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Dans le même numéro

Les absences de l'école

par

Esprit

novembre 2009

#Divers

La possibilité de réussir à l’école est d’autant plus importante en France qu’on y réussit surtout par l’école. Revers de la méritocratie, le succès initial dans le cadre scolaire détermine à l’excès les parcours professionnels. Dans ce contexte, surtout en temps de crise, la poursuite des études et la validation d’un diplôme restent un passage obligé pour tous les jeunes.

Courant octobre, une large polémique s’est développée après l’annonce d’une expérimentation menée dans trois lycées professionnels de l’académie de Créteil, prévoyant, au sein d’un projet de classe sur l’année, une cagnotte dont le montant serait abondé en fonction de l’implication et de l’assiduité des élèves. Fait assez rare concernant l’école, cette mesure a réussi à faire l’unanimité… contre elle. L’émotion publique a conduit à discuter dans des termes très généraux un dispositif dont la pertinence et le succès dépendront au bout du compte de facteurs locaux : la qualité des équipes mobilisées, la réaction des élèves, la dynamique qui peut en résulter collectivement. Elle a aussi occulté d’autres expérimentations lancées par le Haut commissaire aux solidarités actives qui ont le mérite de rompre avec le statu quo pessimiste. Des expérimentations qui valorisent des approches collectives contribuent à sortir l’école du mythe individualiste qui focalise inutilement les débats sur le tête-à-tête pédagogique (la relation professeur-élève) comme si l’on pouvait oublier que l’école est une institution où les effets collectifs sont déterminants, tant en ce qui concerne les élèves que les enseignants.

Pourquoi alors cette mesure a-t-elle choqué ? Sans doute pas, comme le disent la plupart des défenseurs du projet, en raison d’une hypocrisie bien hexagonale qui ne supporte pas qu’on parle d’argent à l’Éducation nationale. Le sujet touche en réalité la représentation de la motivation scolaire. Il s’agit de créer une incitation : n’est-ce pas la bonne démarche pour des élèves qui ont dépassé l’âge de l’obligation scolaire et qui sont peu sensibles à la contrainte disciplinaire classique ? La méthode aurait toutes les vertus d’un « contrat » : ce sont aux élèves de se « responsabiliser » (« la classe choisit un objectif de taux de présence plus ou moins ambitieux »).

On ne peut ignorer cependant ce qu’un tel modèle de l’incitation doit à la théorie économique car il s’agit d’appliquer finalement à la présence scolaire un principe de calcul coût-bénéfice.

Or, plusieurs raisons font penser qu’une telle représentation n’est pas adéquate ici. En premier lieu, il n’est pas certain que l’absentéisme scolaire soit réductible à une question de motivation insuffisante : il relève d’une multitude de facteurs personnels (découragement, culture de la rue…) et de défaillances collectives (échec de l’orientation, fragilités familiales…). D’autre part, l’incitation financière fait mauvais ménage avec la motivation intrinsèque1 : là où une motivation désintéressée est censée prévaloir, l’intervention d’une incitation monétaire ruine l’implication dans le travail. Enfin, un élève n’est pas censé raisonner en agent autonome précisément parce qu’il n’est pas encore formé et qu’il a besoin que ses décisions soient éclairées et orientées en fonction de ce que l’institution sait être favorable pour lui. Ce qui peut choquer, au final, c’est le fait de plaquer le schéma de « l’homme économique » sur une situation scolaire mais surtout d’oublier que des jeunes en formation, bien qu’ils soient trop souvent dupes d’eux-mêmes sur ce point, ne sont encore que des êtres en devenir.

Que signifie donc cette pseudo-responsabilisation selon laquelle « les élèves s’organisent eux-mêmes pour combattre l’absentéisme » ? Elle ne signifie nullement que l’adhésion remplace la contrainte, comme veut le faire croire une description irénique de l’acteur rationnel, mais que la contrainte est déplacée : elle est déchargée de l’institution et reportée sur les élèves, au risque de développer une conflictualité entre ceux qui joueront le jeu et les « passagers clandestins » de l’effort collectif. Sans doute de manière injuste pour les équipes qui ont le mérite de chercher des solutions neuves pour des élèves qui restent les mal-aimés de la République, la mesure a été reçue comme une manière de renoncement et non d’implication.

S’il ne s’agit pas de s’enfermer dans la nostalgie de l’école-sanctuaire où « tout n’est pas négociable », il importe néanmoins de maintenir l’idée que c’est à l’institution et aux adultes qui la représentent (dont l’assiduité et le temps de présence sont déterminants dans l’ambiance générale d’un établissement) de prendre leurs responsabilités et de renvoyer aux élèves une image d’eux-mêmes plus complexe que celle du calcul stratégique.

  • 1.

    Maya Beauvallet, les Stratégies absurdes, Paris, Le Seuil, 2008, voir la présentation de son livre dans Esprit, juin 2009 consacré précisément aux « mauvais calculs et aux déraisons de l’homme économique ».