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Université : l'autonomie, pour quoi faire ?

par

Esprit

Le projet d’attribuer davantage d’autonomie aux universités françaises intervient dans un contexte de faux immobilisme. Si l’on connaît les déboires successifs des projets de réformes qui ont rendu le sujet politiquement sensible, on observe rarement des évolutions plus discrètes mais déterminantes qui commencent à redessiner le paysage de l’enseignement supérieur. Le paradoxe est donc de voir à l’œuvre le volontarisme quelque peu tapageur du chef de l’État sur un sujet où des actions plus incitatives et responsabilisantes avaient notamment conduit les présidents d’université à tirer les conséquences de l’absence de pilotage central de l’enseignement supérieur, en affirmant leur volonté d’agir, en particulier en province. Mais ce mouvement ébauché de responsabilisation des acteurs du monde universitaire n’est-il pas découragé ou contrecarré par cette loi venue « d’en haut », qui affiche paradoxalement le volontarisme de l’État au nom de l’autonomie locale ?

L’université n’est pas inerte : l’absorption du choc démographique étudiant, la réalité des échanges internationaux, la prise de conscience du taux d’échec insupportable dans les premiers cycles (un mode de sélection par l’échec qui n’est pas moins brutal que l’hypersélection des grandes écoles) ont contraint à une adaptation continue, à défaut d’être délibérée ou orientée, des institutions. La mise en place de la réforme du Lmd (qui unifie au niveau européen le cursus de l’étudiant, rythmé par les étapes licence-master-doctorat) a contraint les facultés à redéfinir leur offre de formation. La possibilité de créer des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) a donné lieu à des rapprochements entre universités, cycles courts et grandes écoles favorisant des stratégies inédites, capables peut-être, à terme, de transgresser positivement à la fois les partages disciplinaires et les barrières institutionnelles. Le Pres de Paris-Est regroupe ainsi depuis quelques mois l’université de Marne-la-Vallée avec l’École nationale des ponts et chaussées, une association tenue longtemps pour impensable. La réforme de l’autonomie, pour réussir, doit pouvoir relayer ces tendances et, pour cela, susciter l’adhésion des acteurs qui seront capables de la traduire en projets pédagogiques et pas seulement en contraintes administratives. L’absence de référence à la recherche et l’approche globalisante du monde universitaire qui tend à aligner les humanités sur les sciences ou les formations professionnalisantes courtes sont des motifs légitimes d’inquiétude.

L’objet de la réforme est restreint : il concerne une dévolution des ressources (patrimoine immobilier, budget, ressources humaines) et une réorganisation de la gouvernance. Le but est de permettre aux universités de piloter elles-mêmes leurs initiatives et d’allouer des budgets en fonction de leurs projets. Encore faut-il que les établissements universitaires aient des projets pour leurs étudiants ! De ce point de vue, le fait d’inscrire dans la loi, à l’occasion de cette réforme, l’insertion professionnelle des étudiants parmi les missions de l’université apparaît cohérent. Car les universités ne pourront se fixer une stratégie qu’en tenant compte d’abord de la population étudiante qu’elles peuvent drainer et du territoire dans lequel elles s’inscrivent. C’est ce qui peut favoriser la mobilité des étudiants et les placer dans une trajectoire positive d’échanges et d’apprentissages et, peut-être au-delà, ouvrir les modèles d’excellence à la française. La responsabilité des membres de la communauté universitaire sera au premier plan : syndicats étudiants, personnels administratif et d’entretien, corps professoral, présidents d’université.

Certes, l’horizon de l’université, par principe, n’a pas de frontière et l’universel reste sa mission. Le défi de l’autonomie est précisément de ne pas entraîner un repli sur le local et le clientélisme mais de constituer une opportunité d’ouverture et de réactivité aux défis qui se nomment mondialisation, culture de l’innovation, économie de la connaissance. C’est pourquoi l’autonomie ne peut être qu’une étape dans la réorganisation du monde universitaire dont le rôle est devenu crucial dans une économie qui ne peut plus se contenter de rentabiliser des positions acquises dans le haut de gamme industriel mais qui doit désormais gagner des positions dans les nouvelles technologies. C’est pourquoi la constitution de pôles de recherche et d’enseignement apparaît aujourd’hui comme une stratégie adaptée au décloisonnement et à l’innovation nécessaires dans l’« économie d’archipel » (Pierre Veltz). Cela signifie de mettre la recherche au centre de l’effort puisque la connexion des savoirs et l’initiative doivent désormais primer sur la spécialisation et la sélection. Pour s’inscrire dans les défis de l’internationalisation, il faut comprendre les dynamiques du monde qui se prépare : n’est-ce pas là aussi une mission de l’université ?