
Frédéric Jacques Temple. Celui qui vient avec le soleil
Le dernier recueil de Frédéric Jacques Temple, Par le sextant du soleil, a été publié cet été à titre posthume, quelques jours seulement après la disparition du poète. Il clôt une œuvre littéraire considérable, aux tonalités radieuses, qui exalte la puissance de la nature.
« Celui qui vient avec le soleil » : en nommant ainsi Frédéric Jacques Temple, les Indiens du Nouveau-Mexique l’ont bien reconnu. « Attention/à ne pas éteindre/en toi/le soleil » est l’ultime message du poète dans son recueil Par le sextant du soleil (Éditions Bruno Doucey, 2020) paru quelques jours après sa mort le 5 août dernier. Il allait entrer dans sa centième année et depuis longtemps, on le croyait éternel ; on aime croire qu’il le restera tant que durera le soleil. Car c’est peu dire que, autant son œuvre, sa vie, que sa personne furent façonnées par et pour le rayonnement.
Rayonnement longtemps souterrain cependant, puisque la première partie de l’activité littéraire de Frédéric Jacques Temple est surtout tissée de ses amitiés et admirations pour les écrivains et artistes. Avec Blaise Cendrars, Joseph Delteil, Richard Aldington, un peu plus tard Henry Miller et Lawrence Durrell qu’il accueille dans le Gard, ou les peintres Vincent Bioulès, Alain Clément, Arthur Secunda, il noue de longs compagnonnages. Directeur de la Radiodiffusion, puis Radiodiffusion-télévision française en Languedoc-Roussillon de 1954 à 1986 dans le sillage des ateliers de création radiophonique créés par Paul Gilson, Temple est un homme de revues, de rencontres, de correspondance, éditeur, traducteur, biographe, préfacier, lecteur, intervieweur. Être un passeur est une manière de rayonner en faisant rayonner les autres.
Ce n’est qu’à partir des années 1980 que sa propre œuvre prend l’ampleur considérable (recueils de poésie, récits en prose, souvenirs, livres d’artistes…) qui sera reconnue tardivement : il a plus de 90 ans lorsqu’il reçoit le prestigieux prix Guillaume-Apollinaire en 2013, qu’un colloque lui est consacré à Cerisy-la-Salle en 2014, et qu’il entre dans la collection « Poésie/Gallimard » début 2020 (La Chasse infinie et autres poèmes).
Frédéric Jacques Temple est né sous le signe du lion à Montpellier le 18 août 1921 dans ce Sud qu’il ne cessera de chanter. Mais le Sud, pour lui, excède largement les frontières de son Languedoc natal où il habita presque toute sa vie. S’il est à sa manière un poète occitan de langue française, s’il connaît par leurs noms toutes les plantes et tous les oiseaux et reptiles des causses de Lozère, il n’a rien de l’écrivain régional. Vivre et écrire impliquent pour lui des horizons plus larges, réels et imaginaires. Tel Ulysse aux confins des mers, il voyage au loin pour revenir, et trouve quelque chose du Sud au Québec chez son ami Gaston Miron, ou à Long Island en repérant les balbuzards sur les traces de Walt Whitman, ou dans le Saint-Pétersbourg de Blaise Cendrars :
Je suis un arbre voyageur
mes racines sont mes amarres
[…] Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour1
Le Sud, chez Frédéric Jacques Temple, ce sont tous ces « profonds pays », paradis perdus, terres d’aventures de l’homme parmi les vivants, où se lit « l’immémorial » dans la matière même du monde, matière animale, végétale, minérale. Il aime Rimbaud pour l’aventure, la « chasse infinie » du capitaine Achab sur les océans dans Moby Dick, et les inventaires inépuisables du professeur Aronnax dans Jules Verne « où il recense ombelluaires, flabellines, alcyonaires, aculines, comatules, olives, ovules, volutes, mitres, casques, harpes et buccins, comme en extase, à n’en plus finir2… ». Poète de la vie s’il en est, Frédéric Jacques Temple est surtout poète du vivre, dont l’écriture n’est qu’une des modalités.
Cette force de vie a pourtant été puisée dans la violence et la mort. À peine sorti de l’adolescence, il s’engage dans les spahis algériens et participe en 1944 à la campagne d’Italie. L’expérience de la guerre hantera son écriture pour longtemps. Ce n’est que cinquante ans plus tard, en 1996, dans le très beau récit en prose La Route de San Romano (Actes Sud, 1996) qu’il trouve la forme pour la dire. « Sachez que je suis déjà mort, moi qui vous parle », écrivait-il dans un poème paru en 19693. Sans doute est-ce ce temps fracassé, ce temps désormais suspendu, qui donne à sa célébration de la vie sa vibration et sa profondeur.
La fusion avec la nature qu’il exprime, le paganisme charnel qui l’inspire font de lui un poète naturellement moderne. Nulle théorisation de l’écologie chez lui, nul éloge spartiate ou sacralisation de la nature sauvage, mais une sacralité spontanée, vécue, éprouvée de la profusion du vivant. Le saccage de la Grande Plage du littoral languedocien dans les années 1960-1970 restera une autre blessure définitive (« Laissez-moi vous dire/qu’ils ont annulé l’oiseau/laissez-moi, /Ô laissez-moi vous dire/qu’ils ont souillé le sable4 »). Ses derniers mots seront aussi de triste colère :
Quand ravagée sera la Terre
par l’homme sans conscience,
animal supérieur
se croyant roi de l’univers,
Dieu aura-t-il désir, force, courage
d’imaginer encore
un aussi stupide babouin5 ?
Un mot revient dans l’œuvre de Frédéric Jacques Temple : « thrène », qui désigne en grec ancien la lamentation funèbre. Le thrène est le chant de l’inconsolable. L’on pourrait adresser à Frédéric Jacques Temple celui qu’il écrivit à la mort du poète Roger Siméon :
Un homme meurt
et nous savons
qu’il est irremplaçable, nul ne viendra
jusqu’à la fin des temps,
égal en voix, gestes, sourires ;
nous savons
que nul n’entonnera
le même chant sur Terre6.
Frédéric Jacques Temple repose dans la terre d’Aujargues (Gard), sa tombe est recouverte de myrtes, cistes et asphodèles de la garrigue. Mais le chant du poète continue de rayonner comme « les feux lointains qui nous parviennent du fond de la nuit7 ».
- 1.Frédéric Jacques Temple, « L’arbre », La Chasse infinie et autres poèmes, Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2020.
- 2.F. J. Temple, « Mon bestiaire amoureux », Télérama, numéro hors-série Bêtes et hommes, no 146, septembre 2007, p. 12.
- 3.F. J. Temple, Les Œufs de sel, Paris, Guy Chambelland, 1969.
- 4.F. J. Temple, « Laissez-moi », La Chasse infinie, op. cit.
- 5.F. J. Temple, Par le sextant du soleil, Paris, Éditions Bruno Doucey, 2020.
- 6.F. J. Temple, « Un homme meurt », La Chasse infinie, op. cit.
- 7.F. J. Temple, La Chasse infinie, op. cit.