Position – Il faut sauver l'écotaxe
« Lorsqu’une belle idée comme celle de la protection de l’environnement se transforme en taxe, je dis non » (Ségolène Royal). Le propos surprend d’autant plus qu’il émane d’une ancienne ministre de l’Environnement, bien placée pour savoir que la fiscalité est le nerf de la guerre écologique. Depuis les travaux de l’économiste anglais Arthur Cecil Pigou dans les années 1920, on sait que taxer les « externalités » est le moyen le plus rationnel d’inciter les agents économiques à les prendre en compte. C’est un acquis indiscuté de la théorie économique appliquée à l’environnement, dont la traduction juridique est le fameux principe « pollueur-payeur », intégré depuis 2004 au bloc de constitutionnalité via la Charte de l’environnement1. Les deux objectifs de l’écotaxe – d’une part, faire supporter aux poids lourds le coût d’usage du réseau routier national et, d’autre part, donner un avantage comparatif aux transports moins émetteurs de gaz carbonique – relèvent sans discussion de ce principe de justice. On aurait aimé l’entendre rappeler par le gouvernement.
Atypique et politiquement inconséquente, la déclaration de Ségolène Royal – qualifiant au passage de « révolte citoyenne » la fronde des Bretons – n’en est pas moins révélatrice du désarroi de la classe politique et de la difficulté de gouverner lorsque la croissance se fait désespérément attendre. Dans cette débâcle, l’attitude de la droite est encore plus critiquable, ses dirigeants (à l’exception notable de Nathalie Kosciusko-Morizet) n’éprouvant aucun scrupule à renier une mesure inscrite dans la « Loi Grenelle » votée en 2009 à la quasi-unanimité de l’Assemblée nationale.
Il n’en est pas moins vrai que l’écotaxe pose problème à divers titres. Le coût de perception est très élevé (20 % des recettes) et l’on conçoit mal qu’il faille mettre en place une telle usine à gaz pour percevoir une taxe. Encore faut-il savoir que ce dispositif technique sophistiqué résulte directement de directives européennes visant à harmoniser les droits d’usage des infrastructures routières, qui imposent notamment la proportionnalité des prélèvements à la durée d’utilisation des voies (et donc une mesure précise des distances parcourues sur le réseau national dont l’écotaxe est censée financer l’entretien). Le gouvernement a fait savoir qu’il avait l’intention de renégocier à la baisse le contrat avec la société Ecomouv, mais rien ne permet de supposer une quelconque irrégularité dans la passation du marché. Jusqu’à ces derniers jours, personne n’avait d’ailleurs mis en cause la solution retenue et le prestataire a tout d’un bouc émissaire de circonstance.
C’est donc une mesure tout à fait défendable dans son principe et ses modalités qui est visée par la contestation. Il se confirme qu’il est toujours périlleux de cibler un secteur aussi sensible que le transport routier, bien que l’objectif de réduire sa part dans le transport de marchandises soit sans cesse réaffirmé dans les rapports officiels. Compte tenu de la vulnérabilité des portiques, l’affaire s’annonce délicate pour le gouvernement, un renoncement pur et simple paraissant difficile au vu des investissements réalisés et de l’enjeu budgétaire.
Au-delà du cas de l’écotaxe, l’affaire est emblématique d’une mise en cause de l’autorité de l’État et de la légitimité de l’impôt qui tend à s’étendre et qui n’est pas sans risque. Le corps préfectoral vient d’en faire le constat dans une note au ton alarmiste2. Le pouvoir semble décidé à faire le gros dos : au plan des mesures concrètes, c’est sans doute ce qu’il a de mieux à faire, mais cela ne le dispense pas de trouver les mots pour parler au pays. Les gens ont besoin d’autres motifs de consentir aux efforts demandés que l’attente incertaine d’un retour de la croissance.
Même si la contestation concerne peu ou prou l’ensemble du pays, sa dimension régionale n’est pas anodine. Malgré quelques poussées de fièvre, on s’était habitué à voir la Bretagne comme l’exemple d’une mutation réussie d’un régionalisme devenu terreau fertile d’une mobilisation des solidarités territoriales au service du développement économique, dans une relation plutôt constructive avec l’État. C’était oublier un peu vite les fragilités d’une filière agroalimentaire dont le productivisme trouve aujourd’hui ses limites dans une économie mondialisée, sans parler d’impacts écologiques délétères sur lesquels les autorités ont trop longtemps fermé les yeux. La situation de la Bretagne n’est certes pas bonne, mais elle n’a rien d’exceptionnel : son taux de chômage reste inférieur à la moyenne française. Dans ce contexte, le retour d’une contestation anti-jacobine aux forts relents identitaires – patrons et salariés coiffant le même bonnet rouge au grand dam des syndicats – n’est pas sans poser question.
Au milieu de ce tumulte, les enjeux écologiques sont vite passés à la trappe, malgré l’actualité – le typhon Haiyan et bien d’autres signaux d’alerte. Ce n’est, hélas, guère surprenant. En période de crise économique, tout le monde – du responsable politique au citoyen de base – pense d’abord à l’emploi et au pouvoir d’achat. Légitimement inquiets pour leur avenir immédiat, les gens n’ont guère envie de rajouter le sort de la planète à la liste de leurs tracas. La tâche des défenseurs de l’environnement est devenue presque impossible. Qui osera rappeler l’évidence que les objectifs de réduction de la consommation d’énergie à l’horizon 2050 récemment confirmés par François Hollande doivent se traduire par une lourde taxation des combustibles fossiles ? Peut-être aurait-on plus de chances de faire passer le message si l’on ne s’obstinait pas dans la croyance absurde qu’il suffit de l’édulcorer pour le faire accepter. Le catastrophisme a mauvaise presse, mais les discours mous et incohérents qu’on lui oppose ne peuvent qu’aggraver l’anxiété et l’exaspération. À force de vouloir « positiver » l’écologie, de nier qu’elle est d’abord – avant, peut-être, de devenir une nouvelle voie de progrès – une contrainte pénalisante pour l’économie, on la rend illisible et l’on s’interdit de faire accepter les sacrifices qu’elle implique. Mieux vaudrait reconnaître que l’impératif écologique découle d’un ensemble de mauvaises nouvelles que personne n’avait anticipées. Parions qu’il faudra tôt ou tard s’y résoudre.
- 1.
L’article 4 de la Charte de l’environnement indique : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement dans les conditions définies par la loi. »
- 2.
« Les préfets sonnent l’alarme sur l’état d’ “exaspération” du pays », Le Monde, 15 novembre 2013.