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Dans le même numéro

Nervosités présidentielles

par

Esprit

octobre 2010

#Divers

En des temps fort lointains, le candidat Sarkozy se félicitait de ses origines étrangères pour mieux valoriser la capacité d’intégration de la France, et la possibilité d’y réussir sa vie. Il se disait blessé de l’attaque d’Éric Besson, alors socialiste, portant précisément sur cette vision du monde « à l’américaine », comme s’il avait été malhonnêtement renvoyé à son histoire migratoire familiale. Il revendiquait la limitation de la « double peine » par laquelle un étranger était expulsé vers son pays d’origine après l’exécution de sa peine. Telle était sa manière de faire la « rupture » vis-à-vis de Jacques Chirac : non pas isoler l’extrême droite en l’ignorant mais la contester frontalement pour montrer aux Français qu’on ne gardait pas sous le tapis des sujets gênants mais, au contraire, qu’on pouvait s’approprier le discours sur la nation pour répondre à l’intolérance.

On mesure le chemin parcouru, en ce début de deuxième phase de son mandat… Et il ne faut pas sous-estimer ce changement : ce n’est pas un « retour » au thème porteur de la sécurité mais un durcissement sans précédent. Curieusement, le candidat Sarkozy, qui pouvait jouer la confrontation politique dans le cadre d’une campagne électorale, avait à l’époque une capacité de rassemblement plus forte qu’il n’en fait preuve aujourd’hui, alors même que, président de la République, il devrait se garder de spéculer sur les clivages, les tiraillements et les peurs.

Le discours dit « de Grenoble » du 30 juillet (conçu et élaboré bien avant les événements qui donnèrent l’occasion de sa présentation publique) sur la lutte contre l’insécurité a marqué une rupture dans les principes : assimilation naïve de la délinquance et de l’immigration, création arbitraire et approximative d’une catégorie de « Français d’origine étrangère », suspicion implicite sur la loyauté des binationaux. La proposition d’étendre la déchéance de la nationalité comme sanction de crimes – comme le meurtre d’un policier – en transforme complètement la nature : si elle est appliquée à de rares cas chaque année actuellement1, c’est pour « des binationaux qui se comportent comme des agents d’un État ou d’un groupe étranger2 ». Vouloir l’étendre, c’est la faire entrer dans un domaine pénal tout différent, où la loyauté à la nation n’est pas en cause au premier rang. Et c’est, en outre, aller à l’encontre des engagements internationaux de limitation des déchéances et du principe constitutionnel d’égalité de tous les citoyens (naturalisés récents ou non) devant la loi. C’est aussi annoncer que la nationalité française est, pour certains (mais qui exactement ?), une donnée précaire, conditionnelle et réversible et non le socle d’une citoyenneté commune.

Cette offensive choquante, fabriquée en montant quelques faits divers en épingle, a été aggravée par l’injonction donnée aux forces de l’ordre de cibler prioritairement les Roms dans les catégories d’étrangers à expulser du territoire durant l’été, suscitant l’indignation légitime des instances européennes. Dans les années récentes, les reconduites volontaires à la frontière de Roumains et de Bulgares avaient surtout permis au ministère de l’Intérieur de remplir ses objectifs chiffrés d’expulsion sans rencontrer trop de résistance puisque les mêmes pouvaient revenir légalement pour trois mois quelque temps plus tard3. Mais ce jeu de chiffres ne suffisait pas : pour la première fois, l’appartenance à ce groupe, indépendamment de toute infraction, est stigmatisée officiellement.

Mais le plus désagréable est peut-être la stupéfaction feinte du Président quand on critique son populisme4. Sa manière de dénoncer l’émotion née de ses provocations et de ses surenchères est un spectacle pénible, particulièrement sur la scène européenne. Sa manière de jouer avec des transgressions symboliques tout en pointant du doigt les prétendus excès de ceux qui s’en inquiètent est dommageable pour l’image internationale de la France.

Certes, le légalisme juridique ne suffit pas à faire une politique. Et le langage de la nation est attendu par une part de l’opinion. Mais le Président est aussi le gardien des institutions. Il lui appartient de choisir des actes de responsabilité et de respect favorisant la compréhension et l’intégration. Aucun projet politique ne peut se revendiquer d’un sentiment national dans un reniement de l’histoire républicaine, des principes fondamentaux du droit, de notre constitution, des normes européennes et de nos engagements internationaux.

  • 1.

    Dans une procédure entièrement centralisée avant que les préfets n’obtiennent, le 1er juillet 2010, la possibilité de refuser une naturalisation, relève Patrick Weil : « Nicolas Sarkozy fait perdre à la droite républicaine ses valeurs », Le Monde, mardi 3 août 2010.

  • 2.

    Entretien avec Patrick Weil, « Une remise en cause du principe d’égalité », Libération, mardi 14 septembre 2010, p. 5.

  • 3.

    P.Weil, « Politique d’immigration : le dessous des chiffres », Le Monde, 15 janvier 2009.

  • 4.

    Jean Daniel, « L’illusion populiste », Le Nouvel Observateur, 9-15 septembre 2010.