Les droits de l'avenir. Comment prendre des décisions de long terme ? (enquête auprès de)
Comment prendre des décisions de long terme ?
Esprit – L’instabilité économique, la dérégulation financière, la dette, le changement du climat, le pic pétrolier, l’épuisement de certaines ressources naturelles (eau douce localement, biodiversité, métaux précieux…) et d’une manière générale l’impact des activités humaines sur la nature appellent des réponses déterminées. Celles-ci ne relèvent pas seulement de décisions globales, internationales mais concernent aussi la démocratie au niveau national. Pourtant, notre système institutionnel témoigne d’une « préférence pour le présent » difficile à corriger. Comment mieux intégrer les enjeux de long terme dans le cadre démocratique ?
Les procédures d’agrégation des préférences individuelles suffiront-elles à dégager les règles communes indispensables ? En d’autres termes, nos institutions représentatives sont-elles adaptées à ce type de décisions qui 1) sont incompatibles avec la possibilité de chacun de donner libre cours à ses intérêts particuliers, 2) doivent être éclairées par l’apport d’une forte expertise, 3) ont un impact de très longue durée, engageant plusieurs générations au-delà de ceux qui ont la possibilité d’exprimer leurs choix ?
Dominique Bourg – Avec Kerry Whiteside, dans notre livre, Vers une démocratie écologique1, nous répondons « non » à la question de savoir si nos actuelles institutions représentatives sont aptes à faire face aux défis environnementaux globaux, de long terme. Ce sont les réponses précisément fournies par nos démocraties aux problèmes d’environnement globaux qui fondent notre jugement. Il convient ici de bien distinguer entre les problèmes globaux et locaux. Ces derniers sont visibles et affectent les intérêts immédiats des citoyens. Nos démocraties se sont montrées relativement efficaces à l’encontre de ce type de problèmes notamment lors des années 1970 et 1980.
Tel n’est plus, en revanche, le cas lorsque les problèmes deviennent globaux, échappent à nos sens (durant une longue période) et semblent ne devoir nous affecter que dans un futur lointain, ou bien concerner d’autres hommes, dans d’autres pays. Si nous considérons les indicateurs relatifs à la situation de la biosphère, ils n’ont en effet cessé de se dégrader depuis que nous parlons de développement durable. Nous produisons par exemple à l’échelle de la planète 80% d’émissions de dioxyde carbone en plus par rapport au début des années 1970. Depuis la même date, le peuplement animal a chuté d’au moins un quart dans le monde, et plus encore dans les zones tropicales. Nous avons pratiquement vidé les mers et les réserves connues de la plupart des métaux sont plus ou moins proches de l’épuisement au rythme actuel de consommation.
Il est à cet égard intéressant de constater les résultats de sondages internationaux aussi bien que le récent sauvetage du processus onusien de négociation climatique à Cancún. Dans les deux cas, ce sont les pays émergents qui mènent la danse, reléguant les vielles nations industrielles à leur nouvelle impuissance. Selon un sondage conduit par Lightspeed pour le compte de la banque Hsbc, en août et en septembre 2010, l’Asie est la région du monde la plus sensible à la question climatique. Par exemple, 57% des Chinois interrogés affirment que le changement climatique figure parmi leurs principaux sujets de préoccupation, alors que ce ne sont que 16% des personnes interrogées en Grande-Bretagne et 18% aux États-Unis. De même, 64% des personnes interrogées en Chine déclarent faire des efforts substantiels pour lutter contre le changement climatique, contre 23% au Royaume-Uni et 20% aux États-Unis. Or, cet état de choses s’explique en partie par le fait que les effets dommageables du réchauffement sont d’ores et déjà physiquement perceptibles en Asie, à la différence de l’Europe ou des États-Unis. De même, il est remarquable que la Chine et l’Inde aient accepté à Cancún de rentrer pleinement dans le processus onusien de négociation et aient admis le principe de la vérification des engagements. De manière générale, ce sont les pays émergents qui ont permis la réussite relative de Cancún, Mexique en tête.
Autre exemple, alors qu’à Cancún, le délégué du Burundi (362 dollars de Pib an/habitant) pouvait envisager de réduire le cheptel du pays pour diminuer les émissions de méthane afférentes, il est politiquement impossible à la Suisse (40 000 dollars de Pib an/habitant, parc automobile le plus polluant d’Europe, plus grande concentration de 4 ∙ 4 ; un pays qui va devoir acheter auprès de pays tiers la quasi-totalité de ses engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre contractés à Kyoto) de réduire la cylindrée moyenne du parc automobile national, en dépit de diverses initiatives locales et citoyennes diverses en cette direction.
Cette impuissance effective des démocraties occidentales à faire face aux enjeux globaux s’explique aisément. Quand il s’agissait de lutter contre les pollutions locales, seuls les modes de production, et non les biens consommés, étaient en cause. Les pollutions étaient imputables à un défaut d’investissement de la part des industriels. Avec les problèmes globaux, la donne a changé. C’est désormais la quantité des biens consommés qui est en cause et, partant, le système économique et le consumérisme en tant que tels. Or, nos démocraties ont été originellement conçues pour permettre à chaque citoyen d’exploiter au mieux l’environnement physique et de pouvoir jouir pacifiquement des fruits de cette exploitation. Tel est le sens du contrat social. Plus généralement, l’organisation libérale de nos sociétés a pour dessein de permettre de produire et de consommer le plus possible, et ainsi d’engendrer des flux de matière et d’énergie croissants.
Si les dommages environnementaux qui découleront de ces flux divers étaient immédiatement sensibles, au point de nuire à la jouissance immédiate des biens de consommation, on pourrait sans doute beaucoup plus facilement imaginer de conduire des actions sérieuses. Mais le déséquilibre entre des dommages à venir et des privations immédiates semble interdire toute action d’anticipation des difficultés.
À quoi s’ajoute une difficulté inédite propre à la temporalité même des dégradations environnementales globales, difficulté très précocement identifiée par Hans Jonas. L’absence de décision et l’inaction prolongée face à une difficulté environnementale donnée peuvent ensuite déployer leurs effets sans qu’il soit possible de les contrer, et ce sur un temps long. Par exemple, le surcroît d’émissions atmosphériques de gaz à effet de serre, depuis et probablement pour des décennies encore, entraîne et entraînera un réchauffement des océans qui déploiera ses conséquences climatiques durant des millénaires, sans qu’il soit possible d’y remédier. La dissémination rapide de nombre de métaux rares (du type nobium, indium, tantale, terres rares, etc.) pour les besoins de l’industrie high tech et de la consommation de masse privera définitivement les générations à venir de leur usage.
C’est pour ces raisons que nous proposons l’instauration d’une démocratie écologique, cherchant à établir des liens inédits entre le citoyen, le savant et le politique.
Alain Grandjean – Pour les enjeux évoqués, les processus actuels de décision fonctionnent mal et ne produisent pas des décisions adaptées même pour des sujets qui ne concernent pas le très long terme. Les désordres climatiques, la pression sur les ressources alimentaires pourraient créer des conflits, des tensions et des désagréments pour les Européens à un terme assez rapproché.
Il y a en France à mes yeux plusieurs causes simultanées à cette inefficacité : le poids démographique dans le vote des personnes âgées, moins sensibles aux enjeux émergents, surtout quand pour y être sensible il est nécessaire de remettre en cause des croyances ancrées ; la difficulté générale (toutes tranches d’âge confondues) à s’affranchir d’une croyance ancrée profondément dans notre culture : celle de la toute-puissance de la technologie et de la croissance économique pour résoudre les problèmes de tous ordres ; le poids et l’opacité de l’action des lobbies de tous ordres ; le poids de la publicité dans le financement des grands médias privés qui ne peut pas les conduire à tenter de fournir une information de qualité et contrastée aux heures de grande écoute, sans compter l’effet probable des exigences de rentabilité minimale des actionnaires de ces médias ; l’organisation des échéances électorales et la vie des partis qui les rythment et les poussent plus à un centrage sur les méthodes permettant de gagner les prochaines élections qu’à une réflexion de fond ; qui poussent également à des disciplines de parti assez incompatibles avec des remises en cause argumentées des lignes politiques de ces partis ; la lourdeur et la difficulté du fonctionnement de l’administration ; les théories économiques dominantes et plus précisément les modèles de représentation de l’économie dominants sont de facture néoclassique et ne prennent que très mal en compte les enjeux liés à la pérennité de la biosphère
N’étant pas spécialiste de ces questions j’ai un peu de mal à démêler les liens de causalité entre ces différentes causes. Il est en tous les cas clair à mes yeux qu’une réforme des institutions s’impose. Une réforme des médias me semble s’imposer aussi.
Avons-nous encore le temps ?
Bruno Villalba – Les analyses de Dominique Bourg, Kerry Whiteside et Pierre Rosanvallon mettent, enfin, en évidence la difficulté de concilier le long terme avec les mécanismes décisionnels de nos démocraties pluralistes et représentatives. Leurs propositions valorisent une conciliation, encore possible, entre la gestion d’urgences immédiates – qui supposent des transformations profondes, radicales – et des logiques représentatives, encore peu enclines à reconnaître la réalité de ces urgences et dont les temporalités peinent à prendre en compte le long terme.
Cela révèle un décalage tout à fait intéressant, mais dont ces auteurs hésitent à souligner la profonde contradiction. La réalité matérielle des phénomènes écologiques présents (dérèglement climatique, pénuries énergétiques, épuisement des ressources, sixième extinction de la biodiversité, empoisonnement de l’environnement…), auxquels il faut ajouter les seuils sociaux (explosion des inégalités sociales au niveau mondial, développement de la surveillance généralisée, compétitions acharnées pour le contrôle des ressources, migrations non choisies…), met en évidence notre extrême dépendance à notre environnement naturel2 et impose de raisonner non plus en termes de durée, mais de délais.
Les propositions théoriques qu’on voit apparaître depuis quelques années autour des formes démocratiques à adopter pour permettre une meilleure cohabitation entre les milieux humains et les milieux naturels sont tout à fait nécessaires. On doit accorder toute son importance au travail de Michel Serres, l’un des premiers à avoir interrogé la politique contractualiste au cœur de notre logique démocratique, afin de la rendre compatible avec les rythmes écologiques. Sans oublier les contributions importantes de Bruno Latour visant à organiser une meilleure représentation des acteurs non humains dans notre modernité. D. Bourg et K. Whiteside déclinent ces thèmes, ainsi que P. Rosanvallon, dans une moindre mesure.
Cependant, ces propositions s’inscrivent dans une conception du temps basée sur la durée, c’est-à-dire d’une continuité dans la capacité des acteurs politiques à négocier le cadre et les finalités de la production du politique. Elles supposent que nous disposons d’un temps conséquent, d’une durée suffisante pour adapter, lentement, notre représentation du futur aux contraintes de plus en plus actuelles de l’urgence écologique. Autant dire que nous avons bien du temps devant nous, et que tout cela se fera lentement mais sûrement…
Une telle perception relève de la cécité et non plus de la myopie3. L’environnement n’est pas qu’un problème de long terme, de responsabilité vis-à-vis des générations futures – ce qui laisserait supposer que nous ayons encore le temps d’apprendre. Alors même que les solutions politiques doivent poser la question du long terme, elles doivent répondre à ces urgences dans le court terme si elles veulent que la question du long terme ait encore une quelconque pertinence… Les irréversibilités qu’imposent, sans négociation aucune, les contraintes écologiques doivent nous amener à dépasser la simple question des aménagements procéduraux dans l’organisation du modèle démocratique.
Au contraire, l’environnement est un problème historiquement enraciné dans l’élaboration de notre société technicienne. L’environnement est indissolublement lié à une construction du régime démocratique, qui s’est élaboré en considérant que la nature n’était qu’une question subalterne. Seule comptait la possibilité de la politique de façonner le monde social, au-dessus du monde naturel. Mais l’environnement est avant tout un problème continu – la force inertielle du dérèglement climatique commence juste à être aperçue… Par conséquent, si on croise le problème climatique (en insistant notamment sur l’imminence des points de rupture et des effets d’emballement) avec la question énergétique (pic pétrolier imminent, déclin inéluctable des matières premières, risques de ruptures d’approvisionnement électrique dès cet hiver…), alors le problème climatique est moins un problème de long terme qu’un problème de compte à rebours, moins un problème de durée qu’un problème de délai4. Dès lors, l’enjeu n’est pas tant d’arriver à penser le long terme (puisqu’en fait nous le faisons déjà à travers le prisme du mythe du développement, du progrès technoscientifique ou de la croissance continue), mais plutôt d’arriver à penser le compte à rebours (comme nous y invite Albert Jacquard) et donc la possibilité de l’inexistence du long terme, la possibilité de « la fin de tout but possible » (Günther Anders).
Le délai peut représenter un cadre normatif destiné à encadrer le dispositif technique de décision politique. Il pose la question des choix nécessaires à mettre en place ; il est donc une interrogation sur les adaptations des dispositifs de décisions afin de limiter l’impact des conséquences de la catastrophe à venir5.
La question est avant tout politique, car elle se pose dans le cadre d’une démocratie représentative pluraliste, destinée, dans son projet philosophique, à assurer la liberté et l’autonomie du sujet (et aucunement dans la valorisation d’une quelconque vision écofasciste ou bien selon le modèle de l’expert éclairé6). Le délai amène à s’interroger sur la compatibilité des modèles décisionnels dans une démocratie avec les contraintes environnementales qui vont accroître les tensions sociales. Formulé plus directement, cela revient à poser la question de l’opérationnalité des processus démocratiques actuels pour faire face aux enjeux de la crise. Cela en tenant compte de la réduction du temps à notre disposition pour élaborer des solutions démocratiquement acceptables et en supposant qu’elles soient prises rapidement. Tout en maintenant d’importantes capacités d’adaptation aux changements à venir, puisque la logique des processus sociaux et environnementaux n’est pas linéaire : il faut encore tenir compte des mécanismes autocatalytiques qui peuvent amplifier les interactions des conséquences sociales et environnementales entre elles.
Jean-René Brunetière – On ne doit pas demander à une procédure d’agrégation de produire des décisions contraires à ce que pense le peuple. La démocratie, c’est forcément « la possibilité de chacun de donner libre cours à ses intérêts particuliers ».
Il me semble donc que, si on borne la question à la procédure d’agrégation des choix collectifs, on ne puisse pas aller très loin : il ne peut y avoir de « bonne » décision collective à partir de « mauvaises » décisions individuelles qu’en régime despotique. C’est, me semble-t-il, la limite des propositions de Dominique Bourg et de bien d’autres : le « bricolage institutionnel » ne mène pas très loin.
Du coup, en démocratie, la question de la « bonne » décision collective est d’abord celle de l’évolution des choix individuels vers des options compatibles avec la survie de la civilisation.
Est-ce notre système institutionnel qui témoigne d’une « préférence pour le présent », ou ne sont-ce pas « les gens » qui en témoignent, la machine à agréger, certes imparfaite, posant somme toute moins de difficultés que la matière première qu’on y introduit. Les rapports de force dans la société résultent du jeu des alliances entre ces intérêts individuels, et c’est ça que le politique a pour vocation de gérer.
Le despotisme éclairé, une « dictature du soutenable » imposant par la force les « bonnes options » à un peuple perclus d’égoïsmes individuels et organisé en lobbies, qui serait tentant en la circonstance au moins sur les sujets vitaux, doit être sorti de notre paysage. Ces régimes politiques supposent pour le despote un privilège de l’information rendu probablement définitivement impossible par les modes contemporains et futurs de diffusion et de circulation de celle-ci.
Dès lors, nous sommes condamnés à la démocratie, et la survie de nos civilisations dépend de la capacité de chacun, collectivement et donc individuellement, à évoluer vers une compréhension globale du monde qui intègre le long terme, l’incertitude et la complexité, les autres parties de la planète, les enjeux non tangibles, etc.
Si l’humanité était composée d’êtres indépendants se forgeant leur idée en toute autonomie à partir de leurs propres intérêts individuels, les chances d’une telle convergence seraient à peu près nulles. Mais heureusement, l’homme est un animal moutonnier et se laisse prendre dans des grandes vagues d’idéologie et d’imaginaire collectif. La société de l’information fonctionne comme un grand jeu d’influences et de manipulations réciproques, faisant et défaisant des consensus idéologiques que la logique ne suffit pas à expliquer. Aujourd’hui, l’idéologie libérale s’arroge une domination écrasante dans le monde développé. Ses contestations au nom de la soutenabilité tiennent certes une place dans le discours, mais restent marginales ou au mieux minoritaires en termes d’influence sur le cours des choses. Elle se fonde sur des pulsions fortes de l’homme (l’appétit de jouissance, la cupidité, la peur de manquer, le désir d’autonomie…). Née au xviiie siècle, rien ne prouve qu’elle est éternelle. Mais toute idéologie de remplacement ne saurait se fonder sur des forces moins puissantes. Les idées, si rationnelles soient-elles, n’emportent pas les comportements de masse, même si, en situation, elles peuvent se rendre disponibles pour justifier et structurer les idéologies compatibles avec les rapports sociaux du moment.
Rien ne permet de penser que, par la seule force de la logique, des idéologies demandant à chacun des sacrifices, des efforts et des disciplines nouvelles et immédiates puissent s’imposer. La manière dont depuis soixante ans le thème du sous-développement est resté dans un tiroir de la mauvaise conscience de l’Occident sans provoquer de retournement significatif des comportements politiques montre la capacité d’indifférence de notre société (de nous tous) envers ce qui ne l’affecte pas dans sa chair, ce qu’elle peut tenir hors de sa vue. Nous sommes partis pour traiter les générations futures avec la même capacité d’indifférence que les habitants des pays sous-développés, dans une dissociation étonnante du langage et des actes. Les « habitants du futur » sont pour nous une abstraction (encore plus abstraite que les « habitants d’ailleurs », que nous pouvons, eux, parfois appréhender concrètement).
Je ne vois pas d’autre perspective réaliste : seuls des sentiments comme la peur peuvent avoir la force de renverser l’hégémonie de l’idéologie libérale. La peur obéit à des rationalités étranges : le « terrorisme », dont le nombre annuel de victimes est d’un ordre de grandeur minuscule par rapport à la plupart des autres fléaux, tient une place majeure dans la conscience collective et justifie des sacrifices très importants dans nos pays, peut-être d’un ordre de grandeur comparable à l’effort qu’il faudrait pour préserver la planète du changement climatique. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il « fait image ». Les périls de fond (changement climatique, effondrement de la biodiversité…) ne font pas image aujourd’hui.
On peut imaginer que seules des crises graves pourront avoir un impact suffisant sur les esprits pour générer une reconversion idéologique, et fonder un « système de peurs » nouveau mieux adapté aux périls réels. Des crises bien interprétées seront capables d’actualiser les périls nouveaux (et peut-être des espoirs nouveaux), dégageant d’autres cartographies d’intérêts et de préférences.
Les potentiels de crises s’accumulent sans qu’on puisse dire quelle sera la prochaine grande crise : est-ce sur le front de l’énergie, de l’eau, du social, de la finance, du climat, de la nourriture, de la guerre de religion, du terrorisme ou de quelle combinaison de ces facteurs qu’explosera la prochaine big one ? Succession de crises petites ou moyennes, ou grande crise générale ? C’est à l’occasion de ces secousses, qui malheureusement feront des dégâts, que les idéologies auront une chance de s’adapter, à condition que la pensée et les expérimentations puissent fournir leur matière le moment venu, comme les réflexions et les bouillonnements du xviiie siècle ont pu s’actualiser dans les révolutions de la fin du siècle (indépendance américaine et Révolution française).
Les sociétés qui n’ont survécu que grâce à l’intériorisation par chacun d’éléments contraires à son intérêt particulier immédiat ont eu recours jusque récemment à l’ordre religieux. Les interdits et obligations, les éléments de sagesse et de « savoir-vivre » (« savoir-survivre ») qui s’y inscrivaient résultaient d’une longue accumulation d’expériences rendues possibles par la stabilité séculaire des conditions de vie. Le fait religieux proprement dit n’est globalement plus disponible aujourd’hui pour remplir cet office. C’est tout de même dans les systèmes de croyances partagées qu’on doit chercher la clef de « bonnes » décisions collectives.
Les nouveaux régimes de l’information nous condamnent à la démocratie manipulée. Peut-être les procédures d’agrégation valent-elles finalement beaucoup plus par leur rôle dans les processus de manipulation de la société (d’« automanipulation ») que par leur effet mécanique ?
Quelle intelligence collective ?
Michel Badré – Je partage entièrement l’analyse de Dominique Bourg, selon laquelle le système démocratique dans sa forme actuelle vise d’abord à faire protéger par la puissance publique la faculté qu’a chaque citoyen de préserver ses intérêts particuliers, ici et maintenant. Cette caractéristique entraîne deux conséquences. Les enjeux environnementaux, notamment sur la biodiversité et le climat (mais aussi sur le nucléaire, les agrocarburants, les Ogm, etc.), ne sont pas immédiatement sensibles. Ils ne seront donc endossés par les citoyens et considérés comme faisant partie de leur intérêt qu’après la « médiation » de l’expertise, celle-ci devant être fiable, crédible, et convaincante. Seconde conséquence : l’intérêt général ainsi évalué, qui relève le plus souvent du long terme, doit pouvoir être comparé à des intérêts de plus court terme qui, eux, sont immédiatement perçus sans besoin d’expertise : cela nécessite une mesure de comparaison intertemporelle acceptée et convaincante, et des valeurs sur lesquelles fonder les choix éthiques qui sous-tendent ces comparaisons.
Le premier point nécessite une capacité d’expertise forte, facilement accessible, et dont le fonctionnement garantit la crédibilité. Elle devrait s’appuyer sur des règles déontologiques claires et sur un bon fonctionnement du triplet politique-expert-citoyen. La relation complexe entre ces trois acteurs a été évoquée par Dominique Bourg7, ou par Pierre Rosanvallon8 – le citoyen, perplexe, soupçonne l’expert et le politique de connivence ou d’instrumentalisation réciproque, chacun des trois acteurs en venant à se méfier profondément des deux autres.
Le deuxième point appelle au moins deux démarches. Tout d’abord, une réflexion poussée sur l’application aux enjeux écologiques de la notion d’actualisation. Développée dans le domaine économique et pour des périodes de temps pas trop longues, cette notion est indispensable aux comparaisons intertemporelles qu’imposent des sujets tels que les changements climatiques ou la préservation de la biodiversité. Le rapport Stern sur l’économie des changements climatiques a montré la sensibilité des résultats obtenus à des variations de 1% ou 2% du taux d’actualisation adopté, dès lors qu’on compare des dépenses immédiates à des bénéfices ou des pertes, même considérables, à très long terme. Le même rapport a montré l’interférence entre le raisonnement économique et les choix moraux qui sous-tendent les hypothèses retenues, parfois de façon implicite ou même inconsciente, pour appliquer les raisonnements économiques classiques sur de telles périodes. Ensuite, le choix de valeurs éthiques susceptibles d’assurer l’équité des choix faits, et pour le moins, leur acceptation par la société. Ainsi, le discours ambiant sur la nécessité de baisser simultanément les prélèvements obligatoires, et l’endettement public, ne peut sans doute pas s’accommoder du maintien durable de la répartition actuelle de la charge fiscale, où le taux de prélèvement réel sur les revenus (toutes sources confondues) est sensiblement plus élevé pour les revenus moyens que pour les très hauts. De même, la mise en place d’une fiscalité environnementale telle que la taxe carbone, généralement considérée comme un moyen efficace pour atteindre des objectifs de réduction forte des émissions en optimisant l’efficacité économique de la répartition des efforts par secteur, n’est acceptable que si la redistribution sociale évite de faire payer l’effort aux plus pauvres. Les raisonnements de John Rawls sur l’intérêt que doit trouver chacun (en commençant par les plus démunis) aux changements opérés pourraient alimenter cette réflexion. Dans tous les cas, une analyse explicite portant sur les gagnants et les perdants de chaque décision de politique publique à long terme devrait être systématique, pour éviter les blocages résultant simplement du sentiment d’inéquité ressenti par les perdants qu’on aura un peu vite qualifié d’égoïstes ou de « nimbystes9 » : un raisonnement en utilité globale, sans cette analyse et les mesures d’adaptation nécessaires, ne peut que conduire à de fortes tensions.
Jean Gadrey – Dans sa contribution au débat sur la « démocratie écologique » (et plus généralement sur la démocratie scientifique), Dominique Bourg affirme une sorte d’impuissance des citoyens et de la démocratie représentative à prendre en charge les grands enjeux écologiques à long terme, enjeux qui ne pourraient être défendus que par l’alliance de scientifiques et d’Ong environnementales.
Ce diagnostic pessimiste le conduit à préconiser de nouveaux arrangements institutionnels pour surmonter une incapacité (au demeurant constatable) du système de la démocratie actuelle « à répondre au défi environnemental ». On pourra y voir une illustration de propos de Bernard Perret pour qui « le pessimisme écologique a pour corollaire presque inévitable la tentation du pessimisme politique10 ». D. Bourg propose la création 1) d’une « académie du futur » composée de « chercheurs internationalement reconnus » ayant pour mission de veiller à l’état de la planète, et 2) d’un nouveau Sénat. Ce dernier, « formé pour deux tiers au moins de personnalités qualifiées – proposées, par exemple, par les organisations non gouvernementales environnementales – et pour un tiers de citoyens, aurait pour rôle d’élaborer, en amont de l’Assemblée nationale, les grands mécanismes législatifs, par exemple fiscaux, permettant de répondre aux nouveaux objectifs constitutionnels. Ce Sénat pourrait, avec l’aval de conférences de citoyens, opposer son veto aux propositions de loi contraires à ces objectifs11 ».
On doit évidemment retenir de l’analyse de D. Bourg le fait que, dans le système de la démocratie et de l’information tel qu’il fonctionne aujourd’hui, nombre de risques vitaux pour l’humanité, dont le réchauffement climatique, ne sont pas « ressentis » avec la même acuité et la même urgence que, par exemple, le chômage ou la pauvreté. Il est tout aussi vrai que les principales alertes écologiques proviennent de l’alliance de scientifiques (par exemple le Giec) et d’Ong environnementales.
Mais on pourrait faire le même constat de mise à l’écart des citoyens et de déséquilibre de l’information pour d’autres enjeux non écologiques au départ mais essentiels, y compris à long terme : les retraites, la construction européenne, la reprise en main de la finance, les dettes publiques, la création monétaire et les investissements du futur, etc.
L’information déversée sur les citoyens par l’alliance terrible des grands médias, de l’argent et de la publicité bloque plus ou moins la démocratie. Elle tend à empêcher les gens de penser un autre futur que celui qui consiste à prolonger le « système ». Mais elle n’y parvient qu’en partie, comme le montre, entre autres, le succès des appels de résistants, d’indignés ou d’« atterrés »…
Bernard Perret – Face au long terme, les insuffisances de la démocratie représentative doivent être mises en rapport avec celles du marché et, plus largement, de la « raison économique ». Dans les deux cas, tout repose en effet sur deux postulats de continuité et d’agrégation. La continuité, pour faire court, signifie que les décisions que nous prenons en pensant à demain sont également rationnelles pour après-demain. En d’autres termes, le long terme se pense et se prépare dans le même cadre de rationalité que celui régissant les décisions habituelles des agents économiques (quand ils pensent à optimiser leurs propres revenus à échéance d’une génération). Grâce à l’invention du taux d’actualisation, les rationalités individuelles tissent une trame continue entre le présent et l’avenir lointain. Il n’est pas difficile de comprendre que ce qui sous-tend cette croyance n’est autre que la foi dans la croissance économique. Voir l’avenir comme un processus d’accumulation continu et sans limite permet d’occulter les contradictions entre le court et le long terme. La richesse est toujours supposée, par nature, intertemporelle : c’est une possibilité de jouissance immédiate et, dans le même temps, un gage de prospérité future. Qu’elle soit épargnée ou consommée, elle nourrit la croissance, et donc aussi la recherche et l’innovation, etc.
Or, cela ne marche plus ainsi : l’existence d’irréversibilités interdit de penser qu’on est forcément rationnel à long terme en pensant au pouvoir d’achat de sa retraite. Nous avons toutes les raisons de penser qu’une bonne partie des dégâts environnementaux de la croissance économique sont irréparables. Quels que soient les efforts financiers consentis, aucune technique ne nous permettra jamais de recréer une espèce animale disparue et, très vraisemblablement, il en va de même pour le climat. Les raisonnements économiques habituels, fondés sur l’hypothèse selon laquelle nous préparons forcément l’avenir en nous enrichissant, ne s’appliquent pas aux décisions susceptibles d’affecter de manière globale l’écosystème planétaire.
De la même manière, cela fait longtemps que l’on sait que la rationalité collective ne peut être construite en se contentant d’agréger des fonctions d’utilité individuelles : le marché ne peut fonctionner sans un cadre institutionnel qui relève d’autres logiques. Or, il existe un lien logique entre l’hypothèse d’agrégation des rationalités économiques individuelles et les fondements rationnels de la démocratie représentative. Celle-ci repose en effet sur une logique d’agrégation et de compromis : les individus poursuivent des buts divers et contradictoires, mais ils ont suffisamment d’intérêts communs pour qu’il soit toujours possible de former des coalitions majoritaires susceptibles de défendre l’intérêt collectif12. La démocratie représentative fait confiance à la rationalité utilitaire des citoyens : juges avisés de ce qui est bon pour leurs affaires, ils doivent être capables de choisir le gouvernement qui sera le meilleur pour le plus grand nombre. Implicitement, cela vaut aussi pour le rapport au long terme. Les citoyens avisés se soucient naturellement de leurs enfants et, donc, en vertu du principe de continuité, leurs décisions sont forcément bonnes pour leurs lointains descendants.
Arrivé à ce stade du raisonnement, il faut dire très clairement qu’il n’est pas question de fonder la démocratie sur autre chose que la responsabilité individuelle. Chaque être humain devrait être capable de reconnaître les droits de ses lointains descendants. À condition toutefois que ces droits soient construits et représentés. L’institutionnalisation des droits de l’avenir n’est en aucun cas une alternative à la démocratie représentative, c’est plutôt un nouveau principe constitutif qu’elle doit elle-même librement se donner, à l’instar des autres principes généraux figurant dans toutes les constitutions démocratiques. C’est de cette manière qu’il faut comprendre les réflexions actuelles sur la démocratie écologique.
Enrichir la démocratie dans le cadre représentatif
Comment respecter l’autonomie de jugement des citoyens tout en prenant en compte la réalité pressante des défis collectifs liés à l’instabilité de l’économie internationale ou aux échéances environnementales ? Si la simple expression personnelle par le vote ne suffit pas, quelle autre procédure d’expression démocratique et de construction des choix collectifs faut-il privilégier ?
Dominique Bourg – Il me semble important de rappeler d’emblée la différence entre le jugement de chaque citoyen d’un côté, et l’action collective de l’autre. L’héritage fondamental des Lumières est la garantie apportée à chacun d’exprimer librement sa pensée. La liberté d’expression est chose simple à garantir, et plus facilement aujourd’hui avec le web qu’autrefois ; sur un plan public, elle est inséparable de la pluralité des moyens collectifs d’expression.
Il est toutefois une autre question sous-jacente à laquelle il est très probablement impossible d’apporter quelque garantie institutionnelle : celle de la capacité de chacun à juger par soi-même. La question de la formation de la pensée est infiniment plus complexe que celle de son expression. Il est par exemple impossible de contrebalancer le pouvoir de l’argent en la matière, lequel pouvoir en passe par les médias, par diverses tentatives pour produire de la disponibilité et de la mollesse cérébrale. Il est par ailleurs des contraintes propres à la pensée, des contraintes logiques et formelles, mais aussi des limites objectives, inséparables des savoirs constitués : les opinions sur le climat sont par exemple publiquement sans intérêt.
Au-delà de ces considérations classiques, force est de constater que nous sommes confrontés à une réalité sociale et naturelle de plus en plus complexe, dont la compréhension semble contradictoire avec certains aspects de l’évolution générale de nos sociétés : un individualisme et un consumérisme extrêmes qui tendent à borner la curiosité intellectuelle, à rabattre l’intérêt des individus sur le seul développement personnel, au détriment des questions de société.
La vague de climato-scepticisme que nous avons connue en France fin 2009 et courant 2010, et depuis beaucoup plus longtemps aux États-Unis, est à cet égard extrêmement significative. Les conséquences sont en France très lourdes puisqu’en un an ce sont 16% de Français en moins qui du coup adhèrent à la responsabilité humaine en cette matière (Ademe/Boy : 65% en 2010 contre 81% en 2009). Or, rappelons qu’il n’y a pas de controverse scientifique sur le sujet, mais une controverse médiatique notamment suscitée par quelques scientifiques extérieurs au domaine, en France comme ailleurs. Le consensus au sein de la communauté internationale des climatologues s’est notamment constitué en 1985, lors de la conférence de Villach (Autriche), lorsque Claude Lorius, grand glaciologue français, a montré les courbes résultant de l’analyse de carottes glaciaires et des bulles d’air qu’elles enferment, sur 160 000 ans à l’époque, établissant ainsi une corrélation systématique entre l’évolution de la concentration de CO2 et celle de la température moyenne sur terre13. Les vingt-cinq années de recherche qui ont suivi n’ont cessé d’affiner et de confirmer l’hypothèse de la responsabilité anthropique du changement climatique en cours. Rappelons que 2010 aura été l’année la plus chaude enregistrée, plus encore que 1998 et 2005.
De façon plus générale, notre aptitude personnelle à juger, au fondement de la démocratie représentative, est prise en défaut avec ce type de problème. S’il s’agit de connaître mon sentiment de bien-être, de savoir si je me sens ou non bénéficiaire des politiques publiques des dernières années, je suis le seul à pouvoir répondre. En revanche, je suis incapable par moi-même, avec mon équipement sensoriel, de juger de la présence de micropolluants, de jauger la composition chimique de l’atmosphère ou d’apprécier une température planétaire moyenne. Un seul hiver froid suffit à nous faire douter de la réalité du réchauffement climatique. Toutes ces opérations exigent le recours à des médiations scientifiques par rapport auxquelles le sens commun cher à Descartes comme à la démocratie élective n’est d’aucun secours. D’où une terrible brèche dans nos capacités de juger, habilement exploitée par de multiples lobbies14.
Dès lors, il semble plus difficile que jamais de promouvoir une autocontrainte collective, dans un cadre par définition démocratique, qui seule pourrait permettre de répondre à l’accumulation de finitudes à laquelle nous risquons d’être de plus en plus confrontés. Nous avons dans notre livre avec Kerry Whiteside cherché à apporter un élément de réponse en préconisant la multiplication, autant que faire se peut, des forums hybrides qui articulent valeurs citoyennes et fragments de connaissances scientifiques. Nous avons aussi proposé que de grandes Ong environnementales puissent par exemple être auditionnées en commission des lois, lors de l’examen de projets de lois affectant l’environnement. Le problème n’est pas ici leur représentativité, mais les analyses et les connaissances dont elles sont porteuses, les arguments qu’elles peuvent faire valoir vis-à-vis d’élus dont les connaissances sur ces sujets sont le plus souvent très faibles.
Alain Grandjean – La priorité évidente, c’est l’information publique et la construction de débats citoyens. Les sujets, même complexes, peuvent faire l’objet de présentation adaptée à un public ouvert et intéressé. Cela nécessite cependant beaucoup de moyens : il faut des équipes interdisciplinaires (des scientifiques, des experts, des communicants, des citoyens…) travaillant ensemble pour produire une information de synthèse solide, claire et communicante. Cela nécessite aussi de la part des journalistes une formation suffisante. Car in fine ces débats n’auront d’impacts que s’ils sont relayés par les gros médias.
Cette formation nécessaire est aussi à déployer auprès des parlementaires, des organes type Conseil d’État et Conseil constitutionnel et plus généralement des élus. Cela nécessite aussi des moyens importants. Cela ne suffira pas pour contrebalancer l’influence des lobbies. Sur ce dernier plan, des réformes sont nécessaires (sans que je sache comment faire).
Pour ce qui concerne la construction des choix collectifs, supposés avoir été éclairés par une information de synthèse, il est clair que de nombreux choix de la vie publique ne peuvent qu’être délégués à des représentants. Une réforme qui vise à ce qu’une partie de ces représentants soit moins soumise aux aléas politiques à court terme me semble pertinente.
Bruno Villalba – La perspective du délai est délicate à poser en terme démocratique15. Mais l’enjeu climatique ne nous laisse pas le choix : la politique – notamment en démocratie – doit désormais construire ses objectifs non plus en fonction d’une vision idéale d’un temps sans cesse renouvelé, mais comme inscrits dans un délai nous imposant de réaliser des choix qui seuls permettront la continuité réelle de l’existence de nos sociétés. Le délai est donc caractérisé par une double face : la prise en compte d’un compte à rebours (résultant du cumul des crises environnementales et sociales) et l’acceptation d’une courte période pendant laquelle nous serons contraints à effectuer les choix salutaires.
Pour faire face à cette cécité des temps politiques qui frappe nos sociétés démocratiques, nous devons donc accepter de faire un effort d’imagination pour enfin regarder en face ce décalage entre l’urgence actuelle et la faiblesse des réponses collectivement élaborées. Cet effort d’imagination passe, tout d’abord, par la nécessité d’accepter cette urgence. Rien n’est moins facile, tant nous continuons à nous bercer – au Nord comme au Sud – de l’illusion que la corne d’abondance de la science et du progrès pourra résoudre tous les problèmes, dans l’égalité et la justice universelle… L’imagination passe ensuite dans notre capacité collective à explorer des pistes qui, pour l’instant, n’ont rien d’attrayantes. Ces pistes concernent la possibilité d’envisager en premier lieu la contrainte temporelle : nous sommes face à un ultimatum que nous ne pouvons continuer à nier. Elles concernent ensuite la contrainte exogène : comme le souligne Yves Cochet, député Vert, « on ne négocie pas avec la nature16 » ; la géologie et la climatologie imposent un modèle de négociation à nos politiques qui continuent pourtant à faire comme si elles pouvaient s’élaborer en dehors de ces contingences… De plus en plus, nous devons faire face à une contrainte égalitaire, qui redessine les relations entre humain et non humain. Enfin, elles évoquent la contrainte sociale : le rationnement devient une condition nécessaire du partage dans un monde fini (la carte carbone, le revenu maximum autorisé…). La démocratie ne peut faire l’économie d’explorer, rapidement, ces pistes, au lieu de se contenter d’interroger les procédures à choisir pour envisager, un jour, plus tard, de construire un débat à la hauteur de l’enjeu écologique.
Répondre à ces enjeux suppose de modifier profondément nos mécanismes représentatifs, en permettant de construire des politiques publiques à la hauteur des enjeux définis comme urgents par les communautés scientifiques.
Jean-René Brunetière – Nos démocraties modernes sont loin de se réduire à l’expression par le vote, comme l’a montré Pierre Rosanvallon dans son ouvrage sur la Légitimité démocratique17.
En attendant les crises, les multiples formes du débat démocratique peuvent contribuer à faire avancer ou à faire reculer les prises de conscience utiles. Une opération comme le « Grenelle de l’environnement » vaut largement autant par la confrontation et le rapprochement des esprits et des intérêts qu’elle a opérés que par les quelques centaines de décisions législatives de détail qu’elle a générées, notamment parce que chacune de ces décisions sera tributaire dans son application du jeu des acteurs, et donc de leur imaginaire collectif. Certaines seront étouffées, d’autres détournées, d’autres auront une progéniture prospère, en fonction de la plus ou moins grande convergence des acteurs sur le sens de l’action.
In fine, le vote est indispensable pour graver dans le marbre la décision.
[…] Comment corriger cette myopie démocratique, au moment où s’accumulent les diagnostics alarmants sur l’avenir du climat ? Comment renforcer politiquement le futur ? Il y a plusieurs façons de répondre.
La première passe par un élargissement des procédures représentatives. Elle consiste à doubler la représentation électorale des intérêts immédiats et des opinions, mouvante par essence, d’une représentation plus large et plus stable d’un intérêt social appréhendé dans la durée. L’instauration d’une dualité représentative de ce type a été au cœur des grands débats de la fin du xixe siècle sur les moyens de surmonter ce qui était déjà appréhendé comme une crise structurelle de la représentation. La plupart des réformateurs se limitaient dans ce contexte à opposer la représentation des individus, jugée potentiellement dissolvante, à la représentation plus organique des groupes sociaux ou professionnels constitués (voir les projets dérivés du proudhonisme ou ceux formulés par les théoriciens du droit social comme Léon Duguit).
Le bicamérisme trouvait dans cette dualité des sujets représentés une justification renouvelée. Mais d’autres pistes étaient simultanément envisagées. Alfred Fouillée, l’un des philosophes fondateurs de la IIIe République, suggérait notamment de distinguer représentation du présent et représentation de l’avenir. […] Dans cet esprit, il proposait d’adjoindre à la Chambre des députés représentant le présent, un Sénat porte-parole d’une volonté nationale comprise de façon élargie, comme étant composée « d’encore plus d’hommes à naître que d’hommes déjà nés ». On peut aussi mentionner qu’un Saint-Simon appelait de ses vœux, au début du xixe siècle, la mise en place d’une « Chambre d’invention » censée incarner l’imagination.
Assimilés à la résurgence d’une sorte d’archaïsme corporatif, ces projets de dualisation du système représentatif ont fini par être repoussés au xxe siècle. Mais l’idée qui les sous-tendait retrouve aujourd’hui une actualité. Plusieurs propositions ont récemment été formulées dans cet esprit, allant du « Parlement des objets », cher à Bruno Latour, au « Nouveau Sénat » de Dominique Bourg.
Je ne pense cependant pas qu’un bicamérisme de cette nature soit la voie la plus efficace pour corriger la myopie démocratique. La consécration électorale d’un « Parlement du futur » lui donnerait certes une légitimité formelle incontestable. Mais les modalités d’une telle élection seraient difficiles à déterminer. Le danger serait surtout qu’elle reste sous-tendue par les logiques politiciennes existantes, l’institution finissant elle-même par reproduire en son sein le spectre des différentes positions partisanes sur les problèmes d’environnement.
Il est en effet pratiquement impossible de dissocier une « élection politisée » et une « élection constituante » comme je pense l’avoir démontré dans la Légitimité démocratique. La spécificité de l’objet et du caractère propre d’une « Chambre de l’avenir » se trouverait du même coup détournée à la base. On ne peut en outre imaginer qu’il suffise de mettre sur pied une nouvelle institution pour opérer ce qui devrait constituer une véritable révolution dans la vie des démocraties. Le court-termisme électoral ne peut être infléchi que de façon limitée « de l’intérieur » du système électoral représentatif si l’on peut dire. C’est seulement en pensant la démocratie au-delà de cet ordre électoral-représentatif que l’on peut espérer répondre au défi.
Quatre types de mesures ou d’institutions peuvent être envisagés pour corriger le biais « naturel » du court-termisme : introduire des principes écologiques dans l’ordre constitutionnel ; renforcer et étendre la définition patrimoniale de l’État ; mettre en place une grande « Académie du futur » ; instituer des forums publics mobilisant l’attention et la participation des citoyens. C’est par une telle pluralisation des modalités d’expression du souci du long terme que celui-ci pourrait progressivement être sérieusement défendu. La démocratie progresse en se complexifiant […]
Michel Badré – Quelques expériences montrent qu’il est difficile, mais pas impossible, de parvenir à ces choix collectifs éclairés, qui ne se limitent pas à l’addition (ou au pire à la confrontation) de préférences individuelles de court terme.
Ainsi, malgré la grande complexité du sujet et la difficulté à disposer d’une expertise réellement indépendante, les choix faits en matière de politique de stockage des déchets nucléaires constituent un cas intéressant : une première loi en 1991, suivie (comme prévu par cette loi !) d’un débat public et d’une deuxième loi 15 ans plus tard, puis d’un processus expérimental de recherche sur un type de stockage avant un nouveau débat prévu en 2013 (22 ans après la première loi !), montrent en tout cas qu’on a su ici assurer la continuité de la réflexion politique, à défaut de calmer toutes les inquiétudes ou de répondre à toutes les questions.
D’une façon générale, l’expérience des débats publics mérite une analyse, à partir des quelques dizaines de débats organisés depuis les lois de 1995 et de 2002 qui en ont défini le cadre. Si certains (on pense au débat récent sur les nanotechnologies) ont été décevants dans leur déroulement parfois chaotique et leur résultat peu clair, d’autres ont permis l’émergence d’une « intelligence collective » plus développée sur certains enjeux délicats. Les améliorations à y apporter, notamment par le regard et la contribution des décideurs politiques18 d’une part et des associations d’autre part, mériteraient d’être examinées.
Cela ne préjuge pas des orientations proposées par Dominique Bourg sur la création d’institution ad hoc (Sénat ou Conseil économique, social et environnemental [Cese] transformé, etc.) pour mieux prendre en compte le futur. Mais la possibilité de participation directe du public (même s’il n’en abuse pas, ce qui est probable…) apparaît indispensable pour obtenir une réelle appropriation de ces questions par la société.
On terminera par une interpellation, entendue en 2006 pendant une séance de débat public consacrée aux enjeux environnementaux d’infrastructures de transport, venant du fond d’une salle et adressée aux quatre participants d’une table ronde à la tribune (un élu, un fonctionnaire, un représentant professionnel, un président d’association) : « Arrêtez ! Je ne comprends rien à ce que vous dites, mais la seule chose que je comprends est que vous vous parlez entre vous, et pas à nous ! »
Se faire comprendre, et ne pas se parler entre « sachants », n’interdit ni ne dispense de modifier la Constitution pour assurer la représentation des générations futures. Mais commencer par là serait peut-être un bon programme ?
Des institutions à inventer
Comment surmonter l’enfermement de la démocratie dans le présent, les arbitrages conjoncturels et les rapports de force électoraux ? La capacité d’anticipation d’un État fort est-elle encore d’actualité ? Faut-il imaginer des institutions ad hoc, intégrant le temps long dans les processus de délibération et de représentation ? Est-ce le rôle de la constitution ? D’une deuxième chambre transformée ? D’un Conseil économique, social et environnemental transformé en « Académie du futur » ? Des expériences étrangères de rencontre entre expertise et sphère politique peuvent-elles nous éclairer ?
Dominique Bourg – Notre proposition est d’enserrer les institutions représentatives au sein d’un dispositif plus large, métareprésentatif. La première pièce de ce dispositif est empruntée à Pierre Rosanvallon19. Il s’agit d’une Académie du futur, composée pour l’essentiel de scientifiques internationalement reconnus dans leur spécialité et en activité. Sa fonction serait d’éclairer l’action des pouvoirs publics vis-à-vis de deux nouveaux objectifs constitutionnels : à savoir la contribution de la nation et de l’État à la préservation des grands équilibres de la biosphère et à la gestion concertée de ressources fossiles, minérales et biotiques, désormais sous tension. La sécurité des nations dépendra en effet de plus en plus de la protection d’un certain nombre de biens communs nouveaux comme le climat ou plus généralement l’état de la biosphère, et de leur collaboration quant à la gestion d’un capital de ressources fini et en cours de raréfaction.
Nous proposons en outre l’institution d’une nouvelle chambre haute ou Sénat, dévolue aux enjeux de long terme. La fonction de cette assemblée serait double : primo, élaborer de grands projets de réforme quant au vivre ensemble, notamment fiscaux, favorisant le passage vers une société économe des ressources, sans pour autant entrer dans des détails qui favorisent au bout du compte telle catégorie au détriment de telle autre ; secundo, opposer un veto aux projets de loi qui contrediraient les deux objectifs constitutionnels dont nous venons de faire état. Cette assemblée n’est donc pas à proprement parler législative, mais elle intervient soit à l’amont du vote des lois, soit à l’aval. Elle statue sur les grandes orientations et régulations de la société, à l’image de nos constitutions ou lois fondamentales qui ne sont ni de droite ni de gauche. Les choix de cette assemblée devraient être éclairés par les connaissances produites ou communiquées par l’Académie du futur. Ses membres seraient choisis au hasard au moins pour les deux tiers sur une liste de personnalités qualifiées, liste proposée par les grandes Ong environnementales. Mais cette assemblée ne pourrait prendre de décision, opposer son veto, sans avoir elle-même reçu l’aval de diverses conférences de citoyens. L’idée est donc de créer les conditions propices à la compétence, à la considération informée des enjeux de long terme et de tenir à distance autant que possible les considérations partisanes et de court terme, flattant telle catégorie sociale contre telle autre. Ses membres ne pourraient effectuer qu’un seul mandat. Nous pensons que nous ne parviendrons pas avec la seule « vertu » contrairement à ce qu’affirme Hervé Kempf20, autrement dit sans changements institutionnels, à prendre suffisamment et rapidement en compte le long terme, et donc à réfréner nos consommations. Nos institutions représentatives, avec notamment le rythme rapproché des élections, ont par ailleurs contribué à forger notre passion pour le présent.
Alain Grandjean – Les quarante dernières années de libéralisation économique ont conduit à réduire le poids de l’État dans l’économie, à réduire sa puissance financière et à écorner sa crédibilité et sa légitimité.
Inversement, les marchés ont acquis de la puissance et une capacité à imposer des réformes aux pays qui est étonnante. Il me semble évident que face à des grands enjeux comme le changement climatique et la pression sur les ressources naturelles, un changement de modèle économique s’impose, qui ne pourra pas être mis en place spontanément par le marché. Prises individuellement, les entreprises n’y ont pas intérêt. À titre d’exemple, seule la puissance publique peut imposer un prix au carbone. Il faut donc à mon sens rééquilibrer les pouvoirs financiers en régulant beaucoup plus durement les acteurs financiers (en commençant par supprimer les zones de non-droit comme les paradis fiscaux et en sanctionnant fortement les délinquants en col blanc). D’une certaine manière pour faire cela il faut un État fort. Mais la période actuelle, où l’opinion a les banques dans le collimateur, permettrait de le faire assez facilement. Je ne suis pas sûr qu’il faille de grandes réformes pour y arriver.
Par ailleurs, la nomination politique des grands directeurs de l’administration centrale, maintenant, alors qu’il y avait avant une forme de protection de ces « technocrates » a sans doute rendu plus difficile l’émergence d’une pensée structurée et qui résiste aux lobbies dans les administrations. Il faut sans doute réfléchir à une réforme administrative et à la question de l’équilibre des pouvoirs entre les politiques et les administrations. En effet, les politiques considèrent en général que le contre-pouvoir administratif est toujours trop fort. Le curseur est à bien régler.
À court terme, il me paraît absolument nécessaire de lancer un programme d’investissements d’avenir permettant de restructurer les infrastructures qui ont été faites sans souci des ressources ni du climat. Il s’agit de redéployer l’urbanisme, d’isoler les logements existants, de procéder à des rénovations lourdes des réseaux ferrés pour les personnes et le fret, d’investir dans les réseaux électriques, dans les énergies décarbonées. Ce programme ne pourra être mené à bien sans une « agence des investissements d’avenir » qui devra avoir une gouvernance propre.
Dans l’architecture actuelle, le Cese n’a aucun pouvoir. Sa crédibilité pourrait être renforcée si ses avis étaient pris en considération dans des décisions concrètes. Comment ? La transformer en « académie du futur » ? Oui si l’on trouve un moyen pour éviter que les sciences au service des lobbies ne soient pas dominantes dans cette académie.
Une réforme de la Constitution est sans doute utile (est-elle nécessaire, je ne sais pas ?), ne serait-ce que pour renforcer le poids des outils de pilotage indispensables pour faire évoluer les arbitrages économiques comme la fiscalité écologique. L’échec de la taxe carbone est bien lié à une question constitutionnelle. Il pourrait être encore utile de faire en sorte qu’aucune loi compatible avec la Constitution soit contraire à quelques principes simples relatifs à la préservation de la biosphère.
Cela ne saurait suffire cependant si les institutions qui prennent les décisions sont toujours obnubilées par les enjeux électoraux de court terme. De ce point de vue, la proposition de chambre haute est clairement un progrès à mes yeux.
Bruno Villalba – Les propositions d’aménagement des mécanismes délibératifs sont bien sûr à explorer. Ainsi, on peut s’interroger sur l’intégration effective des « échéances environnementales » dans les espaces délibératifs. Il ne s’agit pas de contester le fait que l’on discute autour de l’environnement. On s’interroge beaucoup moins sur ce qu’est l’environnement – en dehors d’une perception classiquement réduite à un dysfonctionnement lié à une nuisance ou une pollution… et sur l’adhésion, lors du débat, sur la dimension proprement subversive de cet enjeu. C’est à partir de cette dimension que le bilan de dix ans de politiques participatives doit être interrogé, et ce, au-delà d’une position normative qui considère comme automatiquement positive l’inclusion maximale des individus (dont les caractéristiques demandent à être étudiées : entre l’habitant, le résident, le citoyen, le migrant… les figures sont nombreuses et les positions sociales complexes). Si l’on assiste à une professionnalisation et une certaine routinisation des pratiques participatives, assiste-t-on pour autant à une évolution significative des pratiques de gouvernance ? (Comment par exemple, l’environnement est-il effectivement pris en considération au regard de ses urgences21 ?) Cela dépend bien sûr des échelles territoriales concernées – le local semblant davantage adapté à cette participation de (quelques) habitants… On peut étendre les espaces de cette délibération et multiplier les procédures (de l’extension juridique des questions environnementale – la Charte de l’environnement pose quelques jalons –, l’application sérieuse des conclusions du Grenelle de l’environnement, la valorisation des pratiques de controverses, l’instauration d’un statut légal pour les lanceurs d’alerte, etc.).
Pendant ce temps, les conséquences climatiques vont être de plus en plus présentes, les migrations climatiques vont croître – et avec elles la détresse de millions d’individus –, l’incertitude radicale de nos choix technologiques (biotechnologies, nucléaire…) va s’accentuer pour répondre aux contraintes de l’immédiat… De telles perspectives conduisent à penser que nous allons entrer dans une phase historique où notre capacité de choisir les solutions pour inventer notre destin collectif va se réduire… Cette limitation du « temps qui reste » et ce délitement progressif de l’éventail des choix qui nous sont offerts sont constitutifs de la notion de délai. La réduction de notre capacité de choix conduira à limiter les possibilités d’émergence d’autres choix : la contraction démocratique se met en place. La limitation n’est pas segmentée, elle prendra de plus en plus les formes d’un cumul des contraintes, réduisant progressivement le champ des choix possibles.
La contraction démocratique équivaut au processus de réduction de l’enjeu démocratique à l’affirmation de valeurs procédurales, au détriment des objectifs d’émancipation et d’égalité du projet démocratique. Cela aboutit, par exemple, à limiter l’espace démocratique au sol européen et à compartimenter l’élaboration de règles démocratiques entre les citoyens de ce territoire22. Ou cela peut conduire à l’adoption, sur ce territoire, de règles restrictives à l’autonomie politique des individus, au nom même de leur liberté, afin de répondre aux injonctions de la sécurité, corollaire du maintien de la compétition économique internationale23. Ou bien, on procède à une rationalisation excessive de l’incertitude écologique au profit de solutions habituelles de la décision (notamment les solutions techniques).
Ce qui caractérise la démocratie – la possibilité de se construire, librement, un destin individuel et collectif, par l’affirmation et la reconnaissance de choix – se trouve ainsi de plus en plus limité. En réaffirmant l’infaillibilité de son modèle (développement, croissance, individualisation…), sans prendre davantage en considération le contexte actuel (finitudes, irréversibilités environnementales, incertitudes techniques radicales, inégalités…), la démocratie risque de se heurter à des impasses fonctionnelles. Et au lieu de faire face à ces enjeux, de maintenir le cap du système productiviste – au risque même de torsions idéologiques et juridiques contradictoires. Nous devons pourtant faire face à la restriction du temps pour décider. Débattre sur ce qu’est la démocratie écologique doit donc avant tout s’élaborer en fonction du contexte écologique qui rend possible la conception de solutions politiques. Un débat à la fois pragmatique et modeste, dans lequel il faut bien admettre : « Pour nous qui sommes l’Histoire, cela signifie que nous ne sommes pas en meilleure position que nos ancêtres après l’effondrement de leur fierté géocentrique. Nous sommes à nouveau là, comme des péquenauds cosmiques qui doivent admettre que cela fonctionne très bien sans eux24. »
Jean-René Brunetière – « Un État fort », sans doute : on pressent que sur le terrain du risque majeur, la puissance publique retrouve une légitimité peu remplaçable en définitive. L’État postmoderne est fondé plus sur la protection contre les risques que sur le service rendu. Les systèmes privés de gestion du risque, qui peuvent être pertinents dans les risques moyens, cèdent la place en plus ou moins bon ordre à l’État25. On peut cependant douter que l’État ait par nature sur tous les sujets un positionnement plus sur le long terme que les autres acteurs notamment parce que ses serviteurs (politiques ou administratifs) sont éphémères.
La confiance ne se décrète pas. Nos démocraties ont besoin d’instances qui fassent autorité sur les sujets qui doivent échapper aux vicissitudes de l’immédiateté. Nous en avons déjà : il en existe de différentes natures. Certaines se sont taillées une légitimité peu contestée par l’opinion : le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), le Comité d’éthique pour les sciences de la vie, etc. D’autres ont plus de difficultés à s’imposer, soit par incapacité à apparaître vraiment indépendant, comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (Csa), soit par faiblesse matérielle et institutionnelle comme la justice (en France), soit par manque de notoriété, comme le Cese. Dans le domaine scientifique, une personne isolée peut avoir plus de crédit auprès de l’opinion qu’une académie savante. L’opinion publique peut avoir plus confiance dans un ancien animateur de télévision (comme N. Hulot) que dans le regroupement des meilleurs savants mondiaux (le Giec). Le statut, le mode de création, l’aspect institutionnel jouent peu de rôle dans la relation de confiance qui s’instaure ou pas entre ce qu’on pourrait appeler « l’instance prophétique » et le peuple.
Il y a place pour une multiplication de ces « instances prophétiques », dans des processus rigoureux de construction de la confiance, dont il faudrait mieux comprendre les déterminants.
Représenter l’avenir : un problème institutionnel ?
Jean Gadrey – Que penser d’une « académie du futur » ? Nous avons certes besoin d’en savoir plus sur les enjeux écologiques, et la recherche correspondante est cruciale, tout comme sa légitimation. Le Giec, en dépit de ses imperfections, a joué un rôle majeur dans l’amorce d’une prise de conscience mondiale des risques climatiques. Des équivalents du Giec dans d’autres domaines (biodiversité, pollutions chimiques, ressources fossiles…) seraient utiles. Mais leur légitimité ne saurait être acquise du seul fait qu’il s’agit d’experts internationaux reconnus par leurs pairs, désignés entre eux par cooptation sur des critères académiques. Il faut bien plus que cela.
Il faut que la société civile puisse intervenir dans la recherche, dans ses orientations et dans sa légitimation. J’ai vu fonctionner l’« expertocratie » auto-organisée dans le cadre de la « commission Stiglitz » sur les nouveaux indicateurs de richesse. Des spécialistes de « haut niveau » académique, presque tous convaincus qu’une bonne expertise sur les indicateurs de bien-être ou de développement durable doit être produite en vase clos entre économistes. Le résultat obtenu ainsi est, sur certains points, en contradiction ouverte avec les idées de… Dominique Bourg et de ses proches de la fondation Nicolas Hulot, pourtant bons experts en écologie, mais tous écartés de cette commission ! L’expertocratie est une machine à opposer les savoirs disciplinaires (et, en passant, à exclure largement les jeunes et les femmes…). Les citoyens associés sont bien meilleurs pour porter l’idée de la coopération des savoirs, y compris les savoirs « profanes » écartés de la science académique.
Dominique Bourg, qui est un lanceur d’alerte écouté, sait bien que sur la plupart des grands enjeux écologiques et scientifiques, tout groupe d’experts va produire des résultats qui dépendent de sa composition, laquelle dépend des trajectoires et des financements passés. La science est une construction historique, sociale et politique gravement affectée aujourd’hui par les déficiences de la démocratie et par son mode de « pilotage ». Confier l’avenir de l’économie (ou même seulement de l’enseignement de l’économie) à des économistes « prestigieux » vu la façon dont cette discipline s’est constituée ? C’est un risque majeur de déconnexion des savoirs et des pratiques économiques et sociales réelles. Le nucléaire et ses risques ? Il y a débat, ce qui est bien normal, au sein de la fondation Hulot. Que deviendrait-il dans une académie d’experts du sujet quand on sait que 90% des dépenses de recherche sur l’énergie sont captées par le nucléaire ? L’agriculture du futur en France ? Pourrait-on confier cela à une académie des « meilleurs experts » de l’Inra où, sur 9 000 postes, on ne trouve que trente-cinq emplois en équivalent temps plein dans les recherches sur l’agriculture biologique ? Le besoin de recherches médicales et pharmaceutiques du futur ? Mais les grandes maladies des pays pauvres ayant été plus ou moins désertées par la recherche, comment une académie des meilleurs experts de la santé pourrait-elle en revaloriser l’importance sans la participation de la société civile mondiale ? Les exemples abondent : les nanotechnologies, la génétique, etc.26.
Donc des groupes d’experts, oui, il en faut, mais dans un cadre démocratique : pas seulement au sens de la démocratie scientifique interne, de son pluralisme et de sa transparence, mais aussi dans le cadre de relations étroites avec la société civile organisée, qui dispose d’énormes compétences. Les réflexions et résultats de la « conférence citoyenne » organisée en 2009 dans le Nord-Pas-de-Calais sur des questions voisines de celles de la « commission Stiglitz » ne seraient pas moins utiles que ceux de cette commission pour orienter des politiques publiques.
Venons-en au nouveau Sénat de D. Bourg. Deux tiers de personnalités proposées par les Ong environnementales ? Une forte objection se présente d’emblée. Le long terme, le futur, sont des enjeux indissociablement écologiques et sociaux. Par exemple, une réforme écologiquement soutenable des retraites, et une réduction socialement soutenable des émissions de CO2. On ne résoudra pas la crise écologique sans ce couplage, sans se fixer des objectifs d’égalité à long terme, dans le monde et dans chaque pays. Faute de quoi, nous verrons resurgir des taxes carbones rejetées, ou d’autres mesures écologiques pesant de façon disproportionnée sur les épaules des plus pauvres. Un droit de veto ? Certes, si une institution, une sorte de Conseil constitutionnel issu de la société civile, est purement consultative, elle risque l’impuissance. Mais il n’y a pas que le droit de veto à envisager comme pression efficace. L’obligation de compromis via une médiation démocratique peut être supérieure.
Mais surtout, bien au-delà de ces hypothèses institutionnelles, le cœur du problème est dans l’idée, défendue par D. Bourg, que les citoyens sont et seront, dans leur majorité, englués dans le court terme et donc incapables de se saisir des grandes questions du futur. Là se trouve mon principal désaccord, car je rejoins largement Hervé Kempf27 lorsqu’il montre, preuves concrètes à l’appui, que ce n’est pas la démocratie qui est en cause dans ce constat d’une insouciance fréquente vis-à-vis du futur, c’est le fait que nous ne vivons pas dans des démocraties mais sous des régimes oligarchiques ou ploutocratiques conservant évidemment encore certains traits appréciables d’une démocratie, mais de plus en plus amputée ou contournée.
Lorsque des « profanes » participent par exemple à des conférences de citoyens où l’on prend le temps de la formation ouverte et de la délibération, il apparaît toujours que la capacité à penser des risques à long terme n’a nullement déserté ces citoyens lambda, qui ont pour beaucoup des enfants et petits-enfants, et qui se soucient de l’état de « la planète ». Ils auraient même tendance à s’y mettre plus aisément que nombre d’experts, économistes en tête, dont les cadres de pensée ont été verrouillés depuis longtemps !
Pour dépasser le « paradoxe de Dominique Bourg » entre d’un côté un appel à la société civile via les Ong et les délibérations citoyennes, et de l’autre le recours élitiste au monde académique et au veto écologique, la réponse est : les principaux porteurs du futur ne sont pas d’abord les scientifiques ni les écologistes mais les citoyens d’une démocratie active et beaucoup plus égalitaire, où l’information de masse cesse d’être dirigée par des actionnaires pour devenir un bien commun. L’écologie politique est née de la contestation du pouvoir des experts, nous rappelle Hervé Kempf. Qu’elle continue !
Bernard Perret – Un certain nombre de déclarations issues des conférences internationales28 ou d’autres textes à caractère officiel29 font référence aux droits des « générations futures ». Même si ce n’est à bien des égards qu’un artifice rhétorique, reconnaître des droits aux générations futures n’est pas sans portée juridique.
Au plan des normes juridiques à vocation plus directement opératoire, on pense au principe de précaution. À travers la notion d’irréversibilité, le long terme devient opposable aux raisonnements économiques habituels. L’introduction du principe de précaution témoigne à tout le moins d’une prise de conscience de l’inadéquation des mécanismes économiques au nouveau contexte des risques et à l’éventualité de changements irréversibles.
Tel qu’il est formulé et mis en pratique, ce principe n’est pourtant pas dénué de contradictions : la notion de « mesures proportionnées » – certaines formulations du principe30 font référence à la notion de « coût économiquement acceptable » – s’articule en effet difficilement avec celle d’irréversibilité. Comme l’observe Jean-Pierre Dupuy, le principe « se trouve écartelé entre la logique du calcul économique et la conscience du fait que le contexte de la décision a radicalement changé. D’un côté, les notions rassurantes d’efficacité, de commensurabilité et de coût raisonnable ; de l’autre, l’insistance sur des connaissances et la gravité et l’irréversibilité des dommages31 ». En pratique, force est de constater que le principe de précaution ne fait que mettre en scène la contradiction entre l’économie et l’écologie, sans lui apporter de solution. Plus gravement, en matière écologique, les notions de risque et d’incertitude ont quelque chose de trompeur : les plus graves menaces environnementales n’ont en effet rien d’incertain. La problématique du risque est pertinente lorsqu’il s’agit, par exemple, d’évaluer la probabilité de survenue d’un accident industriel et de prendre des mesures coûteuses pour l’éviter. Mais nous ne sommes pas du tout dans cette situation avec le réchauffement climatique ou le déclin de la biodiversité. Si nous continuons sur notre lancée, la catastrophe est certaine. On peut dès lors se demander s’il n’y a pas un piège rhétorique dans le principe de précaution. Son invocation quelque peu machinale dès que pointe une menace pour l’environnement risque en effet de masquer l’ampleur de la contradiction sous-jacente entre l’économie et l’écologie.
D’une manière générale, le droit présente le même type de limitations que la démocratie représentative : sa finalité constitutive est la défense d’intérêts individuels. Il est plus facile à mobiliser pour défendre les droits de personnes ou de groupes actuellement présents que pour imposer la prise en compte de l’avenir. De fait, malgré son développement rapide, le droit de l’environnement ne permet pas de s’opposer à des décisions dont l’impact environnemental résulte de processus systémiques, ce qui est presque toujours le cas des mesures de politique économique. On ne voit pas comment, par exemple, une mesure fiscale pourrait être attaquée à cause de ses conséquences pour la planète.
Bien qu’il soit mentionné dans plusieurs textes internationaux32, le principe de précaution ne fait pas partie des normes applicables du droit international public. Il existe, en revanche, un ensemble d’accords internationaux qui valent reconnaissance de la valeur universelle d’objectifs écologiques précis tels que la limitation du réchauffement climatique ou la protection des espèces naturelles. Il n’est pas absurde de penser que ces textes serviront un jour de point d’appui pour des actions contentieuses. Le philosophe Michel Serres appelle de ses vœux « des tribunaux pouvant connaître des crimes contre le monde33 ». Cela viendra peut-être plus vite qu’on ne le pense. Lorsque les conséquences des crises environnementales auront atteint un niveau tel qu’elles seront devenues un enjeu géopolitique majeur, il faut s’attendre à ce que les pays les plus touchés demandent réparation34.
Le levier juridique n’est donc pas à négliger, mais il ne peut dispenser d’agir plus en amont, à tous les stades de la prise de décision, pour infléchir les objectifs de l’action collective. Faire des générations futures de véritables parties prenantes de nos choix est un défi de nature politique, c’est donc sur le terrain des institutions démocratiques qu’il faudra le relever. C’est dans cette perspective que les propositions de D. Bourg et K. Whiteside prennent tout leur sens, quelles que soient les difficultés qu’elles peuvent soulever.
Leur « nouveau Sénat » paraît, de prime abord, quelque peu chimérique. On voit mal comment ce Parlement du futur pourrait s’abstraire des enjeux immédiats du combat politique. Comme l’observe Pierre Rosanvallon, il est à craindre que l’élection de ses membres « reste mécaniquement sous-tendue par les logiques politiciennes existantes35 ». Observons toutefois que le Parlement du futur n’est pas sans évoquer la troisième assemblée de la République. Rappelons le Conseil économique et social (Ces) est devenu en 2008 le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et qu’il comprend désormais des représentants des Ong environnementales. Bien entendu, un tel rapprochement a ses limites : son but est seulement de montrer que l’idée d’assurer une représentation des enjeux et non plus seulement des intérêts n’a rien de révolutionnaire.
L’Académie du futur soulève moins d’objections. C’est un concept cohérent qui s’inscrit logiquement dans le prolongement d’innovations récentes. On a vu en effet se multiplier des organismes – « comités de sages » et autres autorités administratives indépendantes (Csa, Cnil, Halde, etc.) – dont la raison d’être est de s’assurer que certains principes ou finalités sont pris en compte dans les décisions publiques indépendamment des soubresauts de la vie démocratique.
Il existe par ailleurs un grand nombre d’institutions dont la raison d’être est de défendre des droits dont on estime qu’ils ne sont pas suffisamment portés par les organisations existantes – syndicats, associations et autres groupes d’intérêt. Le « Défenseur des enfants » (créé en 2000) et le médiateur de la République sont ainsi les porte-parole de citoyens qui n’ont pas la possibilité de faire valoir eux-mêmes leurs droits. Tout cela s’inscrit dans la notion très actuelle d’advocacy, que l’on pourrait définir comme une action visant à soutenir la prise de parole de personnes ou de groupes dont la voix risque de ne pas être entendue – malades mentaux, handicapés, immigrés, etc.
L’expérience montre toutefois que l’autorité des comités de sages n’est jamais définitivement acquise. Sur les sujets sensibles et controversés dont elle aurait à traiter, l’Académie du futur serait confrontée au déficit général de légitimité des experts. Pour gagner en impact social, les travaux de l’Académie du futur devraient être articulés avec des pratiques d’expertise partagée, de démocratie participative et de gouvernance concertée36 – évaluation partagée de l’action publique, conférences de consensus, etc. –, afin que les citoyens se sentent impliqués dans les débats scientifiques qui engagent l’avenir. Dans une société aussi défiante – pessimiste sur l’avenir et imprégnée d’esprit critique – que la nôtre, seule une expertise construite collectivement peut être reconnue digne de confiance et jouer son rôle de fondement rationnel des décisions politiques.
Dans le registre de la production de connaissances, il convient de mentionner les procédures d’évaluation des actions publiques au regard du développement durable. Leur formalisation progressive a pour effet d’obliger les décideurs à produire une analyse rigoureuse et transparente des conséquences économiques, sociales et environnementales de leurs décisions37. On peut y voir des éléments précurseurs d’une institutionnalisation des droits de l’avenir. Les limites de ces pratiques sont toutefois évidentes : elles ne couvrent pas l’ensemble du champ de l’action publique et, surtout, elles interviennent trop tardivement dans les processus de décision pour exercer une influence globale sur l’orientation du développement économique. C’est en les portant au cœur d’un processus de planification stratégique que l’on donnera aux enjeux environnementaux la place qui leur revient.
Non sans lien avec l’évaluation, on assiste au développement du reporting environnemental dans les administrations et les entreprises. Son institutionnalisation au niveau national constitue un enjeu majeur : la publication annuelle d’un rapport sur le développement durable obligerait le gouvernement à porter à la connaissance du public une estimation du patrimoine naturel de la nation et une évaluation des conséquences à long terme de ses décisions38.
- 1.
Dominique Bourg, Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, La République des idées/Le Seuil, 2010.
- 2.
H. Welzer, les Guerres du climat. Pourquoi on tue au xxie siècle, Paris, Gallimard, 2009.
- 3.
Luc Semal, B. Villalba, « Obsolescence de la durée et actualité du délai », EcoRev’, 2010, no 34.
- 4.
B. Villalba, « L’écologie politique face au délai et à la contraction démocratique », Écologie et Politique, 2010, no 40, p. 95-113.
- 5.
J. A. Tainter, The Collapse of Complex Societies, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
- 6.
A. Gorz, Écologie et politique, Paris, Le Seuil, 1978, p. 22 sqq. et le chapitre 4, « Socialisme ou écofascisme », p. 87 sqq. ; S. Latouche, « Écofascisme ou écodémocratie », Le Monde diplomatique, novembre 2005.
- 7.
D. Bourg et K. Whiteside, Vers une démocratie écologique…, op. cit.
- 8.
Pierre Rosanvallon, la Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Le Seuil, 2008.
- 9.
De l’anglais, Not in my backyard, « Pas dans mon jardin ».
- 10.
Bernard Perret, Le capitalisme est-il durable ? Paris, Carnets Nord, 2008, p. 187.
- 11.
Dans Le Monde du 31 octobre 2010.
- 12.
« L’intérêt général […] est celui des intérêts particuliers qui se trouve commun au plus grand nombre de votants » (cité par D. Bourg et K. Whiteside, Vers une démocratie écologique…, op. cit., p. 46).
- 13.
Voir le livre de Claude Lorius et Laurent Carpentier, Voyage dans l’anthropocène, Arles, Actes Sud, 2010.
- 14.
S. Foucart, le Populisme climatique, Paris, Fayard, 2010 ou Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Merchants of Doubt. How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, New York, Bloomsbury Press, 2010.
- 15.
I. Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2009.
- 16.
Y. Cochet, Antimanuel d’écologie, Paris, Bréal, 2009.
- 17.
P. Rosanvallon, la Légitimité démocratique…, op. cit.
- 18.
Qui gardent encore parfois la fâcheuse habitude d’annoncer leur décision avant la fin du déroulement d’un débat, montrant ainsi leur mauvaise compréhension du but de la démarche.
- 19.
« Le souci du long terme », dans Dominique Bourg et Alain Papaux, Vers une société sobre et désirable, Paris, Puf, 2010, p. 151-162.
- 20.
Hervé Kempf, L’oligarchie ça suffit. Vive la démocratie !, Paris, Le Seuil, 2011, p. 156-157.
- 21.
W. F. Baber et R. V. Bartlett, Deliberative Environmental Politics. Democracy and Ecological Rationality, Cambridge, Mit Press, 2005.
- 22.
H. Welzer, les Guerres du climat…, op. cit.
- 23.
L’adoption d’un arsenal sécuritaire de plus en plus extensif, afin de répondre aux phénomènes terroristes qui participent à la réduction de l’espace privé des individus (D. Quessada, « De la sousveillance. La surveillance globale, un nouveau mode de gouvernementalité », Multitudes, 2010, no 40).
- 24.
Günther Anders, le Temps de la fin (1960), Paris, Éd. de l’Herne, 2007, p. 17.
- 25.
La figure de l’État s’est différenciée, entre l’Europe, les États nationaux, les collectivités territoriales, les établissements publics… C’est l’ensemble que nous convenons d’appeler « État », puisque l’homme de la rue l’entend ainsi.
- 26.
Voir Jacques Testart, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain, Labo planète, ou comment 2030 se prépare sans les citoyens, Paris, Mille et une nuits, 2010.
- 27.
H. Kempf, L’oligarchie ça suffit…, op. cit.
- 28.
Citons le principe 9 de la déclaration de Stockholm (1972) : « L’homme a […] le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. » Voir aussi la déclaration de Rio (1992) et la définition du développement durable contenue dans le rapport Brundtland (1987) : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures. »
- 29.
En France, la Charte de l’environnement introduite en 2005 dans le préambule de la Constitution française stipule : « Les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. »
- 30.
Article 1er de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement.
- 31.
Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Le Seuil, 2002, p. 104.
- 32.
Voir l’article 15 de la déclaration de Rio (1992) : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. »
- 33.
Michel Serres, la Guerre mondiale, Paris, Éditions le Pommier, coll. « Essais et documents », 2008, p. 171.
- 34.
En avril 2010, anticipant cette situation, le président bolivien Evo Morales réclamait à la tribune de l’Onu la création d’un tribunal international contre le changement climatique. Cela n’a rien d’absurde : la Cour pénale internationale de La Haye a autorité pour juger des chefs d’État pour des décisions prises dans l’exercice de leur fonction. Peut-être verra-t-on un jour comparaître devant une instance comparable un chef d’État coupable d’avoir refusé de signer le protocole de Kyoto.
- 35.
P. Rosanvallon, la Légitimité démocratique…, op. cit., p. 156.
- 36.
Voir Michel Badré, Agnès de Fleurieu, Michel Juffé, la Gouvernance concertée, rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, Paris, Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer/La Documentation française, mars 2010. Les auteurs résument ainsi les conditions d’une concertation de qualité sur les projets d’aménagement et d’infrastructure : « Une définition claire de l’objet et du périmètre de l’opération, objet du débat ; un processus de concertation défini et accepté par tous les partenaires ; une bonne utilisation de l’expertise, à sa juste place d’éclairage nécessaire des options envisageables ; l’attention portée aux différences institutionnelles et fonctionnelles entre les acteurs de la concertation : représentants de l’État, élus, acteurs socioéconomiques, experts ; le cas échéant, la présence d’un garant de la qualité du processus ; une bonne gestion du temps nécessaire, et suffisant, pour la maturation des idées. »
- 37.
Pour illustrer ce point, on peut donner l’exemple des directives européennes sur l’évaluation environnementale des plans, programmes et projets d’infrastructure. La mise en œuvre de ces directives a nécessité la création en 2009 d’une « Autorité environnementale » indépendante chargée de contrôler la qualité technique de ces évaluations.
- 38.
Au total, je rejoins Rosanvallon lorsqu’il observe que « quatre types de mesures pourraient être envisagés pour corriger le biais “naturel” du court-termisme : introduire des principes écologiques dans l’ordre constitutionnel ; renforcer et étendre la définition patrimoniale de l’État ; mettre en place une grande “Académie du futur” ; instituer des forums publics mobilisant l’attention et la participation des citoyens » (dans D. Bourg et A. Papaux, Vers une société sobre et désirable, op. cit., p. 157).