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L’inscription territoriale des lois

novembre 2008

#Divers

Le mouvement de globalisation économique s’accompagne d’un processus de déterritorialisation des lois. Mais l’indifférenciation des lieux n’apparaît pas plus viable que l’ancien système strictement interétatique. Il faudra pourtant retrouver le sens de la mesure et des limites pour rester dans un monde vivable.

Dans le vocabulaire juridique, la notion d’espace n’était pas jusqu’à une date récente une abstraction cartésienne, susceptible de s’appliquer à toute espèce de lieu. Son emploi était réservé aux parties du monde qui, n’ayant pas de limites discernables et étant impropres à la vie humaine, ne peuvent être durablement occupées : les mers et les océans, les airs et l’univers interstellaire. Couramment employées, les notions juridiques d’espace aérien ou spatial, maritime ou océanique, se trouvent toujours définies par opposition à la Terre. Cette dernière en revanche n’était pas appréhendée par le Droit comme un espace abstrait, mais comme un entrelacs de territoires, de domaines (public ou privés), de régions ou de pays, de ressorts, parfois de sites ou de zones (soumises à des règles dérogatoires). C’est l’Union européenne qui la première s’est définie juridiquement comme un « espace de liberté, de sécurité et de justice », sans limites discernables, et non plus comme un territoire ou un ensemble de territoires aux frontières clairement identifiables. Fait significatif : c’est seulement dans le contexte de la création d’un « marché unique » que la notion d’espace a commencé d’être employée pour désigner la terre et non pas seulement le ciel ou les océans. Cette indifférenciation des lieux va de pair avec le projet d’un droit global, qui s’affirmerait indépendamment des ordres juridiques territoriaux1.

Il est permis de s’interroger sur le sens et l’avenir de cette aspiration contemporaine à un ordre juridique spatial, libéré de tout ancrage territorial. Le lieu de la civilisation, au sens juridique premier du mot civilisé (soumis à l’empire du droit civil), n’a à ce jour jamais été l’espace, par nature informe, des mers ou des airs, mais toujours la terre ferme. Civiliser l’espace, c’est toujours le rapporter à des mesures terrestres et lui donner ainsi tout à la fois un être et une forme. Forma dat esse rei (la forme donne son être à la chose2) : ce vieil adage du droit romain rend déjà compte du geste inaugural qui, dans toutes les mythologies, marque la naissance ou la renaissance du monde, en faisant surgir de la surface des eaux, les « eaux supérieures » du Ciel puis, entre Ciel et océan, la terre ferme. Ce geste fondateur est un geste normatif, qui assigne au monde ses limites premières et rend ainsi possible la mesure des choses. Limiter et mesurer sont les deux faces indissociables de l’activité du juriste comme du géomètre, ces deux figures se rejoignant dans celle de l’arpenteur qui, mesurant la terre, délimite ce qui revient à chacun et ce qui est commun à tous.

Ainsi le monde devient-il habitable, dans les sens multiples que charrie ce mot dérivé du latin habere (avoir, se tenir3). Habiter le monde, c’est s’y tenir en lieu sûr, y avoir son habitation. Pour cela, il faut lui donner forme, le revêtir d’habits humains, par des paroles qui nomment la plus infime de ses parcelles, et par des gestes qui y façonnent les paysages. Pour cela, il faut aussi se conformer à des habitudes communes, qui règlent la vie des habitants et tiennent compte de leur milieu écologique. Le monde habitable est celui dans lequel le rapport des hommes à la terre est institué par des règles qui assignent à chacun une place vivable.

Dans la tradition occidentale, ces règles participent de ce qu’on appelle le Droit, et qui englobe aussi bien les lois pénales et administratives que les lois civiles. Comme toutes les civilisations issues des religions du Livre, cette tradition porte en elle l’idéal d’une Loi surhumaine, intemporelle et universelle qui, s’appliquant à tout homme et en tout lieu, pourrait ignorer la diversité des territoires. Mais le Droit moderne s’est construit sur un renoncement à cet idéal et sur l’inscription territoriale des lois. Répondant implicitement aux quolibets de Pascal sur les limites géographiques des lois humaines (« Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »), Montesquieu affirmait ainsi leur nécessaire relativité en introduction de son Esprit des lois :

Elles doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs, elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leur richesse, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières4.

Dans les temps modernes, cette inscription territoriale des lois s’est trouvée liée à un ordre juridique qui faisait de l’État la clé de voûte des institutions. Le monde se présente alors comme un pavage d’États souverains, rivaux dans le tracé de leurs frontières, le contrôle des mers et la colonisation des pays d’outre-mer, mais qui se reconnaissent mutuellement le droit d’imposer leur loi sur leur territoire national. Carl Schmitt a fait la théorie de cet ordre international dans son Nomos de la terre, en même temps qu’il en a diagnostiqué le progressif délabrement5. Mais son nazisme l’a empêché de voir les causes profondes de la crise de cette organisation étatique du monde. Il l’attribue à la montée en puissance des États-Unis et au pacifisme abstrait des fondateurs de la Société des Nations, sans s’arrêter au retour de la croyance en des lois universelles et intemporelles, qui est la marque des grandes idéologies contemporaines, dont le national-socialisme et sa théorie du Lebensraum. Fondées sur des certitudes scientistes, ces idéologies sont portées à récuser toute idée de limite et de mesure humaine.

Le droit, disait Hitler, est une invention humaine. La nature ne connaît ni le notaire, ni le géomètre arpenteur. Dieu ne connaît que la force6.

Si l’on peut parler ici de retour de la croyance en des lois surhumaines, c’est qu’à l’instar des lois divines, les lois qui se réclament de la Science ne s’accommodent pas des frontières constitutives des États et que leur empire transcende toute espèce de limite territoriale. Tout comme celle des dogmes de l’Église catholique, proclamant qu’elle n’a pas de territoire7, la vérité prêtée aux « lois » de l’économie, de la biologie ou de l’histoire s’étend à toute la surface du globe. Toutefois, contrairement aux lois religieuses qui unifiaient l’Europe médiévale, les lois universelles qui sont invoquées de nos jours sont immanentes et non transcendantes. Elles ne se réclament pas du Ciel, mais de la Nature des choses et des hommes. Ce sont la biologie, l’économie ou l’histoire qui sont convoquées pour affirmer leur autorité sur le monde terrestre. Déjà à l’œuvre au xixe siècle (notamment au plan théorique chez Comte ou Marx et au plan politique dans l’entreprise coloniale), cette normativité scientiste s’est épanouie au xxe siècle sous les espèces de la biologie raciale et du matérialisme historique ainsi que de leurs sous-produits politiques respectifs : le racisme, le darwinisme social et la lutte des classes. La différence de ces variantes du scientisme avec le prosélytisme religieux ne doit pas être oubliée. La foi dans ces lois sans Législateur ne porte pas à convertir, mais à « supprimer les couches parasitaires de la société8 », qui doivent être traitées comme des déchets9 destinés aux « poubelles de l’histoire10 ». Là se trouve sans doute la marque spécifique des massacres déments qui ont accompagné les diverses entreprises impériales qui ont dominé l’histoire du siècle dernier.

Ces empires se sont l’un après l’autre effondrés, et les pays qu’ils tenaient sous leur joug ont tous revêtu les habits de l’État-nation. L’État est donc aujourd’hui la clé de voûte de l’ordre juridique, aussi bien au plan interne qu’international, et c’est sous son égide que l’homme habite aujourd’hui la terre (I). Mais tout le monde sent bien que cet édifice institutionnel est fissuré et que la logique impériale est toujours à l’œuvre. Elle n’a plus le visage d’une puissance localisable qui prétendrait étendre sans cesse l’emprise territoriale de ses lois, mais plutôt celui d’une déterritorialisation des lois, menée au nom de la globalisation du monde (II). Cette déterritorialisation du Droit n’a pas plus d’avenir que la nostalgie d’un ordre purement interétatique. La seule chose certaine est que l’homme est un animal terrien et qu’il lui faudra retrouver le sens de la mesure pour redessiner un monde vivable (III).

I.

Habiter le monde : l’institution des territoires

De même que toutes les cosmogonies font naître le Ciel et la Terre de l’Océan cosmique, de même elles s’accordent sur la substance terrienne de l’être humain. Adam, le premier homme des religions du Livre, tire son nom de la terre rouge (adama) avec laquelle Dieu le façonna et le nom de l’homme lui-même vient du latin humus (terre humide) : l’homme c’est celui qui vient de la terre, et qui est destiné à y retourner, à y être inhumé11. Né de la terre, il est toutefois animé d’un esprit divin, qui l’autorise à prendre possession d’elle, à la modeler à son image et à la féconder par son labeur12. C’est ce second versant – celui de la « prise de terre13 », de sa prise de possession par le travail ou par les armes – qui a largement dominé l’Occident moderne, au prix d’un refoulement de l’appartenance de l’homme à la terre. Cette vision borgne, dont on peut conjecturer l’origine religieuse14, n’aperçoit que l’empreinte de l’homme sur la terre et demeure aveugle à l’empreinte de la terre sur les hommes.

Pour recouvrer une vue complète, il faut prêter attention aux civilisations qui ne sont pas encore devenues aveugles à la dimension terrienne de l’homme15. Celles d’Afrique noire sont sans doute demeurées les plus sensibles à tout ce que les hommes doivent à la terre16, et c’est sur ce continent que l’on trouve les manifestations institutionnelles les plus subtiles de la complexité de leurs rapports. Ainsi dans tous les pays de l’ouest africain, deux magistratures distinctes et complémentaires président aux rapports fonciers : celle du chef du village et celle du « maître de la terre17 ». Cumulant les insignes du pouvoir et marchant toujours chaussé, le chef incarne « le destin d’un être qui par rapport au monde qui l’entoure, aurait choisi de n’avoir d’autre forme de relation que celle qui s’établit entre un chasseur et sa proie18 ». Vivant humblement et marchant pieds nus, le maître de la terre « a pour tâche essentielle d’assurer à chacun comme à l’ensemble du village une relation viable avec la terre19 ». Il préside aux rituels destinés à assurer sa fécondité et tranche les litiges relatifs à son usage ou sa répartition. Face à la figure prédatrice du chef, il incarne l’autorité des pères et la stabilité des liens territoriaux. L’Afrique nous invite ainsi à distinguer, dans nos propres institutions, ce qui attache l’homme à la terre (A) et ce qui lui donne prise sur elle (B).

A) Dans l’ordre juridique, le rattachement de l’homme à la terre continue de se manifester dans le règlement de deux questions fondamentales : celle de son identité, et celle de la détermination des lois qu’il doit observer.

La question de l’identité concerne l’état des personnes et le rattachement territorial s’y trouve à l’œuvre dans ce que l’on appelle aujourd’hui le droit de la nationalité. Le mot vient du verbe « naître », et la nationalité situe chacun de nous, dès la naissance, à l’intersection d’un territoire et d’une filiation. Le droit de la nationalité combine en effet, dans des proportions qui varient selon les pays, la considération du lieu de naissance (jus soli) et celle de la nationalité des parents (jus sanguinis), à quoi il faut ajouter la possibilité d’acquérir ultérieurement une ou plusieurs autres nationalités et d’avoir ainsi des terres d’adoption. Élément de l’identité, au sens juridique du mot, la nationalité est la source d’un statut personnel, c’est-à-dire d’un ensemble non négociable de droits et de devoirs vis-à-vis de l’État ou des États dont on est ressortissant20. Ce statut peut limiter, voire interdire, la circulation des hommes hors du territoire auquel ils appartiennent21. Mais le plus lourd de ces devoirs est de défendre le territoire national et de s’exposer ainsi à « mourir pour la patrie22 ». C’est par millions que les mères patries ont ainsi englouti leurs enfants durant les deux dernières guerres mondiales23.

Le rattachement de l’homme à la terre se présente sous un jour différent lorsqu’il s’agit, non plus de dire qui il est, mais sous quelle loi il vit. Est-il tenu toujours et partout par les lois de sa nation, ou bien doit-il observer les lois du lieu où il se trouve ? La réponse à cette question a fait l’objet en Occident d’une évolution millénaire. L’invasion et la dislocation de l’Empire romain avaient conduit à la cohabitation en Europe de populations qui relevaient de lois différentes. Les nouveaux maîtres barbares étaient régis par leurs coutumes respectives, tandis que les descendants des sujets de l’Empire (et l’Église) demeuraient soumis à une « loi romaine » plus ou moins dégradée. Dans ce système, qui perdura du ve au xie siècle, chacun vit sous sa loi d’origine, c’est-à-dire celle de son ethnie24. Ce principe, dit de la personnalité des lois, s’éroda du fait du brassage des populations et de l’essor de la féodalité, qui conduisit à imposer les mêmes coutumes locales ou régionales, la même loi du territoire (lex loci), à tous les habitants d’une même seigneurie. S’affirma ainsi le principe dit de la territorialité des lois, dont l’essor accompagna celui des États nations25.

La terre se présente alors comme un puzzle d’ordres juridiques distincts, chaque État déterminant souverainement les lois applicables sur son territoire. Mais les frontières qui les séparent ne sont pas étanches et il faut donc décider du juge compétent et de la loi applicable aux situations comportant un facteur d’extranéité. Les règles objectives posées à cet effet forment ce qu’on appelle le droit international privé, lequel en dépit de son nom était jusqu’à une période récente essentiellement interne et différait d’un État à un autre. Dans tous les pays cependant, l’intensité de l’emprise territoriale des lois nationales varie selon la nature des situations qu’il s’agit de régir. Cette emprise est maximale en matière d’immeubles, de responsabilité délictuelle ou de sécurité publique, et minimale s’agissant de régir les échanges internationaux, qui sont par nature susceptibles de rattachement à des territoires différents26.

B) L’emprise de l’homme sur la terre prend en droit moderne deux formes distinctes mais complémentaires : la souveraineté et la propriété. Toutes deux instituent un rapport exclusif entre le Souverain ou le propriétaire et les terres qu’il gouverne ou qu’il possède. Cette exclusivité est tout à fait nouvelle dans la longue histoire du Droit et pourrait bien n’en constituer qu’un épisode passager. Si l’on prend en effet une vue historique et comparative du droit foncier, les droits des hommes sur la terre ont presque toujours et partout dépendu des liens les unissant entre eux ou avec les dieux27. Car l’idée était ancrée que l’être humain, créature terrestre et mortelle, ne peut sérieusement prétendre exercer sur les éléments naturels un pouvoir souverain. Il tient toujours d’autrui son pouvoir sur la terre : d’un maître ou d’un dieu, qui lui en a concédé l’usage et est susceptible de le lui reprendre.

Cette notion de tenure est liée dans l’histoire du droit occidental aux structures féodales qui, à des degrés divers (en France plus qu’ailleurs28), ont dominé la période médiévale29. Dans le monde féodal, ce sont les liens de dépendance entre les hommes qui déterminent leurs droits sur la terre. Cela vaut aussi bien pour l’exercice du pouvoir politique (que le suzerain n’exerce qu’indirectement sur le territoire de ses vassaux), que pour l’exercice du pouvoir économique qui (exception faite des alleux) se trouve partagé entre le domaine éminent du seigneur et le domaine utile du vassal ou du tenancier. La tenure, qu’elle soit noble (le fief) ou roturière (la censive), est toujours une tenure-service, une concession grevée de charges, ce qui conduit à diviser les droits sur une même terre entre plusieurs personnes.

Mais ce type de montage juridique n’est pas propre à la féodalité occidentale, et on en trouve d’autres exemples plus récents. Ainsi dans l’Empire ottoman, les droits sur la terre se divisaient entre les cultivateurs qui lui étaient attachés et avaient – sous réserve de la faire fructifier – certains droits sur elle, des administrateurs régionaux chargés de collecter les taxes sur les récoltes et enfin le Trésor impérial, titulaire d’un droit éminent30. Autre cas, étudié par Jacques Berque : celui des vallées du haut Atlas marocain, lieu de cultures irriguées en terrasses, où c’est une famille qui détient de génération en génération le droit éminent sur chaque parcelle, et peut toujours venir en revendiquer le rachat des mains de leur possesseur31. L’un des traits communs de ces différentes variantes est d’admettre que plusieurs personnes exercent simultanément des droits différents sur un même bien qui, lui, demeure indivisible.

La perspective inverse s’est s’imposée avec le droit de propriété moderne : la terre a cessé d’être perçue comme le lieu de relations entre les hommes, pour être traitée comme une chose soumise à la volonté d’un seul. Renversement de grande ampleur, qui ne pouvait manquer d’avoir un impact considérable sur le modelage des milieux humains, et qui correspond dans l’ordre juridique à ce qu’Augustin Berque appelle d’un point de vue géographique « l’arrêt sur objet32 ».

Comme l’a montré Louis Dumont, l’idéologie économique implique que les relations entre les hommes soient subordonnées aux relations entre les hommes et les choses33. L’économie de marché a besoin de biens propres à l’échange, nettoyés de toute trace de liens personnels. Dans le code Napoléon le rapport direct des hommes avec les choses (objet du Livre II) est ainsi la base des rapports contractuels entre les hommes (régis, avec les successions, par le Livre III). À cette évolution correspond celle qui, dans l’ordre politique, voit s’affirmer la figure de la souveraineté, incarnée par un État garant du respect de la propriété privée. À l’intrication féodale du public et du privé succède leur nette différenciation. Le territoire national juxtapose, sans interstices34, le domaine public, régi par l’État, et les domaines privés soumis à la volonté souveraine de leurs propriétaires respectifs. Le domaine éminent de la puissance publique ne disparaît cependant pas tout à fait. La loi permet l’expropriation pour cause d’utilité publique moyennant indemnisation35 et l’État hérite en dernier ressort des biens en déshérence. De façon plus générale, le droit de propriété ne peut s’exercer que dans le respect des lois36. Son exercice suppose en effet l’existence d’un État souverain qui garantisse que la propriété de chacun soit respectée de tous. Lorsque cette condition vient à manquer, la fiction d’un lien de droit direct et exclusif entre les hommes et les choses n’est plus tenable et ce sont les liens de dépendance entre les hommes qui reviennent au premier plan37.

II.

Globaliser le monde : la déterritorialisation des lois

Les mots « globalisation » ou « mondialisation » sont plus des slogans que des concepts, car ils recouvrent un ensemble hétérogène de phénomènes qu’il conviendrait de distinguer soigneusement. L’abolition des distances physiques dans la circulation des signes entre les hommes est un phénomène structurel, qui procède des nouvelles techniques de numérisation. En revanche la mondialisation du commerce des choses est un phénomène conjoncturel, qui procède de choix politiques réversibles (ouverture des frontières commerciales) et de la surexploitation temporaire de ressources physiques non renouvelables (prix artificiellement bas des transports). C’est la conjugaison de ces deux phénomènes différents qui conduit à réduire l’hétérogénéité des signes et des choses en les rapportant à un même étalon monétaire, c’est-à-dire à les « liquider » au sens juridique du terme38.

La terre n’échappe pas bien sûr à ce processus de liquidation et cesse d’être perçue comme un lieu d’où l’on vient et aux lois duquel on est soumis. Elle ne subsiste que comme objet de propriété, et se trouve comme telle soumise à des lois qui transcendent la singularité des territoires. Ce processus de détachement des lois de leurs racines territoriales n’est évidemment pas achevé (ni achevable, si ce n’est sous la forme apocalyptique d’une liquidation du monde). Mais il conduit à la dislocation des ordres juridiques territoriaux sous l’effet de la double poussée des lois personnelles, qui les minent de l’intérieur (A) et des lois universelles qui les démantèlent de l’extérieur (B).

A) La personnalité des lois a d’abord fait retour dans l’ordre juridique occidental avec la colonisation, qui a maintenu les colonisés sous un statut d’indigénat différent des colonisateurs39. Il a gagné ensuite l’Europe elle-même, lorsque certains États ont fondé l’état des personnes sur leur appartenance raciale. L’Allemagne nazie fut évidemment le principal acteur de cette biologisation de la condition juridique des hommes. Elle n’eut certes pas le monopole du biologisme et des discriminations raciales40, mais elle les conduisit à ses conséquences les plus extrêmes en programmant l’extermination des juifs et en massacrant ou réduisant en esclavage les Slaves qui vivaient sur le Lebensraum qu’elle voulait conquérir. La monstruosité de ces pratiques et l’accès progressif des pays colonisés à l’indépendance, expliquent qu’après-guerre l’idée de statut personnel ait connu un discrédit durable. Elle réapparaît aujourd’hui sous des formes différentes. Au lieu d’être imposé, le statut personnel est revendiqué au nom des libertés individuelles. Et ce n’est plus à la biologie raciale, mais à la génétique que certaines dispositions légales se réfèrent aujourd’hui pour gouverner les hommes.

Le libre choix de son statut est aujourd’hui en plein essor, aussi bien sur le plan des échanges économiques que sur le plan personnel. Dans le domaine des échanges économiques, ce sont les libertés associées au libre-échange (liberté d’établissement, de prestations de services, de circulation des capitaux et des marchandises) qui sont invoquées pour autoriser les investisseurs et les entreprises à se soustraire aux lois des pays où ils opèrent et à en choisir une autre, qui leur est plus profitable. Jadis cantonnée au droit de la mer, la pratique des pavillons de complaisance se répand ainsi sur terre, sous la forme d’un law shopping, qui traite les droits nationaux comme des produits en compétition sur un marché international des normes41.

En Europe, cette orientation est activement promue par la Cour de justice des communautés européennes (Cjce), qui a consacré le droit pour une entreprise d’éluder les règles de l’État où elle exerce toutes ses activités en s’immatriculant dans un autre État dont les règles sont moins contraignantes42. Pour faciliter cette pratique du law shopping, la Banque mondiale classe régulièrement dans le cadre de son programme Doing Business 178 pays (rebaptisés « économies ») en fonction inverse de leurs exigences légales en matière sociale ou fiscale43. La représentation juridique du monde à l’œuvre dans ces évolutions est celle d’un marché des normes ouvert au choix d’individus libres de se placer sous la loi qui leur est la plus profitable. L’instauration de ce marché doit conduire à l’élimination progressive des systèmes normatifs les moins aptes à satisfaire les attentes financières des investisseurs44.

Cet avatar libéral de la personnalité des lois ne se limite pas au domaine économique. Réinventée au xixe siècle dans le contexte du colonialisme, la notion de loi personnelle trouve une actualité nouvelle avec la présence massive dans les pays occidentaux de populations importées pour y travailler à vil prix ou chassées de chez elles par la destruction de leur cadre de vie traditionnel. Face à ce phénomène, les pays occidentaux balancent entre deux politiques : l’assimilation et le multiculturalisme. La première maintient le primat de la territorialité des lois en soumettant tous ses citoyens à un même statut personnel. La seconde réintroduit au contraire la personnalité des lois pour permettre à ces nouveaux citoyens de conserver leur statut d’origine. À la différence des formes anciennes de coexistence communautaire (comme l’indigénat colonial, ou le millet ottoman45), ce multiculturalisme se réclame des droits de l’homme et de la liberté qu’aurait tout individu de choisir son statut personnel. Le premier magistrat d’Angleterre et du pays de Galles, Lord Chief Justice Phillips s’est ainsi récemment fondé sur la liberté reconnue aux parties de soumettre leurs conventions à une autre loi que la loi anglaise (law shopping) pour défendre l’idée que compétence pouvait être donnée dans son pays à des tribunaux islamiques ou rabbiniques46.

Dans ce contexte, les revendications se déplacent du domaine de l’avoir vers celui de l’être, du socio-économique vers l’identitaire et ce ne sont pas seulement les groupes, mais aussi les individus qui entendent devenir leur propre législateur. Au plan collectif, le « droit à la différence » a été invoqué par diverses minorités (ethniques, sexuelles, religieuses) qui excipent de leur qualité de victimes pour se voir attribuer un statut particulier et restreindre le champ de la loi s’imposant à tous les habitants d’un même territoire47. Au plan individuel, c’est le droit au respect de la vie privée qui est invoqué pour faire reculer le principe d’indisponibilité de l’état civil et permettre à chacun de s’identifier lui-même48.

Comme toujours dans l’histoire du droit, la résurgence de structures juridiques anciennes ne signifie pas un retour au passé mais participe de la construction de catégories nouvelles. Sous sa forme individuelle de la « loi pour soi » et du « soi pour loi », la personnalité des lois est l’expression juridique du narcissisme qui caractérise le dernier état de la culture de l’Occident49 et dont l’islamisme n’est à bien des égards qu’une image inversée, ainsi qu’en témoigne ce qu’on appelle dans les pays sunnites la fatwamania et la prétention de n’importe quel immam à s’ériger en législateur50. Narcissisme dévastateur, car il engage dans l’impasse décrite par Pierre Legendre :

Infliger au sujet d’être pour lui-même le Tiers, c’est non pas le libérer, mais l’écraser, transformer politiquement les relations sociales en foire d’empoigne, sous le masque d’un discours de séduction généralisé. L’implicite des nouvelles légalités de facture gestionnaire peut être mis à découvert et je le résumerai ainsi : survive qui pourra51.

L’émergence d’un statut biologique est l’autre face de la version contemporaine de la personnalité des lois. L’idée de fonder la propriété privée de la terre sur les inégalités biologiques est aussi ancienne que le libéralisme économique52. Elle a servi à justifier la colonisation des peuples qui persistaient à voir leur terre comme écoumène53 et non comme marchandise, bien avant que la biologie raciale ne lui fournisse une base « scientifique ». « Nous façonnons la vie de notre peuple et notre législation conformément aux verdicts de la génétique » disaient déjà les nazis54, exprimant ainsi une certitude devenue aujourd’hui lieu commun : les seules lois qui s’imposent aux hommes seraient celles que la science nous révèle. La génétique des populations ayant reculé depuis 50 ans au profit de la génétique biomoléculaire, l’explication par le génome a seulement pris le relais de l’explication par la race dans un discours dont la structure dogmatique demeure inchangée55. Dès lors que la biotechnologie permet d’identifier avec certitude le géniteur d’un mammifère quelconque, les montages institutionnels complexes qui référaient tout être humain à un territoire autant qu’à une filiation et cette filiation elle-même à un état familial plutôt qu’à une « vérité génétique » paraissent frappés d’archaïsme.

C’est ainsi que depuis une trentaine d’années l’idée de « vérité biologique » des filiations s’est répandue à des degrés divers dans les législations européennes56. Elle a rencontré peu de résistance dans les pays qui, comme l’Allemagne, faisaient du jus sanguinis la pierre angulaire de la nationalité57. Les pays attachés, comme la France, au jus soli, se montrent moins enclins à s’en remettre aux éprouvettes pour décider de l’identité des personnes58, mais la pression en ce sens y est forte. Le projet de recourir aux tests génétiques pour contrôler le regroupement familial des immigrés, qui avait été repoussé en 1987, a été adopté en 2007 avec l’aval du Conseil constitutionnel59. Les plus hauts responsables de l’État ne font du reste pas mystère de leur foi dans la détermination génétique des comportements humains, qui appellerait dépistages et mesures préventives60.

Une foi semblable anime les économistes qui cherchent dans la biologie les lois ultimes du monde dont ils ont la vision : monde peuplé d’une poussière de particules contractantes dont le comportement pourrait être expliqué et contrôlé par l’analyse de leurs gènes ou de leur cortex61. L’identification biologique est enfin en passe de supplanter l’état civil dans l’organisation du contrôle des frontières avec la généralisation progressive de la biométrie, qui permet de trier à coup sûr les élites cosmopolites autorisées à circuler sur toute la surface du globe et les migrants chassés par la misère, qu’il faut refouler ou sélectionner au gré des besoins de main-d’œuvre62. Ces deux façons extrêmes – gagnante et perdante – d’habiter le monde global ne doivent pas être confondues avec l’antique figure du nomadisme. Le nomade ne se définit pas par le déplacement : il tient un territoire sans se fixer sur l’un de ses points63, ce qui le rend probablement inassimilable par les catégories issues du droit romain, tout entières fondées sur l’idée d’assigner à chacun sa part. Détachant l’identité de toute référence territoriale, l’identification biométrique se prête en revanche au contrôle des nomades (ou à ce qu’il en reste) au même titre qu’à celui des sédentaires, des migrants ou des managers transnationaux.

B) La croyance en des lois universelles est l’autre facteur de dislocation des droits territoriaux. Elle prend aujourd’hui le visage de la dogmatique économique de la globalisation. À la différence du libéralisme économique classique, qui voyait dans le droit la base institutionnelle de la production et de la répartition des richesses, ce nouveau credo y voit un simple instrument au service de supposées lois immanentes de l’économie. Systématisé en Occident par la doctrine Law and Economics, ce dogme s’accorde à la vulgate marxiste du droit « reflet » de l’infrastructure économique. Il autorise l’hybridation des systèmes capitalistes et communistes et le développement de ce que la Constitution chinoise appelle « l’économie communiste de marché64 ». Ce système hybride emprunte au marché la mise en concurrence de tous contre tous, le libre-échange et la maximisation des utilités individuelles, et au communisme la « démocratie limitée », l’instrumentalisation du Droit, l’obsession de la quantification et la déconnection totale du sort des dirigeants et des dirigés. Il n’est pas propre à la Chine et se répand à des degrés et sous des formes diverses en Europe de l’Est et de l’Ouest65. Il participe de deux manières différentes à la déterritorialisation des lois.

La première et la plus évidente est le démantèlement de toute espèce de limite juridique entravant la circulation des capitaux et des marchandises ou la prestation internationale de services. L’horizon est ici celui d’un Marché total, embrassant tous les hommes et tous les produits de la planète et au sein duquel chaque pays abolirait ses frontières commerciales afin de tirer parti de ses « avantages comparatifs ». Ce programme est clairement exposé dans le préambule de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce (Omc). L’augmentation d’indicateurs économiques quantifiables (taux d’emploi, niveau élevé et toujours croissant (sic) des revenus et de la demande ; accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services) se présente dans ce texte comme une fin en soi, qui doit être atteinte grâce « à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l’élimination des discriminations dans les relations commerciales internationales ».

Cette politique conduit à réduire la diversité des systèmes juridiques nationaux, qui sont invités à se purger de toutes les règles susceptibles d’entraver la libre circulation des capitaux et des marchandises66. Les effets environnementaux de ce démantèlement des frontières commerciales sont considérables67 et ne se limitent pas à la condamnation médiatisée des pays qui interdisent l’importation de marchandises dont le mode de production n’est pas conforme à leurs propres législations environnementales68. Cette dogmatique économique s’étend à la terre elle-même, qui est assimilée à une marchandise et doit être ouverte aux investissements ou à la spéculation immobilière. Selon la Cour de justice des communautés européennes :

L’acquisition d’un immeuble sur le territoire d’un État membre par un non-résident, quels que soient les motifs pour lesquels elle est accomplie, constitue un investissement immobilier qui entre dans la catégorie des mouvements de capitaux entre les États membres. La liberté de ces mouvements est garantie par (le) traité69.

C’est dans le contexte de cette métamorphose de la terre en valeur liquidable sur un marché mondial que la notion d’espace, qui était jadis réservée au droit de la mer, a été étendue au droit de la terre. Ainsi s’explique le fait que l’Union européenne se soit définie, non pas comme un territoire ou un ensemble de territoires délimités, mais comme un « espace sans frontières intérieures » ou un « espace de liberté, de sécurité et de justice70 » ayant vocation à s’étendre à un nombre indéterminé et indéterminable de nouveaux pays membres.

Cette dissolution de la singularité des territoires dans un espace abstrait, mesurable et négociable, rencontre de fortes résistances dans certains pays et n’a pas encore trouvé au niveau mondial une traduction aussi complète qu’au niveau européen71. D’une manière générale le processus de globalisation ne peut bien sûr pas ignorer la diversité concrète des paysages, des milieux humains, des habitudes de vie, des langues, des richesses culturelles et des ressources intellectuelles. À la différence des marchandises (et de tout ce que l’économie de marché assimile à des marchandises, comme le travail, la terre ou la monnaie), leur valeur n’a pas de prix de marché et c’est pourquoi leur préservation et leur renouvellement incombent en principe à la lex loci.

Dans la perspective du marché mondial, ces biens n’en sont pas moins considérés comme des ressources, à prendre en compte dans la détermination de l’avantage comparatif de tel ou tel pays ou région du monde. D’où l’apparition de nouvelles techniques de quantification visant à mesurer la valeur relative de ces biens non marchands et à en donner une représentation comptable universelle. Ces techniques de scoring sont aujourd’hui mises en œuvre dans les domaines aussi divers que la recherche scientifique, le droit comparé (pour les besoins du law shopping : voir supra), ou le « développement humain ». Au plan géographique elles visent à traiter les villes, les nations et les territoires comme des marques commerciales en compétition. D’où le développement d’un nation branding, fondé sur des indicateurs chiffrés du « capital identitaire local72 ». Ceci suppose de déconstruire l’identité locale en une liste normalisée d’items évaluables (paysage, climat, services publics, sécurité publique, art culinaire, etc.) et d’engager les « acteurs » politiques et économiques locaux dans une course destinée à améliorer leur « compétitivité territoriale73 ».

La loi du territoire cède alors le pas face à un nouveau type de normativité, qui serait fondée sur l’observation des faits et non plus sur un impératif juridique. Il y a là un dernier avatar de la tentation positiviste de résorber le droit dans des lois immanentes révélées par la science. Les tracas et les incertitudes politiques du gouvernement d’un territoire pourraient ainsi s’effacer grâce aux techniques d’une bonne gouvernance. Cette tentative de métamorphose de toute espèce de qualité singulière en une quantité mesurable nous engage dans une boucle spéculative où la croyance en des images chiffrées se substitue progressivement au contact réel avec les réalités que ces images sont censées représenter. Typiques de l’économie communiste de marché, les indicateurs de performance territoriale procèdent de la même démarche dogmatique que la planification soviétique et sont gros des mêmes effets : orienter l’action vers la satisfaction des objectifs quantitatifs plutôt que vers des résultats concrets et masquer la situation réelle de l’économie et de la société à une classe dirigeante déconnectée de la vie de ceux qu’elle dirige. La représentation chiffrée du monde qui gouverne aujourd’hui la gestion des affaires publiques et privées, enferme les organisations internationales, les États et les entreprises dans un autisme de la quantification qui les coupe de plus en plus de la réalité de la vie des peuples74.

III.

Redessiner le monde : le sens de la mesure

L’économie de marché n’est pas un état de nature. Pour faire du marché un principe général de régulation de la vie économique, il faut faire comme si la terre, le travail et la monnaie étaient des marchandises, alors que ce n’est bien sûr pas le cas75. L’économie de marché repose donc sur des fictions juridiques. Or les fictions juridiques ne sont pas des fictions romanesques : elles ne sont soutenables qu’à la condition d’être humainement vivables. De ce point de vue, on pourrait définir le droit de l’environnement comme l’ensemble des règles qui soutiennent la fiction de la nature-marchandise, de même que le droit du travail pourrait être défini comme l’ensemble des règles qui soutiennent la fiction du travail-marchandise. Ces étais juridiques ont été posés au niveau national et ils s’effritent aujourd’hui sous la pression du processus de mondialisation. Privées de ces étais, les règles du libre-échange perdent leur ancrage dans la diversité des territoires et des peuples, ce qui ne peut conduire qu’à des catastrophes écologiques, sociales ou monétaires.

Faire de la compétition le seul principe universel d’organisation du monde conduit aux mêmes impasses que les totalitarismes du xxe siècle, dont le trait commun fut justement l’asservissement de la forme juridique aux lois supposées de la compétition entre les races ou les classes. Affirmer cela, et prédire que cette doctrine ne pourra engendrer que la déraison et la violence, ne procèdent pas d’une quelconque position politique ou morale, mais de l’une des rares certitudes que peut apporter la « science du Droit » : c’est parce que l’égoïsme, la cupidité et le struggle for life sont bel et bien présents dans le monde tel qu’il est, qu’ils doivent être contenus et canalisés par une référence commune à un monde tel qu’il doit être. Mais ériger cette lutte en principe fondateur de l’ordre juridique, c’est nier la possibilité même de cet ordre et programmer la casse humaine.

Il existe en Occident quelques signes d’une prise de conscience de ces risques. Les dangers d’une disparition de l’espace public finissent par être reconnus dans les pays les plus « avancés » sur la voie du « à chacun sa loi76 ». Il devient difficile d’ignorer les risques systémiques que fait courir à la planète une économie réelle déconnectée aussi bien des capacités de la biosphère (risque écologique) que de sa représentation monétaire (risque financier) et des exigences minimales de justice sociale (risques sociaux). Mais cette conscience de dangers diffus n’a pas conduit à ce jour à une véritable remise en cause de la dogmatique économique qui régit le processus de globalisation. Il faut espérer que les puissances économiques montantes sauront puiser dans leur culture propre les moyens de ne pas s’engager à leur tour dans les mêmes impasses.

La Chine possède en ce domaine de solides atouts. Le confucianisme en est un bien sûr, lui qui a toujours mis l’accent sur les liens étroits qui unissent l’ordre cosmique et l’ordre social et a donné le jour à un ordre politique séculier bien avant l’Europe. Mais l’École des légistes en est un autre, que les juristes français ont appris à connaître grâce à l’œuvre de Léon Vandermeersch77. À bien des égards, les légistes de cette École du Fa-kia font figure de précurseurs de l’utilitarisme occidental : deux millénaires avant la philosophie politique anglaise, ils ont vu dans l’homme un être égoïste mû par la seule recherche de son intérêt individuel.

Ignorant la notion de droit civil, ils furent aussi les premiers à développer une conception technocratique des lois, à faire de leur efficacité le critère de leur légitimité et à en user comme de purs instruments d’exercice du pouvoir. Mais à la différence de la philosophie utilitariste, ils avaient le pessimisme de l’intelligence et considéraient l’égoïsme et la cupidité des hommes comme une menace et non comme un bienfait d’où devrait surgir spontanément le bien commun. Il ne leur serait donc pas venu à l’idée de faire du calcul d’utilité individuelle la norme suprême et universelle. Bien au contraire, selon eux, l’égoïsme était une énergie dont la loi devait prendre acte, mais pour mieux la canaliser et la mettre au service de l’intérêt général. En ce sens ils étaient pleinement juristes et leurs leçons peuvent nous aider aujourd’hui encore à civiliser la globalisation.

  • *.

    Institut d’études avancées de Nantes (www.iea-nantes.fr). Je tiens à remercier la Société des amis de Qufu, qui m’a donné l’occasion de discuter une première version de ce texte lors du colloque « Espace et civilisation », organisé du 31 mai au 2 juin 2008 à l’Institut de recherche Confucius (Qufu-Chine).

  • 1.

    Voir notamment G. Teubner, Global Law Without a State, Dartmouth Publ., 1997, 305 p.

  • 2.

    Sur cet adage, issu des commentateurs du Digeste (35, 2, 80), voir H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Paris, Litec, 3e éd, n o 137, 1992, p. 278.

  • 3.

    Voir A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001, voir « Habeõ ».

  • 4.

    Montesquieu, l’Esprit des lois, I, 3, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », t. 2, 1951, p. 238.

  • 5.

    Carl Schmitt, Der Nomos der Erde im Völkerrecht des Jus Publicum Europaeum, Köln, 1950, trad. fr. le Nomos de la terre, Paris, Puf, 2001, 363 p.

  • 6.

    Adolf Hitler, Libres propos sur la guerre et sur la paix, recueillis sur l’ordre de Martin Bormann, Paris, Flammarion, 1952, p. 69.

  • 7.

    Voir P. Legendre, Dominium Mundi. L’Empire du management, Paris, Mille et une nuits, 2007, p. 21.

  • 8.

    Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité, rédigée sous l’égide de Lénine et approuvée par le Congrès des soviets le 25 janvier 1918.

  • 9.

    « La guerre a retrouvé sa forme primitive. La guerre de peuple à peuple cède la place à une autre guerre – celle qui vise à la possession des grands espaces. À l’origine la guerre n’était rien d’autre qu’une lutte pour la possession des terres à pâtures. Aujourd’hui la guerre n’est plus qu’une lutte pour la possession des richesses naturelles. Ces richesses, par la vertu d’une loi immanente, appartiennent à celui qui les conquiert […] Ceci est conforme aux lois de la nature […] La loi de sélection justifie cette lutte incessante en vue de permettre aux meilleurs de survivre. Le christianisme est une rébellion contre la loi naturelle, une protestation contre la nature. Poussé à sa logique extrême, le christianisme signifierait la culture systématique du déchet humain », A.Hitler, Libres propos sur la guerre et sur la paix, op. cit., p. 51.

  • 10.

    C’est Trotski qui employa le premier cette expression à destination des opposants au parti bolchevik au sein du Congrès des soviets.

  • 11.

    A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, op. cit., voir « Homõ » et « Humus ».

  • 12.

    C’est du reste une grève des dieux inférieurs, las de devoir travailler, qui justifie la création des hommes (faits de terre mêlée au sang d’un dieu sacrifié) dans la mythologie mésopotamienne (voir J. Bottero et S. N. Kramer, Lorsque les dieux faisaient l’homme. Mythologie mésopotamienne, Paris Gallimard, 1989, p. 526 sq.). Le labour de la terre, d’où vient l’anglais labour, est la forme première de sa fécondation par le travail humain. Travailler la terre c’est la posséder, et les philosophes des Lumières s’accordent à voir dans le travail le premier titre de propriété (voir le chapitre que Locke consacre à la propriété dans son Traité du gouvernement civil [1690], trad. fr., Paris, Flammarion, 1992, p. 162 sq.).

  • 13.

    Selon C. Schmitt, la prise de terre (Landnahme) s’identifie au Nomos de la terre, i.e. à « l’acte originel fondateur du Droit » (voir le Nomos de la terre, op. cit. p. 50).

  • 14.

    Le christianisme est à la fois religion d’un Père divin sans femme et de l’Homme-dieu sur terre.

  • 15.

    Dimension très présente dans l’Antiquité européenne, voir J. Bachofen, Das Mutterrecht [1861], trad. fr. le Droit maternel. Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique, Lausanne, L’Âge d’homme, 1996, 1373 p., spéc. p. 74 sq. : « L’Océan face à la Terre, tel est l’homme devant la femme. »

  • 16.

    Voir O. Journet-Diallo, les Créances de la terre. Chronique du pays Jamaat, Brepols, Publications de l’École pratique des hautes études, 2007, 364 p.

  • 17.

    Voir sur le cas du pays Kasena, au Burkina Faso : D. Liberski-Bagnoud, les Dieux du territoire. Penser autrement la généalogie, Paris, Cnrs/Éd. de la Msh, 2002, 244 p.

  • 18.

    D. Liberski-Bagnoud, les Dieux du territoire…, op. cit., p. 100.

  • 19.

    Ibid., p. 206.

  • 20.

    Selon la Cour de justice des communautés européennes (ci-après Cjce), le lien de nationalité est fondé sur « un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État et la réciprocité des droits et des obligations » (Cjce, 3 juin 1986, aff. 307/84, Commission c/République française, Recueil de jurisprudence (ci-après Rec.) 1986, 1725 ; Cjce, 16 juin 1987, aff. 225/85 Commission c/Italie, Rec. 1987, 2625 ; Cjce, 30 mai 1989, aff. 33/88 Allué et Coonassu c/Universita degli studi di Venezia).

  • 21.

    L’histoire du droit est riche d’institutions qui obligent le paysan à demeurer sur la terre qu’il doit cultiver (colonat, servage : voir F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, Paris, Rousseau, 5e éd. 1911, p. 132 sq. ; add. C. Revillout, Étude sur l’histoire du colonat chez les romains, Paris, A. Durand, 1856, 44 + 64 p. ; Fustel de Coulanges, Recherches sur quelques problèmes d’histoire, vol. 1, Paris, Hachette, 2e éd. 1894, reprint, Bruxelles, Culture et civilisation, 1964, p. 3-186). Dans le monde contemporain cette assignation territoriale n’a pas disparu (voir par exemple les obligations de résidence liées à certains emplois), mais elle résulte plus souvent de l’interdiction de pénétrer ou de demeurer dans d’autres territoires que de l’interdiction de quitter le sien.

  • 22.

    Voir E. Kantorowicz, “Pro Patria Mori, in medieval political thougt”, American Historical Review, 56 (1951), p. 472-492, trad. fr. Mourir pour la patrie, Paris, Fayard, 2e éd. 2004.

  • 23.

    On estime à 7, 8 millions le nombre de soldats tués durant la Première Guerre mondiale. La seconde a vu croître de façon vertigineuse le nombre de victimes civiles des deux sexes. La seule Urss a supporté la moitié du total des pertes humaines sur le continent européen avec 21 millions de morts (11% de sa population) dont 13, 6 millions de soldats et plus de 7 millions de civils (voir A. Bullock, Hitler and Stalin. Parallel Lives [1991], trad. fr. Hitler et Staline. Vies parallèles, Paris, Albin Michel/Robert Laffont, 1994, t. 2, appendice 2, p. 458-459).

  • 24.

    Voir L. Stouff, Étude sur le principe de la personnalité des lois depuis les invasions barbares jusqu’au xiie siècle, Paris, Larose, 1894, 102 p.

  • 25.

    La clarté de ce principe n’est qu’apparente, car il a reçu en droit international des sens divers. V. P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Paris, Montchrestien, 9e éd. 2007, no 49 sq. ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, Paris, Puf, 2007, t. 1, no 329 sq.

  • 26.

    Voir l’article 3 du Code civil français : « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »

  • 27.

    Appliquant à la propriété un concept de Karl Polanyi, C. M. Hann parle à ce sujet d’embeddedness of property (voir C. M. Hann (ed.) Property Relations. Renewing the Anthropological Tradition, Cambridge University Press, 1998, Introduction, spéc. p. 9 sq.).

  • 28.

    A. Esmein, Cours élémentaire de droit français, Paris, Larose, 1898, p. 185 sq. ; J.-F. Lemarignier, la France médiévale. Institutions et sociétés, Paris, Armand Colin, 1970, p. 161 sq.

  • 29.

    Voir M. Bloch, la Société féodale, Paris, Albin Michel, 1re éd. 1939, rééd. 1994, 702 p.

  • 30.

    Voir M. Mundy et R. Saumarez Smith, Governing Property, Making the Modern State. Law, Administration and Production in Ottoman Syria, Londres/New York, IB Tauris, 2007, p. 11 sq.

  • 31.

    J. Berque, « Documents anciens sur la coutume immobilière des Seksawa », Revue africaine, XCIII, 1948, p. 363-402, repris dans Opera Minora, Paris, Bouchène, 2001, t.1, p. 359-384.

  • 32.

    A. Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, p. 69 sq.

  • 33.

    L. Dumont, Homo æqualis I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 2e éd. 1985, p. 13.

  • 34.

    D’où la question du régime juridique de la face publique de la propriété privée. La question s’est posée par exemple de savoir si le propriétaire d’un immeuble avait un droit sur l’image de sa façade (la jurisprudence française l’a d’abord admis avant de se rétracter par un arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2004 : voir Y. Strickler, les Biens, Paris, Puf, coll. « Thémis », 2006, no 12, p. 36 sq.).

  • 35.

    Voir Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

  • 36.

    Voir Code civil, article 544 : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

  • 37.

    Ainsi que l’observe A. Macfarlane : “The dissolution of the state is not a good basis for modern private property, which is ultimately underpinned, as Locke and his successors recognized, by powerful, if largely invisible, state power” (dans “The mystery of property : inhéritance and industrialization in England and Japan”, C. M. Hann, Property Relations…, op. cit., p. 104 sq., cité p. 115).

  • 38.

    Une dette ou une créance est dite liquide lorsqu’elle peut être convertie en une quantité déterminée de monnaie. La liquidation d’un bien consiste à le rendre fongible, à le convertir en droits monétaires (dans G. Cornu [sous la dir. de], Vocabulaire juridique, Paris, Puf, 1987, voir « Liquidation » et « Liquide »). Dans le langage courant le liquide désigne aussi bien l’argent disponible en espèces que tout ce qui coule comme de l’eau et n’a pas de forme propre.

  • 39.

    Ainsi dans les colonies françaises, l’indigénat combinait statut personnel d’origine et nationalité française diminuée. Réservée aux « Français d’origine », la citoyenneté fut étendue en Algérie aux juifs indigènes par le décret Crémieux en 1870, puis aux étrangers non musulmans (i.e. européens) en 1889. Des solutions semblables furent adoptées dans les colonies anglaises (voir sur le cas de l’Inde : Ved P. Nanda et Surya Prakash Sinha, Hindu Law and Legal Theory, Dartmouth, Aldershot, 1996, p.xiv sq.). Loin de contribuer à une érosion de la diversité des statuts personnels, la colonisation a contribué à l’enraciner dans la culture juridique de ces pays. Devenue indépendante, l’Algérie a ainsi fait de l’origine musulmane le critère d’attribution de sa nationalité (loi du 27 mars 1963).

  • 40.

    Voir l’utile mise au point d’André Pichot, la Société pure. De Darwin à Hitler, Paris, Flammarion, 2000, 458 p. ; et du même auteur, Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, Paris, Flammarion, 2008, 520 p. Sur le cas français, voir D. Gros (sous la dir. de), le Droit antisémite de Vichy contre la tradition républicaine, revue Le Genre humain, Paris, Le Seuil, 1996, 624 p.

  • 41.

    Voir, pour une présentation d’ensemble et de nombreuses références, H. Muir Watt, Aspects économiques du droit international privé (Réflexions sur l’impact de la globalisation économique sur les fondements des conflits de lois et de juridictions), Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, t. 307 (2004), Leiden/Boston, Martinus Nijhoff, 2005, 383 p. ; et du même auteur « Concurrence d’ordres juridiques et conflits de lois de droit privé », dans le Droit international privé : esprit et méthode. Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Paris, Dalloz, 2005, p. 615 sq.

  • 42.

    Cjce, 9 mars 1999, Centros, aff. C-212/97, Rec. 1999, I, 1459 concl. La Pergola. Add. dans le même sens Cjce, 11 décembre 2007, Viking, aff. C.438-05 (déduisant de la liberté d’établissement un droit de recourir à des pavillons de complaisance).

  • 43.

    Voir www.doingbusiness.org/ où l’on trouve notamment une mappemonde représentant la terre comme un espace de compétition entre législations (Business planet mapping the business environment).

  • 44.

    Sur les origines idéologiques et les impasses logiques de ce darwinisme normatif, voir A.Supiot, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », Droit social, 2005, p. 1087 sq.

  • 45.

    Voir sur cette forme d’exercice du pouvoir impérial : R. Mantran, « L’Empire ottoman », dans Centre d’analyse comparative des systèmes politiques, le Concept d’empire, Paris, Puf, 1980, p. 231 sq.

  • 46.

    Voir The Guardian du 4 juillet 2008.

  • 47.

    Voir sur le cas des États-Unis : M. Piore, Beyond Individualism, Harvard University Press, 1995, 215 p. ; sur le cas canadien (et rangeant sous une même notion de « minorités » les Inuits, les homosexuels et les femmes), A. Lajoie, Quand les minorités font la loi, Paris, Puf, 2002, 217 p.

  • 48.

    Sur ce glissement vers l’autodétermination de l’état des personnes au nom du respect de la vie privée, voir H. Muir Watt, le Droit international privé, op. cit., t. 2, no 642, p. 43 sq. ; D.Gutman, le Sentiment d’identité. Étude de droit des personnes et de la famille, Paris, Lgdj, 2000, p. 340 sq. ; J.-L. Ranchon, « Indisponibilité, ordre public et autonomie de la volonté dans le droit des personnes et de la famille », dans A. Wijffels, le Code civil entre ius commune et droit privé européen, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 269 sq.

  • 49.

    Christopher Lasch, Culture of Narcissism : American Life in an Age of Diminishing Expectations (1979), trad. fr. la Culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances, Paris, Flammarion, 2006.

  • 50.

    Voir Y. Habib, « Halal, haram, sport panarabe », Le Temps (Alger) du 19 septembre 2008.

  • 51.

    P. Legendre, les Enfants du texte. Étude sur la fonction parentale des États, Paris, Fayard, 1992, p. 352.

  • 52.

    Voir J. Locke, Traité du gouvernement civil (1690), op. cit., §. 27 et 32 ; A. Thiers, De la propriété, Paris, Paulin Lheureux, 1848, livre I, chap. IV : « Que l’homme a dans ses facultés personnelles une première propriété incontestable, origine de toutes les autres », p. 32 sq.

  • 53.

    « L’écoumène c’est l’ensemble et la condition des milieux humains, en ce qu’ils ont proprement d’humain, mais non moins d’écologique et de physique », A. Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, op. cit., p. 14.

  • 54.

    Manuel de la jeunesse hitlérienne, cité par H. Arendt, le Système totalitaire, 1re éd. 1951, trad. fr. Paris, Le Seuil, 1972, p. 76.

  • 55.

    Voir A. Pichot, Histoire de la notion de gène, Paris, Flammarion, 1999 ; P. Legendre, « L’attaque nazie contre le principe de filiation », dans Filiation, Paris, Fayard, 1990, p. 205 sq.

  • 56.

    Voir C. Labrusse-Riou, Écrits de bioéthique. Textes réunis et présentés par M. Fabre-Magnan, Paris, Puf, 2007, spéc. p. 49 sq. et 327 sq.

  • 57.

    Voir R. Frank, « La signification différente attachée à la filiation par le sang en droit allemand et en droit français de la famille », Revue internationale de droit comparé, 1993, 635.

  • 58.

    Voir les articles 16-10 sq. du Code civil, qui encadrent strictement l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne.

  • 59.

    Conseil constitutionnel, décision no 2007-557 DC, 15 novembre 2007 (loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile).

  • 60.

    Cette foi se réclame de la vérité scientifique, comme le montrent par exemple les déclarations de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, relatives à l’existence de gènes de la pédophilie ou du suicide (entretien avec Michel Onfray, Philosophie magazine, no 8, 2007), ou son projet de dépistage précoce des enfants génétiquement prédisposés à la délinquance. Ce projet visait à donner une traduction législative aux affirmations d’un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, évaluant à 50% la part de la détermination génétique des « troubles oppositionnels avec provocation » (sic) et recommandant le dépistage de ces troubles dès la crèche ou l’école maternelle (Inserm, Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, septembre 2005, 428 p. http ://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble-conduites.html).

  • 61.

    Voir G. S. Becker, The Economic Approach to Human Behavior, University of Chicago Press, 1976, spéc. le chapitre final, p. 282 sq. : “Altruism, Egoism, and Genetic Fitness : Economics and Sociobiology”). Les courants les plus récents, dits de neuroeconomics, se tournent vers la neurologie plutôt que vers la génétique pour expliquer les comportements économiques : voir P. W. Glimcher, Decisions, Uncertainty, and the Brain : The Science of Neuroeconomics, MIT Press, 2003, 375 p. ; C. Camerer, G. Loewenstein, D. Prelec, “Neuroeconomics : How neuroscience can inform economics”, Journal of Economic Literature, vol. XLIII (mars 2005), p.9-64 ; Jean-Pierre Changeux et Christian Schmidt, « La refondation de l’analyse du risque à la lumière des neurosciences », Risques, no 71, septembre 2007.

  • 62.

    Un accord signé entre les États-Unis et une trentaine de pays (occidentaux pour la plupart) dispense de visa d’entrée dans ce pays les titulaires d’un passeport biométrique. Un fichier Parafes de données biométriques des passagers aériens a été créé en France dans le but « d’améliorer le contrôle de la police aux frontières sur les voyageurs aériens et de faciliter un passage rapide des frontières extérieures » à l’espace Schengen (décret no 2007-1182 du 3 août 2007, JO du 7 août 2007, p. 13203).

  • 63.

    Voir G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, chap. XII, p. 434 sq. : « Traité de nomadologie », cité par A. Gokalp, « Palimpseste ottoman », dans Tisser le lien social, Paris, Éd. de la Msh, 2004, p. 93 sq.

  • 64.

    L’expression exacte (qui figure à l’article 15 de la Constitution de la République populaire de Chine) est shehuizhuyi shichang jingji, dont la traduction littérale est « économie de marché socialiste ». La signification acquise du terme « socialiste » sur la scène politique française étant source de possibles confusions avec l’idée d’économie mixte (qui servit un temps de doctrine au parti socialiste), la traduction par « économie communiste de marché » m’a paru préférable.

  • 65.

    Voir A. Supiot, « L’Europe gagnée par “l’économie communiste de marché” », Revue du Mauss permanente, 30 janvier 2008, www.journaldumauss.net/spip.php?article283

  • 66.

    L’article 56E du Traité CE interdit « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux [ou aux paiements] entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers ».

  • 67.

    Ainsi, c’est la suppression en 1962 des droits de douane à l’entrée sur le marché européen des protéo-oléagineux américains, qui a conduit au développement d’un élevage hors sol intensif en Bretagne, causant une pollution massive de l’ensemble du système hydrographique de cette région (voir L. Lorvellec « Gatt, agriculture et environnement », dans Écrits de droit rural et agroalimentaire, Paris, Dalloz, 2002, p. 491 sq.).

  • 68.

    Voir les affaires fameuses des thons ou des crevettes pêchés avec des filets détruisant les dauphins ou les tortues de mer ou la condamnation du refus d’importation par l’Europe du bœuf aux hormones américain. Sur cette jurisprudence, voir R. Howse et D. Regan, “The Product/Process Distinction. An Illusory Basis for Disciplining ‘Unilateralism’”, dans Trade Policy, European Journal of International Law, vol. 11, no 2, 2000, p. 249-289.

  • 69.

    Cjce, 13 juillet 2000, Alfredo Albore, Aff. C-423/98. Rec. 2000, p. I-05965.

  • 70.

    Absente du Traité de Rome signé en 1957, la notion d’espace y a été introduite par l’Acte unique européen de 1986, qui s’est donné pour objectif la création d’un « espace sans frontières intérieures » (voir les actuels art. 2, 14, 154 du Traité consolidé), l’Union européenne elle-même se définissant aujourd’hui comme « espace de liberté, de sécurité et de justice », (préambule et art. 2, 29, 40, et 61 du Traité consolidé).

  • 71.

    En Chine, la « décision 171 » du 11 juillet 2006 limite l’accès des étrangers au marché immobilier en réservant les investissements immobiliers aux personnes morales de droit chinois. La Pologne maintient un régime d’autorisation pour les acquisitions de terrain par des ressortissants non communautaires. La Turquie interdit l’acquisition par des étrangers des surfaces supérieures à 2, 5 hectares.

  • 72.

    Voir L. Doria « La qualità totale del territorio : verso una fenomenologia critica », Archivio di studi urbani e regionali, no 80, p. 11-56 ; et du même auteur, “Managing the unmanageable resource : multiple utility and quality in the EU policy discourses on local identity”, dans L.Doria, V. Fedeli et C. Tedesco, Rethinking European Spatial Policy as a Hologram, Aldershot, Asgate Publisher, 2006, p. 235 sq.

  • 73.

    Voir l’analyse par L. Doria, “Managing the unmanageable resource…” (art. cité) du programme Leader de la Commission européenne. Doté de 2 milliards d’euros sur la période 2005-2006, ce programme est destiné à « aider les acteurs concernés du monde rural à prendre la mesure des possibilités offertes à longue échéance par leurs régions respectives », http://ec.europa.eu/agriculture/rur/leaderplus/index_fr.htm

  • 74.

    Voir R. Salais, « Du bon (et du mauvais) usage des indicateurs dans l’action publique », dans A. Supiot (sous la dir. de), Protection sociale et travail décent. Nouvelles perspectives pour les normes internationales du travail, Semaine sociale Lamy, suppl. no 1272, 4 septembre 2006, p. 73-81.

  • 75.

    Voir K. Polanyi, The Great Transformation. The Political and Economic Origins of our Time [1944], la Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps (1944), trad. de l’anglais, Paris, Gallimard, 1983, p. 102 sq.

  • 76.

    Voir au Québec les débats sur les « accommodements raisonnables » qui ont donné lieu à la création d’une Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, www.accommodements.qc.ca/

  • 77.

    L. Vandermeersch, la Formation du légisme : recherche sur la constitution d’une philosophie politique caractéristique de la Chine ancienne, Paris, École française d’Extrême-Orient, 1987, 106 p.

Alain Supiot

Professeur au Collège de France à la chaire « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », il a notamment dirigé, avec Jean de Munck, Au-delà de l’emploi. Les voies d’une vraie réforme du droit du travail (Flammarion, rééd. 2016).

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