
La Chine sous contrôle de François Bougon
Dans cet excellent petit livre, le journaliste François Bougon (qui a été longtemps correspondant de l’Afp à Pékin avant de rejoindre Le Monde), développe la thèse selon laquelle la répression sanglante du mouvement de Tiananmen en 1989 n’était pas le prodrome d’une chute inéluctable du régime, mais au contraire la « préfiguration » de la Chine d’aujourd’hui.
Son récit commence sur la place Tiananmen, « centre sacré » du pouvoir dont l’histoire est retracée à travers différents moments, des manifestations de 1919 aux défilés de Gardes rouges de 1966, puis des manifestations du 5 avril 1976, commémorant Zhou Enlai et critiquant Mao, « prélude » selon l’auteur à la tragédie de 1989. Comme en 1976, les événements de 1989 commencent par une mort, celle de Hu Yaobang, qui exacerbe les tensions entre réformateurs et conservateurs au sein du Parti. Alors que les étudiants rattachent leur mouvement à la mémoire du 4 mai 1919, le Parti cherche à les assimiler aux Gardes rouges de 1966. Pour éclairer les décisions menant à la répression, l’auteur reprend en grande partie le récit des Archives de Tiananmen et des mémoires de Zhao Ziyang, tout en citant également un entretien de Bao Tong, ancien conseiller de Zhao, qui estime que Deng était surtout mû par son intérêt personnel.
Le livre développe une analogie intéressante avec la répression de la Commune de Paris, référence bien connue de tous les étudiants chinois, en tant que mise en scène d’une violence d’État, suivie par un blocage complet de l’information, sur lequel se construit un nouvel ordre politique : « Du massacre est né un régime plus robuste, plus efficace et plus cohérent que jamais. Un voile s’est posé sur les aspirations libérales de la société. » Contrairement à ce qu’ont pensé les dirigeants occidentaux, le régime a su retrouver une légitimité, y compris sur le plan idéologique : l’auteur souligne ici le rôle de Wang Huning, ancien universitaire parvenu au sommet du pouvoir avec Xi Jinping[1]. Cette réussite permet au régime de jouer désormais un rôle offensif jusqu’aux portes de l’Europe, profitant, estime l’auteur, des faiblesses idéologiques des démocraties.
Il est certainement vrai que le Parti communiste chinois a fait preuve d’une grande habileté dans l’après-Tiananmen pour retrouver sa légitimité, notamment par ses succès économiques et par une décennie de détente politique après la mort de Deng (1997-2007). La répression qui a commencé avec le tournant de 2008 (les Jeux olympiques, la crise économique mondiale, le soulèvement de Lhassa) n’a pas profondément remis en question la légitimité du Parti auprès de larges couches de la population. On soulignera toutefois que certains des problèmes profonds qui ont mené à la crise de 1989 n’ont jamais été résolus. Xi Jinping s’est attaqué à la corruption, mais le problème de la succession au sommet de l’État, aigu en 1989, a été ravivé par la réforme constitutionnelle de 2018 (abolition de la limite de deux mandats pour le président) et l’absence de successeur désigné pour Xi. De même, le problème des inégalités au sein de la société n’a fait que s’exacerber depuis 1989. À la différence de la République de Mac-Mahon, le régime chinois n’a pas su institutionnaliser les libertés publiques fondamentales après la répression. Il reste donc à voir dans quelle mesure l’alliance entre croissance économique et répression des libertés peut représenter une véritable alternative politique aux démocraties libérales.
[1] - Voir François Bougon, Dans la tête de Xi -Jinping, Arles, Solin/Actes sud, 2017.