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Impossible réforme ?

par

Esprit

Le président Sarkozy a oublié à ses dépens qu’investir le rôle présidentiel, c’est être chargé d’une fonction de représentation qui dépasse sa personne. Sa surexposition médiatique est apparue comme incompatible avec sa charge et s’est retournée contre lui. Mais faut-il conclure de ce retournement de l’opinion que le président n’est qu’un simulacre, une erreur de parcours, comme le laissent entendre les chroniqueurs qui prédisent un peu vite son explosion en vol ?

Ce serait oublier d’abord que le président Sarkozy, qu’on le veuille ou non, accompagne un certain nombre d’évolutions propres à l’Hexagone aussi bien qu’à l’Europe. Comment croire que le retour à gauche se fera par le seul jeu mécanique de l’alternance alors que les pays européens, exception faite de l’Espagne, optent pour une droitisation de la vie politique qui accompagne la volonté de repli de sociétés inquiètes ? De façon plus large, comment ne pas voir que la France, dont les changements sociologiques sont patents, a tellement attendu les réformes et entendu de promesses en tous genres qu’elle se fâche en retour contre un président brouillon et hâbleur ? Bref, la fin de la première séquence Sarkozy rappelle que la crise de confiance vis-à-vis de la classe politique est profondément installée et que la méfiance risque même de s’accroître.

Mais en rester à une critique du style du président est trompeur si cela empêche de comprendre en quel sens l’impératif de la « réforme » est utilisé. Si l’on répète à satiété que les Français sont fatigués de Sarkozy, on ajoute qu’ils sont toujours en attente de ruptures. Le président ne s’est d’ailleurs pas gêné pour tacler une nouvelle fois l’immobilisme de la présidence Chirac à l’occasion de l’anniversaire de son élection. Ce qui n’est pas faux mais impose de s’interroger sur le contenu et l’esprit de la réforme.

En effet, les réformes engagées sont contradictoires et relèvent d’options différentes. Un premier train de réformes consiste à mettre au régime l’État employeur (nombre d’enseignants, carte judiciaire, carte hospitalière…) tout en oubliant que les emplois publics progressent aussi vite que les emplois privés, indépendamment de la volonté de l’État central, par le biais de la fonction publique territoriale. Du côté des comptes sociaux, la réforme des retraites s’inscrit également dans cet impératif d’assainissement des comptes (sous le double poids de la dette et des engagements européens). Un deuxième train de réformes s’inscrit dans le contexte de la compétition économique mondiale et a pour but d’activer l’emploi (loi travail, emploi, pouvoir d’achat, dite Tepa, réforme du code du travail…). Un peu plus de flexibilité donc, mais aussi un peu plus d’esprit de compétitivité, un peu plus de recherche et d’innovation (réforme de l’université). Un troisième train de réformes, avec le revenu social d’activité (Rsa) cher à Martin Hirsch, est hautement symbolique au regard des deux premières tendances, et consiste à rassurer les populations en difficulté tout en préservant timidement des mécanismes de redistribution dans un contexte de désolidarisation.

Toutes ces réformes sont censées trouver une cohérence par l’intermédiaire d’un quatrième ensemble qui, à travers la révision générale des politiques publiques (Rgpp) et l’action des agences transversales (Anru, Acse, Aii, Anr), revient à redéfinir le type d’intervention de l’État : celui-ci pourrait organiser la concurrence plutôt qu’intervenir directement ou « laisser faire » le marché.

Malgré les tonalités anglo-saxonnes de discours de campagne, on observe que l’État n’est pas en voie de disparition. Au contraire, il opte pour des politiques qui mettent en concurrence les agents et les institutions sans présenter de normes politiques susceptibles de dessiner une stratégie ni énoncer le sens de son action.

La critique du style médiatique ne doit donc pas cacher l’essentiel : des réformes silencieuses sont en cours qui ne vont malheureusement pas dans le sens de la solidarité mais dans celui d’une activation de la mise en concurrence. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a trop de réformes ou non, si elles sont attendues ou non mais de savoir dans quel sens elles vont. Le discours entrepreneurial et l’éloge de la réussite individuelle ne parlent pas que du marché. Ils influencent aussi l’action de l’État, qui ne se réduit pas uniquement par un discours sur la réduction de la fonction publique.