De l’art de mieux gouverner à l’art de parler clairement
Sans tarder, le président de la République et le Premier ministre ont mis l’accent sur l’art de gouverner. Prenant le contre-pied de la présidence Sarkozy, ils ont affiché des mesures de rigueur, de modération, de modestie, de discrétion. Ils ont également insisté sur la nécessité de respecter la division des pouvoirs entre la présidence, le gouvernement et le Parlement. Si l’on a assisté à un « sans-faute » jusqu’au couac provoqué par le tweet déplacé de la compagne du président, les gouvernants donnent pourtant l’impression d’être sur leurs gardes, de jouer sur la défensive. C’est que l’art de gouverner ne peut se réduire aujourd’hui à une méthode ou à des procédures. Le soir du premier tour des législatives, Jean-Marc Ayrault a rappelé ce qui a été annoncé, ce qui a déjà été fait et ce qui devrait être réalisé. Le soir du second tour, il a laissé entendre les durs partages et décisions à venir. Mais il a parlé sur un ton qui trahissait la faiblesse d’un art de gouverner peu soucieux d’indiquer des orientations fortes et collé au « programme ». À se satisfaire d’un bipartisme politique PS/Ump qui, d’un côté, tire les bénéfices de la marginalisation du communisme et de l’extrême gauche et, de l’autre, ne prend pas vraiment la mesure des dérives marinistes qui minent la droite, nous nous soustrayons à une réflexion sur les ressorts idéologiques d’un socialisme vraiment contemporain, nous ne nous inquiétons pas d’une réforme profonde des institutions dont l’hyperprésidentialisme n’a pas été un épiphénomène mais le révélateur, nous ne nous demandons pas vraiment pourquoi la France de François Hollande est une France du centre gauche qui n’en a pas moins désavoué le centre politique de François Bayrou. Et surtout, nous restons enfermés dans notre pré carré comme s’il fallait ressusciter la République et l’industrialisme d’après-guerre, qui a porté le gaullo-communisme et ses grands projets d’infrastructure. Derrière la discrétion de la parole gouvernementale, compréhensible un moment mais guère tenable sur la durée, le risque est de ne pas entendre que le vote des Français est un vote d’incertitude. Que la société demande à être rassurée mais aussi à être partie prenante d’une époque déstabilisante et difficilement interprétable, une fois digérés les chiffres des experts.
Être partie prenante ? Cela signifie que nous voulons tous comprendre un certain nombre de choses. Au-delà des querelles politiques et de la langue de bois, nous aimerions entendre un discours cohérent sur la place de l’État : la question n’est pas de savoir si l’État est en recul ou s’il doit reprendre la main. Car l’État opère désormais comme un agent de la mise en concurrence (des villes, des universités…). C’est lui qui a favorisé la dérégulation économique, qui ne veut pas lâcher grand-chose sur l’Europe, qui ne veut pas composer avec un monde extérieur qu’il ne faut pas réduire au commerce international. Nous aimerions également entendre un discours plus convaincant sur la croissance : après la crise de 2008, les interrogations portaient sur le type de croissance tenant compte des impératifs écologiques. Mais depuis l’été 2011 et l’inquiétude liée aux dettes souveraines, « la croissance sans trop d’austérité » est vantée comme un facteur de création d’emploi, ce qui est légitime mais insuffisant dans le contexte de crise qui est le nôtre.
Pour nous, la crise politique est aussi une crise intellectuelle : le monde tourne sur lui-même à toute vitesse et produit des bulles de temps à autre. La parole politique doit renvoyer à l’histoire qui se déroule, c’est pourquoi Jean-Marc Ayrault, qui a bien gouverné sa ville, cette métropole nantaise devenue le modèle à suivre pour bien d’autres, ne devrait pas oublier qu’une métropole est aujourd’hui le meilleur prisme pour saisir comment associer le local et le global. Sa double nature centrifuge et centripète est plus en phase avec la mobilité des flux contemporains que l’État, une institution souveraine prisonnière de sa verticalité et de ses frontières qui tendent à l’enfermer sur lui-même. La réforme des collectivités territoriales annoncée nous apprendra comment des socialistes composent aujourd’hui le national et l’international, le local et le global sans se cacher à tout bout de champ derrière les vertus de la République. La Grèce va très mal mais la politique est une affaire de logos depuis longtemps !
Esprit