Modernisation de l’État : enfin une vraie réforme ?
La réforme de l’État est un des dossiers tests de la capacité réformatrice de Nicolas Sarkozy. C’est sur ce terrain que se joue pour une bonne part le bilan de son quinquennat. Si l’on ne peut encore préjuger de la manière dont elles seront mises en œuvre, ni a fortiori de leurs effets sur l’efficacité des services publics et les finances de l’État, les annonces faites le 12 décembre lèvent les doutes que l’on pouvait encore nourrir sur la volonté de rupture du président de la République.
Les mesures annoncées s’inspirent librement des premières conclusions de la Révision générale des politiques publiques (Rgpp), vaste audit des administrations réalisé par des équipes mixtes de hauts fonctionnaires et de consultants placées sous la houlette de l’inspection des finances. L’ensemble des activités et des missions des ministères a été passé au crible sur la base d’un questionnement rigoureux : « Que faisons-nous ? », « Quels sont les besoins et les attentes collectives ? », « Faut-il continuer à faire de la sorte ? », « Qui doit le faire ? », « Qui doit payer ? », « Comment faire mieux et moins cher ? », « Quel scénario de transformation ? ». L’intitulé Rgpp ne doit toutefois pas faire illusion : il ne s’agit nullement d’évaluer les politiques, mais seulement de conduire une classique étude d’organisation administrative. La nuance peut paraître mince mais elle n’est pas sans importance. Évaluer les politiques implique en effet de questionner les théories d’action qui les sous-tendent au regard de leurs effets sociaux réels et des attentes de la société. Une telle démarche permet d’interroger le sens de l’action publique et de reformuler ses objectifs. Rien de tel avec la Rgpp, qui se contente – ce qui est déjà beaucoup – de mettre en évidence des gisements d’économie et, dans quelques cas, de redéfinir pragmatiquement des missions. L’invocation des réformes menées avec succès au Canada et en Suède comme modèles de la Rgpp est abusive : dans ces pays, les décisions ont été précédées d’une large concertation et les audits se sont appuyés sur des études plus transparentes.
Une autre question posée par cette démarche est son absence d’articulation avec le cadre de mesure des résultats de l’administration instauré par la loi budgétaire de 2001 (la Lolf), avec pour corollaire politique la mise hors jeu du Parlement. S’agissant d’une réforme aussi centrale pour l’évolution des finances publiques, c’est une inquiétante illustration de l’évolution des institutions.
Des choix ambitieux
Quelque état d’âme que l’on ait sur la démarche et les valeurs qui l’inspirent, force est de reconnaître que les mesures qui viennent d’être annoncées dessinent une réforme de l’administration qui, pour une fois, paraît à la hauteur des enjeux du redressement des finances publiques. Comme toujours, il faut trier parmi les annonces faites pour sélectionner celles qui correspondent à de réelles nouveautés. Pour une part, elles correspondent en effet à des mesures déjà prises (suppression d’organismes qui n’existent plus depuis plusieurs années) ou qui s’inscrivent dans la continuité d’efforts entrepris depuis des années. D’autres annonces sont de pures déclarations d’intention dont la mise en œuvre pourrait s’avérer fort problématique (« mettre en place des dispositifs de stabilisation automatique de l’assurance-maladie reposant sur une meilleure maîtrise des dépenses »).
Une fois ce tri opéré, trois lignes de force apparaissent :
un effort sans précédent de rationalisation administrative, avec des fusions d’organismes et un allégement des formalités imposées aux particuliers et aux entreprises (simplification des délivrances de visas, suppression de la double instruction des demandes de naturalisation, modification de l’organisation du permis de conduire, déjudiciarisation de certaines sanctions aux infractions routières…) ;
une réorganisation des services territoriaux de l’État, qui devrait permettre à terme de substantielles économies. Cette réorganisation était attendue et le plus souvent souhaitée, mais son ampleur surprend. L’annonce la plus spectaculaire est celle d’une subordination du préfet de département au préfet de région, avec pour corollaire la promotion de la région comme niveau de pilotage de l’ensemble des politiques de l’État dans les territoires. Il est évident qu’une telle réforme aura un impact sur les rapports entre les collectivités territoriales de différents niveaux. La promotion du niveau régional dans l’administration d’État aura pour effet de renforcer la collectivité régionale au détriment du département. Par un autre biais, l’autonomie des universités ira dans le même sens. On peut d’ailleurs se demander si ces mesures n’annoncent pas, à plus ou moins long terme, la mort du département, préconisée par beaucoup mais jugée par tous les partis politiquement invendable. Quoi qu’il en soit, le resserrement du dispositif territorial de l’État, déjà amorcé avec la réforme de la carte judiciaire, marque une rupture majeure dont il est difficile de prévoir les conséquences en termes d’équité territoriale et d’aménagement du territoire ;
reste enfin le plus important et le plus significatif au plan politique, l’amorce d’une réforme de la gestion des ressources humaines. Si la plupart des mesures annoncées paraissent de bon sens (encouragement à la mobilité, suppression des limites d’âge pour les concours d’accès à la fonction publique), il n’est pas certain que les fonctionnaires adhèrent à l’esprit qui sous-tend l’ensemble du dispositif. Même s’il n’est plus question de s’attaquer de front à leur statut, le développement de la rémunération aux résultats sera vu par beaucoup d’entre eux comme une porte ouverte à l’arbitraire et à la politisation, une attaque contre l’idéal d’indépendance et d’impartialité dont ils se réclament avec plus ou moins de bonne foi. À cet égard, on peut regretter l’absence d’une mesure souvent évoquée qui aurait marqué plus clairement la volonté de valoriser les compétences professionnelles plutôt que la docilité politique : la prise en compte de l’avis d’un jury indépendant dans la nomination des hauts fonctionnaires, au moins pour une partie d’entre eux.
Au total, les réformistes conséquents ne peuvent qu’approuver les grandes lignes de cette réforme, même si l’on peut craindre que le manque de concertation dans sa préparation pèse lourdement sur les conditions de sa mise en œuvre.