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Vierge noire de Częstochowa (voïvodie de Silésie) dans le monastère de Jasna Gora, XVe siècle.
Vierge noire de Częstochowa (voïvodie de Silésie) dans le monastère de Jasna Gora, XVe siècle.
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La nation et la Vierge noire

Le parti Droit et justice (PiS) a pris le pouvoir avec le soutien de dignitaires de l’Église catholique. Désormais, toutes les fêtes de l’État commencent par une cérémonie religieuse, la religion pénètre l’école et une offensive contre l’avortement est à l’œuvre, même si elle suscite des résistances dans la société dans un contexte de sécularisation.

L’Église catholique de Pologne a toujours entretenu des relations ambiguës avec le pouvoir politique polonais. Très proche de la droite nationaliste avant-guerre, elle a résisté aux tentatives de mise au pas sous le régime communiste. Elle n’a jamais été sous son contrôle malgré de multiples tentatives. Elle a su imposer son indépendance. Dans un pays à population majoritairement catholique, elle a de fait constitué un cadre de résistance sociale et morale. Un courant de l’intelligentsia catholique d’inspiration personnaliste (clubs d’intellectuels catholiques, l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny de Cracovie) a été une des grandes composantes de l’opposition démocratique qui se consolide dans les années 1970, encouragée par Jean-Paul II, l’ancien archevêque de Cracovie. Du temps de Solidarność, l’épiscopat a joué les intermédiaires à plusieurs reprises pour éviter la violence. Aussi, en 1989, le gouvernement de Tadeusz Mazowiecki et ses successeurs ont-ils voulu perpétuer cette alliance de fait, alors que l’Église elle-même se divisait. Outre la signature d’un concordat, d’importantes concessions ont été accordées à l’aile la plus conservatrice de l’Église (religion à l’école, restrictions du droit à l’Ivg, exonérations fiscales, etc.), alors que, formellement, la Constitution garantit l’indépendance à l’égard de l’État. Aiguillonnée par ses prédicateurs fondamentalistes (Radio Maryja), elle conserve, malgré la montée d’un anticléricalisme laïc, une grande influence dans l’espace politique. Ce qu’a exploité le parti Droit et justice qui essaie de faire de la religion catholique un des ciments de son «  bon changement  ». Magdalena Chrzczonowicz nous dit comment il s’y prend.

Jean-Yves Potel

En Pologne, les statistiques font état d’une pratique religieuse déclinante. Cette évolution lente n’en est pas moins inexorable. Le prêtre et professeur Janusz Mariański, spécialiste de l’Église et sociologue des religions, parle de « sécularisation rampante ». Le parti actuellement au pouvoir soutient pourtant activement l’institution religieuse, manifeste son attachement aux valeurs catholiques et s’évertue à associer de plus en plus les institutions publiques, notamment l’école, à l’Église. Mais ces efforts produisent des effets différents de ceux qu’il attendait. Un front antireligieux se déploie.

Une Église proche du pouvoir

En 2015, le parti Droit et justice (PiS) prit le pouvoir avec le soutien non négligeable de hauts dignitaires de l’Église catholique polonaise, notamment de Radio Maryja et de son dirigeant, le rédemptoriste Tadeusz Rydzyk. De nombreux évêques du courant dominant de l’Église, par exemple Mgr Marek Jędraszewski (alors archevêque de Cracovie) ou Mgr Henryk Hoser (chef de l’archidiocèse de Varsovie-Praga) soutinrent également le PiS.

Bien sûr, aucun d’entre eux n’exhorta explicitement les fidèles à voter pour le PiS. Leurs homélies se limitaient à suggérer la couleur du bon bulletin de vote. Mgr Jędraszewski déclara ainsi que des groupes d’intérêt avaient étouffé la vérité sur la « catastrophe de Smolensk[1] » : « Le gouvernement polonais[2] a confié l’enquête aux Russes pour se décharger de sa responsabilité et échapper aux critiques. La vérité se manifeste aujourd’hui progressivement malgré les mensonges assénés à l’opinion publique. » Mgr Andrzej Dzięga critiqua, en juillet 2015 (avant les élections parlementaires d’octobre), la loi sur la fécondation in vitro que la Plateforme civique (PO), encore au pouvoir, avait rédigée. Il la traita de loi meurtrière et rappela la joie qu’il avait éprouvée avec ses fidèles, quelques mois plus tôt, après la victoire (en mai 2015) d’Andrzej Duda, candidat du PiS aux élections présidentielles.

Le parti Droit et justice ne demeura pas en reste. Il ne rata aucune occasion d’affirmer son attachement aux valeurs catholiques en invitant des dignitaires de l’Église à toutes ses manifestations. Lorsque Mgr Wacław Depo déclara, deux mois avant les élections d’octobre 2015, que l’Église et l’État étaient indissociables, seul le PiS le soutint. On peut ainsi lire dans son programme de 2014 : « L’Église est aujourd’hui détentrice et propagatrice d’une science morale universellement connue en Pologne, qui ne souffre dans la société d’aucune concurrence et à laquelle on ne peut légitimement opposer que le nihilisme. Pour ces raisons, le statut spécifique de l’Église dans la vie nationale et publique revêt une importance capitale. Nous entendons protéger ce statut en considérant que toute tentative de destruction ou d’attaque injuste de l’Église menace l’équilibre social. »

En décembre 2014, moins d’un an avant les élections parlementaires de 2015, le PiS organisa une marche – de facto antigouvernementale – « pour la défense de la démocratie et la liberté des médias ». Plusieurs évêques et un archevêque parrainèrent la manifestation avant qu’une intervention du nonce apostolique ne les incite à retirer leur soutien officiel.

Le parti de la Plateforme civique au pouvoir avait, elle aussi, sollicité le soutien de l’Église. Un an avant les élections de 2015, le ministre de la Numérisation augmenta substantiellement – de 94 millions à 118 millions de zlotys – le montant des subventions accordées à l’Église. Ce montant avait jusqu’alors peu évolué ou parfois même régressé. En 2013, un rapport rédigé par le professeur Paweł Borecki de la faculté de droit de l’université de Varsovie (Institut de droit confessionnel) montra que les principes d’autonomie et d’indépendance de l’État vis-à-vis de l’Église, garantis par le concordat et la Constitution de la République polonaise[3], étaient déjà manifestement violés, bien avant 2015, par les deux parties.

L’Église au pouvoir

Depuis les élections de 2015, l’union entre le parti Droit et justice et l’Église a gagné en force. Un représentant du PiS participe toujours aux cérémonies religieuses importantes. Le président et le Premier ministre prennent la parole pendant les messes. Toutes les fêtes de l’État commencent par une célébration religieuse. Dans leurs entretiens et déclarations publiques, les politiciens du PiS affirment ostensiblement leur foi.

En juillet 2018, pendant une messe célébrée par les religieux du sanctuaire de Jasna Góra, le Premier ministre Mateusz Morawiecki confia le sort du pays à la Vierge noire. En août 2018, toujours à Jasna Góra, le ministre de l’Énergie en appela à la providence de la Sainte-Mère de Dieu, reine de Pologne, pour les employés de ce secteur. Pendant la commémoration du 27e anniversaire de Radio Maryja, le Premier ministre Morawiecki déclara : « En entrant, nous avons chanté: protège la Nation tout entière qui vit pour Ta gloire… Qu’elle se développe sans entrave, Ô Sainte Mère protectrice, c’est mon vœu, mon appel: protège la nation tout entière! Sans exclure ceux qui n’aiment pas encore la Pologne aussi fortement que nous l’aimons et aussi fortement que l’aime toute la famille de Radio Maryja. »

Une partie des évêques soutient désormais ouvertement le pouvoir en place. Mgr Antoni Dydycz a critiqué les participants de la manifestation contre les violations de la Constitution : « De nos jours, le mensonge est terrifiant. Les médias rapportent souvent les propos de ceux qui luttent prétendument pour la démocratie, contre les représentants de notre nation. Quelle contradiction! Comment lutter démocratiquement contre des représentants démocratiquement élus? Il est là, le grand mensonge! »

La religion pénètre de plus en plus l’école. Elle n’en fut jamais complètement absente, mais il est très difficile aujourd’hui d’y échapper. Jadis, les directeurs d’établissement ou les prêtres veillaient localement à la propagation du catholicisme. Aujourd’hui, ce sont les recteurs d’académie nommés par le PiS qui imposent son enseignement à l’échelle de la voïvodie. Le prosélytisme a pris un tour systématique. Barbara Nowak, rectrice de la voïvodie de Petite-Pologne, a ainsi déclaré que la situation de l’école avait été normalisée après la victoire électorale du PiS : « En participant à un grand nombre de cérémonies, je vois que tout est rentré dans l’ordre. Les possibilités de distraction et de choix sont désormais réduites au profit du volontarisme. Les cérémonies scolaires sont organisées là où elles auraient toujours dû être célébrées: au sein de l’Église. » À Zabrze, le rectorat a convoqué devant un conseil de discipline des enseignantes qui avaient pris part à la « manifestation noire » contre le renforcement de la loi anti-avortement et avaient publié le témoignage de leur engagement sur Facebook. Paweł Borecki, l’auteur du rapport de 2013, affirme aujourd’hui : « Il n’existe plus en Pologne de séparation entre l’Église et l’État. L’Église exerce un pouvoir public à part entière. En tant que telle, elle constitue une force de gouvernement. »

Défendre les lois de la reproduction

L’Église a également lancé une offensive dans le domaine de l’éthique sexuelle. En 2017, le gouvernement du PiS a d’abord annulé la décision du gouvernement précédent (PO) qui avait promulgué un accès sans ordonnance à la pilule du lendemain. Konstanty Radziwiłł, le ministre ultraconservateur de la Santé, très proche de l’Église, fut à l’origine de cette marche arrière. Des projets de loi prévoyant une clause de conscience des pharmaciens voient aujourd’hui le jour à la Diète. En 2016, le gouvernement avait déjà annulé – pour des raisons idéologiques – le financement des coûts de fécondation in vitro pour les couples stériles. Les évêques soulignaient depuis des années qu’il s’agissait d’une méthode de conception incompatible avec les principes de l’Église. Le précédent gouvernement était donc resté sourd à leurs appels. Le PiS fut le premier parti à prendre en compte ce postulat.

Un programme de « santé reproductive », financé et contrôlé par le ministère de la Santé est développé dans les écoles. Son but : éduquer la jeunesse à un mode de vie favorisant la procréation. Seuls des tuteurs liés à l’Église – catéchistes, enseignants de vie en famille, psychothérapeutes catholiques paroissiaux – dirigent ses ateliers. La jeunesse y apprend que seul le mariage favorise l’éducation des enfants, qu’il vaut mieux avoir un seul partenaire sexuel pendant toute sa vie, que la contraception nuit à la santé et au couple, et que les préservatifs, contrairement à l’abstinence prénuptiale, ne protègent pas du Sida.

Une révolte contre l’Église ?

La victoire du PiS a placé de nombreux catholiques hostiles au parti conservateur dans une situation difficile. Ceux-ci soutenaient jusqu’alors, plus ou moins activement, une Église qui a soudain pris le parti d’une formation politique haïe. De nombreux catholiques peu zélés ont commencé à remettre en question leur engagement spirituel. La bataille autour de la question de l’avortement a donc donné le premier signal d’une révolte contre l’Église. Le PiS a toujours défendu l’idée que la vie commence à la conception, mais il n’avait jamais annoncé qu’il entendait durcir la législation sur la question de l’avortement[4].

Une majorité de Polonais défendent, depuis de nombreuses années, la loi actuellement en vigueur. Seuls 10 % des citoyens désirent un durcissement de la loi. Jusqu’en 2015, l’Église appelait de ses vœux un tel durcissement, mais privée d’un soutien social et gouvernemental (le gouvernement de la Plateforme civique optait pour un statu quo), sa voix demeurait discrète. Après la victoire du PiS, l’extrême droite commença à exiger du parti au pouvoir une révision de la loi. Mais, conscient d’un soutien social faible sur cette question, le PiS ne désirait rien changer. Ses ennuis commencèrent lorsque le projet citoyen de loi pro-life obtint l’aval de l’Église. L’épiscopat appela les députés à voter une loi interdisant presque intégralement l’avortement. Dans ce projet, les femmes pratiquant l’avortement encouraient également une peine de prison.

Le projet de loi passa en deuxième lecture à la Diète. Le 3 octobre 2016, près de 100 000 personnes, femmes et hommes, descendirent dans les rues des grandes villes de Pologne pour protester contre lui. Parmi les manifestants, il y avait de nombreux catholiques non enclins à libéraliser l’avortement, mais hostiles à une interdiction complète. Ce mouvement fut nommé « manifestation noire » et la journée du 3 octobre «  Lundi noir  ». Le parti au pouvoir recula et fit rejeter le projet de loi en troisième lecture.

Plus de 90 % des Polonais
se déclarent catholiques,
mais seulement 10 % sont partisans d’une interdiction complète de l’avortement.

Les milieux pro-life revinrent à la charge en présentant à la Diète un nouveau projet interdisant l’avortement en cas de malformation et de maladie incurable du fœtus. En 2018, un projet de loi, fortement soutenu par l’Église, fut ainsi présenté à la chambre basse. Un jour après que des évêques eurent appelé à accélérer les travaux des députés, le chef de la commission parlementaire décida d’inscrire le projet à l’ordre du jour. Les manifestations de mars 2018 gelèrent cependant les travaux des députés. En décembre 2018, le PiS déclara finalement, pendant une convention du Parti tenue à huis clos, qu’il n’entendait rien changer à la loi avant les élections de 2019. Ce conflit entre le parti au pouvoir et l’Église risque de peser de plus en plus lourdement.

Les tentatives de durcissement de la loi et l’engagement de l’Église en faveur de cette cause ont provoqué des effets inattendus. D’abord, un éloignement de l’institution cléricale : plus de 90 % des Polonais se déclarent catholiques, mais seulement 10 % sont partisans d’une interdiction complète de l’avortement. L’engagement de l’Église a rendu visible et sensible une opposition qui avait toujours existé. Ensuite, une augmentation du nombre des partisans d’une libéralisation de la loi actuelle : les sondages les créditent d’un pourcentage compris, en fonction de la question posée, entre 40 % et 55 % des Polonais. Sur ce point, comme sur celui de la fécondation in vitro, le conflit avec l’Église ne pourra que s’approfondir. En 2016, une majorité écrasante de Polonais (70 %) rejetait en effet l’annulation du financement public de la fécondation in vitro. La question de l’avortement dépasse même les divisions politiques traditionnelles. Parmi les électeurs du PiS (qui compte beaucoup de catholiques conservateurs), moins nombreux sont les partisans d’un durcissement de la loi : seulement 20 % des personnes déclarent un soutien au Parti, alors que les dignitaires de l’Église font consensus sur cette question, même parmi ceux qui ne soutiennent pas le PiS.

Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que les électeurs sont en général plus libéraux que les cadres des partis pour lesquels ils votent. Le plus grand groupe d’opposition – la Plateforme civique (PO) – s’en tient depuis des années à la solution du «  compromis  » actuel alors que 49 % de ses électeurs désirent une libéralisation de la loi sur l’avortement.

La pédophilie dans l’Église

Cet autre grand problème de l’Église polonaise a véritablement surgi en 2018. Il existait déjà, bien sûr, depuis de nombreuses années, mais il n’était jamais apparu en pleine lumière, comme en Irlande. La Pologne deviendra-t-elle une deuxième Irlande ? En Pologne, on pensait que la pédophilie ne relevait que de cas marginaux et que cette question ­n’engageait nullement l’Église dans son ensemble. La société faisait peu de cas des péchés des prêtres et culpabilisait même les victimes. En septembre 2018, le film Kler [Le clergé] de Wojciech Smarzowski, l’un des réalisateurs polonais les plus connus, est sorti en salles. Le film avait provoqué la controverse bien avant sa première. Sa bande-annonce promettait une vision certes sans concession, mais aussi une satire grotesque du «  vice  » des prêtres. Or ce film d’après une histoire vraie se révéla extrêmement sérieux en présentant la question omniprésente et non encore réglée de la pédophilie dans l’Église polonaise[5].

Après la première, les prélats et les politiciens du PiS éreintèrent le film. L’opposition, plus prudente, parla d’un film important, mais quelque peu exagéré. Le film battit cependant des records d’audience avec cinq millions de spectateurs (chiffre de la fin de novembre 2018). Des enquêtes sur les prêtres pédophiles refirent surface, on mentionna notamment dans les médias l’affaire du prêtre Henryk Jankowski, l’aumônier du mouvement Solidarité, accusé en 2004 de harcèlement sexuel sur des enfants et qui ne fut jamais condamné. Il mourut en 2010 et fut enterré avec les honneurs. On érigea même une statue à son effigie à Gdańsk. En novembre 2018, lorsque l’affaire resurgit, une partie des habitants de Gdańsk exigea le déboulonnage de la statue.

Une sécularisation rampante

En Pologne, les chiffres de la religiosité déclinent depuis le début des années 1990. Ils ont temporairement augmenté en 2005, à la mort de Jean-Paul II, avant de suivre de nouveau une courbe déclinante. Cette chute est lente et inexorable.

Le Cbos[6] sonde la religiosité des Polonais depuis le début des années 1990. Son dernier rapport daté de 2018 montre que la pratique religieuse des Polonais fut stable dans les années 1997-2005 (date de la mort du pape polonais) avant de commencer à décliner. De 2005 à 2018, le nombre de personnes déclarant une pratique religieuse régulière (au moins une fois par semaine) est tombé de 58 % à 49 %. Celui des personnes déclarant une pratique irrégulière atteint aujourd’hui 38 % contre 33 % en 2005. De plus en plus de Polonais déclarent une absence de pratique religieuse. Depuis 2005, ce pourcentage est passé de 9 % à 13 %, ce qui illustre une perte de confiance dans les principes édictés par l’Église catholique polonaise.

Le Cbos a également étudié comment les Polonais jugeaient la situation de l’Église catholique polonaise avant et après la première du film Kler, le 28 septembre 2018. En quelques semaines, de nombreux Polonais ont changé d’avis. 65 % d’entre eux considéraient, en septembre 2018, que la situation de l’Église était bonne et 27 % mauvaise. En octobre, le premier résultat est tombé à 58 % et le second est monté à 37 %. Ces sauts sont considérables : une tendance à la sécularisation s’est matérialisée au fil des années, mais aussi en quelques mois.

Les études de l’Office général des statistiques de 2015 révèlent que près de 93 % des Polonais déclaraient une allégeance à la religion catholique. À la campagne, ce chiffre atteignait 96 % et dans les grandes villes seulement 83, 5 %. Parmi eux, 49 % se rendaient au moins une fois par semaine à l’église. Mais la différence était importante entre la campagne où 59 % des personnes allaient à la messe et les villes où ce chiffre ­n’atteignait que 31 % (moins d’une personne sur trois).

Le site d’information oko.press a lui aussi analysé (grâce à un sondage commandé à l’institut Ipsos) la relation des Polonais à l’Église. En août 2018, il a demandé si les messes devaient faire partie des cérémonies publiques : 50 % des personnes sondées ont répondu par la négative. Un peu moins (45 %) ont certes répondu par l’affirmative, mais c’est ­l’ampleur du refus qui étonne, sachant qu’indépendamment du pouvoir en place (l’ultra-catholique PiS ou la guère moins catholique PO), les messes ont toujours fait partie des cérémonies publiques. Ce fait ne plaît pas à la moitié des Polonais. Il ne fait par ailleurs aucun doute que les électeurs du PiS ont massivement répondu « Oui » à cette question.

La société polonaise demeure beaucoup plus religieuse que les sociétés occidentales. Le rôle de l’Église pendant le communisme et la personnalité de Jean-Paul II lui ont offert une position pérenne, notamment à la campagne. Au contraire de ce que l’on voit dans les pays d’Europe occidentale, la foi et l’institution de l’Église catholique offrent toujours un sanctuaire inattaquable.

Mais une opposition prend – lentement – de l’ampleur. Les protestations contre les amendements dictés par l’Église ont engendré de nombreux mouvements citoyens, tels que la Grève nationale des femmes, qui luttent sur le front de la séparation entre l’Église et l’État. Des formes inédites de lutte ont vu le jour : manifestations devant les curies, expositions de chaussures d’enfants devant les églises en mémoire des victimes de pédophilie, panneaux publicitaires anticléricaux. Le pouvoir du parti Droit et justice (PiS) peut paradoxalement renforcer cette vague de refus et accélérer la sécularisation de la société polonaise.

Traduit du polonais par Alexandre Dayet

 

 

 

[1] - Accident de l’avion présidentiel polonais survenu le 10 avril 2010 pendant l’atterrissage sur la piste de l’aéroport russe de Smolensk-Severny : 96 personnes moururent, dont le président en exercice Lech Kaczyński et des personnalités de la scène politique polonaise (de droite et de gauche).

 

[2] - Le gouvernement de la Plateforme civique (PO), préalablement au pouvoir.

 

[3] - Le concordat et la Constitution polonaise définissent précisément le cadre de la séparation de l’Église et de l’État. Le concordat souligne qu’État et Église sont indépendants l’un de l’autre et autonomes. L’article 25 de la Constitution stipule que « les autorités publiques de la République polonaise demeurent neutres dans les questions de religion, d’opinion et de philosophie et garantissent leur liberté d’expression dans la vie publique ».

 

[4] - La Pologne vit actuellement sous la loi de 1993, dite de «  compromis  », l’une des législations les plus restrictives d’Europe, laquelle ne prescrit que trois cas d’interruption volontaire de grossesse : lorsque la vie ou la santé de la mère sont menacées, lorsque la grossesse a été provoquée par un viol et en cas de forte probabilité de malformation grave et irréversible du fœtus. Son application est cependant problématique : de nombreux médecins ou hôpitaux font valoir leur clause de conscience pour envoyer les patientes dans d’autres centres médicaux et tenter d’empêcher l’avortement en retardant l’opération. Les établissements médicaux publics pratiquent légalement chaque année en Pologne de 1 000 à 1 100 avortements.

 

[5] - Voir Jean-Yves Potel, Kler, Esprit, décembre 2018.

 

[6] - Cet institut polonais de sondages dépend de la République polonaise. Le conseil d’administration du Cbos accueille des spécialistes de sept institutions universitaires ainsi que des représentants de la Diète, du Sénat, du président de la République et du Premier ministre. Malgré ces liens avec le pouvoir, le Cbos est réputé objectif.

 

Magdalena Chrzczonowicz

Sociologue et anthropologue, membre de la direction d’OKO.press, elle a notamment travaillé pour l’Ong ­Humanity in Action et publié dans Res Publica Nowa.

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