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Dans le même numéro

La France, l'Europe et le monde de François Hollande

par

Esprit

juin 2012

#Divers

Lancée par les primaires socialistes, marquée par l’épisode Strauss-Kahn, exacerbée par les embardées successives de l’hyper-président, surplombée par la crise du capitalisme mondialisé et par les dettes souveraines, la campagne présidentielle ne fut pas seulement pénible et lassante, elle fut âpre, dure et sévère. Mal ressentie, elle fut aussi aveuglante : le désir d’en finir chez beaucoup avec le président sortant a fait oublier la droitisation de la société française qui n’échappe pas plus que les autres pays européens au « national-ethnisme ». D’où la montée en puissance de Marine Le Pen qui a substitué l’islamophobie à l’antisémitisme de son père pour se faire entendre.

Aveuglante, elle le fut aussi en raison de la surcharge de commentaires politiques qui ont considérablement sous-estimé les raisons de l’ascension de François Hollande : très normal sur ce point, tout comme Nicolas Sarkozy, c’est un passionné de politique depuis son adolescence, un coriace qui a jouté pendant des années avec Jacques Chirac dans ses terres imprenables de Corrèze, un tenace qui a pensé que son heure était arrivée alors qu’il était en pleine traversée du désert et l’objet de dérision au parti socialiste. Loin de son image joviale, cet homme solitaire, qui sait sur qui compter ou non, a su allier le virus politique à la Mitterrand, la raison froide dans le style Jospin et le sens du contrat cher à Jacques Delors.

Loin d’être un sympathique pragmatique aux allures « rad-soc », Hollande est un homme de conviction qui a une représentation de son pays et qui sait, ce qu’un Dominique de Villepin ne comprendra jamais, qu’il faut être l’élu d’un territoire. Fils d’un homme partisan de l’Algérie française, électoralement installé à Tulle, il connaît une France troublée par sa mémoire, une France contrastée, dissemblable et inégale. Si la France est à droite globalement (Hollande n’a pas bénéficié de plus d’un tiers des voix effectives), le style de Hollande a « recentré » politiquement un pays qui n’en pouvait plus des foucades d’un Sarkozy qui aura finalement fait preuve de dignité face à l’échec. Ce pays qui ne vote jamais majoritairement au centre se méfie aujourd’hui des deux grands partis et du bilatéralisme droite/gauche. Tourné vers sa droite, il s’est comme recentré autour d’un Hollande dont la victoire témoigne à la fois que la droite gaullienne est troublée par la montée du Front national et que la gauche socialiste n’a d’autre issue qu’une social-démocratie qu’elle doit faire exister en priorité sur le plan politique (démocratie sociale, rapport avec les syndicats, relations avec le patronat, redéfinition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales) dans un contexte, depuis 2008, où croissance et emploi ne sont manifestement pas au rendez-vous.

Local plus que terrien, sensible aux thématiques des fractures géographiques et urbaines, François Hollande, rassembleur républicain, saura-t-il dépasser les clivages concernant une Europe qui joue sa survie ? Dans cette optique, bancale car trop conciliante et naïve aux yeux de certains, François Hollande, qui est entouré de quelques chantres de la démondialisation (la mondialisation étant réduite au drame des délocalisations), doit mieux se représenter le moment historique qui est devant nous. Le choix européen échouera si on n’affirme pas qu’il est la réponse aux effets négatifs des mutations en cours dans un univers de flux mondialisés. C’est l’Europe politique qui devrait permettre de raccorder le local et le global, les nations européennes et le monde. Il ne suffit pourtant pas de le dire, il faut être quelque peu visionnaire, susciter une vision partageable qui est celle de la « mondialisation par le bas ». Non pas un déni de ladite mondialisation, mais la capacité de la freiner, de la calmer, de la pacifier. En cela, la question écologique d’un nouveau type de croissance, celle d’Ivan Illich et d’André Gorz, bien oubliée tout au long de la campagne, pourra être à nouveau posée. Ce monde n’est pas une chimère mais une dure réalité, sur laquelle une politique effective doit prendre appui si on ne veut pas céder à l’« idéologie invisible » (Claude Lefort) qui applaudit les alliances du marché et de la morale pour mieux se débarrasser des exigences de la démocratie et de la politique.

Le 10 mai 2012