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Dans le même numéro

Le détournement républicain

par

Esprit

juin 2015

#Divers

Signe de ses divisions et de ses recompositions incessantes, la droite française n’a jamais stabilisé les appellations de ses partis politiques. En choisissant de changer de nom, une fois de plus, et de s’appeler « les Républicains », les dirigeants de l’Union pour un mouvement populaire (Ump) ont décidé de s’approprier un terme dont le poids symbolique n’a cessé de peser sur la vie politique française dans les années récentes. Mais faut-il s’inquiéter de la captation symbolique d’un patrimoine commun ? Ou ne faut-il pas plutôt y voir l’aboutissement d’un détournement de sens, lié à une repolitisation récente de l’idée républicaine, qui débouche logiquement sur une captation conservatrice, entamée depuis plusieurs années dans le débat intellectuel ?

L’opération de l’Ump prend-elle Marianne en otage ? Rien, dans ce type d’opération, n’est exempt de calculs politiques. Nicolas Sarkozy s’imagine déjà en rival de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, recueillant d’autant plus facilement les votes des électeurs de gauche qu’il s’agira de voter pour les Républicains et non pour la droite… Thème de campagne : nos valeurs sont en danger ! Nous n’en sommes pas là. Au-delà des calculs électoraux, le changement de nom illustre une recherche d’identité. Mais la République, qui est « l’affaire de tous », peut-elle définir un camp partisan ? Une telle appropriation peut surprendre. Mais elle choque surtout ceux qui défendaient à travers le revival républicain une sorte d’exceptionnalité française, qui les poussait à dramatiser tous les débats sur l’école, la laïcité ou l’intégration : sauvons notre trésor national en péril ! Devenu, par son flou même, un véritable fétiche, le mot est saturé de connotations qui évoquent le patriotisme, l’autorité, la souveraineté, la grandeur nationale… Ce qui en fait évidemment une prise de choix pour les « communicants ».

Pourtant, comment oublier que la République a été, tout au long des xixe et xxe siècles, un objet de divisions plus que de consensus ? Elle fut source de querelles tant que l’idée révolutionnaire fut centrale dans l’histoire politique française. Certes, le parti radical se voulait le successeur de l’esprit de 1789. Mais la droite, libérale, contre-révolutionnaire ou bonapartiste ne s’en réclamait pas. Et la gauche socialiste attendait un nouvel acte de la Révolution, qui prendrait enfin en compte la question sociale. La promotion récente du culte républicain, au lendemain du bicentenaire de la Révolution, a prétendu instaurer un nouveau clivage idéologique (« républicains » contre « démocrates ») en remplacement de l’opposition gauche-droite. Elle a d’ailleurs accéléré d’étranges reclassements idéologiques et créé une grande mobilité des positionnements intellectuels entre libéraux et conservateurs.

On comprend que tous ceux qui ont investi l’idée républicaine depuis une vingtaine d’années se sentent floués par le changement de nom de l’Ump. Mais cette opération de communication partisane marque un aboutissement prévisible des glissements de sens précédents. Qu’avons-nous gagné à deux décennies de débats sur la République ? En plaçant le débat politique sur le terrain des valeurs et de l’identité, nous avons délaissé la question sociale, alors même que les inégalités de patrimoine et de revenus prenaient un nouvel essor au nom de l’efficacité économique. Trop peu attentifs aux évolutions de l’économie internationale, nous avons été pris de court par le déclenchement de la crise de 2008, initialement mal gérée et dont nous ne sortons qu’à grand-peine. Les débats sur le « récit national » ont accaparé l’attention alors que notre insertion dans la mondialisation change notre rapport à la géographie hexagonale et appelle des réorganisations de l’action publique territoriale, qui ne change que lentement, malgré la réforme des régions. Hors sujet à nouveau à propos du lien civique et politique, qu’on ne peut définir à partir d’un corpus minimal de références dans une France autocentrée. Il faut sortir des querelles terminologiques et retrouver le sens de confrontations politiques qui portent sur des choix collectifs réels, des décisions applicables, des stratégies réalistes, surtout quand l’extrême droite profite du vague théorique des partis de gouvernement pour spéculer sur le mécontentement et le scepticisme des électeurs.