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Publier Mein Kampf ? Introduction

janvier 2016

#Divers

Le 1er janvier 2016, un livre maudit du xxe siècle est entré dans le domaine public : Mein Kampf, d’Adolf Hitler. Il en circulait encore une vieille version incomplète en français, toujours disponible sinon visible dans des librairies et accessible sans difficulté sur internet. Le livre pourra être librement republié dans la traduction de 1934 ou dans une traduction nouvelle – comme l’envisagent les éditions Fayard pour une édition critique préparée par des historiens, mais à paraître seulement en 2018. De nombreux médias écrits et audiovisuels ont évoqué l’événement dès l’automne, en rappelant l’histoire et la destinée exceptionnellement néfaste de l’ouvrage. Un débat est né (comme en Allemagne) sur l’opportunité de le republier ou non. Jean-Luc Mélenchon surtout, leader du Parti de gauche, a fortement animé la polémique en se prononçant contre la publication : il ne voit ni utilité, ni intérêt à la connaissance de ces « délires criminels ». Les historiens sont en général favorables à une nouvelle édition, mais divisés sur sa forme : fortement annotée (mais avec quelle orientation critique ?) ou munie d’une présentation d’ensemble suivie du texte intégral et sans notes (ou avec des notes peu nombreuses et « neutres », donnant des informations historiques à propos de mots ou d’allusions peu compréhensibles aujourd’hui) ?

Mais que dit au juste Mein Kampf ? Quel est son contenu sulfureux, et même son poison mortel ? Le rappel des questions éditoriales qui sont posées a fait passer au second plan, sinon omettre, la « doctrine » du livre. On évoque son délire et sa dangerosité extrême, sans expliquer sa nature, ses idées, sa logique – s’il y en a une. En réalité, peu nombreux sont ceux qui se risquent à le lire car il est non seulement très long, mais indigeste et d’un ennui profond.

Et pourtant, c’est ce livre « sans intérêt » et « ennuyeux » qui a joué un rôle clef dans l’extermination de six millions de juifs européens et la mort violente de millions d’autres êtres humains. Il est donc important de savoir de quoi il parle et de comprendre la dynamique terrifiante qui l’habite. Pour cette raison, nous proposons ici deux textes d’universitaires allemands : l’un analyse le contenu du livre et l’autre explique pourquoi et dans quelles conditions une édition critique sera publiée en Allemagne. Tous deux mettent en lumière le « bouillon de culture » – de marxisme vulgarisé et haï, de racisme et de darwinisme grossier venus du xixe siècle – dans lequel a macéré la pensée d’un obscur peintre en bâtiment né en Autriche en 1889. Ils permettent de comprendre la place que ce livre occupe encore aujourd’hui en Allemagne – c’est même un objet de dérision dans des émissions humoristiques – et les débats allemands autour d’une nouvelle édition (préparée par l’Institut d’histoire contemporaine de Munich). En outre, ils éclairent comment, dans un contexte historique favorable, avec un leader et des dirigeants criminels, il a pu devenir – pas tout seul, mais de façon décisive – une doctrine d’extermination des juifs, fantasmés comme les destructeurs de la race allemande. Ces fantasmes, remaniés ou non, ne sont pas morts, nous le savons. Il suffit de voir, hélas, le succès du livre dans certains pays arabes. Dans ces conditions, une édition scientifique sera le meilleur atout contre la contagion.

Nous remercions l’Académie catholique de Bavière et sa revue Zur Debatte, ainsi que les auteurs, Barbara Zehnpfennig, professeur de théorie politique et d’histoire des idées à l’université de Passau, et Andreas Wirsching, directeur de l’Institut d’histoire contemporaine et professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’université de Munich, de nous avoir autorisés à publier ces textes.

Jean-Louis Schlegel

Philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur, Jean-Louis Schlegel est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine. Cet intérêt concerne tous les niveaux d’intelligibilité : évolution des pratiques, de la culture, des institutions, des pouvoirs et des « puissances », du rôle et de la place du…

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Terrorisme, dissidence urbaine, frappes de drones : nous sommes confrontés à des violences sans fin qui dissipent l’illusion d’un monde apaisé. Peut-on réinscrire ces violences dans un horizon de sens commun ? Avec les textes d'Antoine Garapon, Hamit Borzaslan, Carole Desbarats, Olivier Mongin et Michaël Fœssel. Lire aussi le débat sur la publication de Mein Kampf.