Faut-il valoriser la solidarité locale ?
Les élections locales rassemblent habituellement une participation plus forte que les autres scrutins parce que les électeurs sont réputés avoir davantage confiance dans les maires que dans les autres élus. Question de « proximité », dit-on souvent, comme si la commune avait le monopole du « terrain » et des « vrais gens ». Dans une France en manque de confiance, le local est censé représenter le dernier gisement de crédibilité politique. Pessimisme hexagonal, inquiétude de l’avenir, montée du discours antisystème : le déficit de confiance atteint des sommets. Et l’État semble mal équipé pour y répondre.
Comment en effet produire un sentiment collectif qui est justement la précondition d’un projet commun ? Les institutions de la protection sociale garantissent une solidarité concrète, qui est la forme organisée la plus proche de notre idéal de fraternité. Mais pourquoi parle-t-on désormais plus volontiers de confiance que de solidarité ? Avec la crise du travail et de l’État-providence, le lien social n’apparaît plus soutenu et renforcé par la solidarité mécanique du monde salarial ou par le traitement homogène et égalitaire du service public. On invoque donc, en amont des effets anti-inégalitaires de la redistribution, un lien prépolitique qui fortifie l’adhésion au principe même de la vie collective.
Ces glissements de vocabulaire sont le signe qu’on perçoit, sans savoir encore comment y répondre correctement, que des forces d’adhésion collective sont à réinventer. C’est pourquoi on parle de plus en plus souvent de renforcer la « cohésion sociale ». Y a-t-il une stratégie articulée derrière cette expression nouvelle ? Celle-ci témoigne en premier lieu du besoin de dépasser les confrontations politiques sur la rigueur ou le retour à l’équilibre des comptes sociaux, qui portent pour l’essentiel sur le juste niveau des prestations prélevées et redistribuées.
Car le malaise actuel n’est pas seulement dû au ralentissement économique. Il vient surtout du manque de lisibilité des nouvelles inégalités : tout le monde pense porter l’essentiel de l’effort collectif, ou se sent autorisé à s’en plaindre. En effet, le système d’assurance et de mutualisation qui fonctionnait pour un monde salarial stable, inspiré par un modèle industriel, découpant la population en catégories homogènes, avec la certitude qu’une croissance indéfinie apaiserait à terme toutes les contradictions, ne permet plus aujourd’hui de limiter les effets inégalitaires de l’économie. C’est pourquoi l’approche catégorielle du malaise social est d’avance vouée à l’échec. Les transferts de revenus (maladie, chômage, retraite) ne suffisent plus à construire des sécurités valables pour tous car les inégalités dépendent désormais aussi des opportunités ouvertes aux individus et de leurs capacités à les saisir. Se sentir partie prenante du projet collectif, c’est-à-dire accorder de la confiance aux institutions, c’est pouvoir vérifier qu’on bénéficie d’un accès à des opportunités de formation, de travail, de reconnaissance à peu près égal à la moyenne de ses concitoyens (ou aux représentations qu’on en a, d’où l’importance de stratégies de lutte contre les discriminations).
Or c’est justement au niveau local que la « cohésion » sociale apparaît comme une ressource pour remettre les individus en mouvement. On observe en effet, à l’échelle du territoire, un lien fort entre la vitalité des liens sociaux (appréciée par exemple à travers le nombre d’associations mais aussi un urbanisme accueillant, une architecture qui facilite les relations de voisinage…), la crédibilité des services publics et les opportunités économiques. C’est donc avant tout au niveau local que l’idée de cohésion peut trouver à s’illustrer. L’action publique doit ainsi chercher à favoriser des synergies positives entre civilité locale, mobilisation des acteurs (pas seulement des acteurs publics) et perspectives d’emploi. La mobilité ascendante part du local mais n’enferme pas dans le territoire. C’est à partir de ses liens locaux qu’un individu peut se mettre en mouvement et retrouver le sens d’une devise républicaine devenue bien abstraite. Encore faut-il que les pouvoirs publics arrivent à énoncer un projet territorial qui organise clairement les responsabilités de chaque niveau représentatif…