrats eux-mêmes – contrairement aux nouveaux contrats de Dominique de Villepin. Mais ce contrat est construit de telle sorte que les garanties qu’il offre en cas de désaccord entre l’employeur et l’employé soient proportionnelles au temps passé dans l’entreprise. Conscients des risques de précarisation liés au fait que dans les premiers temps passés dans l’emploi les salariés ne bénéficient que de garanties très faibles, les rapporteurs proposent que l’indemnité de licenciement soit majorée pendant les 18 premiers mois du contrat : on supprime le Cdd, mais on maintient le principe d’une indemnité spécifique telle qu’est aujourd’hui l’indemnité de précarité. Ils suggèrent aussi que les contrats puissent avoir une durée minimale.
Le principe de base de leur proposition est la responsabilité de l’entreprise dans le reclassement de ses salariés en cas de rupture du contrat de travail. Ils vont jusqu’à renoncer à la distinction entre licenciement économique et autre motif de licenciement, source de contentieux interminables, mais, dans tous les cas (sauf faute grave) exigent de l’entreprise qu’elle fasse face à la situation créée pour le salarié licencié ou en risque de licenciement.
La novation de base, au-delà de la notion de contrat unique, est le principe d’une prise en charge de la « suite », c’est-à-dire du reclassement du salarié par les soins de l’entreprise, soit qu’elle le fasse elle-même, soit qu’elle rémunère les services d’un organisme qui prend en charge ce reclassement.
Mais il faut bien comprendre qu’elle est inséparable d’une refonte des principes de fonctionnement du service public de l’emploi. Rien ne serait plus dangereux que de modifier, d’alléger les contraintes du contrat de travail, sans modifier la gestion du marché du travail.
Bernard Brunhes*
*.Consultant en ressources humaines, vice-président du groupe Bpi. Cet encadré a tout d’abord été publié le 6 mars 2006 sur le site www.telos-eu.com
- 1.
Voir notamment la proposition « une alternative au Cpe. Pour une politique efficace en faveur de l’emploi des jeunes », sur le site internet de Dominique Strauss-Kahn.
- 2.
Pierre Cahuc et André Zylberberg, le Chômage, fatalité ou nécessité, Paris, Flammarion, 2005, p. 15.
- 3.
Marie Duru-Bellat, l’Inflation scolaire, Paris, La République des idées/Le Seuil, 2006.
- 4.
J.-P. Langellier, Le Monde du 6 avril 2006.
- 5.
Philippe d’Iribarne, l’Étrangeté française, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2006.
- 6.
C’est tout l’intérêt des procédures d’évaluation pluraliste. Les évaluations pilotées par une instance d’évaluation au sein de laquelle sont représentés les divers porteurs d’enjeux et formes d’expertise donnent lieu à l’élaboration collective d’un questionnement qui a davantage de chance d’être perçu comme sensé par les acteurs concernés. Une fois les questions formulées, l’expertise retrouve toute sa place.