
La restauration du Retable d’Issenheim
Le Retable d’Issenheim, chef-d’œuvre de l’art gothique, ne cesse de fasciner par les partis pris et les libertés dont fait montre sa composition. Sa restauration, commencée en 2013 et achevée en 2021, restitue dans le détail toute la force des scènes qu’il dépeint.
L’évidence fait l’unanimité : le Retable d’Issenheim est un chef-d’œuvre. Pour Joris-Karl Huysmans, c’est bien simple : « Auprès de Grünewald, tous s’écroulent. […] il vous accapare et vous subjugue ; en comparaison de ces clameurs et de ces outrances, tout le reste paraît aphone et fade1. » Mais on n’en sait pas grand-chose, pas assez en tout cas pour situer et comprendre pareille singularité dans l’histoire de la peinture.
Les qualités hors norme de style, de facture, de technique, signent le travail d’un très grand maître, certainement renommé et épaulé d’assistants talentueux (peintres, menuisiers, ébénistes). Tout chef-d’œuvre qu’il soit, le Retable d’Issenheim reste pourtant orphelin : pas de signature visible, pas de contrat de commande ni de règlement qui nous soit parvenu. L’auteur est-il bien Matthias Grünewald, selon l’hypothèse la plus plausible à ce jour ? Des partis pris iconographiques intriguent aussi : saint Jean-Baptiste (décapité avant l’arrestation du Christ) figure en prophète, au pied de la Croix ; un grand concert d’anges vole presque la vedette à la Vierge et au divin enfant ; le cochon, premier attribut de saint Antoine (le dédicataire du retable) est absent. La liste est longue des incongruités non élucidées. D’où viennent cette liberté d’invention formelle, cette fantaisie grimaçante, cette amplitude de composition ?
Dès