Sciences Po: école ou université internationale? (entretien)
L’Institut d’études politiques de Paris ne veut pas devenir une « grande école » ! La stratégie a de quoi surprendre. Elle découle pourtant d’une prise en compte de l’internationalisation : pour exister demain à l’échelle internationale, c’est le modèle de l’université qui doit prévaloir. D’où les choix d’alliances en Europe et au-delà, qui jouent délibérément la carte de l’ouverture.
Esprit – Comment définissez-vous le statut de Sciences Po, entre les grandes écoles et les universités ? Vous avez initié des évolutions importantes pour cet établissement : l’augmentation du nombre d’élèves, du nombre d’enseignants, des matières enseignées, mais également les développements en province, les partenariats, l’internationalisation. Quel est le fil directeur de ce développement ? Comment pourriez-vous synthétiser l’impulsion générale donnée à l’établissement ?
Richard Descoings – Nous sommes partis d’une question simple : Sciences Po, et sa communauté d’universitaires, de chercheurs, de maîtres de conférences et d’élèves, souhaitent-ils que l’institution soit un acteur crédible dans la compétition internationale en matière d’enseignement supérieur et de recherche dans les années qui viennent ? La réponse à cette question fut oui, ce qui constitue en soi un choix déterminant, car toutes les institutions d’enseignement supérieur n’ont pas la même attitude vis-à-vis de cette compétition internationale. Si l’on regarde le panorama international, on constate que très peu d’universités se positionnent dans ce rapport de compétition : une cinquantaine, une centaine tout au plus, d’universités américaines, dix ou quinze en Grande-Bretagne, quelques-unes en Allemagne. Et de plus en plus, au Japon, en Corée, en Chine, en Inde.
Il y a encore quinze ans en France, l’idée générale était que les États et leurs systèmes éducatifs étaient en concurrence les uns avec les autres. Je ne crois pas à ces comparaisons bloc à bloc car, à l’intérieur de ces systèmes éducatifs, les situations sont très contrastées. L’expérience montre que, dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce sont les établissements qui sont en concurrence les uns avec les autres. Cette concurrence se fait d’abord sur le marché domestique, puis dans des systèmes régionaux intégrés comme l’Europe et enfin sur la scène mondiale. Quels sont ces établissements, ces acteurs ? Ce sont des universités, définies non par leur statut mais par leurs missions. Les missions de l’université sont simples à définir : tout d’abord, la production de connaissances, augmenter le savoir par les travaux des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des doctorants ; puis la transmission de ces connaissances, toutes les questions d’éducation et de formation ; également l’accès aux ressources documentaires, d’où la question primordiale de la transformation des bibliothèques qui, de lieux de conservation, doivent devenir des lieux d’accès aux ressources documentaires, localement ou à distance ; j’ajouterai, même si tous ne partagent pas cet avis, une responsabilité civique particulière, un rôle d’irrigation du débat public. Enfin, il ne faut pas oublier la responsabilité sociale des universités, et les questions de démocratisation, de diversité … Si l’on définit l’université par ces missions, alors oui, je souhaite que Sciences Po, sur la scène internationale, soit progressivement reconnu comme une université.
La seconde question à laquelle nous devions répondre consistait à savoir s’il existait dans cette compétition internationale des universités dont le champ d’enseignement et de recherche était défini exclusivement par les sciences humaines et sociales. L’Université, c’est à la fois une communauté particulière et l’universalité du savoir. Quelques universités dans le monde, dont la plus connue en Europe est la London School of Economics (Lse) ou encore l’université Bocconi à Milan, sont spécialisées dans les sciences humaines et sociales. Une telle spécialisation est-elle un atout ? Certainement pas dans les classements internationaux qui privilégient avant tout les sciences et les technologies à travers la littérature scientifique, les dépôts de brevet, la recherche appliquée … Pourtant, on ne peut plus séparer aujourd’hui les progrès des sciences et la recherche en sciences humaines et sociales. Car le progrès scientifique et technique transforme les problèmes, nous confronte à des problèmes qui ne se posaient pas jusqu’à présent : l’usage des tests Adn, l’acceptation juridique et morale des mères porteuses, le réchauffement climatique, tout cela appelle les éclairages de l’anthropologie, du droit, de la sociologie, de l’économie … Plus ces bouleversements sont profonds, centraux, plus il importe de se demander dans quelle société on veut vivre et quel type de lien humain, social, civique et politique on défend.
Sciences Po veut donc prendre position dans la compétition internationale. Pour cela, il se considère comme une université, définie par les missions évoquées plus haut, qui, placée dans un contexte concurrentiel, peut jouer cette carte difficile de la spécialisation dans les sciences humaines et sociales.
En regard du rôle de Sciences Po dans l’histoire politique nationale et dans l’imaginaire qui l’accompagne, quelle place cette stratégie laisse-t-elle à la science politique au sens strict ? Ne perd-elle pas quelque peu son importance, au profit d’une orientation plus universaliste, soucieuse du politique entendu au sens le plus large et du débat public ?
Comme je l’ai montré dans mon livre1, il s’agit surtout d’un retour aux sources. Sciences Po a construit son identité sur les sciences du politique. Mais du fait du contexte historique de la naissance de la science politique française, dont Sciences Po est largement à l’origine, l’image de l’institution s’est beaucoup focalisée sur cette discipline.
Mais pourquoi cette dimension internationale s’impose-t-elle à vous ? L’institution aurait pu rester dans son pré carré, où elle était parfaitement reconnue, et s’accorder de ce point de vue à un état d’esprit hexagonal largement diffusé. Y a-t-il un aiguillon qui vous contraint à vous engager sur ce chemin ?
La réponse tient dans le fait qu’il n’existe plus d’élite professionnelle qui ne soit globalisée. Il n’y a plus d’enseignants-chercheurs et de chercheurs qui ne soient sur une scène scientifique globale. C’est vrai pour le monde de la recherche aujourd’hui et a fortiori pour les entreprises, mais à l’heure actuelle, même l’administration française doit trouver sa place sur la scène européenne. Au minimum, les fonctionnaires français doivent être très au fait du fonctionnement du système communautaire, de l’Union européenne et, si possible même, des pays membres de l’Union. Notre cœur de métier est de contribuer à la formation des futures élites professionnelles ; ne pas entrer dans la compétition internationale revenait à se condamner soi-même. Il n’y a plus d’élites strictement nationales. De grands professeurs français, de grands chercheurs français, de grands entrepreneurs français …, oui, mais leur reconnaissance tient désormais au jugement des pairs de la discipline ou des secteurs d’activité à l’échelle internationale. Ne pas s’internationaliser, c’eût été renoncer de facto à ce pourquoi Boutmy a créé l’École libre, ce pourquoi on a refondé celle-ci à la Libération …
Est-ce une intuition que vous aviez en arrivant ou est-elle issue de votre pratique de l’institution, que vous connaissiez déjà un peu avant ?
Le développement international : un retour aux sources ?*
Que fait l’institut de la rue Saint-Guillaume à Marne-la-Vallée, au Havre ou à Shanghai ? N’est-il pas lancé dans une course en avant, sans véritable finalité, sinon de capter une trompeuse attention médiatique ? En essaimant sur divers territoires, en lançant des partenariats internationaux, en allongeant la scolarité, en ouvrant son recrutement, Sciences Po choisit résolument, selon son directeur, de se développer selon le modèle d’une université au rayonnement international. Cette rupture avec le modèle français de la « grande école », plaide-t-il dans cet ouvrage, est en réalité un retour aux sources. Comment comprendre cette formule et cet argument a priori surprenants ?
Il faut pour cela remonter aux origines de l’institution, qui se fait en dehors du giron de l’État. Pierre Rosanvallon a montré dans l’État en France1, comment le projet de création d’une école publique destinée à former les cadres de la fonction publique à l’art de gouverner et à ce qu’on n’appelait pas encore les « sciences sociales et politiques », soulevée tout au long du xixe siècle, a rencontré une solide résistance politique : les représentants de la nation devaient rester les seuls détenteurs du discours sur la société. La République voulait des ingénieurs, des hommes de lettres et des soldats, pas de hauts fonctionnaires disposant d’un savoir sur l’action politique et administrative.
Il fallut donc que l’initiative vînt de l’extérieur, et c’est ce qui s’est passé, non sans mal, après la défaite de 1870 qui ouvrit un large débat sur la nécessaire réforme intellectuelle et morale de la France, nourri en particulier par Renan, sur le thème : « C’est l’université de Berlin qui a triomphé à Sadowa. » C’est donc un publiciste libéral, Émile Boutmy, qui décide de lancer une fondation privée destinée à développer les sciences politiques en France. Il réunit de modestes fonds en sollicitant des sociétés savantes, des hommes d’affaires issus des milieux qu’il connaissait de la haute bourgeoisie libérale, souvent protestante, républicaine ou orléaniste. Mais il ne s’agissait pas pour lui de préparer aux concours administratifs ni de constituer une science positive particulière – la science politique : « J’ai voulu que nos disciplines n’abordent en étrangers aucune partie de la connaissance humaine [ …] Le moins qu’on puisse attendre d’un homme cultivé, c’est qu’il connaisse son temps » (cité p. 38). Impossible, donc, selon Richard Descoings, de séparer Sciences Po d’une lecture de la situation politique du pays et du rôle qu’une institution indépendante à vocation généraliste peut y jouer. Préserver l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et de l’État est une nécessité vitale, réaffirmée à plusieurs reprises : Jules Ferry aussi bien que Jean Zay souhaitaient la transformer en école nationale. On retrouve naturellement un projet de dissolution à la Libération, autre moment de reconstruction institutionnelle consécutive à une défaite militaire ressentie comme une crise intellectuelle et morale nationale. L’offensive est générale : les communistes, les socialistes, les gaullistes veulent étatiser l’institution et deux jeunes hauts fonctionnaires, Michel Debré et Jean-Marcel Jeanneney, organisent rondement le projet de nationalisation. Le compromis finalement trouvé régit toujours l’établissement : oui à une école publique, non à la transformation de l’école en un service administratif. On crée donc une fondation privée chargée de gérer un établissement supérieur public. L’indépendance apparaît donc comme ce qui permet de mieux remplir la fonction qu’on attend d’un établissement préparant une partie de la haute fonction publique. Ce parcours historique, qui explique l’indépendance de l’établissement, éclaire les choix des directeurs successifs, jusqu’à Alain Lancelot, dans la suite duquel Richard Descoings se situe. Il présente dans l’entretien publié ici les axes directeurs de son projet : l’entrée en matière historique de son livre permet de mieux comprendre pourquoi il se réclame de la continuité de l’histoire de Sciences Po et n’hésite pas à saluer la figure de René Rémond, qui fut longtemps le président de la Fondation nationale des sciences politiques (Fnsp), et auquel a succédé Jean-Claude Casanova, le directeur de la revue Commentaire.
*.À propos de Richard Descoings, Sciences Po. De la Courneuve à Shanghai, op. cit.
1.Pierre Rosanvallon, l’État en France, Paris, Le Seuil, coll. « Points-Seuil », 1990.
J’ai eu la chance de commencer à travailler avec Alain Lancelot en 1987. J’ai passé quatre ans à ses côtés. Après un passage par les cabinets ministériels et un retour au Conseil d’État, j’ai été désigné pour diriger Sciences Po. J’ai appris l’essentiel de mon métier « sur le tas », même si j’avais pu méditer en amont. J’ai passé les deux premières années de ma direction, entre 1996 et 1998, à parcourir le monde. Tout d’abord avec un objectif de court terme, qui était de développer les accords internationaux, pour permettre la mobilité internationale de nos étudiants. Mais aussi pour apprendre comment fonctionnaient concrètement les universités à la fois au sein de l’Union européenne, aux États-Unis puis en Asie. Ma formation de directeur a, entre autres, consisté à aller voir sur le terrain comment cela se passait ailleurs. J’ai pu constater que la plupart des systèmes universitaires restaient très nationaux, voire très nationalistes. À commencer par les États-Unis qui ont un système universitaire particulièrement replié sur lui-même, si on l’envisage au-delà de la cinquantaine d’universités de recherche, où l’on trouve des étudiants chinois, indiens … Mais ces centres très réputés ne représentent pas tant le système américain.
La construction d’un réseau
Comment Sciences Po était-il perçu dans les universités avec lesquelles vous avez noué des partenariats ? S’il y a bien une institution qui est emblématique de la singularité française, c’est celle-là. Vous avez dû passer beaucoup de temps à essayer d’expliquer ce qu’était Sciences Po par rapport à une université par exemple. N’y a-t-il pas un malentendu obligé ? Comment cela peut-il être surmonté dans le cadre de coopérations internationales ?
La singularité n’est perçue qu’en France. À l’étranger, Sciences Po est défini très facilement comme une université gérée par une fondation d’utilité publique sans but lucratif. Le concept est très facilement compréhensible en quelques mots : a higher education and research institution run by a non profit foundation, et renvoie à une réalité identifiable de Capetown à Edimbourgh et de Rio à Tokyo.
Ce qui n’est pas forcément le cas des autres grandes écoles françaises, comme Polytechnique par exemple.
Effectivement, mais cela est dû au fait que l’État continue de gérer cette école comme un établissement public administratif, avec à sa tête un général qui change tous les deux ans car cela s’intègre dans une carrière militaire en mouvement rapide … Cela n’empêche pas d’ailleurs que l’on trouve dans cet établissement de grands chercheurs, et de très bons étudiants. De même, les grandes écoles de commerce comme Hec n’ont toujours pas obtenu leur autonomie par rapport aux chambres de commerce. Ce sont toujours des services des chambres de commerce.
Sciences Po n’a pas ce problème car nous pouvons expliquer très simplement notre structure juridique, et elle est compréhensible dans le monde entier. Nous nous définissons donc principalement par nos missions. Pour les cursus, nous avons trois niveaux, undergrad, masters professionnels et graduate school jusqu’au doctorat ; nous avons des centres de recherche, une bibliothèque et des presses universitaires. Partout dans le monde, il est aisé pour notre institution de se définir. J’ai mis toutefois deux ans à réduire mon discours à ces quelques points essentiels. Au début, je tentais, dans mon mauvais anglais, d’expliquer à mes interlocuteurs en quoi Sciences Po était différent d’une université française. Mais cela n’intéresse absolument personne ! Nos partenaires universitaires veulent savoir si nous pratiquons le même métier qu’eux. Ce qui est le cas. Nous parlons donc de nos métiers respectifs, des difficultés que nous rencontrons, des succès que nous connaissons, des compétitions dans lesquelles nous nous insérons et des coopérations que nous pouvons établir.
Comment avez-vous monté vos partenariats internationaux ? N’est-il pas présomptueux de viser d’emblée l’échelle internationale, alors que l’échelle européenne est certainement pertinente pour ouvrir l’enseignement supérieur français ?
Pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine, nous avons choisi de faire un « détour américain ». Il fallait commencer par se faire reconnaître par des universitaires américains, pour pouvoir, une fois cet objectif atteint, aller ailleurs et faire valoir, par exemple, nos doubles diplômes au niveau du master avec Johns Hopkins ou Columbia, avec Northwestern pour le doctorat … Le fait que le collège d’Harvard nous prend un ou deux élèves par an, que nous avons un accord avec Princeton qui en développe pourtant très peu … aide ensuite à nouer d’autres partenariats dans le reste du monde, en Chine ou en Inde, où Sciences Po n’est pas connu mais où nous pouvons mettre en avant ces prestigieuses universités étrangères avec lesquelles nous avons des accords et qui nous confient leurs élèves, ainsi que les programmes de recherche auxquels nous participons, les professeurs invités qui viennent et même reviennent séjourner à Sciences Po, gage qu’ils y trouvent quelque chose qui les satisfait pleinement … Le détour américain nous a donc permis d’aller partout dans le monde. D’abord en Europe, une zone où il peut sembler plus facile de se développer mais où il fut pourtant difficile de proposer des partenariats. En effet, tous les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche européens sont globalement en crise depuis environ quinze ans. Les Italiens et les Espagnols ont fait d’importantes réformes ; les Anglais se sont clairement concentrés sur la dizaine de leurs universités capables d’exister sur la scène globale et ont décidé de spécialiser les autres essentiellement sur le marché domestique ; les Allemands se sont également réformés et viennent de désigner neuf universités d’excellence dans lesquelles 1, 9 milliard d’euros vont être investis dans les cinq ans. Ainsi, à un moment où la plupart des établissements se demandaient comment ils allaient exister sur leur marché domestique, intérieur, il était difficile de leur faire envisager la question de l’existence sur la scène internationale.
On a par ailleurs beaucoup investi en Amérique latine, car la France a été très présente dans des pays comme le Brésil, l’Argentine et le Chili, et il serait dommage de perdre cette tradition. Nous nous sommes ensuite lancés en Asie, où il existait une très ancienne tradition de collaboration avec le Japon mais rien en Chine ni en Inde. Nous avons donc prospecté dans ces pays. Il ne faut pas se leurrer, seules quelques universités de ces pays nous connaissent, mais dans le contexte de la compétition internationale, cela suffit et c’est cela qui compte. Nous avons mené au sein de Sciences Po un très grand débat en 1997 et 1998 pour savoir si notre dimension devait être européenne ou globale. Pour certains, très européens, nous avions tort d’aller aux États-Unis au lieu de nous concentrer sur l’Europe. Ce débat a duré au moins huit ou neuf mois. Mais j’ai dû trancher et j’ai choisi la stratégie globale dans l’idée que cela ne nous empêcherait pas d’être européens. Rétrospectivement, le « détour américain » nous a permis de mieux nous insérer en Europe.
Le pari de l’ouverture
Comment les étudiants ont-ils réagi à l’évolution démographique de ces dernières années, à ce développement très rapide ? Jusque-là, ils étaient entre eux, comment se sont-ils adaptés à une démographie croissante, plus ouverte socialement et à l’international ?
Par définition, il n’existe pas de mémoire étudiante. Il existe parfois une mémoire académique, mais tous les enseignants et chercheurs ne sont pas forcément informés, ni curieux d’une histoire globale. Chapsal se demandait dans les années 1960 jusqu’où l’institution irait : cinq mille, six mille ou même sept mille étudiants ? La question du nombre d’élèves à Sciences Po s’est vraiment posée avec la vague démographique qu’a connue cette époque. Quand l’année préparatoire a été installée à Dauphine, elle accueillait mille deux cents élèves. Quand je suis arrivé rue Saint-Guillaume comme chargé de mission en 1987, il y avait mille élèves en prép’Ena. Aujourd’hui, il y a sept mille élèves au total, mais le cursus menant au diplôme est organisé sur cinq ans alors qu’auparavant il était organisé sur trois ans. Il y a donc un effet de stock qui provient tout simplement de ces deux années supplémentaires, sachant que dans les sept mille étudiants est compté le gros millier qui est à l’étranger. Dans les années 1960, il n’y avait pas de Dea, pas de Dess, pas d’école doctorale. Aujourd’hui, l’école doctorale compte entre cinq cents et cinq cent cinquante thésards. Nous avons donc, toutes proportions gardées, moins d’étudiants aujourd’hui, à structure comparable, qu’au début des années 1960. Cela s’explique d’ailleurs simplement par le fait qu’il n’y avait pas, alors, de sélection à l’entrée de l’école. Cette dernière a commencé à se durcir à la fin des années 1960, en liaison avec la réflexion menée par Jacques Chapsal. La rupture date de 1975 ou 1976, quand il a été décidé de ne plus permettre aux bacheliers ayant obtenu une mention bien ou très bien d’être automatiquement admis. Mais la sélection à l’entrée de l’école elle-même a commencé en réalité dans les années 1980, quand Alain Lancelot a souligné le paradoxe d’exercer très peu de sélection à l’entrée de Sciences Po, mais de mener seulement deux tiers des élèves au diplôme. Au milieu des années 1980, on comptait en effet un tiers d’échec chaque année au diplôme de Sciences Po, ce qui était perçu par certains comme le signe de l’excellence de l’école et de sa sélectivité. Mais quelle est la contribution d’une école au parcours de ces élèves dans un tel cas ? Alain Lancelot, lui, a refusé de continuer à s’enorgueillir du fait qu’après avoir choisi des étudiants et les avoir formés, un tiers d’entre eux échouaient au diplôme de fin d’études. Il a préféré durcir les conditions d’entrée mais accompagner les élèves sélectionnés vers le succès.
Cette question du nombre se pose donc réellement, physiquement même en ce qui concerne les locaux, mais il faut la relativiser, car Sciences Po ne s’est pas développé d’un coup. Certes, au milieu des années 1990, il y avait seulement quatre mille élèves, alors qu’aujourd’hui il y en a sept mille. Qui sont ces trois mille élèves supplémentaires ? Il s’agit tout d’abord de ceux inscrits dans les deux années qui ont été ajoutées à la scolarité. Ensuite, Sciences Po accueille à l’heure actuelle 35% d’élèves étrangers, une présence massive donc. Enfin, nous avons essayé de maintenir la proportion entre le nombre de candidats et le nombre d’élèves. Je dois avouer que nous n’y arrivons pas et que la courbe des candidatures court toujours au-delà de nos capacités d’admission, au point qu’aujourd’hui, je ne sais même plus justifier les raisons de la sélection puisque de très bons étudiants ne peuvent pas être pris. Au bac 2007, il y a eu mille deux cents mentions très bien candidats à l’entrée en premier cycle. C’est un jury de l’inspection générale de l’Éducation nationale, composé de doyens et d’inspecteurs généraux, qui permet à certains, après examen des dossiers scolaires depuis la classe de seconde, d’être exonérés de l’examen d’entrée. Seuls trois cent cinquante candidats ont été pris. Comment expliquer à huit cent cinquante élèves ayant eu mention très bien au bac, et à leurs parents, qu’ils doivent faire leurs preuves à l’examen ? Or, aujourd’hui, le taux de réussite à ce dernier est de seulement 9%. Cette extrême sélectivité se retrouve, dira-t-on, dans tous les concours. Mais quand il s’agit de concours de recrutement, il est normal que le nombre de postes soit fonction des besoins de l’organisme qui recrute. Ce n’est pas le cas chez nous. Nous sommes un établissement universitaire, élitiste au sens où nous choisissons et sélectionnons nos élèves. Mais ce qui doit nous préoccuper c’est la qualité des candidats. Et sur ce point nous sommes en désaccord avec certaines grandes écoles qui font volontairement du malthusianisme la pierre de touche de leur qualité. Deux critères doivent déterminer le « bon » nombre d’étudiants à Sciences Po : tout d’abord la quantité et surtout la qualité des candidats ; ensuite la capacité d’absorption des différents marchés du travail. Dernier critère réaliste : la place disponible, la capacité d’accueil de notre institution. Aujourd’hui, nous sommes donc à un tournant. Avec sept mille élèves, nous sommes au maximum de notre capacité actuelle, ce qui implique soit d’abandonner la croissance interne pour passer à une croissance externe, soit d’assumer que nous allons durcir le taux de sélection et passer à 7%, voire à 5% de reçus. Mais est-ce que cela a un sens ? On prendrait ainsi cent ou cent cinquante mentions très bien sur mille cinq cents ? Je n’assumerai pas cela. Ce n’est pas mon optique et je préfère défendre la croissance externe. Si l’État, qui est notre principal financeur, refuse de jouer son rôle et d’investir dans Sciences Po, il faudra qu’il assume ce refus au nom de la politique universitaire qu’il conduit.
Ceux qui entrent aujourd’hui à Sciences Po ont bénéficié du jeu de la sélection. Comment vivent-ils cette ouverture grandissante et cette internationalisation ?
Une partie des élèves trouve effectivement qu’il y a désormais trop de monde et qu’il serait temps de fermer la porte derrière eux, maintenant qu’ils sont entrés dans le système. Dans ce cas, je leur renvoie la question : dans quelle catégorie aurions-nous dû être plus sélectifs ? dans les mentions très bien, les reçus à l’examen ou les élèves internationaux ? Ceux qui sont en opposition avec les évolutions de Sciences Po ne cherchent pas un chiffre absolu mais veulent simplement tirer tous les profits de la sélection qu’ils ont passée avec succès. Les économistes diraient qu’ils ont un comportement d’insiders assez classique.
Si nous extrapolons à partir de la courbe de candidatures constatée depuis dix ans et que nous stabilisons le taux de sélection, nous devrions atteindre les neuf mille étudiants en 2010, soit l’équivalent de Marne-la-Vallée ou de Dauphine. Certes nous sommes encore loin de Paris 1, Paris 4 ou Paris 3 – et ce n’est pas notre ambition ! – mais nous ne sommes plus du tout dans une logique du type de celle des grandes écoles, par définition petites et fermées.
Vous souhaitez donc vous distancier de l’image de Sciences Po comme école très sélective et fermée.
La difficulté vient de ce que Sciences Po n’a jamais eu autant d’étudiants mais n’a jamais non plus été aussi sélectif. Ce qui peut être très décourageant pour des lycéens qui veulent aujourd’hui préparer Sciences Po. Par le nombre des étudiants et par les missions que nous nous sommes assignées, nous nous rapprochons de plus en plus d’une université, mais par le taux de sélection, nous sommes de plus en plus près des grandes écoles.
Du point de vue de l’ouverture, le choc majeur a été l’arrivée des étudiants étrangers. Il y a toujours eu beaucoup d’élèves étrangers à Sciences Po mais ils se trouvaient cantonnés dans des programmes séparés. Ils étaient en relations internationales, mais il n’y en avait guère en Écofi et pas du tout en Service public. Il n’y en avait pas non plus en année préparatoire. Il existait par ailleurs des programmes d’un an pour étudiants étrangers où ils ne croisaient pas un étudiant français. Je me suis efforcé au contraire de rassembler les deux populations, mais il est évident que quand on rassemble en premier cycle des étudiants français, formés par le lycée français, par les méthodes françaises comme par exemple l’entraînement à la dissertation, et des étudiants américains, anglais, allemands, on se heurte à une hétérogénéité très forte. Par définition, ils ne sont pas passés par les mêmes programmes, notamment en histoire, si bien qu’on ne peut plus faire référence à un socle commun de connaissances et ils s’intéressent moins à la vie politique française que les étudiants français. Il y a donc eu des frottements. On a parlé de « baisse de niveau ». La méthode Sciences Po n’est pas une fin en soi : un plan en deux parties et quatre sous-parties n’est pas un dépôt sacré. L’objectif est de conduire à un savoir argumenté, illustré et raisonné pour emporter la conviction de celui ou celle qui va lire ou entendre ce que l’on dit. Le contenu reste ce qui est primordial.
L’autonomie dans les faits
Les universitaires se demandent ce que leur réserve la perspective d’autonomie qui est initiée par le pouvoir politique. Sciences Po jouit justement de son autonomie depuis les origines. Que pouvez-vous dire à vos collègues sur ce qui les attend ? Quelles leçons tirez-vous de votre propre situation et quelle incidence cela peut-il avoir sur vos relations avec les autres universités à partir de maintenant ?
Il convient tout d’abord de définir cette autonomie de Sciences Po. L’institution est dirigée par un président, Jean-Claude Casanova, qui a succédé à René Rémond début 2007 et par des conseils d’administration dont les compétences sont extrêmement étendues et qui sont souverains dans l’exercice de ces compétences. Ils décident de tout. Celui de l’Iep est chargé des questions liées aux études, à la scolarité, aux conditions d’admission et au diplôme. C’est celui de la Fondation nationale des sciences politiques qui est chargé de tout le reste, c’est-à-dire des questions d’immobilier, de ressources humaines, de budget, de recherche, de bibliothèque, des presses universitaires … Ce conseil décide, sur proposition de l’administrateur (en quelque sorte un directeur général exécutif) et du management, mais décide souverainement. On ne demande pas au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche son accord. De même le conseil de l’Iep décide souverainement des conditions d’admission à Sciences Po, de la structure de la scolarité, du contenu des études, des conditions de soutenance des diplômes … Le recteur est représenté. Toutefois, il n’a pas de voix délibérative. Il ne s’exprime que sur des sujets d’ordre général qui dépassent la situation particulière de Sciences Po. Je suis moi-même redevable devant ces conseils de la mise en œuvre des propositions qui y sont
adoptées … L’autonomie c’est déjà cela : des compétences qui sont exercées de façon effective sans qu’il y ait de curatelle de l’État qui soit exercée.
Le deuxième élément de cette autonomie est que nous sommes une fondation d’utilité publique à but non lucratif mais privée. Les salariés de Sciences Po relèvent du droit du travail. La comptabilité de Sciences Po est une comptabilité d’entreprise. Cela explique une bonne part de la réactivité de Sciences Po. Nous devons aussi nous soumettre à tous les contrôles prévus pour les entreprises privées. La loi sur l’autonomie prévoit un commissaire au compte, et c’est heureux. Le ministère des Finances, au départ, souhaitait instaurer un contrôle d’État, ce qui manque de souplesse. Il leur a été fait remarquer qu’ils voulaient avant tout que les universités soient gérées de manière responsable. Or, il existe une profession dont c’est le métier : les commissaires aux comptes. Passons donc par eux, puisque certifier la sincérité et la régularité des comptes est de leur compétence et ne reprenons pas d’une main l’autonomie octroyée de l’autre …
Nous avons donc déjà, pour notre part, toute l’autonomie dont vont bénéficier les universités avec la nouvelle loi Pécresse, ainsi que le statut privé des salariés et la comptabilité d’entreprise. Le statut des salariés est important car cela veut dire que les conditions de recrutement, les conditions de rémunération et les conditions d’organisation du travail sont libres par rapport à la fonction publique. J’ai ainsi choisi de faire le pari de recruter des jeunes à peu près à tous les niveaux de responsabilité, en sachant que pour les responsabilités de cadres et au-delà, je ne pourrai plus les rémunérer passé 35-40 ans au moment où les différentiels de rémunération se creusent dans les entreprises. J’incite donc ces jeunes à commencer leur carrière à Sciences Po mais celle-ci se poursuivra nécessairement dans les entreprises, sauf exception, un tout petit vivier où se recrutent les douze cadres dirigeants de Sciences Po. Voilà pour l’essentiel en quoi consiste l’autonomie.
Beaucoup d’universitaires, et pas simplement des présidents d’université, sont assez inquiets de cette perspective de l’autonomie qu’ils perçoivent comme un grand saut dans le vide. Comment voyez-vous les choses, avec votre recul ?
Les universitaires sont inquiets car ils étaient structurellement hostiles à l’autonomie des universités, ce qui est bien normal. En effet, plus d’autonomie pour les universités, cela veut aussi dire moins d’autonomie pour leurs diverses composantes. Les facultés de droit et de médecine ont été particulièrement inquiètes. Elles risquent de compter moins dans cette nouvelle structure que ce qu’elle compte aujourd’hui, où le doyen a au moins autant de puissance que la présidence de l’université. Ce qui explique l’hostilité générale des médecins et des juristes à cette loi sur l’autonomie. Les corps disciplinaires, de même que les Iut, les Iufm et les autres composantes, sont également plutôt hostiles à cette loi.
Dans mon cas, les choses ont été facilitées par le fait que je ne suis ni universitaire ni scientifique, ce qui est considéré comme le comble de l’horreur par la majorité des universitaires. Mais cela permet assez facilement d’isoler ce qui relève d’une compétence académique et ce qui relève de la stratégie générale et de la gouvernance de l’institution. Les présidents d’université vont devoir faire attention à ne pas tout mélanger. Ils vont devoir devenir des stratèges, éventuellement des managers. Il ne faut pas, parce qu’ils sont par ailleurs des académiques, qu’ils utilisent les compétences nouvelles dont eux-mêmes et leurs conseils d’administration disposeront pour intervenir dans le champ de la recherche par exemple. Ainsi, à Sciences Po, le Ceri, le Cevipof, l’ensemble des centres de recherche et l’École doctorale sont tout à fait libres de travailler comme ils l’entendent sous réserve des résultats obtenus et de l’efficience de leurs dépenses.
Pensez-vous qu’il faudrait une professionnalisation du métier de président d’université, comme cela se fait pour l’hôpital public, pour sortir de cette forme d’autogestion du corps par lui-même ?
Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’autogestion, il y a une gestion directe par l’État. La seule chose que gère l’Université aujourd’hui, ce sont les recrutements des professeurs, avec la question fort controversée des commissions de spécialistes. Pour le reste, l’État, à travers le financement et à travers l’allocation des emplois, décide de tout. Toutefois, je ne pense pas que les universitaires soient prêts pour une professionnalisation du métier de président. Et je ne crois pas que l’on puisse faire dans l’université des réformes pour lesquelles le corps social n’est pas prêt. À plus long terme, peut-être, une fois que les universitaires et les universités auront vraiment assimilé ce que signifie l’autonomie. Mais la « professionnalisation » peut très bien concerner des professeurs qui décideront à un moment donné qu’ils ont conduit leurs travaux de recherche là où ils le voulaient, que ce n’est plus l’essentiel de ce qui les intéresse, et qui se découvriront en revanche un goût et un talent de stratège et de manager. En Grande-Bretagne, les grandes universités sont souvent dirigées par des académiques qui sont aussi de redoutables chefs d’entreprise. Donc je pense qu’on ira forcément vers une professionnalisation, mais plutôt à long terme, et précipiter les choses ne servirait à rien.
Les stratégies de regroupements
La perspective d’autonomie se double d’un mouvement de regroupement des établissements, lui-même lié à l’internationalisation, pour atteindre la fameuse taille critique … qui permettra de retrouver de la visibilité à l’échelle internationale. À Paris, des regroupements territoriaux sont imaginés en ce moment. Quelle est votre stratégie sur ce sujet ?
Le sujet est passionnant mais il est trop tôt pour savoir comment les choses vont se passer. On discerne déjà deux stratégies radicalement différentes. La stratégie du projet appelé Paris Tech fait le pari de regrouper le maximum d’écoles d’ingénieurs pour créer une sorte de Mit à la française et en faire une université. Je dois dire que sur ce point je rejoins le scepticisme de Pierre Veltz, car je ne connais pas de grande université dans le monde qui soit aussi spécialisée. Je ne suis pas sûr qu’en ajoutant les Mines, les Ponts, Polytechnique et d’autres, on réussisse à recréer le Mit qui ne s’est pas du tout constitué comme cela. Mais je me trompe peut-être et il se peut que dans les prochaines années, Paris Tech devienne le grand espace universitaire de formation, d’ingénieurs et de recherche technologique. L’autre stratégie est de jouer sur la complémentarité, comme dans les cas de Paris-Est, Paris Centre ou de Paris Universitas. Mais la question est de savoir ce qu’on met dans la fédération, jusqu’où on va dans le rapprochement, quel est le contenu effectif de la mutualisation. J’ai l’impression que, pour l’instant, on y met de l’image, ce qui est déjà beaucoup. On y met du quantitatif (tant de milliers d’étudiants, d’enseignants-chercheurs), éventuellement des moyens mutualisés. Cela peut déjà être un modèle. Mais au-delà, y a-t-il des fusions possibles ? Peut-on refonder la Sorbonne unie par exemple ? Strasbourg est un exemple tout à fait passionnant qui applique la loi Savary de 1984 pour mener à son terme un projet de fusion. À terme, sans forcément d’ailleurs supprimer les universités existantes, le pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir stratégique de décider, d’allouer les moyens, se fera-t-il au niveau de la fédération ? Si on prend le cas de Paris-Est, je pense que c’est le projet d’Yves Lichtenberger, avec l’accord de Simone Bonnafous et de Francis Godard. L’inscription des écoles doctorales dans les compétences de ce pôle de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) est déjà un premier pas encourageant. L’idée directrice est que l’avenir de chacune de ces deux universités pris isolément est sombre mais que l’avenir d’une seule grande université de l’Est francilien est déjà nettement plus prometteur.
L’exemple de Paris-Est montre que se posent des questions d’ordre territorial. Sciences Po a un campus assez disséminé, à la géographie complexe. Pensez-vous que le regroupement territorial est une condition sine qua non des rapprochements stratégiques ou peut-on imaginer des regroupements sans continuité territoriale ?
Il est logique de mettre le paquet sur les politiques de sites. Quand, sur le même campus, vous avez quatre universités différentes, comme à Bordeaux, c’est assez curieux. À l’étranger, c’est difficile à expliquer et à vendre. Il est donc normal que l’État tente de favoriser une politique de site. Ce que je conteste toutefois absolument, c’est que cette politique de site soit exclusive d’une politique de réseau. On nous dit que tout doit être réseau : la coopération universitaire à l’échelle globale, à l’échelle européenne … La construction de l’espace européen de la recherche et de l’espace européen de l’enseignement supérieur ne fonctionne que par des réseaux. En France, il serait impossible et même interdit de fonctionner en réseau ? Je ne veux pas remettre en cause la politique des sites mais je pense qu’il est possible de faire coexister et même coopérer une politique de réseau avec une politique de site. Qu’est-ce qui justifie ces regroupements territoriaux au-delà du fait de remembrer les universités pour les rendre plus puissantes, plus visibles ? C’est, bien sûr, la lourdeur des investissements sur l’infrastructure technologique et scientifique. Mais cette nécessité n’existe pas en sciences humaines et sociales. Et ce n’est pas en mettant cent cinquante historiens sur le même campus que l’on fera une meilleure histoire. Ce qui fonctionne dans l’Ehess, au-delà d’une vision stratégique très forte, ce sont des individualités extraordinaires qui assurent le rayonnement de cette école dans le monde entier mais c’est aussi la rencontre sur un même lieu de chercheurs aux disciplines très variées. On ne peut donc pas raisonner pour les sciences humaines et sociales comme on le fait pour les technologies et les sciences expérimentales.
D’ailleurs, ces restructurations territoriales, par exemple l’envoi des étudiants de la Sorbonne dans le nord-est de l’agglomération ou le déplacement de l’Ehess à Aubervilliers, même si ce dernier est loin d’être aussi dramatique que certains ne l’affirment, sont en train de dévitaliser le cœur de Paris et posent la question de la politique municipale en matière d’enseignement et de recherche. Les conditions de la vie intellectuelle de notre capitale doivent être repensées. Je suis donc favorable à une politique de site et à un regroupement des instruments et des technologies lourdes, mais il ne faut pas prétendre qu’en sciences humaines et sociales la qualité de la recherche dépende du regroupement de centaines de chercheurs, même si, à l’inverse, un isolement excessif est également nuisible.
Sciences Po développe une logique de réseau, par nature difficile à cartographier. Quand on me demande quelle est la logique derrière l’installation de sites à Poitiers, Nancy ou Le Havre, je dois admettre que la logique territoriale est faible même si elle existe. Ainsi, au Havre est regroupée une forte communauté asiatique, d’autant plus que le port du Havre importe le textile chinois en Europe, si bien que Le Havre est une ville parfaitement connue en Chine. Vu de Paris, la logique paraît peut-être peu évidente. Le plus dur a été de soutenir la création d’un premier cycle consacré au Moyen-Orient et à la Méditerranée à Menton, qui apparaissait aux yeux de certains membres du conseil d’administration comme une ville peu pertinente. Pourtant, la présence de l’aéroport international de Nice justifie à elle seule la présence d’un centre spécialisé dans le sud de la Méditerranée et le Moyen-Orient.
L’excellence : un projet pédagogique?
Qu’est-ce qu’une formation d’excellence, capable de s’imposer au niveau mondial, que vous avez évoquée au début de l’entretien ? Quel est le profil d’un étudiant qui sort de Sciences Po dans cette configuration que vous avez dessinée ?
J’aurai en partie réussi mon pari de transformer Sciences Po en vraie université quand on cessera de me poser cette question car je ne veux justement plus qu’on puisse dire qu’il y a un « profil » des étudiants qui sortent de Sciences Po. Il y a des personnalités et, j’espère, une culture commune. Cette culture commune s’appuie sur une formation intellectuelle fondamentale ancrée dans l’étude des sciences humaines et sociales. Il n’y a jamais eu autant de sciences humaines et sociales enseignées dans notre institution. Quand j’étais moi-même élève à Sciences Po, à la fin des années 1970, ma formation reposait sur le contentieux administratif et la macroéconomie, plus un cours de langue, un bagage plutôt maigre et qui ne demandait pas un grand investissement intellectuel aux élèves ! Dans les sections Service public et Écofi, qui représentaient entre deux tiers et quatre cinquièmes des étudiants, les sciences humaines et sociales étaient bien peu présentes. En Affaires publiques, il y avait beaucoup d’histoire, ainsi que des « institutions politiques », matière enseignée par les membres du Conseil d’État. Et aussi de l’économie enseignée par les énarques du ministère des Finances. Radicalement différente était la situation en Politique, économique et sociale mais les étudiants de cette filière étaient parfois considérés comme des rêveurs et pas toujours pris au sérieux (on surnommait même cette section « piano et solfège »).
Alain Lancelot, quand il a créé un tronc commun à toutes les sections, a réintroduit les fondamentaux dans les études. Quand on est passé à des premiers cycles en trois ans, on a utilisé ces deux années de plus pour permettre de faire de la sociologie, de la science politique, de l’histoire, de l’économie, du droit, des relations internationales … Nous avons beaucoup élargi l’enseignement des sciences humaines et sociales. Lorsque l’année préparatoire ne courait que sur neuf mois utiles de cours, elle laissait une grande part au bachotage, car seul un élève sur deux passait en deuxième année. Aujourd’hui, nous essayons de faire réussir nos élèves. Nos meilleurs professeurs font leur cours en premier cycle. La grande œuvre d’Alain Lancelot fut donc, de mon point de vue, de refondamentaliser l’enseignement. C’est cette orientation qui reste la nôtre.
La culture commune que j’évoque n’est pas la « culture générale » au sens péjoratif de « cu-géné ». La curiosité intellectuelle, l’apprentissage du discernement et du sens du jugement seront utiles à la majorité de nos étudiants qui feront leur carrière dans les entreprises. L’internationalisation offre l’occasion de se frotter à des cerveaux différents, avec une vision du monde différente, une culture différente et venant de milieux sociaux différents. C’est ainsi qu’il peut y avoir un projet éducatif. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des connaissances permettant de réussir à des concours. D’où, le recrutement massif d’étudiants internationaux ; d’où l’action sur les conditions économiques et sociales. J’irais plus loin que cela : j’aime beaucoup qu’on recrute des ingénieurs qui viennent apporter un regard complètement différent. J’ai demandé à Bruno Latour de nous rejoindre pour reconstituer des « humanités scientifiques », pour faire à nouveau converger les sciences et les sciences sociales. Non pas pour former des scientifiques bien sûr, mais pour favoriser une culture scientifique plus largement répandue, pour pouvoir, par exemple, intervenir dans des débats publics tels que celui sur les Ogm avec un peu plus de contenu.
Nous avons dans ce sens créé un double cursus avec l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris 6) qui mène jusqu’à la licence. Il s’agit d’une vraie composition intellectuelle et pédagogique qui concerne quarante bacheliers S mention très bien et qui sont donc capables pendant trois ans de poursuivre des études scientifiques approfondies et des études en sciences humaines et sociales. À l’échelon du master, ils pourront faire le choix de se spécialiser. Je voudrais faire la même chose avec les sciences du vivant. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes candidats à rejoindre pour partie l’université Paris Est et à l’installation d’un second campus de Sciences Po sur le campus de l’université de Créteil. Pour nous trouver entre la faculté de droit et le Chu Henri-Mondor. Je rêve d’une quarantaine d’élèves par promotion où l’on formerait en même temps des jeunes gens qui un jour deviendraient médecins ou chercheurs dans le domaine de la santé et d’autres cadres en entreprises, ou politiques, ou administrateurs, mais avec une compétence technique leur permettant de saisir des enjeux majeurs liés à la santé, comme la maladie d’Alzheimer, la médecine prédictive, la génétique …
Mon objectif est que se présentent sur tous les marchés du travail, ceux de la recherche, de l’enseignement supérieur, des entreprises, des administrations publiques, à un niveau international, européen ou français, des jeunes gens qui ont en commun le goût du débat, la curiosité, une envie intellectuelle permanente qu’ils entretiendront je l’espère, toute leur vie, tout en développant chacun leurs aspérités, leur personnalité.
L’aspiration à des carrières publiques semble décliner. La réussite est davantage évaluée au niveau du salaire qu’au dévouement à l’intérêt général. Ce sont peut-être moins les membres de la haute administration de demain qui sortent de Sciences Po qu’une élite tournée vers une réussite un peu clinquante. Avez-vous cette impression, en observant les élèves de Sciences Po, de ce glissement du modèle de réussite ?
Pas du tout. Tout d’abord, par rapport aux écoles de commerce, nous avons fait un choix stratégique très différent : les étudiants de ces écoles ont l’impression de connaître leur aboutissement le jour où ils y entrent. Ce qu’ils y font ensuite est de moindre importance. Nous cherchons à apporter une formation à nos élèves. C’est pourquoi les grands professeurs font cours en première et en deuxième année. Et leurs amphis sont bondés.
Nous avons voulu de grands cours obligatoires pour tous les élèves de master : Philippe Raynaud, Ghassan Salamé, Bruno Latour, Guy Canivet pour ne prendre que quelques exemples sont titulaires d’un cours magistral et offrent, c’est le moins que l’on puisse dire, une vraie formation intellectuelle. Nous ne voulons pas que nos élèves fassent seulement de la comptabilité, de la fiscalité ou du droit administratif car notre marque de fabrique est de considérer que la formation intellectuelle fondamentale est la meilleure préparation à leurs futures carrières, à l’encontre des formations trop étroitement conçues et de manière faussement « professionnalisante ». C’est pour nous une aberration d’opposer formation intellectuelle et formation professionnelle. Plus on est formé intellectuellement, plus on est professionnel, surtout dans un monde où les métiers changent à toute vitesse. Il faut donc, de notre point de vue, investir encore plus dans cette formation-là.
Pourquoi nos étudiants choisissent-ils Sciences Po ? Premièrement parce qu’ils sont intéressés par le fait de poursuivre des études pluridisciplinaires en sciences humaines et sociales avec des professeurs de très grande qualité. La troisième année à l’étranger est également une puissante motivation. Or nous sommes aujourd’hui la seule institution où une année complète à l’étranger est obligatoire, gratuite (les étudiants ne paient pas les droits de scolarité des universités d’accueil) et avec un fonds de mobilité pour les étudiants, qui finance le différentiel du coût de la vie pour les élèves qui n’ont pas les moyens de partir. Et le tout pour des droits de scolarité très raisonnables, qui sont modulés en fonction des revenus familiaux. Nous avons ainsi neuf cent cinquante élèves boursiers cette année, ce qui représente une augmentation de 80% en trois ans. Les boursiers du Crous reçoivent à Sciences Po un complément financier égal à 50% du montant de cette dernière. Par ailleurs, le coût de la scolarité pour les non boursiers reste tout à fait modique. Pour payer cinq mille euros de droits de scolarité, il faut qu’un foyer fiscal où les deux parents vivent ensemble avec deux enfants gagne plus de cent vingt cinq mille euros nets par an, et fasse donc partie des deux derniers centiles de la population française sur l’échelle des revenus établie par l’Insee.
Je vous rejoins en revanche sur l’idée que la carrière administrative est devenue moins attractive. À force de ne pas réussir la réforme de l’État, l’attrait d’une partie de nos élèves pour ces carrières a diminué. Les jeunes générations se rendent bien compte que ces problématiques de réforme de l’État n’ont pas évolué depuis vingt-cinq ans et cela les décourage. L’attrait que pouvait représenter dans ma génération la carrière dans l’administration a commencé à décroître dès ce que l’on a appelé la génération Tapie, où de jeunes énarques ont fait l’Ena puis les grands corps explicitement pour partir dans le privé après quelques années d’expérience. En revanche, il y a une désaffection claire par rapport aux problèmes touchant aux réformes des politiques publiques. L’aventure au sens noble du terme, c’est aujourd’hui plus souvent l’entreprise que l’État. Et l’intérêt général ne me semble plus incarné de façon très systématique par les administrations publiques. Le doute s’est installé.
Sciences Po a été fondé par Émile Boutmy au lendemain de la défaite de 1870. Il était pour le moins surprenant, à l’époque, qu’un journaliste libéral choisisse d’aider à former les politiques. On ne peut pas dire qu’aujourd’hui le problème des élites se pose de manière moins vive. Sciences Po ne reste-t-il pas cette école appelée à former l’élite républicaine et politique, même si cela ne passe plus automatiquement par le système méritocratique républicain type Ens et par l’Ena ? Votre souci de transformer la formation s’adresse-t-il aussi aux futurs cadres politiques ?
Oui, mais justement en ressourçant complètement cette formation. Je crois profondément que le type de formation qu’ont reçu les hauts fonctionnaires qui sont en poste aujourd’hui est mal adapté à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques. Cela se saurait si les politiques publiques mises en œuvre successivement depuis vingt-cinq ans avaient réussi ! Il y aurait moins de chômage, moins de déficit, des universités plus performantes, pas d’exclusion, pas de pauvreté … Il y a là un incontestable échec collectif, non seulement des politiques mais également des pouvoirs administratifs, dont on parle moins, alors qu’ils laissent la marge de man œuvre la plus étroite possible aux politiques, à la fois au nom d’une pseudo-technicité et de l’idée que les politiques sont des gens peu sérieux qu’il ne faut pas laisser faire, quel que soit le gouvernement. Je pense que nous avons une haute fonction publique extraordinairement républicaine, probe, dévouée, mais extraordinairement peu démocrate et qui, pour une part, continue de fonctionner dans un univers mental qui date d’avant la globalisation, d’avant l’Union européenne, d’avant la décentralisation. Il y a sur un certain nombre de sujets une forme d’autisme technocratique qui empêche les hauts fonctionnaires d’aller interroger les personnes compétentes pour vérifier la validité de ce qu’ils proposent et qui font passer de mauvaises décisions pour de bonnes idées, car elles n’ont pas été confrontées à une validation empirique.
Les États-Unis et la France: deux modèles universitaires concurrents ?
L’enseignement supérieur français est fréquemment mis en regard du système américain. Sont-ils vraiment comparables ? Quelques éléments chiffrés peuvent éclairer la réflexion3, 4.
Taille et composition
Aux États-Unis comme en France, 39% des 25-34 ans passent par l’enseignement supérieur. Ce chiffre était déjà atteint en 1950 aux États-Unis mais la France n’a obtenu un tel résultat que récemment : 37% des 55-64 ans actuels sont passés par l’enseignement supérieur, contre 16% en France.
Bien que ces valeurs relatives soient désormais similaires, n’y a-t-il pas un effet masse critique aux États-Unis ? Il y a moins de 1, 4 million d’étudiants, dont 14, 9% sont étrangers, dans les 81 universités françaises en 2006. Près de 20% sont concentrés sur l’Île-de-France. Par comparaison, il y a près de 18 millions d’étudiants dans le supérieur aux États-Unis en 2006, dont 13 millions sont dans des institutions publiques. On compte 640 institutions publiques offrant des formations en 4 ans, et 1 942 institutions privées. Les institutions en 2 ans sont au nombre de 1 693 dans le public, et 641 dans le privé. Les disparités y sont grandes : d’après Nacubo5, les dotations des cinq universités les mieux loties sont plus de deux fois et demie supérieures aux cinq suivantes en 2006.
Le nombre d’étudiants par enseignant est en revanche comparable : 15, 7 aux États-Unis contre 17, 3 en France en 2005, la moyenne de l’Ocde6 étant à 15, 8. Les taux d’inscriptions des 20-29 ans des deux pays sont également proches (23, 1% et 20, 1 %), mais tous deux en deçà de la moyenne de l’Ocde (24, 9%), pour la tranche des 20-29 ans. Il n’y a pas de tendance forte à l’augmentation.
Structure du financement
Les dotations par élève sont un point de contentieux majeur en France. Du primaire au supérieur, le budget annuel moyen par élève en 2004 est de 12 092 $ au États-Unis, contre 7 880 $ pour la France, mais de 22 475 $ contre 10 667 $ en ce qui concerne l’enseignement supérieur. La moyenne de l’Ocde se situe à 11 100 $. Si l’on exclut les activités de recherche et développement, on tombe à 19 842 $ pour les États-Unis et 7 372 $ pour la France, quand la moyenne de l’Ocde est à 7 951 $.
Les dépenses de l’enseignement supérieur représentent en France 2, 3% des dépenses publiques en 2004, contre 3, 5% aux États-Unis, soit 1, 2% et 1, 3% du Pib. La moyenne de l’Ocde est de 3, 1%, soit 1, 3% du Pib.
Pour autant, la structure de financement qui résulte de ces dépenses est significativement différente. En France, les dépenses publiques représentent 83, 9% du budget de l’enseignement supérieur, les ménages finançant 9, 8% et les autres structures privées 6, 4%. Aux États-Unis, les ménages financent autant que les dépenses publiques (35, 1% et 35, 4%), tandis que les autres sources privées s’élèvent à 29, 5%.
Cette différence sensible soulève plusieurs questions, dont celle sur les droits d’inscription. Diverses études américaines7 constatent l’absence de lien entre le revenu familial et l’inscription à l’université, et concluent que les droits de scolarité ne sont pas un obstacle à l’égalité sociale8 à deux conditions : que l’étudiant puisse faire un emprunt et que l’investissement dans sa formation lui donne accès à une carrière intéressante, lui permettant de le rembourser sans sacrifices excessifs.
Emploi et valorisation
La sensibilité de l’emploi aux cycles économiques est plus marquée aux États-Unis, mais le taux de chômage y est structurellement plus bas, y compris pour ceux qui ont fait des études. Le taux de chômage des diplômés du supérieur (tous âges confondus) est passé de 3, 7% à 6, 0% entre 1991 et 2005 en France, tandis qu’il passait de 2, 9% à 2, 6% aux États-Unis, avec une pointe à 3, 4% en 2003.
La valorisation de la recherche dite académique est très limitée aux États-Unis comme en France9. Les contrats industriels ne représentent que 2 à 3% de son financement en France, contre presque 6% aux États-Unis, avec une tendance à la baisse (Ocde). En 2005, le dépôt de brevets prioritaires était de 0, 05 par million de dollars de dépenses de recherche en France, tandis qu’on l’estime à près de 0, 20 aux États-Unis en 2004.
3.L’Éducation nationale en chiffres 2006-2007, Paris, Ministère de l’Éducation nationale, 2007, http://www.education.gouv.fr/pid338/l-education-nationale-en-chiffres.html
4.Digest of Education Statistics 2006, Washington (DC), U.S. Department of Education, National Center for Education Statistics, 2007. http://nces.ed.gov/pubs2007/2007017.pdf
5.2006 Nacubo Endowment Study, National Association of College and University Business Officers, 2007. http://www.nacubo.org
6.Education at a Glance, Paris, Ocde, 2007, http://www.oecd.org
7.Voir, entre autres, P. Carneiro et J. J. Heckman, “The Evidence on Credit Constraints in Post-secondary Schooling”, Economic Journal, 2002, 112, no 482, p. 705-734. http://www.ucl.ac.uk/~uctppca/credit.pdf
8.Au contraire, la théorie du capital humain formule la nécessité d’investir plus tôt dans le cycle éducatif, afin de combler les inégalités de capital social.
9.Henri Guillaume (sous la dir. de), Rapport sur la valorisation de la recherche, Paris, Igf-Igaenr, 2007.
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Directeur de Sciences Po.
- 1.
Richard Descoings, Sciences Po. De la Courneuve à Shanghai, préface de René Rémond, Paris, Les Presses de Sciences-Po, 2007 (voir l’encadré page suivante).