Le sentiment d’accélération de l’histoire moderne : éléments pour une histoire
Le sentiment que nous vivons un moment où tout s’accélère est-il une illusion ou une impression condamnée à rester imprécise ? Ce thème présente-t-il une consistance historique ? On peut au moins tenter d’en faire une histoire, qui part du thème de l’approche de la fin des temps et nous entraîne jusqu’aux utopies contemporaines de la décélération.
À la mémoire de Reinhart Koselleck
« Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétition, de nouveauté et de crédulité. C’est là, qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’hommes libres1. »
L’« accélération de l’histoire » fait assurément partie de ces slogans contemporains aussi peu analysés que fréquemment invoqués. Hormis Reinhart Koselleck2 puis tout récemment Peter Borscheid3 et Hartmut Rosa4, peu nombreux sont les auteurs à avoir tenté d’objectiver le phénomène dans toute sa complexité. La notion nourrit ainsi la prose essayistique et journalistique sans jamais s’élever au niveau d’un concept déterminé ni d’un idéal-type aux vertus heuristiques. Et de cet état de fait on comprend aisément les raisons : à y regarder de près en effet, on s’aperçoit que la question de l’« accélération de l’histoire » englobe des ordres de réalités si divers et si hétérogènes que l’on est en droit de se demander si les phénomènes et diagnostics qu’elle recouvre constituent un « objet » véritable, objectivable comme tel. Entendons : objectivable à partir de quel corpus, de quelle période, pour quelle portion de l’espace et pour quels types de milieux sociaux, politiques et culturels ?
Le thème de l’« accélération de l’histoire » renvoie aussi bien à la face subjective de l’expérience du temps social qu’à la face objective des structures dynamiques des sociétés. À ce titre, il comprend rien de moins que l’histoire de tous les facteurs de mutation de la modernité depuis le xviiie siècle : mutations techniques, sociales, politiques, culturelles ou encore, et peut-être surtout, symboliques. Il renvoie ainsi autant à l’histoire des techniques (en quoi il convient de nettement distinguer entre accélération des moyens de transport des objets comme des personnes et accélération des moyens de transmission des simples informations) qu’à l’histoire des mutations structurelles de l’organisation économique et sociale de la modernité ainsi qu’à l’histoire politique et culturelle subséquente à ces mêmes mutations.
Aussi, loin d’être une vaine précaution rhétorique préalable, une difficulté méthodologique extrême doit-elle être d’emblée soulignée : la difficulté qu’il y a à établir une corrélation (causale) entre des phénomènes concrets d’accélération matérielle des sociétés modernes et diverses sémantiques historiques formulant, plus ou moins confusément, des diagnostics d’accélération de l’histoire depuis la fin du xviiie siècle. Comment en effet historiciser les niveaux d’implication en chaîne entre la face objective (matérielle) et la face subjective (la perception, les représentations, bref le sentiment) du phénomène appelé « accélération de l’histoire » ? Il y a là une quadrature du cercle explicative, que l’on peut tenter de résoudre en distribuant les différents matériaux empiriques en présence suivant le double registre koselleckien de l’« espace d’expérience » (face objective) et de l’« horizon d’attente » (face subjective) – i.e. suivant le double registre de l’affection passive et de la spontanéité active des sujets historiques (soit le grand partage husserlien entre « rétention » et « protention » reprenant lui-même la thématique augustinienne de la distentio animi implicite dans le couple catégoriel koselleckien ici mobilisé).
Dans la présentation qui suit, je me bornerai à dégager ce qui me semble constituer les points nodaux de cette affaire, en repartant du motif millénariste de l’accélération de la fin des temps jusqu’aux diagnostics contemporains d’accélération de l’histoire et aux volontés utopiques actuelles de décélération.
« L’accélération de la fin des temps » avant « l’accélération de l’histoire »
Pour être précisément appréhendée, la thématique de l’accélération de l’histoire doit tout d’abord être distinguée d’une sémantique bien antérieure en Occident, à savoir : celle de l’« accélération de la fin des temps ». Depuis les premières interprétations millénaristes de quelques passages clefs de la Bible jusqu’au début du xixe siècle, les discours eschatologiques tout d’abord et « chiliastiques » (i.e. millénaristes) ensuite5, qui – à partir des prophéties vétéro-testamentaires et surtout l’Apocalypse de Jean – annoncent pour bientôt la précipitation de la fin des temps, sont en effet légion. La distinction historique et catégorielle entre ces deux différents régimes d’attente que sont l’« accélération de la fin des temps » d’un côté et l’« accélération de l’histoire » de l’autre me paraît d’autant plus cruciale que les discours connexes au premier6 ont largement disparu aujourd’hui de l’horizon mémoriel de notre conscience historique sécularisée et que l’articulation de ces deux séries de phénomènes a jusqu’à présent fort peu retenu l’attention des analystes.
Ce qui est spécifique à ce type de pensée de l’accélération, c’est que l’histoire est, pour l’essentiel, déjà écrite. On en connaît le début (la Création du monde), le milieu (l’Incarnation par le Christ) et le terme (la parousie), mais de ce terme (la fin des temps, le retour du Christ et la résurrection des corps), on ne connaît ni la date précise7 ni non plus s’il sera ou non précédé ici-bas du millenium, i.e. d’une période préparadisiaque de paix d’une durée de mille ans correspondant pour les uns à la première résurrection des saints et des âmes, pour les autres (suivant en cela Joachim de Flore) au troisième âge intramondain de l’histoire sacrée ou Âge de l’Esprit8.
Au xviiie siècle et au début du xixe siècle, certains auteurs fixent le terme du monde à 1836 ou 1816 (le 18 juin) par déduction de l’âge supposé du monde : 6 000 ans, ainsi qu’il est écrit dans la Bible. La secte des éveillés du protestantisme souabe, avec notamment la fortune rencontrée par les thèses chiliastiques de Johann Albrecht Bengel9 puis par les écrits de Johann Heinrich Jung-Stilling, spécialiste renommé à l’époque de sciences camérales10, constitue un exemple notoire en Allemagne de ce type de spéculations sur la date prévisible de la fin.
Mais, fondamentalement, les hommes n’en savent rien11. « Devant Lui mille ans sont un seul et même jour » est-il écrit dans le Psaume 90. Ainsi faut-il se tenir prêt12 à toute heure car la fin des Temps peut survenir et le Christ revenir n’importe quand : « comme un voleur durant la nuit13 ». L’accélération dont il est alors question dans ce cadre, est celle de la précipitation des événements suite à la venue de l’Antéchrist, lequel viendra juste avant le second avènement du Christ, avant que le monde ne soit racheté à la seconde résurrection (des corps). L’accélération ou le raccourcissement des temps est ainsi très longtemps demeuré une catégorie de l’attente. Deux attitudes fondamentales étaient alors possibles :
attendre le second avènement du Christ et assister de son vivant à l’accélération de la fin des temps sous les coups de boutoir de l’Antéchrist – coups de boutoir d’autant plus violents que ce dernier a perdu aux cieux son combat contre Michel et ses anges et qu’il dispose de très peu de temps14 (trois ans et demi15) pour sévir avant la parousie une fois qu’il aura été délié ici-bas ;
accélérer et précipiter le processus final, voire l’avènement du millenium, moyennant le passage à l’action violente via une révolution théologico-politique (voir les taborites tchèques, les anabaptistes de Münster ou bien encore Thomas Müntzer et la guerre des paysans) ou encore l’émigration vers un autre territoire intramondain supposé être préparadisiaque et à distance du vieux monde corrompu, siège de l’Antéchrist (e.g. – selon les thèses fameuses de Jung-Stilling – émigration vers l’est de l’Europe, le sud de la Russie, à la fin du xviiie siècle compte tenu du fait que l’Antéchrist et l’Aufklärung étaient censés venir de l’ouest, ainsi que le spectacle de la Révolution française semblait suffisamment l’indiquer16).
Exilé aux Pays-Bas et adversaire farouche de la politique anti-protestante de Louis XIV suite à la révocation de l’édit de Nantes, Pierre Jurieu avec son livre : l’Accomplissement des prophéties (1686) constitue un autre exemple fameux de millénarisme prophétique17. L’Église romaine représentée par le papisme incarnerait la période de l’Antéchrist et indiquerait par là même que la fin du monde serait proche (« trois ans et demi » prophétiques, soit en l’an 178518). De ce prophétisme de plume, les camisards du Dauphiné et des Cévennes se saisiront pour en faire un millénarisme aussi violent à l’encontre des suppôts de la monarchie que confiant dans les signes de son élection divine19. Là encore le commentaire millénariste de l’Apocalypse de Jean – dans la tradition de Justin20, Papias21 et saint Irénée22 – a pu déboucher sur des formes de mobilisation violentes au sein de minorités se sentant oppressées par une figure antéchristique du pouvoir temporel.
Cette posture millénariste d’attente de l’« accélération de la fin des temps » ou « raccourcissement des temps » va longtemps persister mais au fur et à mesure s’évider de sa substance apocalyptique originelle : les transformations considérables du savoir-pouvoir des sciences de la nature (depuis le xviie siècle) articulées aux idéaux progressistes de réorganisation plus juste de la société vont en effet radicalement temporaliser ce répertoire métaphorique au niveau des idéologies et promesses politiques intramondaines. La sémantique antithétique de Jurieu « Millénaires » versus « Antimillénaires23 » se trouve ainsi bientôt déplacée et réinvestie dans la rhétorique révolutionnaire24.
Ainsi Ferdinand Lassalle, en 1859, file-t-il encore la métaphore dans Franz von Sickingen25 mais avec un contenu socialiste désormais nouveau (et l’analogie obstétricale en plus). Moyennant le passage à la violence révolutionnaire – qui est à l’avènement historique du progrès ce que la « césarienne » (Kaiserschnitt) est à l’accouchement d’une parturiente –, on peut certes accélérer le processus historique intramondain, suggère Lassalle, mais nullement en changer le cours déjà tracé par les lois immuables du progrès historique ; cette possibilité d’accélération constituerait même la seule marge de manœuvre dont les hommes disposeraient par rapport à ces lois. Ladite « césarienne » n’est, dans ce cadre, finalement rien d’autre que le lieu théorique de la violence révolutionnaire, présentée comme attribut de la liberté humaine compte tenu des contraintes indépassables de l’histoire. Car s’il est possible de l’accélérer, on ne saurait en revanche contenir indéfiniment la révolution : quand son heure a sonné, il faut qu’elle advienne.
L’avènement du concept d’« histoire » et les deux révolutions
Le concept d’histoire
L’avènement du concept d’histoire est la condition de possibilité même de la thématique de l’« accélération de l’histoire » qui prend peu à peu le pas, à la fin du xviiie siècle, sur les discours antérieurs relatifs à l’« accélération de la fin des temps ». On ne saurait en effet parler de sentiment d’« accélération de l’histoire » avant que n’apparaisse, dans l’espace mental des Européens, la catégorie englobante d’« histoire », orientée linéairement, de manière cumulative, selon la flèche du temps26.
Au xvie siècle encore – si l’on se réfère par exemple à la traduction par Luther de la Bible en allemand vernaculaire de Meißen – le concept de zukunft ne signifie pas encore absolument « futur ». Le concept n’existe pas au singulier ; ce qui existe, ce sont deux choses qui ne convergeront qu’à la fin du xviiie siècle27 : 1) die Zukunft au sens d’Adventus Domini (Zukunft des Herrn28), i.e. du retour du Christ sur terre à la fin des temps (soit le second avènement parousiaque du Seigneur) ; 2) l’idée de « choses futures » devant advenir au-delà du seul présent, soit le pluriel futura ou « choses futures29 ».
Ce qui est nouveau au xviiie siècle, c’est l’émergence de l’espace mental du « futur » comme tel (notre futur pas encore tout à fait sécularisé mais rapporté au concept d’histoire linéaire majusculée) – une émergence qui se fait suivant un mouvement de transformation sémantique de Zukunft des Herrn (avènement, à venir, du Seigneur) en Zukunft des Menschen (futur de l’homme, au sens d’espèce humaine). Le singulier zukunft et le pluriel futura fusionnent donc :
tout d’abord, via une sécularisation progressive du motif de l’Adventus. Ce sont désormais les philosophies de l’histoire progressistes (le genre même de la « philosophie de l’histoire » n’apparaît que dans le dernier tiers environ du xviiie siècle – l’expression elle-même date de 1765 sous la plume de Voltaire) qui prennent en charge la question du sens des évolutions humaines ici-bas ; l’on assiste ainsi en quelque sorte à un « déplacement de l’espérance » (pour reprendre l’expression heureuse de Daniel Halévy30) ou encore à une « temporalisation » (Verzeitlichung) des attentes messianiques traditionnelles31. C’est le schème du « Progrès » avec majuscule qui prend désormais en charge la question de l’espérance. Lessing le dira, en 1777, dans son texte fameux sur l’Éducation du genre humain (§ 80). Rien ne sert de vouloir que l’histoire et la fin des temps ne soient accélérées, il faudra se munir de la patience du progrès se déployant lentement dans l’espace, quitte à ne pas assister de son vivant à la réalisation de la promesse. La sécularisation n’est pas totale – tant s’en faut –, mais nous sortons progressivement de la littérature apocalyptique et chiliastique traditionnelle sur l’accélération de la fin des temps. À l’impatience eschatologique de l’enthousiaste (Schwärmer) succède peu à peu la figure progressiste du philosophe de l’histoire, inlassable décrypteur du sens des événements ici-bas ;
ensuite, via la mise au singulier de futura en futurum. Cette transformation est concomitante de l’émergence du concept d’Histoire (non plus les « histoires » au pluriel mais là aussi l’« Histoire » avec une majuscule, figurée désormais suivant une ligne orientée et irréversible32).
« Futur », « progrès », « histoire », voilà autant de « collectifs singuliers » émergeant à la fin du xviiie siècle sans lesquels l’idée même d’une « accélération de l’histoire » n’est tout simplement pas pensable comme telle.
Un diagnostic général d’époque : Révolution française et révolution industrielle
Devenu comme tel pensable à la fin du xviiie siècle, le thème de l’accélération de l’histoire se transforme en diagnostic général de l’époque à partir du début du xixe siècle. L’évolution de la sémantique et des sensibilités enregistre ainsi les effets d’un double ébranlement durable : celui de la Révolution française dans l’ordre politique et symbolique ; celui de la révolution industrielle et technique dans l’ordre matériel et dans celui des interactions sociales.
Les témoignages sont ici légion. Sur les conséquences de la Révolution française tout d’abord, celui de Victor de Bonstetten (1745-1832) dans l’Homme du Midi et l’homme du Nord (1824) est particulièrement éloquent :
Je viens d’exposer quelques souvenirs d’une vie trés-variée ; je viens de peindre les mœurs des nations que j’ai connues ; mais la plupart des tableaux que je viens de faire sont maintenant d’un autre monde, d’un temps antique, d’une époque au-delà de la grande barrière historique appelée Révolution. Presque tous ces tableaux ont disparu et n’ont laissé que des fragments qui nous rappellent ce qui n’est plus. Nous voyons les Alpes séparer des peuples, qui ne se ressemblent point. Il en est de même de cette grande Cordillère placée entre deux siècles ; elle sépare des hommes si différents d’eux-mêmes, que ceux qui comme moi ont vécu dans les deux époques, sont étonnés d’être les mêmes hommes33.
Bonstetten condense ici plusieurs leitmotive de l’époque : le sentiment d’une accélération inouïe du temps politique et social ; la disjonction passé-présent, avec l’étrangeté du passé ainsi que l’étrangeté à soi qui en résultent ; et enfin la métaphorisation spatiale du temps, avec cette « Cordillère » qu’est la Révolution française séparant deux espaces, désormais clos sur eux-mêmes, de perception et d’appréhension de soi.
On peut également prendre l’exemple du Chateaubriand « historien », trop souvent oublié, des Études ou Discours historiques de 1831, dans lesquels il explique comment l’accélération présente de l’histoire l’affecte dans son travail d’historien (il est en train d’écrire sur Henri IV et les guerres de religion en France) :
L’histoire vivante a rapetissé ces faits de l’histoire morte, si fameux autrefois. Qu’est-ce en effet que la journée des Barricades, que la Saint-Barthélemy même, auprès de ces grandes insurrections du 7 octobre 1789, du 10 août 1792, des massacres du 2, du 3 et du 4 septembre de la même année, de l’assassinat de Louis XVI, de sa sœur et de sa femme, et enfin de tout le règne de la Terreur ? Et, comme je m’occupois de ces Barricades qui chassèrent un roi de Paris [12 mai 1588], d’autres Barricades [celles de juillet 1830 à Paris] faisoient disparoître en quelques heures trois générations de rois. L’histoire n’attend plus l’historien : il trace une ligne ; elle emporte un monde34.
L’accélération du temps devient alors l’impossibilité même d’écrire l’histoire (a fortiori l’histoire contemporaine, l’histoire du temps présent). De l’aveu des contemporains, on est alors en plein paradoxe, puisque c’est précisément en ce temps de crise que le besoin d’orientation se fait le plus intensément sentir.
Mais l’essentiel, ce qui est ici fondamentalement en jeu, c’est la mutation principielle et symbolique de l’ordre politique :
Des multitudes sans nom s’agitent sans savoir pourquoi, comme les associations populaires du moyen âge : troupeaux affamés qui ne reconnaissent point de berger, qui courent de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des pâtres durcis au vent et au soleil. Dans la vie de la cité tout est transitoire : la religion et la morale cessent d’être admises, ou chacun les interprète à sa façon. Parmi les choses d’une nature inférieure, même en puissance de conviction et d’existence, une renommée palpite à peine une heure, un livre vieillit dans un jour, des écrivains se tuent pour attirer l’attention ; autre vanité : on n’entend pas même leur dernier soupir. […] L’invasion des idées a succédé à l’invasion des barbares ; la civilisation actuelle décomposée se perd elle-même ; le vase qui la contient n’a pas versé la liqueur dans un autre vase ; c’est le vase qui s’est brisé. […] Quand la vapeur sera perfectionnée, quand, unie au télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait disparaître les distances, ce ne seront plus seulement les marchandises qui voyageront, mais encore les idées rendues à l’usage de leurs ailes. Quand les barrières fiscales et commerciales auront été abolies entre les divers États, comme elles le sont déjà entre les provinces d’un même État ; quand les différents pays en relations journalières tendront à l’unité des peuples, comment ressusciterez-vous l’ancien mode de séparation35 ?
Le délitement, à tous les niveaux de la société, de « l’ancien mode de séparation », voilà bien tout l’enjeu.
Ainsi, les accélérations matérielles dues aux mutations techniques et industrielles du début du xixe siècle ne font-elles tout au plus qu’intensifier la grande transformation engagée par la dissolution des cadres d’expérience politiques, sociaux, et religieux de l’Ancien Régime. Si « l’ancien monde finit36 », c’est parce que nous sommes entrés, avec 1789, dans l’ère logomachique des grands principes et des idéologies où nations et multitudes destituent la légitimité et l’expérience de la tradition. Symbole d’inquiétude pour certains, d’espérance illimitée pour d’autres, le thème de l’accélération de l’histoire figure dès lors, dans les consciences, le passage d’un âge théologico-politique à l’autre : le pouvoir et le magistère des « pâtres durcis au vent et au soleil » ont vécu alors que l’équilibre toujours instable de l’ordre démocratique moderne commence à peine. L’incertitude sur l’avenir allant grandissante, le diagnostic d’époque est davantage un mot conjuratoire qu’un concept analytique ; il est de l’ordre du ressenti relativement indéterminé, et non du jugement. Bref, la thématique de l’accélération de l’histoire correspond, à sa naissance, à une tentative de réappropriation active, par les sujets, de ce qui dans l’évolution de leur société les affecte et tétanise absolument37 ; elle trahit un besoin irrépressible d’orientation et ressortit en somme à la thématique kantienne du symbole historique dans le Conflit des facultés38.
Ce que thématise alors l’ensemble de ces discours, c’est ce que l’on pourrait appeler la dénaturalisation progressive de l’expérience traditionnelle du temps, qui était auparavant bien plus fortement liée aux contraintes naturelles de l’existence (le jour, la nuit, la propulsion lente dans l’espace par des forces animales, etc.). Cette nouvelle expérience du temps éprouvée par la mécanisation et l’industrialisation des forces motrices marque la fin à venir d’un âge pluriséculaire : l’âge hippomobile, des contraintes desquelles – pendant des siècles – les hommes n’avaient su s’affranchir qu’en partie (en maximisant le rendement continu d’une même technique de locomotion – le cheval et l’attelage – via l’organisation de plus en plus fluide et dense des postes, l’amélioration des chaussées, l’abaissement des coûts39). Et c’est précisément cette expérience de la fin de l’âge du cheval40 en matière de vitesse maximale possible de déplacement dans l’espace qui vient renforcer le sentiment selon lequel un nouvel âge politique et culturel s’ouvrirait : non plus la séparation des ordres mais la fusion et l’agitation des masses ; non plus l’absolutisme d’Ancien Régime mais l’égalisation des conditions et la dynamique démocratique moyennant une tension toujours instable entre liberté et égalité, entre la source de la souveraineté et sa mise en forme institutionnelle par le gouvernement représentatif.
Ce sentiment d’accélération matérielle se décline dans les discours du temps suivant différentes sous-thématiques.
Les observateurs ont tout d’abord le sentiment que l’espace se rétrécit comme jamais auparavant. Le Brockhaus le note en 183841 alors que Heinrich Heine l’écrit en toutes lettres dans un texte de 1843 repris plus tard dans Lutèce :
Mais le temps marche en avant rapidement, irrésistiblement, sur de fumantes locomotives à vapeur, et les héros usés du passé, les vieilles jambes de bois des nationalités restreintes, ces invalides et incurables, nous les perdrons bientôt de vue. […] Nous sentons […] que notre existence est entraînée ou plutôt lancée dans de nouveaux orbites, que nous allons au-devant d’une nouvelle vie, de nouvelles joies et de nouvelles souffrances, et l’inconnu exerce son charme mystérieux, à la fois attrayant et inquiétant. De pareils tressaillements doivent avoir agité nos pères alors que l’Amérique fut découverte, que l’invention de la poudre à canon s’annonça par les premiers coups de feu, que l’imprimerie répandit par le monde les premières épreuves de la parole divine. Les voies ferrées sont à leur tour un semblable événement providentiel, qui donne un nouvel élan à l’humanité, qui change la forme et la couleur de la vie sociale ; une nouvelle ère commence dans l’histoire universelle, et notre génération peut se vanter d’avoir assisté à son inauguration. Quelles transformations doivent maintenant s’effectuer dans nos manières de voir et de penser ! Même les idées élémentaires du temps et de l’espace sont devenues chancelantes. Par les chemins de fer, l’espace est anéanti, et il ne nous reste plus que le temps. Si nous avions seulement assez d’argent, pour tuer aussi ce dernier d’une façon convenable ! En trois heures et demie on fait maintenant le voyage d’Orléans ; en autant d’heures celui de Rouen. Que sera-ce, quand les lignes vers la Belgique et l’Allemagne seront exécutées et reliées aux chemins de fer de ces contrées ! Je crois voir les montagnes et les forêts de tous les pays marcher sur Paris. Je sens déjà l’odeur des tilleuls allemands ; devant ma porte se brisent les vagues de la mer du Nord42.
On a ensuite le sentiment que – égalisant de fait les classes qu’ils véhiculent ensemble et à la même vitesse pour des coûts toujours moindres – les nouveaux moyens de transport comme le chemin de fer ou le bateau à vapeur intensifient le mouvement démocratique et égalitaire de l’ordre politique moderne. L’égalisation des conditions est en marche non seulement dans l’ordre théologico-politique et social mais aussi matériel et quotidien. C’en est bientôt fini du Paris de Louis-Sébastien Mercier, en 1771, où c’était essentiellement par vanité ostentatoire que les grands et les riches de ce monde – « oubliant qu’il[s] avai[ent] des jambes » – encombraient les rues de Paris de chaises à porteurs et de calèches individuelles43.
La vitesse de locomotion des nouveaux transports en commun égalise les classes sociales et les transforme en une masse homogène se mouvant toujours plus vite sur un tracé rectiligne, identique pour chacun et au besoin percé au travers ou au-dessus des obstacles jadis naturels comme les montagnes, les cols, les fleuves, les vallées, etc. Dans l’art – comme un peu plus tard dans la publicité – de nouveaux répertoires iconographiques voient ainsi le jour : non plus le Sublime romantique du puissant spectacle de la nature, mais les lignes droites de la vitesse de déplacement dans l’espace des Modernes, au travers des reliefs et en direction du seul horizon qui désormais résiste à leur prométhéisme sublunaire – le soleil.
L’accélération constatée touche également à la division sociale du travail et au rythme accru des processus de production. Les gains de productivité dus à la technique permettent un abaissement des coûts salariaux inclus dans les coûts de production ; de plus en plus, les hommes se trouvent remplacés par les machines et déjà naissent, outre celle du chômage, nombre d’inquiétudes, comme sous celle de Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe : « Que ferez-vous du genre humain désoccupé44 ? »
La question se pose dès lors de savoir ce que les hommes feront de ce temps libre arraché par la technique aux contraintes traditionnelles de production, et lorsque l’on se situe – comme Chateaubriand – dans une pensée catholique faisant du péché originel et de la résistance de la matière les conditions de possibilité mêmes de la dignité et de la liberté humaines, on ne peut penser ce temps à soi que sur le mode des vices à venir des classes laborieuses. Pour qui abhorre l’âge des masses, progrès technique comme industriel et égalitarisme démocratique se renforcent ici l’un l’autre et apparaissent comme porteurs de tous les dérèglements sociopolitiques à venir. Mais une même expérience d’accélération matérielle peut donner ici lieu à différentes réactions (e.g. l’inquiétude anti-démocratique de Chateaubriand, l’ironie progressiste de Heine45), si bien que ce sont les prédispositions sociopolitiques, religieuses et culturelles qui vont infléchir, dans telle ou telle direction, le diagnostic d’époque formulé par les différents observateurs en présence, à partir d’un cadre phénoménal partagé. Corréler empiriquement telles ou telles prédispositions à tels ou tels types de diagnostic d’époque relèverait de plein droit d’une sociologie historique, encore à faire, de l’accélération matérielle et sociale de la modernité.
On a enfin le sentiment que – égalisant les conditions dans l’ordre symbolique et politique – l’accélération sociale vécue par les Modernes modifie de proche en proche le système jadis strictement naturel des besoins. Le seul temps de récréation, i.e. de régénération de la force de travail à des fins de survie, est supplanté par un temps libre à soi appelant de nouveaux désirs, lesquels se présentent peu à peu dans les consciences comme de nouveaux besoins. Naît alors le besoin de l’intensification des besoins et des plaisirs comme nouveau mode d’être au monde ; naît le système de la mode et l’empire de l’éphémère à partir desquels Baudelaire définira l’essence même de la modernité46. Bien sûr ce phénomène ne concerne-t-il au départ qu’une élite culturelle et sociale, mais la part de temps libre s’accroissant au sein des masses en fonction des gains de productivité dans la sphère économique, il y a là un ethos paradigmatique voué avec le temps à une fortune croissante. La montée de la thématique de l’ennui – de sa dimension sociale triviale à sa dimension métaphysique – n’est pas séparable de ces différentes expériences d’accélération sociale47.
Bien que concomitantes, et se renforçant l’une l’autre, deux séries de diagnostics et d’arguments doivent être soigneusement distinguées et mises en perspective pour les besoins de l’analyse : celle relative à la Révolution française, ayant donc trait aux mutations de l’ordre socio-politique moderne ; celle relative à la révolution industrielle, concernant les transformations du cadre matériel et économique de la vie moderne. Ceci étant, le sentiment d’accélération n’est pas toujours accompagné du sentiment de radicale nouveauté. La Révolution française a en ce sens pu être parfois perçue comme une brève période durant laquelle tout le cycle des formes politiques théorisées depuis l’Antiquité grecque s’était actualisé en accéléré certes mais sans qu’il y ait eu d’innovation qualitative pour autant. L’idée de nouveauté absolue des temps historiques ne va ainsi pas forcément de pair avec le constat d’une forme d’accélération sociale : l’ancien peut tout simplement se répéter en accéléré.
L’accélération de l’histoire aujourd’hui : de la globalisation à l’idéal de décélération
Le thème de l’« accélération de l’histoire » recoupe aujourd’hui un grand nombre d’analyses hétérogènes que l’on peut tenter de regrouper en quelques grandes sous-thématiques.
La mondialisation/globalisation
La thématique de l’« accélération de l’histoire » se trouve de plus en plus souvent assimilée à celle de la mondialisation/globalisation. On décrit ainsi tout d’abord l’état d’un monde contemporain en réseaux, monde connexionniste, via la généralisation de l’informatique et la diffusion de l’Internet, des téléphones portables et des chaînes de télévision à diffusion satellite ; on vise par là ensuite les délocalisations rendues possibles par l’abaissement des coûts de transport permettant de rentabiliser, dans les processus de production, des différentiels de coûts du travail entre différents espaces ; on s’attache enfin à décrire par ce biais la financiarisation contemporaine des économies, qui fait que – suivant une variation de la célèbre formule de Charles Quint – « le soleil ne se couche jamais sur l’empire des finances » : le temps de l’interaction dans une économie financiarisée serait ainsi aujourd’hui le temps minimal nécessaire à l’effectuation de transactions à travers le globe, soit quasiment le temps de la vitesse de la lumière – le temps réel48.
L’intensification de relations d’interaction sociales et politiques
La thématique de l’« accélération de l’histoire » se trouve souvent confondue avec celle de l’accélération du rythme des interactions sociales et de ses effets induits sur les consciences individuelles. Ainsi, la distinction introduite par Simmel au seuil du xxe siècle entre »Tempo des Lebens« et »Zeit des Lebens49« , i.e. entre temps psychologique vécu (lieu de toutes les affections sensibles) et temps calendaire mesurable (qui, lui, ne saurait en toute rigueur s’accélérer), bref entre temps subjectif et temps objectif, se trouve-t-elle gommée dans les analyses. Ce que l’on désigne alors sous cette thématique, c’est le fait que pour une même unité de temps calendaire mesurable les individus des sociétés modernes (sociétés industrialisées, urbanisées, massifiées, etc., bref fonctionnellement différenciées) sont soumis, par comparaison avec leurs aïeux, à des flux d’événements et d’interactions sociales toujours plus nombreux et denses. À tel point que, assaillis de tous côtés par cette réalité sociale proliférante, ils ont finalement le sentiment que leur économie psychique ne saurait plus faire la synthèse de l’infinie diversité qui les submerge. Le thème de l’« accélération de l’histoire » (ou encore de l’« accélération de l’accélération » depuis l’avènement des technologies modernes de communication et d’information donnant une envergure exponentielle à la mutation du télégraphe électrique autour de 185050) est alors l’indice sémantique du point de rupture psychique dont l’homme moderne serait désormais, tôt ou tard, immanquablement la proie. À la vision progressiste nécessitariste de l’histoire s’est substitué l’« âge de la nervosité51 » dès la fin du xixe siècle, et l’époque contemporaine ne fait en quelque manière que rejouer cette scène bien connue à l’âge high tech connexionniste.
À deux nouveautés près néanmoins. D’une part, l’érection récente du mouvement et du travail sans trêve en norme est le signe indubitable de ce que la valence sociale de l’otium nobiliaire d’antan (singé par le bourgeois rentier du xixe siècle) a été axiologiquement inversée. Le « bougisme » est devenu un signe extérieur du capital social et symbolique d’un individu, et l’ostentation de l’affairement autotélique est désormais non seulement un signe de distinction sociale mais une idéologie économique de statut52. D’autre part, le règne de l’image-événement diffusée en temps réel sur la planète entière a considérablement modifié la donne politique comparativement à l’« âge de la nervosité » de la fin du xixe siècle. Le tournant médiatique majeur de la politique locale et mondiale durant ces deux dernières décennies a induit une quasi-convergence, inédite jusque-là dans l’histoire, entre l’événement et sa retransmission télévisée devant l’opinion publique internationale. Ainsi, par rapport à un acte politique quelconque immédiatement relayé par la presse audiovisuelle ou maintenant les blogs et autres podcasters, le temps de réaction des différents acteurs du système politique se réduit-il comme une peau de chagrin : d’aucuns ne manquant pas d’affirmer que les situations d’urgence politique se gèrent désormais en temps réel, soit à la vitesse de transmission de l’image. Prenant acte de cet état de fait, l’État-major américain n’a ainsi pas hésité, durant la seconde campagne d’Irak de 2003, à embarquer des reporters de guerre parmi les troupes conduisant l’offensive : entre l’histoire se faisant sous nos yeux en temps réel et la censure travestie en absolue transparence, la confusion était dès lors complète.
Une nouvelle phase s’est de ce fait, semble-t-il, ouverte : celle de l’urgence politique, moyennant la notion concomitante de « risque politique53 ». Si l’âge des arcanes du pouvoir où les gouvernants pouvaient se ménager une zone de non-transparence médiatique et de secret semble aujourd’hui bien révolu aux yeux de certains, on peut se demander si la condition de possibilité de toute politique et liberté d’action ne demeure pas encore et toujours le « secret », bref un minimum de quant-à-soi de l’État, des gouvernants et des appareils centraux de décision54. Il se pourrait, en d’autres termes, que la thématique de l’urgence politique fasse trop rapidement l’impasse sur la sociologie, aujourd’hui fleurissante, de la « décision » politique.
L’inertie des systèmes techniques et industriels comme eschatologie intramondaine
L’accélération passée et continuée de l’histoire est également envisagée du point de vue de ses effets à long terme. L’inertie des systèmes techniques, industriels et de leurs effets sur la durée apparaît ainsi comme une des sources majeures des angoisses contemporaines. Nous subodorons que le sort en est déjà jeté, que nos jours ici-bas et ceux de la Planète sont peut-être déjà comptés, et nous allongeons quotidiennement la liste des possibles catastrophes écologiques sous les effets conjugués de la science et de ses applications techniques, des systèmes industriels et des habitudes de consommation au sein des pays développés. Une catastrophe écologique n’arrivant jamais seule, nous imaginons les catastrophes humaines, géopolitiques, etc. qui s’ensuivraient alors immédiatement.
Tout se passe désormais, à l’âge post-utopique, comme si l’espace mental d’une nouvelle eschatologie s’était ainsi reformé – non plus l’eschatologie chiliastique d’antan, mais quelque chose comme une paradoxale eschatologie intramondaine : nous savons que la course de l’humanité ici-bas pourrait à terme s’achever, mais – en raison de la trop grande complexité des systèmes et variables climatiques en jeu – nous ignorons encore à quelle échéance cette fin pourrait bien advenir. Les débats, dès lors, se polarisent : à l’« heuristique de la peur » (Hans Jonas) font écho les diagnostics volontaristes affirmant que la modernité trouvera comme à chaque fois en elle (dans l’instrument de son possible malheur – la science – et dans sa forme politique moderne privilégiée parce que capable d’auto-réflexivité et d’auto-correction – la démocratie) les ressources nécessaires au redressement à long terme d’une situation mal engagée55.
La « société mondiale du risque56 », qui est aujourd’hui la nôtre, nous renvoie ainsi à un des paradoxes majeurs de ce temps : nous ne saurions, comme jadis, imputer à la toute-puissance surplombante de la Nature ou des dieux la responsabilité des catastrophes naturelles, mais en même temps il nous est impossible d’interpeller tel ou tel acteur politique en particulier pour les décisions qu’il aurait prises ou bien qu’il n’aurait pas voulu ou su prendre en temps et heure afin d’empêcher que ne s’actualise tel ou tel danger planétaire potentiel. Compte tenu de l’inertie à court terme des systèmes économiques d’un côté et des rapports de force géopolitiques de l’autre, l’eschatologie écologique intramondaine contemporaine met pour ainsi dire le doigt sur ce qui constitue véritablement la quadrature du cercle des temporalités de l’action politique aujourd’hui : i.e. l’impossible mise en phase du temps long des effets écologiques induits par la sphère technico-industrielle mondiale et du temps court ou moyen de l’action politique démocratiquement légitimée.
La nature humanisée/technicisée a ainsi pris structurellement la place occupée autrefois par le hasard des catastrophes naturelles (tremblement de terre, éruptions volcaniques, etc.) ; les temporalités de l’action politique n’apparaissant plus aux yeux des citoyens à la mesure des risques globaux encourus, c’est à une délégitimation croissante des systèmes politiques démocratiques que nous assistons de ce fait. La grande équivalence progressiste moderne depuis F. Bacon entre maîtrise de la nature et maîtrise du destin collectif d’une société, voire de l’humanité, semble aujourd’hui définitivement désavouée :
Il semble parfois que les sociétés elles-mêmes ont d’autant moins la maîtrise de leur destin qu’elles ont, par l’intermédiaire de la technique, une maîtrise accrue du milieu naturel57.
La désynchronisation des temporalités politiques
Ce dernier point nous conduit à un problème général induit par l’accélération sociale contemporaine. La grande ambition moderne a assurément été, depuis un peu plus de deux siècles, de modeler un type de civilisation au sein duquel l’idéal d’autonomie individuelle et collective pourrait enfin être durablement réalisé. Dans le cadre de ce qu’Ulrich Beck appelle la « première modernité », les structures démocratiques délibératives étaient conçues comme des facteurs d’accélération du projet d’émancipation, dans le sillage de ce que l’État d’Ancien Régime et les exigences militaires d’alors avaient déjà permis d’instaurer en termes de centralisation/régulation administrative et territoriale d’un côté et d’innovation technique de l’autre. La conscience historique d’alors pouvait ainsi rêver d’une parfaite et durable adéquation entre formes politiques et processus économico-techniques présidant à la production de richesse (et d’autonomie via des mécanismes de redistribution) au sein de chaque société civile. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui – sous le coup de l’accélération sociale contemporaine perceptible non plus seulement entre les générations mais jusqu’à l’intérieur même de chaque génération –, c’est à la plus ou moins grande « désynchronisation », suivant les pays et les situations, entre les cadres étatiques régulateurs de telle ou telle entité politique et les mutations galopantes des structures économiques et techniques environnantes. Cette « désynchronisation » serait d’ailleurs telle que certains auteurs (e.g. William E. Scheuerman58) concluent à la nécessité de repenser le cœur même des théories modernes de la démocratie, à savoir le principe de la séparation des pouvoirs.
Le gouvernement représentatif du libéralisme politique procédural classique serait ainsi devenu incapable de réagir de manière suffisamment rapide aux situations d’urgences politiques, pourtant de nos jours de plus en plus fréquentes, en raison même du temps alloué à la réflexion parlementaire afin de légiférer sur des problèmes complexes – sur lesquels les sciences ont du reste elles-mêmes le plus grand mal à formuler des jugements irréfragables forçant le consensus. Outre le retard chronique des législations sur des phénomènes inédits et d’autant plus nombreux que le vide juridique règne, deux effets pervers majeurs sembleraient alors repérables : d’un côté, le pouvoir exécutif userait et parfois abuserait de méthodes expéditives, quoique constitutionnellement légitimes, de gouvernement (du type article 49-3) pour statuer rapidement sur des problèmes délicats ne souffrant pas de délai ; de l’autre, aussi bien le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif auraient une tendance fâcheuse et croissante à externaliser le moment de la délibération/décision démocratique, via le Parlement, au profit d’autres instances non démocratiquement légitimées (commissions d’experts, sous-systèmes juridiques, dérégulation, privatisation, etc.). Demeurant néanmoins responsables devant le peuple de l’orientation générale prise par toutes les politiques publiques, les gouvernements se trouveraient ainsi doublement en porte à faux : d’une part, parce qu’ils auront délégué à des sous-systèmes non démocratiquement légitimés des procédures de régulation dont les électorats ne manqueront pas de leur faire endosser la pleine responsabilité ; d’autre part, lorsque des mesures législatives auront tout de même été votées par le Parlement à l’issue de délibérations extra-parlementaires, parce que les contenus juridiques votés (en matière de bio-éthique par exemple) dépasseront souvent le common sense partagé des professionnels de la politique.
Ce phénomène contemporain de « désynchronisation » des sous-systèmes différenciés de nos sociétés peut toutefois prendre d’autres visages. La pression exercée par l’opinion publique sur les dirigeants et appareils politiques tend par exemple à renforcer la prédominance électoraliste du temps court de l’action politique de sorte à satisfaire des électorats traditionnels, voire des clientèles plus ou moins avouables. Aussi la montée actuelle de la « démocratie d’opinion » contre la « démocratie de représentation » apparaît-elle comme facteur d’aggravation, médiatiquement amplifié, de ladite désynchronisation59. Cette dernière s’avère en outre repérable au sein d’un même espace administratif (voir les émeutes des banlieues françaises de l’automne 2005). Certaines situations économiques, sociales, urbaines, etc. ayant une inertie considérable qu’aucune action politique ponctuelle ne saurait suspendre ni tangiblement corriger, les acteurs politiques démocratiquement mandatés apparaissent en effet aux yeux de l’opinion publique soit comme incapables, cyniques et corrompus, soit comme structurellement impuissants du fait du manque de clairvoyance passée de l’État dans l’anticipation des troubles sociaux présents sur des zones du territoire national cristallisant, sur un espace restreint, toutes les difficultés du monde contemporain. Certaines politiques publiques s’avérant aujourd’hui désynchronisées par rapport aux problèmes réels accumulés dans ces quartiers, la classe politique s’en trouve durablement délégitimée et les zones sensibles du territoire national apparaissent comme de véritables « ghettos temporels » à l’intérieur desquels régneraient d’autres mœurs et où la loi de la République serait devenue inapplicable. Or entre ces différentiels de temporalité existant à l’intérieur d’un espace national donné (différentiels au demeurant explicables par la défaillance des politiques passées) et le caractère supposément inassimilable de certaines populations immigrées, il y a un pas que les populismes racialisants contemporains n’hésitent bien évidemment pas à franchir.
La thèse majeure du sociologue allemand Hartmut Rosa n’est de ce point de vue pas dénuée de pertinence60. Il semble bien en effet, à certains égards en tout cas, que nous assistions aujourd’hui à une inversion fonctionnelle des facteurs traditionnels d’accélération de la modernité : les instances qui autrefois ont fait les États-nations et ont permis leur rapide modernisation en garantissant un minimum de cohésion sociale (l’État, l’armée, la bureaucratie, la démocratie, les politiques publiques de régulation, etc.), apparaissent désormais comme autant de freins à l’accélération sociale impulsée par la mondialisation, soit qu’on s’en réjouisse (pour les partisans d’un État fort correcteur des effets pervers du marché), soit qu’on le regrette (lorsque l’on est d’avis que l’accélération sociale induite par la sphère économico-technique transnationale est garante du projet d’autonomie moderne moyennant la production de richesses partageables). Aussi peut-on raisonnablement plaider pour la proposition post-koselleckienne61 qui en découle, celle d’envisager l’histoire de la modernité comme une histoire de l’accélération sociale et de substituer la périodisation fine des poussées tangibles d’accélération aux interminables débats contemporains sur la « postmodernité » (Lyotard, Latour, Haraway), la « modernité liquide » (Bauman62), la « seconde modernité » ou « modernité réflexive » (Beck63) ou encore la « haute modernité » ou « modernité tardive » (Giddens64). Étant donné que l’on est somme toute parfois en droit de se demander ce que lesdits débats objectivent vraiment, le fruit empirique escomptable d’une telle substitution de problématique ne serait peut-être pas négligeable.
La fin des milieux de mémoire ou la « Seconde Révolution française »
Dans le premier paragraphe introduisant l’entreprise générale des Lieux de mémoire, Pierre Nora écrivait en 1984 :
Accélération de l’histoire. Au-delà de la métaphore, il faut prendre la mesure de ce que l’expression signifie : un basculement de plus en plus rapide dans un passé définitivement mort, la perception globale de toute chose comme disparue – une rupture d’équilibre. L’arrachement de ce qui restait encore de vécu dans la chaleur de la tradition, dans le mutisme de la coutume, dans la répétition de l’ancestral, sous la poussée d’un sentiment historique de fond. L’accession à la conscience de soi sous le signe du révolu, l’achèvement de quelque chose depuis toujours commencé. On ne parle tant de mémoire que parce qu’il n’y en a plus65.
Et s’il n’y a plus de milieux de mémoire et que l’histoire donne le sentiment de s’accélérer, c’est parce qu’entre 1965 et 1984 une révolution sociale et civilisationnelle majeure a eu lieu, à tout le moins en France, que le fondateur de la sociologie rurale française, Henri Mendras, a qualifiée de « Seconde Révolution française66 ».
Durant ce court laps de temps, on a ainsi assisté non seulement à la « fin des paysans67 », mais surtout – outre la mutation radicale de la paysannerie depuis la « fin des terroirs68 » – à l’émiettement des trois autres grandes classes sociales qui depuis le xixe siècle assuraient l’équilibre d’ensemble du système social français : le prolétariat, la bourgeoisie et les classes moyennes « tiraillées entre leurs origines populaires et paysannes, et leurs ambitions bourgeoises69 ». Structurés autour de temporalités longues, avec une prégnance forte des régularités naturelles, les milieux de mémoire paysans ont fait long feu ; les couches prolétariennes se sont amenuisées au fil de la tertiarisation croissante de nos économies ; les bases patrimoniales de la bourgeoisie se sont effondrées au rythme des krachs financiers et de l’inflation si bien que le bourgeois vit aujourd’hui, comme tout le monde, « d’abord de son travail et accessoirement de sa fortune » ; bref, c’est un système de classes au sens fort qui s’est en peu de temps effondré en laissant la place à une multitude de groupes sociaux pour lesquels l’adéquation méritocratique traditionnelle entre niveau de revenu et hauteur des diplômes n’est absolument plus donnée70.
L’identité des individus et des groupes sociaux s’en trouve largement fragmentée sur la durée, et si l’on ajoute à cela les mutations profondes rencontrées par la famille (taux de nuptialité, de natalité, de divorce, nouvelle division sexuée du travail, etc.) et le fait massif que les institutions traditionnellement garantes d’une cohésion sociale minimale comme l’Église, l’armée, la République, l’école, les grands partis et syndicats de masse ont perdu leur fonction symbolique intégratrice, tout porte à croire que nous sommes entrés dans ce que Mendras appelle une « nouvelle civilisation des mœurs » à l’issue encore incertaine. Le thème de l’accélération de l’histoire, là encore, permet de nommer cette incertitude, alors que l’inflation mémorielle s’emploie de son côté à la conjurer.
La fin de la modernité comme temporalisation intramondaine de l’utopie
La naissance de la « conscience historique » dans la seconde moitié du xviiie siècle est allée de pair avec ce que Koselleck a appelé la temporalisation (Verzeitlichung) généralisée de l’histoire et de l’utopie. Cette sécularisation71 des discours traditionnellement religieux de l’espérance a fait apparaître le collectif singulier « histoire » comme un « facteur » non seulement supplémentaire mais central d’historicité permettant aux différents acteurs de situer leurs argumentaires et agenda politiques sur une échelle temporelle intramondaine unique, orientée vers l’avant et irréversible ; le perspectivisme moderne venait de naître, moyennant un surinvestissement inouï de l’avenir et l’idéologisation croissante des projets politiques.
Avec la chute du mur de Berlin, cet âge des idéologies intramondaines temporalisées s’est, semble-t-il, pour un moment refermé, et l’ancien thème de l’accélération de l’histoire n’apparaît plus aujourd’hui que sous la double figure, disjointe de tout telos empiriquement assignable, de l’accélération économico-technique et de l’accélération sociale. Un certain régime de croyance en l’histoire s’est épuisé dans la conscience des Modernes, et nous voici en quelque manière « condamnés à vivre dans le monde où nous vivons72 ». Non que la dynamique démocratique moderne, i.e. la tension irrésorbable entre l’idéal de liberté et celui d’égalité, ait cessé de déployer ses effets et que l’on puisse s’installer douillettement dans cet après la « fin de l’histoire » qu’incarnerait la démocratie représentative procédurale des pays développés73. Mais l’avenir n’apparaissant plus comme une surface de projection crypto-parousiaque, le présent semble s’évider et ne plus nous ramener qu’à la vacuité d’une accélération technique et sociale sans finalité axiologique substantielle. De ce nouveau régime d’accélération sans telos, il ne reste alors plus – une fois l’horizon messianique de l’histoire ôté – que l’agitation tous azimuts et le stress, le « bougisme » et le culte tyrannique de l’urgence74, le « présentisme75 » et le « sacre du présent76 ». Et c’est là assurément l’objection la plus sérieuse aujourd’hui contre l’idée même d’une accélération continuée de l’histoire.
Si l’on définit la modernité comme temporalisation de l’utopie, la détéléologisation contemporaine de l’histoire sonnerait en effet la fin même de la modernité, et « l’effacement77 » ou « dévalorisation culturelle de l’avenir » équivaudrait ainsi à une véritable révolution anthropologique assurant le passage de « l’homme-perspectif » de la Renaissance à « l’homme-présent78 » de la « posthistoire » (A. Gehlen79). L’« urgence » prendrait alors définitivement le pas sur le « projet », l’hétéronomie des sous-systèmes économique et technico-industriel sur l’idéal moderne d’autonomie individuelle comme collective.
Stratégies contemporaines de « décélération »
Et c’est précisément le désir de maintenir le projet moderne d’idéal de l’autonomie qui motive la plupart des discours contemporains sur la nécessaire « décélération » non plus tant de l’histoire mais du tempo effréné de nos sociétés. Le paradoxe est cependant que le même idéal moderne d’autonomie conduit à des options politiques radicalement différentes susceptibles de s’affronter sur la question des moyens à utiliser pour satisfaire à une telle finalité partagée. « Resynchroniser80 » le temps emballé de l’économique et du social avec les temporalités plurielles du psychisme individuel, de la politique délibérative et des grands équilibres écologiques planétaires, tel est le mot d’ordre général. Plusieurs variantes entrent dès lors en concurrence.
Ceux pour qui le capitalisme historique et sa forme avancée qu’est la mondialisation constituent le moteur premier d’une accélération sociale devenue aujourd’hui insupportable n’hésitent pas à prôner des stratégies de « resynchronisation forcée81 » afin de rapidement contenir les effets délétères du progrès technique et l’inertie destructrice des marchés. Certains courants altermondialistes82, voire d’écologie profonde, sont ainsi favorables à la « déglobalisation » et à la « décroissance » forcées de nos économies, alors qu’une vaste littérature, parfois outrancière mais de plus en plus souvent nuancée, fleurit aujourd’hui sur ce même thème de la nécessaire « décroissance » à terme du monde contemporain83 – et ce d’autant plus que l’humanité de l’âge industriel aura en deux cent cinquante ans consommé les réserves d’énergie fossilisée que la Nature avait mis des millions d’années à constituer.
Pour d’autres, qui acceptent le principe de l’économie sociale de marché comme critère indépassable d’efficacité économique, ce sont bien plutôt des politiques volontaristes d’ajustement par l’État qui constituent la clef de la nécessaire resynchronisation de nos sociétés. C’est la métaphore de l’État comme « maître des horloges » qui est alors filée, un État présenté comme garant du bien commun sur la moyenne et la longue durée et comme étant seul capable de prendre en charge le problème des biens collectifs, des investissements stratégiques d’envergure et des externalités. Philippe Delmas le martèle en d’innombrables variations de plume :
L’État est le gardien des horloges, le pourvoyeur de la lenteur nécessaire, inaccessible aux marchés parce que contraire à la rapidité qui fait leur force […]. Pour devenir durablement disponible, le capital doit obéir à d’autres règles que les siennes. Tel est le sens de l’action publique. L’État est le garant des horloges grâce auquel la lenteur nécessaire est donnée pour la gestation du futur84.
La métaphore vient de loin, puisqu’elle rejoue la figure même du Roi-Soleil en tant que principe de stabilité absolue à travers le temps. L’État « maître des horloges », ce n’est rien de moins que le portrait du monarque absolutiste en chronokrator, en « Maître du temps », dont la sagesse garantit la stabilité du présent, dont la mémoire préserve l’intégrité du passé et dont la prévoyance nous assure de la permanence et de la sérénité du futur85. L’idéal de maîtrise de ces différentiels de temporalité qui risqueraient de durablement désynchroniser les différentes sphères de nos sociétés en raison même de l’accélération technique, économique et sociale à laquelle elles sont soumises n’est ainsi finalement rien d’autre que la manière démocratique contemporaine (faisant allégeance à l’idéal régulateur moderne de l’autonomie et de la maîtrise du destin collectif) de réaffirmer le principe moderne de souveraineté sous-jacent à la métaphore du chronokrator absolutiste. L’État démocratique répond au marché, comme le berger à la bergère : se posant comme garant de la continuité de l’action publique, de la solidarité nationale et de la pérennité du lien social, il entend combattre les effets pervers de la rapidité, de la flexibilité et des mutations permanentes intrinsèques au fonctionnement des marchés.
Mais la volonté de décélération prend également des formes relativement disjointes de la question du pouvoir étatique central et de ses usages via des politiques publiques aux vertus resynchronisantes. Contre le productivisme, le consumérisme et l’accélération sociétale qui en est la condition de possibilité même, ce qui est alors valorisé – à titre individuel ou collectif –, c’est une meilleure qualité du temps subjectif vécu et la capacité des acteurs sociaux à inventer des formes de vie plus humaines, moins heurtées et moins saturées de stress ; ce que l’on vise ainsi, c’est à rendre psychologiquement supportable les flux d’événements hétérogènes dans les consciences de sorte à pouvoir reformuler à nouveaux frais, hors culte de la performance, la question même du sens de l’existence. Une esthétique et une éthique de la « lenteur86 » en découlent, qui remplissent actuellement les étals des libraires, moyennant bien souvent une allègre confusion des genres (de la philosophie esthétisante de bon niveau87 aux mille et une recettes hédonistes, à l’usage des hommes modernes pressés que nous sommes, afin de mieux gérer notre temps et de conjuguer enfin efficacité économique et bonheur individuel88). Bien entendu, parmi les discours philosophiques sur la lenteur existentielle nécessaire à notre temps, Walter Benjamin – et sa thématique de l’instant messianique (Jetztzeit) venant suspendre perpendiculairement le temps de l’histoire et de l’accélération sociale – s’avère plus qu’aucun autre propre à délier les cœurs et les langues, ce qui nous gratifie chroniquement d’une interminable glose de Sur le concept d’histoire (1940).
Une ultime manière d’en appeler à la thématique de la « décélération » nous vient d’un diagnostic général sur la mentalité moderne récemment formulé par Heinz Dieter Kittsteiner89. Selon ce dernier, il conviendrait en effet aujourd’hui de rompre en profondeur, dans les pratiques politiques et culturelles héritées, avec ce qu’il nomme « modernité héroïque », c’est-à-dire la volonté de rendre congruents le « temps du monde » et le « temps de la vie individuelle » (Blumenberg90) via l’activisme du surhomme nietzschéen ou de l’homme nouveau révolutionnaire. C’est ce régime révolutionnaire de la maîtrise héroïque du temps, visant à faire coïncider temps du monde et temps de l’individu, qu’il s’agirait de congédier – ainsi par conséquent que le rêve d’extrême gauche d’une possible resynchronisation forcée de nos sociétés, historiquement en retard pour certains (i.e. les mille et une rhétoriques mortifères du « grand bon en avant ») ou malades du culte de l’urgence pour d’autres. Rompre définitivement avec la figure politique de « l’enthousiasme » (Schärmerei), tel serait donc, malgré les tentations anti-ou altermondialistes radicales contemporaines, l’ultime effort qu’il conviendrait de fournir pour être résolument républicain.
- *.
Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Paris.
- 1.
Paul Valéry, « Fluctuations de la liberté » [1938], dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. 2, 1960, p. 951-969, ici p. 969.
- 2.
Voir ses articles fondamentaux »Gibt es eine Beschleunigung der Geschichte ? « [1976], dans Reinhart Koselleck, Zeitschichten. Studien zur Historik, Francfort/Main, Suhrkamp, 2000, p. 150-176 et » Zeitverkürzung und Beschleunigung. Eine Studie zur Säkularisation « [1985], ibid., p. 177-202.
- 3.
Peter Borscheid, Das Tempo-virus. Eine Kulturgeschichte der Beschleunigung, Francfort/ Main, Campus, 2004.
- 4.
Hartmut Rosa, “Social Acceleration: Ethical and Political Consequences of a Desynchronized High-Speed Society”, dans Constellations. An International Journal of Critical and Democratic Theory, vol. 10, no 1, mars 2003, p. 3-33 ; id., Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstruktur in der Moderne, Paris, Suhrkamp, 2005 ; et Hartmut Rosa, Julia Clemens et Matthias Mayer (eds), Fast forward. Essays zu Zeit und Beschleunigung. Standpunkte junger Forschung, Hambourg, Fondation Körber, 2004.
- 5.
Le rôle joué par la prise de position eschatologique mais anti-chiliastique de saint Augustin (la Cité de dieu, XX, 7 sq.) aura été considérable et aura durablement pesé sur les prises de position anti-millénaristes de l’Église institutionnelle. Il convient donc de bien distinguer, à l’intérieur des discours eschatologiques, entre le positionnement eschatologique anti-chiliastique de l’Église (à commencer par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique [III, xxxix, 11-13 et XII, xxxix, no 31 bis] puis saint Augustin donc) et les eschatologies millénaristes d’individus ou groupes non chapeautés par l’institution ecclésiale officielle pour laquelle ils sentent évidemment le soufre de la révolution, à tout le moins du désordre social. Sur tout ceci, voir Jean Delumeau, Une histoire du paradis, 3 vol., Paris, Fayard, 1992-1995-2000, ici vol. 2 : Mille ans de bonheur, p. 30 sq. et passim.
- 6.
Si l’on met de côté certains discours néo-chiliastiques contemporains au sein de certaines sectes ou chez quelques auteurs isolés (comme Paco Rabanne, la Fin des temps : d’une ère à l’autre, Paris, Michel Lafon, 1993).
- 7.
Matthieu, XXIV, 36 ; Pierre Jurieu, l’Accomplissement des prophéties, 2 vol., Rotterdam, Abraham Acher, 1686 (rééd. du vol. 2 seulement, présentation par Jean Delumeau, Paris, Imprimerie nationale, 1994), vol. 2, chap. XXIII, p. 308.
- 8.
Si ce n’est pas le lieu ici de s’étendre sur ces différentes variantes eschatologiques, on ne saurait passer sous silence les fortes disparités de points de vue existant en la matière. La tradition initiée par saint Augustin doit être ainsi fortement distinguée de la doctrine des trois âges du monde chez Joachim de Flore ou encore du chiliasme volontariste et violent des taborites tchèques puis anabaptistes de Münster. Sur tout ceci, voir les distinctions idéal-typiques introduites par Jean Delumeau dans sa première étude intitulée la Peur en Occident (xive-xviiie siècles) [1978], Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1999, p. 259-331 et dans sa reprise très approfondie dans Une histoire du paradis, op. cit., en particulier le deuxième volume.
- 9.
Johann Albrecht Bengel, Erklärte Offenbarung Johannis, Stuttgart, Erhardt, 1740 ; Ordo temporum, Stuttgart, Erhardt, 1741 ; Sechzig erbauliche Reden ueber die Offenbarung Johannis, Stuttgart, Erhardt, 1748.
- 10.
Johann Heinrich Jung-Stilling, Das Heimweh, 4 vol., Marbourg, neue akademische Buchhandlung, 1794-1796 et Die Siegesgeschichte der christlichen Religion : in einer gemeinnützigen Erklärung der Offenbarung Johannis, Nuremberg, Raw, 1799.
- 11.
Matthieu, XXIV, 36.
- 12.
Ibid., 44.
- 13.
Paul, 1re épître aux Thessaloniciens, V, 1-2.
- 14.
Apocalypse de Jean, XII, 12.
- 15.
Voir Augustin, la Cité de Dieu, livre XX, chap. 8 ; P. Jurieu, l’Accomplissement des prophéties, op. cit., vol. 2, chap. XXII, p. 300 sq.
- 16.
Sur toute cette littérature, voir Ernst Benz, Endzeiterwartung zwischen Ost und West. Studien zur christlichen Eschatologie, Fribourg/Brisgau, Rombach, 1973 et Akzeleration der Zeit als geschichtliches und heilgeschichtliches Problem, Académie des sciences de Mayence/Wiesbaden, Steiner, 1977. Mais, dans d’autres contextes, certains groupes religieux ont prôné l’émigration vers le Nouveau Monde dont l’avenir était tenu soit pour radicalement indéterminé et ouvert, soit incarnant le troisième âge terrestre dit de l’Esprit saint précédant pour mille ans la parousie et la fin proprement dite du monde, voir J. Delumeau, Une histoire du paradis, op. cit., vol. 2, p. 275 sq.
- 17.
P. Jurieu, l’Accomplissement des prophéties, op. cit., vol. 2.
- 18.
Ibid., p. 65 et 300 sq.
- 19.
Voir les travaux classiques de Philippe Joutard, les Camisards [1976], rééd. Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 1994, p. 64 sq.
- 20.
Justin de Naplouse, Dialogue avec Tryphon, édition critique (grec ancien-français) par Philippe Bobichon, 2 vol., Fribourg, Academic press, coll. « Paradosis », 2003.
- 21.
Papias de Hiérapolis, « Les exégèses des discours du Seigneur », dans Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, xxxix, repris dans les Écrits des pères apostoliques, Paris, Cerf, 2001, p. 319 sq.
- 22.
Irénée de Lyon, Contre les hérésies, V, 30 (§ 1, 2, 4) et V, 33 (§ 4). Sur le millénarisme des pères apostoliques et au-delà, voir les deux ouvrages classiques de Henri Desroche (sous la dir. de), Dieux d’hommes : dictionnaire des messianismes et millénarismes de l’ère chrétienne, Paris/ La Haye, Mouton, 1969 et J. Delumeau, Une histoire du paradis, op. cit., vol. 2, Mille ans de bonheur, p. 21 sq.
- 23.
P. Jurieu, l’Accomplissement des prophéties, op. cit., vol. 2, chap. XXIII, p. 303 sq. Notons que le terme de « millénaires » désignant les millénaristes est encore employé par Camille Flammarion à la fin du xixe siècle, voir la Fin du monde, Paris, Flammarion, 1894, p. 166.
- 24.
Sur la transformation progressive, dans le second xixe siècle, des catégories religieuses de l’attente en agenda de l’espérance socialiste, voir l’étude de Lucian Hölscher, Weltgericht oder Revolution. Protestantische und sozialistische Zukunftsvorstellungen im deutschen Kaiserreich, Stuttgart, Klett-Cotta, 1989.
- 25.
Ferdinand Lassalle, Franz von Sickingen. Eine historische Tragödie, Berlin, Duncker, 1859.
- 26.
Voir l’étude classique de R. Koselleck, « Le concept d’histoire », dans l’Expérience de l’histoire, Paris, Le Seuil/Gallimard, coll. « Hautes études », 1997, p. 15-99.
- 27.
Voir sur ce point les travaux de Lucian Hölscher, Die Entdeckung der Zukunft, Francfort/Main, Fischer, 1999. On peut nuancer ce diagnostic – sur la base d’une histoire des mentalités, et non du tout en termes de sémantique historique – avec l’étude de Jacques Le Goff, « Le Moyen Âge entre le futur et l’avenir », dans Vingtième siècle, vol. 1, no 1, p. 15-22.
- 28.
Matthieu, XXIV.
- 29.
Cette distinction entre choses futures et futur est importante car il serait absurde, à force de sémantique historique, de soutenir que l’idée d’événements à venir (autres que présents ou passés) n’a pas existé avant le xviiie siècle. C’est bien évidemment de tout autre chose qu’il s’agit ici, à savoir de l’histoire de différents « régimes d’attente » à travers les âges.
- 30.
Daniel Halévy, Essai sur l’accélération de l’histoire [1948], suivi de le Quadrige emporté [1946], L’histoire va-t-elle plus vite ? [1948], la Conquête des forces de la nature [1948]. Leibniz et l’Europe [1940], textes rassemblés par Jean-Pierre Halévy, Paris, Éd. de Fallois, 2001, p. 66, 102 et 154.
- 31.
R. Koselleck, » Die Verzeitlichung der Utopie « [1982], dans Zeitschichten. Studien zur Historik, op. cit., p. 131-149.
- 32.
R. Koselleck, « Le concept d’histoire », art. cité.
- 33.
Charles-Victor de Bonstetten, l’Homme du Midi et l’homme du Nord, Genève/Paris, Paschoud, 1824, p. 203, soit le XXIVe et dernier chapitre intitulé « Ce que nous avons été et ce que nous sommes – ou l’an 1789 et 1824 ». Je remercie vivement les maîtres d’œuvre des admirables Bonstettiana (14 vol., Göttingen, Wallstein, 1996 sq.), Doris et Peter Walser-Wilhelm, d’avoir bien voulu me communiquer cette référence.
- 34.
Chateaubriand, préface aux Études ou Discours historiques, dans Œuvres complètes, vol. 4, Paris, éd. Ladvocat, 1831, p. cxxxvj-cxxxvij, c’est moi qui souligne.
- 35.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe [1849], Paris, Livre de poche, 1979, t. 3, p. 713-715 (c’est moi qui souligne).
- 36.
Ibid., p. 737.
- 37.
Qu’on me permette de renvoyer à une étude dans laquelle j’ai tenté de formaliser ce point à propos des représentations fantasmées du Moyen Âge chez les Modernes, voir « Pour une histoire européenne comparée des imaginaires historiographiques modernes du monde médiéval », dans Natalie Fryde, Otto Gerhard Oexle et Pierre Monnet (sous la dir. de), l’Imaginaire moderne de la société médiévale (xixe-xxie siècles), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006, p. 381-423.
- 38.
Cette veine interprétative a été récemment remise sur le métier dans Heinz Dieter Kittsteiner (ed.), Geschichtszeichen, Cologne, Böhlau, 1999.
- 39.
Sur cette histoire des sauts qualitatifs non négligeables, parce qu’organisationnels, qu’a connu un même âge technique, i.e. l’âge hippomobile des postes, voir la synthèse récente de Wolfgang Behringer, Im Zeichen des Merkur : Reichspost und Kommunikationsrevolution in der Frühen Neuzeit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.
- 40.
Voir Wolfgang Schivelbusch, Geschichte der Eisenbahnreise : zur Industrialisierung von Raum und Zeit im 19. Jahrhundert, Munich, Hanser, 1977 et Wolfgang Kaschuba, Die Überwindung der Distanz : Zeit und Raum in der europäischen Moderne, Francfort/Main, Fischer, 2004.
- 41.
« Les chemins de fer ont rétréci l’Europe à peu près à la surface de l’Allemagne », voir l’entrée » Eisenbahnen« , dans Conversations-Lexikon der Gegenwart in vier Bänden, Leipzig, Brockhaus, 1838, vol. 1/2, p. 1115-1136, cité ici d’après R. Koselleck, » Gibt es eine Beschleunigung der Geschichte ? « , dans Zeitschichten, op. cit., p. 160.
- 42.
H. Heine, Lutèce : lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France [1855], Genève, Slatkine, 1979, p. 326-327. On trouvera nombre de témoignages similaires dans Carl Löper (ed.), Stammbuch der neueren Verkehrsmittel. Eisenbahnen, Dampfschiffe, Telegraphen und Luftschiffe. Eine Sammlung von Liedern und Gedichten, Aufsätzen und Schilderungen, Lahr, Schauenburg, 1881.
- 43.
Voir son roman d’anticipation intitulé l’An 2440 : rêve s’il en fut jamais [1771], chap. V, Paris, La Découverte, 1999, p. 45 sq.
- 44.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit., t. 3, p. 715.
- 45.
H. Heine, Lutèce…, op. cit., p. 327 : « Par les chemins de fer, l’espace est anéanti, et il ne nous reste plus que le temps. Si nous avions seulement assez d’argent, pour tuer aussi ce dernier d’une façon convenable ! »
- 46.
Concernant les différents volets de cette histoire culturelle encore en chantier, voir Alain Corbin (sous la dir. de), l’Avènement des loisirs (1850-1960), Paris, Aubier, 1995, rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2001.
- 47.
Martina Kessel, Langeweile. Zum Umgang mit Zeit und Gefühlen in Deutschland vom späten 18. bis zum frühen 20. Jahrhundert, Göttingen, Wallstein, 2001.
- 48.
Sur tout ceci, voir Jean-Marc Salmon, Un monde à grande vitesse. Globalisation, mode emploi, Paris, Le Seuil, 2000.
- 49.
Georg Simmel, »Die Bedeutung des Geldes für das Tempo des Lebens« (1897-1900), dans Aufsätze und Abhandlungen 1894 bis 1900 (= Gesamtausgabe, vol. 5), Francfort/Main, Suhrkamp, 1992, p. 215-234, ici p. 217.
- 50.
Jean Ollivro, Quand la vitesse change le monde : essor de la vitesse et transformation des sociétés, Rennes, Apogée, 2006.
- 51.
Joachim Radkau, Das Zeitalter der Nervosität : Deutschland zwischen Bismarck und Hitler, Munich, Hanser, 1998.
- 52.
Voir les analyses de Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme : démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Fondation du 2 mars/Mille et une nuits, 2001.
- 53.
Voir J.-M. Salmon, Un monde à grande vitesse…, op. cit.
- 54.
Sur la « catégorie quasi transcendantale » de « secret » en tant que condition de possibilité de toute politique et donc de l’histoire effective même, voir l’article désormais classique de R. Koselleck, « Théorie de l’histoire et herméneutique » [1985], dans l’Expérience de l’histoire, op. cit., p. 181-199.
- 55.
Voir par exemple la réponse à Jonas et à l’Appel de Heidelberg de Dominique Lecourt, Contre la peur : de la science à l’éthique, une aventure infinie suivi de la Critique de l’Appel de Heidelberg, 2e éd., Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1993.
- 56.
Ulrich Beck, World Risk Society, Oxford, Polity Press, 1999.
- 57.
Raymond Aron, les Désillusions du progrès, Paris, Calmann-Lévy, 1969 ; rééd. Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1996, p. 285.
- 58.
Voir William E. Scheuerman, “Liberal Democracy and the Empire of Speed”, dans Polity, vol. 34, no 1, automne 2001, p. 41-67 ; Liberal Democracy and the Social Acceleration of Time, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2004.
- 59.
Voir par exemple les critiques de Michel Rocard commentée par Jean-Noël Jeanneney, L’histoire va-t-elle plus vite ? Variations sur un vertige, Paris, Gallimard, coll. « Le Débat », 2001, p. 120 sq.
- 60.
H. Rosa, Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstruktur in der Moderne, op. cit., p. 311-329 et 402 sq.
- 61.
On notera que cette thèse n’est que la retraduction sociologisante du processus de « temporalisation de l’Histoire » repéré par R. Koselleck depuis le dernier tiers du xviiie siècle.
- 62.
Zygmunt Bauman, Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000.
- 63.
Compte tenu des critiques formulées contre le concept de « seconde modernité », voir la mise au point récente de Ulrich Beck et Christoph Lau, “Second modernity as a research agenda: theoretical and empirical explorations in the ‘meta-change’ of modern society”, British Journal of Sociology, vol. 56, no 4, décembre 2005, p. 525-557.
- 64.
Anthony Giddens, The Consequences of Modernity, Cambridge, Polity, 1990.
- 65.
Pierre Nora (sous la dir. de), « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux » [1984], dans les Lieux de mémoire, rééd. Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1997, vol. 1, p. 23-43.
- 66.
Henri Mendras, la Seconde Révolution française (1965-1984), Paris, Gallimard, 1988, rééd. refondue, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1994.
- 67.
Id., la Fin des paysans : changement et innovations dans les sociétés rurales françaises, Paris, Sedeis, 1967, rééd. augmentée, Le Paradou, Paris, Actes Sud, 1992.
- 68.
Eugen Weber, la Fin des terroirs : la modernisation de la France rurale (1870-1914), Paris, Fayard, 1983.
- 69.
H. Mendras, la Seconde Révolution française (1965-1984), op. cit., rééd. 1994, p. 29.
- 70.
Ibid.
- 71.
R. Koselleck, sur ce point précis, est au moins autant redevable à l’étude classique de Karl Löwith (Histoire et Salut [1949], Paris, Gallimard, 2002) qu’à la première théologie politique de Carl Schmitt en 1922 (Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988, première partie). Voir en outre le bon livre de Jean-Claude Monod, la Querelle de la sécularisation, Paris, Vrin, 2002.
- 72.
François Furet, le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au xxe siècle, Paris, Laffont, 1995, p. 572.
- 73.
Jocelyn Benoist et Fabio Merlini (sous la dir. de), Après la fin de l’histoire : temps, monde, historicité, Paris, Vrin, 1998.
- 74.
Nicole Aubert, le Culte de l’urgence : la société malade du temps, Paris, Flammarion, 2003.
- 75.
Pierre-André Taguieff, l’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000, p. 95 sq. et François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
- 76.
Voir les différents textes de Zaki Laïdi à ce sujet : « L’urgence ou la dévalorisation de l’avenir », dans Esprit, février 1998, p. 8-20 ; la Tyrannie de l’urgence, Montréal, Fides/Québec, Musée de la civilisation, 1999 et le Sacre du présent, Paris, Flammarion, 2000.
- 77.
P.-A. Taguieff, l’Effacement de l’avenir, op. cit.
- 78.
C’est là la thèse centrale de Zaki Laïdi, dans la pure lignée des analyses de R. Koselleck sur le perspectivisme moderne (à ceci près que Laïdi va un peu vite en besogne en escamotant les nombreuses médiations historiques et théoriques ayant existé entre le perspectivisme pictoral de la Renaissance et le perspectivisme temporalisé des philosophies de l’histoire de la seconde moitié du xviiie siècle). On notera que de ce point de vue Koselleck ne faisait lui-même qu’infléchir en direction d’une théorie des temporalités historiques et d’une critique des sociodicées politiques le débat européen sur la « crise de l’historisme » d’après 1914-1918 tel que Karl Mannheim l’avait réinterprété, dès 1924, sous le registre d’un perspectivisme historiciste propre aux Modernes, voir l’étude très complète de Reinhard Laube, Karl Mannheim und die Krise des Historismus : Historismus als wissenssoziologischer Perspektivismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003.
- 79.
Arnold Gehlen, »Über kulturelle Kristallisation« , dans Studien zur Anthropologie und Soziologie [1963], 2e éd. Neuwied/Berlin, Luchterhand, 1971, p. 311-328 et « Post-Histoire » (manuscrit inédit publié par Piet Tommissen), dans Helmut Klages et Helmut Quaritsch (eds), Zur geisteswissenschaftlichen Bedeutung Arnold Gehlens, Berlin, Duncker & Humblot, 1994, p. 885-895. Voir également Lutz Niethammer, Posthistoire : ist die Geschichte zu Ende ?, Hambourg, Rowohlt, 1989.
- 80.
Jeremy Rifkin, Time Wars. The Primary Conflict in Human History, New York, Henry Holt & Co, 1987.
- 81.
H. Rosa, Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstruktur in der Moderne, op. cit., p. 488.
- 82.
Voir les cinq types de mouvements récemment distingués par Eddy Fougier, Altermondialisme, le nouveau mouvement d’émancipation ?, Paris, Lignes de repères, 2004.
- 83.
Voir par exemple la création récente de la revue Entropia. Revue d’étude théorique et politique de la décroissance, Lyon, Parangon, 2006 sq.
- 84.
Philippe Delmas, le Maître des horloges. Modernité de l’action politique, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 27 et 83 (c’est l’auteur qui souligne).
- 85.
Voir Klaus Maurice, Die französische Pendule des 18. Jahrhunderts : ein Beitrag zu ihrer Ikonologie, Berlin, de Gruyter, 1967.
- 86.
Voir le succès mondial rencontré par le roman pseudo-historique (sur le navigateur et explorateur polaire John Franklin [1786-1847]) de l’écrivain allemand Sten Nadolny, la Découverte de la lenteur (Die Entdeckung der Langsamkeit. Roman, Munich, Piper, 1983 ; trad. fr. Paris, Grasset, 1985, rééd. 1998).
- 87.
Voir par exemple Helga Nowotny, le Temps à soi : genèse et structuration d’un sentiment du temps (1989), Paris, Msh, 1992 et Sylviane Agacinski, le Passeur du temps. Modernité et nostalgie, Paris, Le Seuil, 2000.
- 88.
Voir parmi tant d’autres la dernière partie du livre de Stefan Klein, Zeit. Der Stoff aus dem das Leben ist. Eine Gebrauchsanleitung, Francfort/Main, Fischer, 2006.
- 89.
Voir H. D. Kittsteiner, » Einheit im Pluralismus : Wie kann Geschichtstheorie widerspruechliche Zeitvorstellungen verbinden ? « , art. cité, et » Die Stufen der Moderne « , dans Johannes Rohbeck et Herta Nagl-Docekal (eds), Geschichtsphilosophie und Kulturkritik. Historische und systematische Studien, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003, p. 91-117.
- 90.
H. Blumenberg, Lebenszeit und Weltzeit, Francfort/Main, Suhrkamp, 1986.