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Dans le même numéro

Des paroles aux actes

par

Esprit

septembre 2017

#Divers

Cet été encore, la situation des migrants et des réfugiés aura été au centre de l’actualité. En France, plusieurs décisions de justice se sont croisées, illustrant les contradictions dans lesquelles les autorités sont prises, faute d’une politique claire. D’un côté, le tribunal administratif de Lille puis le Conseil d’État ont rappelé nos obligations élémentaires en matière de respect des droits de l’homme, en sommant la mairie de Calais de rétablir des accès à l’eau potable et à des sanitaires pour les migrants qui continuent de se regrouper à proximité du tunnel sous la Manche, malgré le démantèlement des camps et les méthodes de dispersion brutale employées par la police. De l’autre, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné Cédric Herrou, l’agriculteur qui s’est fait le porte-parole des migrants dans la vallée de la Roya, à quatre mois de prison avec sursis, pour avoir porté assistance et favorisé l’entrée illégale sur notre territoire de plusieurs centaines de personnes. Comment s’y retrouver ?

Depuis l’été 2014, les journaux bruissent de nouvelles sur la terrible « crise des migrants » que traverserait l’Europe. Mais comme de nombreuses voix le soulignent, nous ne sommes pas confrontés à une crise des migrants, mais à une crise de l’accueil des migrants, à une crise de la solidarité et de l’hospitalité, en France et en Europe. On estime à un peu plus d’un million de personnes l’afflux de réfugiés en Europe depuis le début de la guerre en Syrie, les réfugiés du Moyen-Orient venant s’ajouter aux flux préexistants en provenance des Balkans ou d’Afrique, pour une population de cinq cent dix millions d’habitants environ. En France, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) a examiné environ cent mille demandes d’asile l’année dernière, pour une population de soixante-sept millions d’habitants. Peut-on vraiment soutenir que nous sommes face à une crise sans précédent et qu’il n’existe pas de solutions ?

La première urgence, c’est l’hébergement, comme l’a rappelé le président Macron dans un discours prononcé à Orléans fin juillet. Il nous faut construire une politique de premier secours, éviter que les gens s’entassent dans des bidonvilles dans des conditions indignes. C’est la seule politique possible dans l’urgence, d’abord parce que c’est une obligation humaine, ensuite parce que nous y sommes obligés par une série de déclarations et de conventions internationales dont la France est signataire, enfin parce que ce sont les ratés de la politique d’accueil et les images de désordre et de violence dans les camps de fortune qui nourrissent dans l’opinion le sentiment que les migrants représentent une terrible menace.

Avant d’être des demandeurs d’asile ou des migrants économiques, les hommes, les femmes et les enfants qui arrivent sur notre sol sont des êtres humains, épuisés, démunis, exposés à toutes les violences. La sécurité et le soin des personnes, de toutes les personnes, sont une obligation première à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, comme l’a encore rappelé le pape François le 21 août dernier. Ces personnes ont le droit de chercher une vie meilleure et nous avons le devoir de les secourir. L’idée selon laquelle traiter ces hommes et femmes dignement, en leur accordant le minimum vital, créerait un « appel d’air » est moralement inacceptable ; elle est également démentie par les faits. Quels que soient les mauvais traitements dont ils font l’objet, les migrants continuent de se déplacer, mus par les mauvaises conditions de vie dans leur pays d’origine et le désir puissant de retrouver un avenir.

Au-delà de l’urgence humanitaire, les défis de long terme de la question migratoire sont immenses. Il ne s’agit pas de les nier, mais d’exiger qu’ils soient abordés avec lucidité et avec courage, en refusant l’impuissance et le cynisme. En droit, à l’heure actuelle, tout repose sur la distinction entre demandeurs d’asile et migrants économiques. Les uns ont droit à un traitement rapide et efficace de leur demande puis à une protection si le statut de réfugié leur est accordé, les autres doivent être reconduits à la frontière. Travailler dans ce cadre juridique de façon organisée, et faire respecter l’ordre public, est indispensable aussi pour éviter d’attiser les réactions viscérales dans l’opinion et les instrumentalisations par des mouvements d’extrême droite ou les gouvernements « illibéraux » au pouvoir actuellement en Europe centrale et orientale, qui pourraient y voir l’occasion de remettre en cause le droit d’asile.

Le gouvernement est allé dans ce sens quand il a présenté un plan pour « garantir le droit d’asile et maîtriser les flux migratoires » en juin dernier, qui prévoit d’une part la création de centres d’accueil et le déblocage de moyens pour l’intégration des réfugiés et, de l’autre, une « politique crédible de reconductions à la frontière » pour les personnes dont la situation ne correspond pas aux critères prévus par la Convention de Genève. À long terme, cependant, cette distinction ne devrait-elle pas être revue, de nouvelles catégories et de nouveaux dispositifs de droit inventés, pour que nos solutions politiques correspondent mieux à la réalité contemporaine des migrations ? Lorsque des gens fuient des pays ravagés par la guerre civile, sans être personnellement persécutés par le régime, ou qu’ils sont contraints de quitter une zone rendue invivable par le changement climatique, ont-ils moins le droit de chercher à se sauver et d’être traités avec dignité ? Est-il vraiment possible de défendre un modèle de mondialisation dans lequel les biens, les capitaux et les informations passeraient toujours plus librement les frontières, mais pas les hommes ?

L’accueil des migrants et des réfugiés est d’une importance critique pour l’Europe, pas seulement parce que nos pays prospères sont des destinations prisées, mais parce que la construction européenne a partie liée avec l’histoire tragique de la Seconde Guerre mondiale et les idéaux qu’elle a souhaité affirmer pour en sortir. Si l’Europe se dérobe à cette question aujourd’hui, c’est son projet politique qui s’effondre. Malgré les difficultés que cela ne manquera pas d’entraîner, les politiques migratoires de demain doivent être construites avec nos partenaires européens, dans le respect des principes dont l’Europe se réclame. Il faut travailler avec l’Allemagne à harmoniser nos politiques d’asile et d’immigration, penser à nouveau une répartition équilibrée des réfugiés dans les différents pays de l’Union et revoir le règlement de Dublin qui fait peser une trop grande charge sur l’Italie et la Grèce comme pays de première entrée de la plupart des migrants.

Les paroles de la campagne sonnaient juste. À présent, il faut poser des actes.

Esprit