Iran, la république contre Dieu
Absent des « printemps arabes », l’Iran avait pourtant préfiguré la volonté de changement, à travers les manifestations de juin 2009 contre la confiscation des élections. Le mouvement de contestation a su rester pacifique et a mis en évidence le décalage entre légitimité populaire et légitimité islamique, censées aller de pair dans le régime de Téhéran.
Nombreux sont les commentateurs en Occident qui ont donné aux soulèvements populaires au Moyen-Orient et au Maghreb le nom de « printemps arabe ». La référence évidente est le « printemps de Prague » de 1968, c’est-à-dire la période pendant laquelle la Tchécoslovaquie a profité d’un bref intervalle de réformes démocratiques avant d’être écrasée par les chars russes. Pourtant, les protestations soufflant le vent de la liberté autour du Moyen-Orient ont peu à voir avec ce « printemps de Prague », si ce n’est que, de la même manière qu’en Europe de l’Est, les réveils démocratiques récents au Moyen-Orient ont à nouveau démontré que la société civile peut aider à fournir l’espace d’indépendance nécessaire à la formation de ce qu’Isaiah Berlin appelait la « liberté négative ». Ce qui a uni les Tunisiens, les Égyptiens, les Syriens et les Iraniens dans leurs soulèvements démocratiques, c’est la liberté de l’intervention politique et la lutte contre la concentration de pouvoir arbitraire. Dans chacun de ces bouleversements, on a vu des jeunes gens qui n’hésitaient pas à risquer leur vie pour faire tomber des gouvernements corrompus qui n’avaient aucune intention de leur préparer un avenir libre et prospère.
Mais, si nous examinons de plus près la façon dont ces jeunes arabes ont formulé leurs revendications démocratiques – directement et sans passer par le filtre des partis politiques –, il est clair que le printemps arabe a commencé en Iran au mois de juin 2009, avec le Mouvement Vert. Ensuite, comme par un effet de retour, les révoltes en Tunisie et en Égypte ont énergisé à nouveau la société civile iranienne, l’aidant à devenir plus ferme et plus décidée dans ses revendications de démocratisation. Après trois années marquées par l’emprisonnement, la torture, l’exécution de jeunes iraniens et la mise en résidence surveillée des figures clés de l’opposition, l’ampleur du désenchantement et du mécontentement dans les villes iraniennes présente un contraste profond avec les affirmations lénifiantes du gouvernement, qui se réclame du soutien populaire. Malgré l’incarcération de Mir Hossein Moussavi et de Mehdi Karoubi, la voix de la protestation ne s’est pas éteinte en Iran. Certes, la réponse officielle aux protestations a été dure. La télévision d’État a stigmatisé les protestataires comme « des hypocrites, des monarchistes et des voyous » et les législateurs iraniens ont même formulé une demande pour l’exécution des dirigeants de l’opposition. Pendant ce temps, le régime iranien continue à dévoiler ses divisions sur les problèmes de politique nationale et internationale, tandis que les Gardiens de la révolution poussent à une répression encore plus violente.
L’Iran en proie aux luttes de pouvoir
Créé au lendemain de la révolution de 1979 pour défendre la République islamique contre les menaces domestiques et étrangères, le corps des Gardiens de la révolution (les Pasdaran) a un statut privilégié dans la société iranienne. Les membres ordinaires des Pasdaran sont admis dans les universités sans passer par le concours d’entrée et les dirigeants ont accès au monopole des télécommunications en Iran. Dans la pyramide du pouvoir, les Pasdaran rivalisent fréquemment avec les autres organes de sécurité, comme le ministère du Renseignement et le ministère de l’Intérieur. Cette rivalité a été facilitée par la structure complexe du système politique iranien, qui alimente des concurrences mafieuses entre les différentes factions idéologiques du pays.
En 2005, avec l’élection de Mahmoud Ahmadinejad (longtemps affilié lui-même aux Gardiens de la révolution), l’influence des Pasdaran a grandi. La répression des protestations postélectorales de juin 2009 a été perçue par beaucoup comme le commencement de la consolidation d’un État militaire n’ayant plus que les apparences d’une théocratie. L’une des conséquences directes de ce développement, c’est que les Pasdaran disposent à présent de tous les moyens pour faire face à ceux qui, réellement ou potentiellement, constituent une menace pour la stabilité de la République islamique, et pour les soumettre. Ainsi la lutte de la société civile contre l’État en Iran semble beaucoup plus dure et sanglante que celles menées par les Tunisiens et les Égyptiens. Le régime iranien s’est montré en effet bien plus impitoyable et systématique que Ben Ali et Moubarak dans sa manière de réprimer ses adversaires. Il a aussi une plus forte base idéologique que les régimes arabes dans la région du golfe Persique. La plupart des dirigeants iraniens souffrent d’un excès de confiance populiste créant l’illusion qu’ils représentent légitimement leur pays et ont le droit de gouverner selon leurs convictions religieuses. Par exemple, dans la plupart des discours de Mahmoud Ahmadinejad, on trouve des références au douzième imam caché du chiisme iranien, censé revenir un jour pour gouverner le monde. Ahmadinejad a également annoncé son intention de retrouver l’esprit des débuts de la révolution islamique, pour ranimer les valeurs révolutionnaires.
Cependant, une division profonde sépare aujourd’hui les supporters d’Ahmadinejad, représentés par son directeur de cabinet, Esfandiar Rahim Mashaei, et les ecclésiastiques et militaires proches du Guide, Ali Khamenei. La lutte pour le pouvoir entre ces deux camps a commencé en avril 2011, quand Ahmadinejad a congédié son ministre des Services de renseignements, Heidar Moslehi (un ecclésiastique auparavant conseiller du dirigeant suprême), qui avait apparemment demandé à ce que le téléphone de Mashaei soit surveillé. À la suite de cet incident, Ahmadinejad a critiqué l’entourage de l’ayatollah Khamenei, dressant une longue liste d’accusations. Étrangement, les mêmes personnalités cléricales et militaires qui avaient soutenu l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009 accusent le président iranien d’essayer de miner les principes islamiques du pays. Beaucoup de conservateurs demandent le départ de Mashaei, parce qu’il défend ouvertement l’idée d’un système islamique sans pouvoir clérical. Ainsi, aujourd’hui en Iran, la lutte pour le pouvoir se joue entre les conservateurs et les « principalistes » pragmatiques. Parmi ces derniers, ceux qui avaient soutenu Ahmadinejad pendant les élections présidentielles le désapprouvent à présent parce qu’ils craignent une dérive séculariste et nationaliste du régime inspirée par les vues peu orthodoxes de Rahim Mashaei. Les acteurs de la crise actuelle du gouvernement iranien sont donc principalement le président, ses conseillers et ses ministres, d’une part, et de l’autre les principalistes qui se trouvent dans les rangs des Pasdaran et du parlement. L’affrontement entre Khamenei et Ahmadinejad s’est récemment concrétisé lors du premier tour des élections législatives, en mars 2012 : les partisans du Guide suprême ont obtenu la majorité des sièges, au détriment du camp du président. Ces élections, les premières depuis la présidentielle contestée de 2009, ont révélé que la contestation du régime demeure. À l’exception de Mohammad Khatami, la plupart des dirigeants du mouvement réformiste ne se sont pas déplacés. De plus, la victoire des partisans de Khamenei confirme les divisions grandissantes qui existent au sommet de l’État. Le grand ayatollah est en effet parvenu, ces dernières années, à créer autour de lui un véritable culte de la personnalité qui a trouvé un grand écho parmi les groupes paramilitaires iraniens, notamment les Pasdaran, qui au cours des dernières décennies sont devenus une véritable force sur le plan social et économique, dont le degré de contrôle sur la société iranienne est inégalé. Mahmoud Ahmadinejad ne peut se permettre de perdre leur soutien1.
Un pays, deux souverainetés
Le face-à-face entre le président iranien et le Guide de la révolution dérive de la double souveraineté inscrite dans la constitution de la République islamique d’Iran. Le texte donne la prédominance à la charia, fondée sur la volonté divine, mais incorpore en même temps le principe républicain de souveraineté populaire. Cette double volonté, à la fois divine et humaine, a produit de nombreuses contradictions, notamment entre le pouvoir législatif et l’autorité du juriste-théologien (velayat-e-faqih), qui permet au Guide suprême de gouverner indirectement, en imposant son veto.
La Constitution iranienne cache, donc, en réalité deux constitutions : l’une, qui met l’accent sur l’autorité du peuple et ses institutions comme le Majlis (le parlement) et l’autre qui affirme et pratique le droit divin. Elle est un hybride curieux d’éléments théocratiques et démocratiques. Les articles 1 et 2 de la Constitution iranienne enracinent le fondement de la souveraineté dans le principe du divin, mais l’article 6 insiste sur la nécessité du mandat de la volonté populaire dans l’élection du président ou du parlement. Ainsi, tout débat sur la structure du pouvoir en Iran et sur la lutte des factions revient à la manière dont cette dichotomie est perçue et pratiquée. Ce qui veut dire que la politique dans la République islamique d’Iran est caractérisée par la compétition féroce entre les organes de pouvoir. Le sommet de la pyramide est le bureau du Guide suprême, qui est actuellement tenu par l’ayatollah Ali Khamenei. Le Guide suprême est responsable de la gestion et du contrôle de la politique générale de la République islamique d’Iran, ce qui signifie qu’il règle le ton et la direction de la politique intérieure et étrangère. Il est le commandant en chef des armées et il contrôle le service des renseignements et de la sécurité. Il a le pouvoir de nommer et de congédier le chef du pouvoir judiciaire, le directeur de la radio et de la télévision nationale et le commandant en chef du corps des Gardiens de la révolution. Il nomme également six des douze membres du conseil des Gardiens, qui interprète la constitution et détermine si les lois adoptées par le parlement sont en accord avec elle. Le conseil examine aussi la légitimité des candidats lors des élections présidentielles et parlementaires. Lors des dernières élections présidentielles en Iran, sur plus de deux mille candidats, huit seulement ont été autorisés à se présenter. Il faut aussi mentionner l’Assemblée des experts, qui comporte quatre-vingt-six membres du clergé chiite, élus pour huit ans, souvent comparée au Collège des cardinaux choisis par le pape et chargés de l’assister.
L’élection de Mohammad Khatami comme président de la République islamique en 1997 avait marqué une nouvelle phase dans l’évolution de la lutte pour le pouvoir en Iran. Elle avait été une étape positive dans la transition à la souveraineté populaire, mettant l’accent sur le soutien de la jeune génération et sur la réalité du pluralisme politique. La jeunesse d’Iran avait donné à Khatami sa victoire-surprise ; les jeunes femmes iraniennes, notamment, avaient vu dans la personnalité politique de Khatami un agent du changement social et politique. Quant à Khatami, il avait utilisé le vocabulaire islamique et les symboles nationalistes pour articuler un nouveau discours de gouvernance en Iran, fondé sur la souveraineté populaire. L’élection de Khatami et ses huit années de présidence ont popularisé le discours de la démocratie en Iran tout en renouvelant le débat sur la démocratisation dans ce pays. La présidence de Khatami a transformé l’Iran en termes sociaux, politiques et économiques, mais n’a pas réussi à créer ou à consolider des institutions permanentes capables d’empêcher un retour en arrière. Ainsi après huit années du gouvernement de Khatami, la société iranienne était plus que jamais polarisée et les jeunes iraniens avaient perdu de leur optimisme.
Ahmadinejad au pouvoir : la fin d’un régime ?
Malgré cela, la victoire de Mahmoud Ahmadinejad a pris tout le monde par surprise, projetant l’Iran dans une nouvelle ère de conservatisme politique. Nombreux étaient ceux qui avaient cru en la victoire de Hashemi Rafsandjani à ces élections. Mais celle sans précédent d’Ahmadinejad et des paramilitaires iraniens a permis le contrôle total des institutions de pouvoir, électives ou non, par les ultraconservateurs iraniens.
Dès son arrivée au pouvoir, Ahmadinejad s’est présenté à l’opinion publique mondiale comme un aventurier populiste qui voulait attirer le monde musulman par un ton agressif à l’égard d’Israël et un discours niant la réalité de la Shoah. Mais Ahmadinejad s’est montré plus qu’un simple politicien réactionnaire ; il s’est également présenté comme un missionnaire messianique autoproclamé. Le président iranien est en effet un disciple de l’ayatollah Mesbah-Yazdi, un obscur ecclésiastique qui dirige la société des Hojjatieh, considérée par beaucoup comme un groupe d’illuminés. Les membres d’Hojjatieh, utilisés au départ, dans les années 1950, comme un outil politique contre les Bahaïs, ont été renvoyés à une semi-clandestinité par l’ayatollah Khomeiny au début de la révolution. En tant que dirigeant de Hojjatieh, la vision du monde de Mesbah-Yazdi est celle de l’exclusion de l’Autre accompagnée d’une forme virulente d’anti-occidentalisme et d’antidémocratisme. Dans ses écrits et ses discours publics, il prêche, entre autres, l’abandon du suffrage universel, la censure de la presse d’opposition, l’emprisonnement des dissidents et l’islamisation forcée des universités iraniennes. Il faudrait ajouter à ces idées la conviction profonde de Mesbah dans sa défense du dogme du retour imminent de l’« imam caché », ou Mahdi. C’est d’ailleurs, ce qui a été répété par Ahmadinejad lors d’une réunion de dirigeants religieux iraniens au mois de novembre 2005 : « La mission principale de notre révolution, a-t-il déclaré, est de préparer le chemin à la réapparition du douzième imam, le Mahdi… Aujourd’hui, nous devrions définir nos politiques économiques, culturelles et politiques par rapport à la politique de retour de l’imam Mahdi. »
Ahmadinejad a été élu après une campagne populiste mettant l’accent sur la corruption économique et la pauvreté, mais après six années de mauvaise gestion il se trouve parmi les premiers en Iran à être critiqué par la population pour sa politique économique. Cette désapprobation est aussi venue du camp conservateur qui commence à mettre en doute ses capacités de gestion politique du pays aux élections présidentielles de 2009. Disons-le sans détour : l’Iran d’aujourd’hui ressemble beaucoup à l’Union soviétique dans ses derniers jours. Ce qui signifie non seulement que toutes les tentatives de réforme du système iranien ont échoué mais aussi que l’idéologie dominante du régime a perdu de plus en plus le soutien populaire et que les acteurs civiques en Iran comme la jeunesse, les intellectuels et les femmes cherchent des marges de manœuvre pour désobéir au gouvernement. Ainsi, malgré la violence généralisée pratiquée par les autorités de Téhéran et l’espace restreint des libertés publiques, cette résistance peut déboucher à tout instant sur une escalade de protestation civile à travers tout le pays.
N’oublions pas que l’existence de deux conceptions incompatibles et contradictoires de la souveraineté, pouvant chacune faire valoir une légitimité réelle, a toujours été un point de dispute dans la politique iranienne. Ainsi, elle continue à déterminer les contours idéologiques de la lutte politique pour le pouvoir. La crise qui a suivi les élections présidentielles iraniennes au mois de juin 2009 trouvait ses racines dans cette quête populaire en vue de la démocratisation de l’État et de la société en Iran. Mais il y a un autre facteur qui distingue la crise politique actuelle des exemples précédents de factionnalisme politique et des luttes internes pour le pouvoir en Iran. Depuis 1979, la cadence politique iranienne a été caractérisée par une division entre les « conservateurs » d’un côté et ceux qui croyaient en la réforme du système politique iranien de l’autre. La victoire écrasante de Khatami au mois de mai 1997 a donné un nouveau souffle à la faction réformiste qui avait émergé au début des années 1990 après la fin de la guerre Iran-Irak et la mort de l’ayatollah Khomeiny. Celle-ci était composée de centristes et d’éléments de la gauche islamique qui ont occupé le devant de la scène politique en Iran pendant la présidence d’Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, en mettant temporairement en échec leurs adversaires conservateurs. Mais avec la victoire de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, les ultraconservateurs iraniens ont entrepris une réorganisation du pouvoir par une mainmise totale sur l’appareil militaro-sécuritaire de l’État. Cela dit, les luttes internes entre les différentes factions du système iranien au cours des trente dernières années ont provoqué l’éclatement du pouvoir central, avec pour conséquence la faillite de l’économie, la pauvreté et la corruption.
Malgré la gravité de la situation politique, la plupart des Iraniens ne s’intéressent pas aux luttes internes qui agitent les élites révolutionnaires. Ce qui les préoccupe, c’est la détérioration de la situation économique du pays, la montée des prix et du chômage. Celui-ci tourne officiellement autour de 11 %, mais certaines sources non gouvernementales l’estiment plutôt autour de 20 % pour l’année 2011. Selon le Fmi, l’Iran compte la plus importante fuite des cerveaux au Moyen-Orient. Chaque année, plus de 180 000 Iraniens qualifiés quittent le pays pour chercher des emplois en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi pour échapper aux mesures répressives imposées contre les étudiants et les jeunes par le gouvernement iranien. À cela il faut ajouter la hausse des factures d’électricité et d’eau, moins subventionnées que les années précédentes. Bien que la hausse des prix du pétrole fournisse une garantie à court terme au gouvernement iranien, elle est loin de pouvoir arrêter le mouvement de désintégration de l’économie iranienne. Selon l’agence de presse Fars, le budget 2010 a été déficitaire, à hauteur de près de 15 milliards de dollars. Le prix de la nourriture, en revanche, a augmenté en moyenne de 25 % (97, 6 % pour les œufs, 43, 5 % pour les fruits, 13, 4 % pour le riz, 9, 6 % pour le sucre, etc.). Il est clair que cette situation économique pourrait non seulement aggraver les tensions au sein de la classe politique iranienne, mais aussi mettre fin à la légitimité du régime. Autrement dit, le régime iranien fait face à la crise de légitimité la plus grave depuis sa fondation. En vérité, la répression violente contre la société civile iranienne a érodé l’image du régime comme avant-garde de la résistance contre les oppresseurs dans le monde musulman. Les révoltes récentes contre les dictatures dans les pays arabes étaient plus synchronisées avec le rythme des manifestations non violentes de Téhéran qu’avec les actions violentes des Basiji.
Le régime iranien a fondé une bonne partie de son action internationale sur l’image d’une République islamique vertueuse et égalitaire face aux régimes arabes corrompus de la région ; pourtant, les politiques antidémocratiques du gouvernement d’Ahmadinejad ont balayé sa légitimité en tant que régime « populaire » et « islamique ». Ainsi, comme dans le cas de l’Égypte et de la Tunisie, le régime iranien risque un youthquake (séisme jeune) considérable, sachant que deux tiers de la population iranienne est âgée de moins de trente ans.
En affirmant le principe républicain de la souveraineté populaire, le Mouvement Vert a opposé une contre-légitimité à la théocratie iranienne. S’il a dû faire face à une situation d’échec politique, celle-ci n’a pas été pour autant une défaite éthique : la société civile iranienne continue à compter sur sa stratégie non violente comme sur un capital moral. Ce que le Mouvement Vert a accompli d’une manière éthique et démocratique, c’est exposer distinctement les faiblesses intellectuelles et les brutalités politiques du régime islamique. À partir de là, tout peut se jouer selon un processus d’attente, préparant la prochaine occasion pour le Mouvement Vert de faire sentir sa présence face au régime.
À cela il faut ajouter la revendication urgente du respect des droits de l’homme en Iran, formulée par les différents membres du mouvement démocratique iranien. Au contraire de ce que l’on a pu voir lors de la révolution iranienne de 1978-1979, cette revendication, ce rappel à la dignité des individus, sont formulés en Iran dans un cadre non idéologique, non hiérarchique et non violent, ce qui constitue à la fois leur faiblesse et leur force. Reste que, comme dans le cas de tous les autres mouvements démocratiques de la région, le mouvement iranien pour la démocratie est plus ou moins sans leader politique et, semble-t-il, entièrement fidèle à une stratégie de résistance non violente. Ainsi, la question demeure de savoir si le système politique iranien a la capacité d’être réformé d’une manière pacifique ou par une série de manifestations populaires appelant au changement radical. Dans les deux cas, la démocratie reste l’horizon indépassable de l’avenir politique de l’Iran.
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Philosophe, actuellement professeur à l’université de Toronto. Il est notamment l’auteur de Gandhi. Aux sources de la non-violence, Paris, Le Félin, 1998 et de Penser la non-violence, Paris, Unesco, 1999.
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Pour un développement sur ces récentes élections, et les transformations de l’image de l’Iran sur la scène internationale ces dernières années, voir Ramin Jahanbegloo, “Which Iran is the World Dealing With?”, Indian Express, 18 février 2012 (http://www.indianexpress.com /news/the-iran-reality-check/913492).