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Dans le même numéro

Axel Honneth : les normes de la démocratie

juin 2015

#Divers

Repère

Axel Honneth : les normes de la démocratie

À propos de…

• Axel Honneth, le Droit de la liberté. Esquisse d’une éthicité démocratique, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2015.

Le Droit de la liberté est le plus long des ouvrages publiés jusqu’à présent par Axel Honneth. Cette traduction d’un livre paru en 2011 sort en même temps que le tome II du recueil Ce que social veut dire1, intitulé les Pathologies de la raison. Avec les autres livres publiés chez Gallimard2, aux Éditions du Cerf3 ou à La Découverte4, une bonne part de la production du philosophe francfortois, qui enseigne à l’université Columbia, est désormais à la disposition du public francophone. Dans tous ces travaux, Hegel est présent soit à titre d’objet (dans la « réactualisation » de sa philosophie politique qu’offrent les Pathologies de la liberté), soit en tant qu’inspirateur d’un thème qu’il s’agit de retravailler (la reconnaissance, mais aussi l’éthicité : voir les chapitres iii et iv de Ce que social veut dire I). De la sorte, Honneth représente, au sein de la théorie critique – dont il incarne la troisième génération, après celle de Horkheimer, Marcuse et Adorno, puis celle de Habermas – une manière de « retour à Hegel », un retour (critique, d’ailleurs) qui lui permet de se démarquer des positions souvent très anti-hégéliennes de ses prédécesseurs (pensons en particulier à la Dialectique négative d’Adorno).

Cette assise hégélienne est consolidée dans le Droit de la liberté. Cela se perçoit dès le sous-titre : Esquisse d’une éthicité démocratique, qui fait référence à un concept majeur de la théorie hégélienne de l’esprit objectif, celui de Sittlichkeit. Il indique à la fois la référence hégélienne du propos et, grâce à l’épithète « démocratique », la volonté de s’écarter du hégélianisme historique. Mais pourquoi s’appuyer sur une pensée modérément démocratique pour élaborer une théorie de la démocratie ? La réponse, formulée dans l’introduction du livre, est d’ordre épistémologique. Le courant dominant de la philosophie politique contemporaine, incarné par Rawls, adopte une posture normativiste : la philosophie a pour but de formuler les normes rationnelles (substantielles et/ou procédurales) sur lesquelles une société bien constituée doit ou devrait s’accorder. À rebours de cette orientation, il convient selon Honneth d’adopter une démarche de type hégélien, qu’il nomme pour sa part « reconstruction normative » (p. 22) : la philosophie n’a pas à prescrire des normes au monde social (un monde, disait Hegel, qui ne l’a pas attendue pour être), elle doit reconnaître et expliciter la normativité présente de façon implicite dans la réalité sociale et politique, dans les croyances et les pratiques que « l’esprit objectif » incarné dans les institutions sociales suscite chez les individus et « entre » eux. La référence à Hegel signifie donc d’abord la revendication d’une posture non normativiste : la philosophie sociale et politique5 a pour tâche d’expliciter et de critiquer de manière immanente (et non en fonction de prémisses abstraites) les croyances et les exigences normatives véhiculées par le monde social et suscitées par les tensions qui l’affectent. La « théorie de la justice » cesse ainsi d’être une grille normative prescrivant ce qu’est le juste ou le bien pour devenir la conclusion d’une « analyse sociale » alimentée par l’autoanalyse (évidemment « intéressée ») que la société produit constamment de ses règles, de leurs failles et de ses propres pathologies. Si Hegel est aussi présent dans ce livre (et de façon plus nettement positive que dans les précédents travaux, car Honneth s’est désormais affranchi de l’idée, provenant de Habermas, selon laquelle le potentiel critique des écrits d’Iéna aurait été dilapidé à partir de la Phénoménologie de l’esprit en raison de l’adoption des « prémisses monologiques d’une philosophie de la conscience6 »), c’est donc en raison de sa perspective anti-normativiste plutôt que des résultats auxquels elle conduit : certes, le « monisme idéaliste » de Hegel nous est devenu étranger (une caractérisation que pour ma part je nuancerais), mais l’idée « d’élaborer une théorie de la justice à partie des préconditions structurelles de nos sociétés » (p. 18) conserve toute sa pertinence.

Comme la théorie hégélienne de l’esprit objectif, la théorie de l’éthicité démocratique de Honneth est guidée par une conviction (qui ne paraît conservatrice que si on la comprend mal) : il ne s’agit pas pour la philosophie d’enseigner au monde « comment il doit être » mais bien plutôt d’apprendre de lui « comment il doit être conçu7 ». Pourquoi notre conception de l’éthicité est-elle démocratique, alors que celle de Hegel l’était modérément ? Parce que notre monde n’est pas celui de Hegel… Les implications d’une telle position sont importantes et fécondes : contre l’essentialisme ou le platonisme des théories normatives de la justice, il s’agit de réhabiliter une philosophie d’allure aristotélicienne, suivant laquelle les concepts politiques doivent être pensés de façon plurielle, en liaison avec le contexte concret dans lequel ils s’inscrivent. Dans la perspective d’une « analyse immanente », la théorie de la justice doit reconstruire (et non pas décrire : c’est une opération normative) les « idéaux institutionnalisés » dont se réclame implicitement ou non la société. La philosophie sociale n’opposera donc pas des idéaux abstraits à la réalité factuelle du monde social ; élucidant les principes sur lesquels il se fonde, elle mettra en évidence la distorsion entre ces principes et la réalisation déformée qu’ils reçoivent, combinant ainsi étroitement les exigences d’une théorie normative et l’analyse des pathologies qui affectent ses réalisations8.

Il n’est pas possible d’exposer en un espace restreint le propos de ce livre à la construction soigneusement méditée. Disons simplement qu’après avoir, dans une première partie, exposé et évalué en trois étapes les éléments théoriques livrés par l’histoire de la pensée moderne et contemporaine du politique (la liberté « négative » – Hobbes, Locke, Sartre ; la liberté « réflexive » : Rousseau, Kant, Herder ; la liberté « sociale » : Hegel, Marx, mais aussi l’institutionnalisme conservateur d’Arnold Gehlen), le livre étudie en une deuxième partie les conditions de possibilité de la liberté entendue comme déploiement institutionnalisé de l’idée d’éthicité démocratique – elles sont d’ordre juridique d’une part, d’ordre moral d’autre part ; dans les deux cas, il dégage le principe, les limites et les pathologies de la configuration examinée, ce qui permet de montrer que (comme chez Hegel), ni le droit « abstrait », ni la moralité « subjective » ne constituent des sphères normatives consistantes et autosuffisantes. Enfin, la troisième partie expose les conditions d’effectivité de l’ethos démocratique, c’est-à-dire les formes de constitution et de stabilisation institutionnelle d’un « nous » qui ne soit pas seulement une addition de « je ». Celle-ci s’opère au triple niveau (il était déjà présent dans la deuxième partie de la Lutte pour la reconnaissance) des relations interpersonnelles (amitié, famille), de l’interaction au sein d’une sphère sociale qui est, pour le meilleur et pour le pire, structurée par le marché, et enfin de la sphère politique, lieu de la « formation démocratique de la volonté collective » (il s’agit donc d’une démocratie délibérative et participative). On reconnaît dans cette articulation une reprise actualisée de la stratification de la Sittlichkeit hégélienne en famille, société civile et État, dont Honneth considère qu’elle continue de fournir, moyennant les actualisations requises, la clé de l’intelligence de la structure normative réelle d’une possible vie éthique.

Une des forces de l’entreprise tient à ce qu’elle confère à l’idée de justice une signification différenciée : contrairement à ce que recherche la philosophie politique « libérale » (d’inspiration rawlsienne), il ne s’agit pas de définir un concept de justice servant de norme d’évaluation de toutes les institutions sociales mais plutôt, suivant l’intuition des « communautariens », des « sphères de justice » (M. Walzer) déclinant cette idée abstraite de manière spécifique dans chacune des grandes sphères de l’action humaine. De là la diversité des interprétations de l’idée, formellement incontestée, de la liberté individuelle en tant que valeur suprême des sociétés modernes ; cela rend nécessaires des institutions de reconnaissance qui soient en mesure d’assurer, dans chaque sphère où se déploie l’« éthicité », une déclinaison spécifique de l’idée formelle de juste égalité (voir p. 104-109). Ce qui veut dire qu’en lieu et place d’une « théorie de la justice » de type rawlsien ou habermassien, il convient de bâtir une approche où la norme du juste soit « en prise » avec les institutions sociales et les conflits normatifs au niveau même où ils se développent. Sur cette base, on est conduit à distinguer – là aussi, Hegel n’est pas loin – trois grandes sphères d’actualisation de la liberté, dont chacune est dotée d’institutions et affectée de pathologies spécifiques : celle de la liberté négative (juridique), celle de la liberté réflexive (morale) et celle de la liberté communicationnelle (sociale). On pourrait s’interroger sur le choix de ces adjectifs, qui induisent des valorisations hiérarchisées ; par exemple, on pourrait se demander si définir la liberté juridique comme « négative » ne revient pas à accepter de manière insuffisamment critique la vision libérale classique du droit et des droits : les droits sociaux et environnementaux participent-ils de la liberté négative ? Mais l’essentiel est l’idée féconde suivant laquelle la liberté politique se nourrit nécessairement des formes prépolitiques (juridiques, morales, sociales) de la liberté.

Pour alimenter la discussion qu’appelle la construction philosophique de haut vol proposée dans ce livre, j’aimerais notamment soulever les questions suivantes.

S’agissant tout d’abord de la liberté juridique, garantie de l’« autonomie privée », une fois qu’on a pris acte de la salutaire critique des abus de la « juridification », il semble que les réserves émises à l’égard de cette liberté « purement négative » s’expliquent en partie par le fait que Honneth part d’un concept excessivement riche de la liberté juridique lorsqu’il affirme, en invoquant Hegel, qu’elle requiert une « interprétation éthique » (p. 117) ; autrement dit, les fins du droit se situeraient au-delà du droit, et l’espace juridique serait « dédié à un examen de soi éthique » (p. 120). Il me semble, au contraire, qu’on peut avec Hegel s’en tenir à une conception minimale, « formelle », du droit « abstrait » (privé) et se garder d’y introduire, fût-ce à titre d’horizon, des éléments supra-juridiques, comme le fait Honneth à la suite, notamment, de Jeremy Waldron9. Le droit définit sans doute l’épure formelle d’une « vie éthique » réussie, mais rien de plus. À trop réclamer de lui, on risque de favoriser le juridisme que Honneth combat par ailleurs à juste titre.

La « reconstruction normative » de l’économie de marché (p. 273 et suiv.) comporte un paradoxe : alors que, au risque (assumé) de choquer maint lecteur, Honneth soutient que le marché capitaliste comporte un « potentiel normatif » inexploité grâce auquel seulement il peut être conçu comme une sphère de liberté sociale (p. 283), tout l’exposé historique qui suit souligne la distorsion croissante entre la réalité du marché et « l’économie morale du capitalisme » (p. 291). Et pourtant, il n’est guère question de la financiarisation massive du capitalisme, qui rend encore moins intuitive cette idée, sur laquelle Hegel émettait déjà des doutes, d’un marché dont les « mécanismes normatifs » feraient « un élément constitutif de l’éthicité démocratique » (p. 343). Comme le soulignait Nancy Fraser10, la reconnaissance éthico-politique passe, sur le plan socio-économique, par des politiques de redistribution du produit social auxquelles la réalité actuelle du capitalisme s’évertue à donner un démenti. Honneth admet d’ailleurs que la « désorganisation » en cours du marché mondial représente une « difficulté » pour la « reconstruction idéalisante » qu’il propose de la « dynamique ascendante » du capitalisme, et prive l’« éthicité démocratique » de ce qui devrait être l’« un de ses éléments centraux » (p. 386-390).

Le dernier chapitre du livre traite du politique en tant que lieu de la « formation démocratique de la volonté collective » et souligne, là aussi, la distorsion entre le modèle normatif de l’espace public démocratique et les déficiences de l’État de droit contemporain, dans lequel des fractions importantes de la population sont de fait exclues de cet espace. Il relève aussi, à juste titre, le problème (formulé par le grand juriste E. W. Böckenförde), des « présuppositions éthiques » de la démocratie. Elles ont été jadis fournies soit par la religion, soit (pour le meilleur et surtout pour le pire) par la référence « nationale ». Que peut-on aujourd’hui substituer à ce nécessaire terreau de l’ethos démocratique ? La critique de la thématique du « patriotisme constitutionnel » (Habermas) et les légitimes réserves de Honneth à l’endroit de l’utopie d’un « peuple européen » nous laissent sur notre faim, en dépit de l’invocation finale d’une « culture politique » susceptible de servir de berceau à une civilité démocratique transnationale. De quoi peut se nourrir l’élan démocratique dans une « constellation postnationale » (Habermas) ? La question reste posée, et les réponses qui y sont aujourd’hui proposées dans nombre de pays européens ont de quoi inquiéter tous ceux qui croient, avec Honneth, au « droit de la liberté ». D’où l’importance cruciale que peut revêtir, en dépit de ses « limites », le droit en tant que vecteur (égalitaire) des aspirations concurrentes à la liberté sociale.

On peut s’interroger sur le caractère « européocentrique » (assumé) de la conception de l’éthicité démocratique développée dans ce livre. Certes, Honneth veut tenir compte des études féministes, écologistes, postcoloniales, etc., qui remettent en question certains présupposés aveugles de la conception « occidentale » de la démocratie. Mais jusqu’à quel point peut-il le faire ? L’état présent du monde, caractérisé par la multiplication d’inégalités structurelles (dont la plus visible est celle du Nord et du Sud), n’offre-t-il pas un démenti à la conception normative de l’éthicité démocratique exposée dans le Droit de la liberté ? Bien entendu, le but de la théorie est de proposer des normes d’évaluation d’une réalité à bien des égards résistante. Mais le programme hégélien revendiqué par Honneth oblige à considérer que ces normes sont immanentes au monde tel qu’il est, qu’elles ne sont pas plaquées sur lui du haut du ciel de la théorie. Ici, comme disait Pascal, « nous sommes au rouet » : car ce que la théorie sociale juge être la raison du monde présent, son génotype, peut être en contradiction avec certaines de ses tendances phénotypiques les plus manifestes. Est-elle bien, alors, la norme de ce monde ? Question classique quant au statut de la normativité sociale : si on considère que « la raison est présente » dans le monde (Hegel), comment cette raison peut-elle y conserver une fonction critique ?

Il convient enfin de discuter la conception du politique qui sous-tend le livre. Ordonné à une compréhension « communicationnelle » de la liberté, il privilégie naturellement une vision « horizontale » de la formation de la volonté collective qui correspond aux intuitions désormais dominantes. Nourrie par les institutions et les élaborations normatives « sociétales », la volonté politique doit résulter d’une interaction non contrainte au sein d’un « public » (l’auteur du Public et ses problèmes, John Dewey, est, tout comme Durkheim, une référence importante du Droit de la liberté) élargi à l’ensemble de celles et ceux que concernent les décisions collectives (un public plus large, donc, que celui des seuls citoyens de l’État national) ; la machine étatique doit y être soumise, en dépit de ses efforts pour s’affranchir des contraintes de la délibération collective au nom de son « expertise ». On peut se demander si une telle conception ne conduit pas à oblitérer la dimension « verticale » du politique que même la démocratie n’annule pas : dans « démocratie », il y a aussi kratos, force ou puissance ; en elle aussi se décèle, et pas seulement pour le pire, « la vérité qui gît au fond de la puissance11 ». Y a-t-il lieu d’éluder, même dans un régime où prévaut (en principe) l’axe horizontal, cette dimension verticale, autrement dit le problème de ce que Weber nommait la domination (Herrschaft) légitime ? Pourra-t-on, sans cela, rendre compte des multiples déficiences dont souffrent à l’évidence les réalisations actuelles de l’idée démocratique ? Sans doute une théorie critique doit-elle rendre compte des pathologies de la domination ; mais le peut-elle sans accepter le fait que la domination (ou le pouvoir) est une dimension constitutive du vivre-ensemble et doit être prise en considération dans toute tentative de définition du « nous » (p. 439) ? Les considérations éclairantes sur l’ambiguïté de la référence nationale, à la fois terreau d’une formation démocratique de la volonté et source possible de ses pires dévoiements (p. 405 et suiv., 441 et suiv., 486 et suiv.), paraissent aller dans le sens d’une telle dialectique du pouvoir et de l’espace public communicationnel, tout comme l’analyse des ambivalences de la « transnationalisation » du champ politique par internet (p. 461 et suiv.). Ne faut-il pas tenir systématiquement compte de l’interaction complexe des deux axes horizontal et vertical de l’espace politique si l’on veut, avec Honneth, penser l’effectivité de la liberté ?

Jean-François Kervégan

Librairie

Laurent Davezies, Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations Paris, Le Seuil/La République des idées, 2015, 102p., 11, 80 €

Une tendance à la fragmentation des nations se fait jour, et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Écosse, Flandre, Catalogne, pour se limiter à l’Europe, font entendre des appels à l’autonomie ou à l’indépendance au sein de nations qu’on croyait solidement constituées. Dans son dernier livre, qui suit ses importants travaux sur la nation et le territoire12, Laurent Davezies éclaire utilement la question, devenue un enjeu politique majeur, surtout pour la construction européenne.

Voici l’argument. On rencontre une dynamique favorable au sein de l’État-nation – dont l’archétype se trouvait jusqu’au xxe siècle en Europe – assurant une convergence des intérêts régionaux : la proximité géographique bien sûr, mais aussi des effets d’entraînement industriels amont/aval et une économie encore largement fermée. Dans ce cadre, les politiques de redistribution peuvent s’appliquer à l’initiative de l’État central dans le domaine social et territorial. Elles sont d’autant mieux acceptées que les transferts de revenus des régions riches (qui concentrent en général les industries et la production) vers les régions pauvres leur reviennent sous la forme de demande de biens et services.

C’est ce « contrat de territoire avec la nation qui est aujourd’hui menacé », nous explique Davezies. D’une part, la mondialisation fait que désormais l’arrière-pays est devenu le monde entier. Pourquoi la Rhénanie irait-elle chercher en Saxe ce qu’elle peut commodément trouver dans le Guangdong ou en Silésie polonaise ? D’autre part, l’ouverture des frontières fait que les revenus de distribution s’échappent plus à l’étranger qu’ils ne reviennent dans la région contributrice. Quand, au travers du budget national, la Lombardie « subventionne » les revenus des habitants des Pouilles, ce sont souvent les importations chinoises ou allemandes qui en profitent. Deux des éléments constitutifs du pacte territorial – du côté de la production et du côté de la consommation – perdent de leur force.

D’où la tentation pour la région riche de faire dissidence. Si cela se combine avec une identité culturelle et historique forte, voire avec des éléments de frustration propres à l’histoire nationale (les Flamands par rapport aux Wallons ou les Écossais par rapport aux Anglais), on a les ingrédients d’une tension politique forte en faveur du séparatisme. Pour Davezies, c’est désormais un séparatisme du riche, un « égoïsme territorial ». Il fait habilement le contraste entre le cas des États-Unis, où la proximité culturelle et sociale au sein de l’union résout cette tension entre régions riches et pauvres avant tout par l’exit, c’est-à-dire par une très forte mobilité des citoyens ; et celui de l’Europe, où les barrières entre pays restent très élevées, où donc c’est le voice (la revendication) qui domine, pour reprendre la distinction célèbre d’Albert Hirschman13. Le risque s’accroît donc d’une polarisation géographique accrue entre régions riches et pauvres, l’État national perdant progressivement les moyens, tant financiers que politiques, de soutenir par son action de redistribution la cohésion de l’ensemble, et par là sa légitimité.

Une issue, nous indique Davezies, du moins dans une union économique et monétaire comme l’Europe, serait de faire grimper d’un niveau la fonction de redistribution, c’est-à-dire favoriser la montée en puissance d’un budget communautaire capable de faire des transferts entre nations et de mieux mutualiser les risques. En effet, à l’échelle de ce très grand pays qu’est l’Europe, l’économie est beaucoup moins ouverte sur l’extérieur et la fonction assurantielle du niveau central retrouve sa force. On sait les réticences politiques que cette préconisation rencontre.

Pour autant, l’analyse suffit-elle ? N’y aurait-il pas place pour des comportements de défection de la part non seulement des régions riches, mais aussi de celles qui sont laissées pour compte ? Davezies mentionne, mais pour au total le rejeter, le courant intellectuel qui met en avant le small is beautiful en matière territoriale. Le petit pays retrouve en effet des atouts, du moins dans cet endroit pacifié, ou qui se croit tel, qu’est l’Europe. Principalement parce que quantité de services publics sont fournis gratuitement par les grands pays, à commencer par le budget de défense. De plus, être passager clandestin est une stratégie gagnante : par exemple, adopter des taux d’impôt plus bas que ses (grands) voisins ne fait pas baisser les recettes fiscales. Cela les augmente. La Lorraine, aujourd’hui la région la plus pauvre de France du point de vue du revenu disponible par habitant, regarde avec envie son voisin le Luxembourg, 3, 2 fois plus riche aujourd’hui selon le même critère, un record en Europe. Ces deux régions sont pourtant proches historiquement et l’étaient économiquement au sortir de la dernière guerre ; et toutes deux ont subi de même façon le choc de l’effondrement de la sidérurgie.

Peut-être est-ce une malfaçon de l’Europe, en cours de correction ? Mais une autre force centrifuge est à l’œuvre, plus difficile à écarter, qui ne repose pas sur des « arbitrages » fiscaux ou réglementaires. La réalité, c’est que la région pauvre au sein d’une nation n’a pas toujours ni l’autonomie ni les moyens d’une stratégie de comblement de son retard. Cela même dans le cas, et peut-être surtout dans le cas, où la nation redistribue généreusement pour compenser le retard de revenu. À une époque où les chiffres étaient encore calculés, on montrait que la Corse avait certes, comme le dit Davezies, un Pib et un revenu disponible par habitant proches de la moyenne des régions françaises hors Île-de-France ; mais que ce Pib résultait très largement de la contribution des administrations publiques, financée par des transferts en provenance du « continent » à hauteur de 45 % du Pib en 1997, et sans doute plus aujourd’hui. Et son déficit commercial consolidé (y compris auprès des autres régions françaises) s’élevait à 37 % du Pib quand ses exports vers l’étranger n’étaient que de 0, 3 % de son Pib. On est dans la configuration connue sous le terme de « syndrome hollandais », où les transferts nuisent à la compétitivité de l’économie et empêchent l’émergence d’acteurs performants dans les services ou l’industrie.

L’exemple peut paraître extrême, la Corse étant la Corse. Mais l’Italie le connaît avec le Mezzogiorno et l’Allemagne en fait désormais l’expérience douloureuse avec les nouveaux Länder de l’Est. Ce thème a fait partie du débat politique conduit en Écosse au moment du référendum : voici une région qui, une fois le pétrole tari, n’est pas dans le modèle d’une région riche décrit par Davezies, mais au contraire d’une région qui pâtit dans son développement de l’effet d’aspirateur qu’exerce le Royaume-Uni, et notamment la métropole londonienne. Il suffit de comparer l’Écosse d’aujourd’hui au Danemark, pourtant de surface et de population comparables. La logique à l’œuvre rappelle par certains traits le fait colonial, même s’il s’agit d’un colonialisme bienveillant puisque les flux financiers jouent au profit de l’Écosse, comme aiment le rappeler les politiques de Downing Street. Au total, la tension centrifuge est donc peut-être plus partagée – et plus légitime – que ne l’indique l’analyse de Davezies. L’Estonie ou la Croatie n’auraient aucune chance de rattraper le peloton européen si elles se voyaient imposer d’un coup le cadre législatif, fiscal et social des grands pays de l’Union, et notamment le Smic.

Il ne faut pas pour autant se tromper. La solidarité au sein d’une nation est bénéfique pour tous quand elle a une fonction assurantielle de réduction des risques, et il est légitime que cette fonction soit mieux relayée au niveau de l’Union européenne. Mais elle est ambivalente quand le transfert devient structurel. Il y a peu de conséquences politiques bien sûr si jamais la région, par exemple le Limousin – qui a le Pib par tête le plus bas de France – s’insère parfaitement dans la citoyenneté et dans la division « spatiale » du travail et des activités propre au pays. Ou encore si le montant des transferts de l’échelon national « achète » la non-défection de la population et de ses élites. Il en va très différemment, dans le cadre de la construction de l’Europe, si ces effets de polarisation frappent des régions entières, pire encore des pays, sans qu’il y ait le socle démocratique pour que les populations puissent légitimement accepter leur sort. L’Europe des transferts et de la solidarité ne peut avancer sans la construction démocratique appropriée, cela dans l’intérêt même des régions en retard.

François Meunier

Aldo Leopold, Pour la santé de la terre, Traduit de l’américain par Anne-Sylvie Homassel Paris, Corti, coll. « Biophilia », 2014, 262 p., 22 €

Forestier, chasseur, naturaliste, fermier, enseignant (à l’université de Madison dans le Wisconsin) et écrivain, Aldo Leopold (1887-1948) est l’auteur de l’Almanach d’un comté des sables (1949), traduit en de nombreuses langues (dont le français, chez Aubier en 1995) et lu par des millions de lecteurs qui en ont fait leur référence en matière d’écologie. En plus de ses exceptionnels talents d’observateur et de conteur, Aldo Leopold élabore une « éthique de la terre » (land ethic) qui est admise par de nombreux mouvements environnementaux, même si la plupart des « décideurs », tant politiques que praticiens, l’ignorent…

Après des études d’agronomie et de sylviculture à Yale, il commence sa carrière comme assistant ingénieur dans la forêt Apache. Il lance le Carson Pine Cone, une publication dédiée à la forêt et à ses « habitants », aussi bien les humains (bûcherons, chasseurs, promeneurs, cueilleurs…) que le monde vivant avec sa flore et sa faune aux temporalités spécifiques. En tant que chasseur écologiste (ce qui peut paraître contradictoire), il se préoccupe de la place du gibier dans la « chaîne alimentaire » et dans l’équilibre des divers écosystèmes, y compris dans la production et la reproduction forestière. Après un détour dans un laboratoire d’État trop ouvert à l’industrie à son goût, il donne des conférences, publie de nombreux articles (en particulier dans le Wisconsin Agriculturist and Farmer) et ouvrages (Watershed Handbook en 1924, Game Management en 1933), effectue des recensements d’animaux, établit des herbiers, acquiert une ferme (en 1935, the Shack, « la cahute »), voyage en Allemagne et au Mexique. John Baird Callicott, aidé d’amis, va contribuer à la publication des textes d’Aldo Leopold en les rassemblant dans deux livres, The River of the Mother of God and Other Essays by Aldo Leopold (1991) et For the Health of the Land (1999), si remarquablement traduit par Anne-Sylvie Homassel.

Que contient ce dernier ? Quatre textes inclassables, un par saison, qui entremêlent notations savantes, impressions poétiques, conseils pratiques, recommandations juridiques, le tout agrémenté d’hésitations, de doutes, de rêves. Ces textes, rédigés entre 1938 et 1942, sont destinés aux fermiers, d’où ce ton complice. Aldo Leopold trouve toujours les mots et les tournures de phrases pour partager avec son lecteur ce qu’il décrit et ressent. Des exemples ? Voici :

Rabougris [il s’agit de chênes], le tronc court, ils ont échappé aux bûcherons. Non seulement ils hébergent une faune nombreuse, mais de surcroît, ce sont des monuments historiques à préserver comme tels.

Une forêt saine, pleine d’oiseaux, est une contribution à la vie de la communauté et le signe d’une certaine harmonie sociale. Dans un monde qui réclame beaucoup et donne peu, ces choses-là sont rares.

Dans nos jardins sauvages, le lapin est un sécateur de chair et d’os.

Les arbres, comme les hommes, prospèrent sous le regard d’autrui.

Une troupe d’une douzaine de mésanges à tête noire vit à l’année dans ma forêt. En hiver, lorsque nous allons chercher notre bois de chauffage, la hache qui s’abat est pour ces oiseaux le gong qui les convoque au dîner.

Les douze textes qui suivent ont été écrits entre 1923 (« Une critique de l’esprit de clocher américain ») et 1943 (« Qu’est-ce qu’une mauvaise herbe ? ») : certains sont davantage pédagogiques et espèrent convaincre, comme « Le fermier protecteur de la terre » (1939), « Sois ton propre maître gibier » (1938), « Aide-toi toi-même (ou comment un fermier et un chasseur ont créé leur propre réserve de chasse) » (1934) ou « Lettre à un arracheur de fleurs sauvages » (1938). Les autres se révèlent plus ambitieux, théoriques, et méritent une plus grande attention, comme « Éthique de la préservation de la nature » (1933) et « Considérations biotiques sur la terre » (1939). Le premier s’attache à démontrer que les actions des hommes concernent aussi la terre :

[la civilisation] est un état de coopération mutuelle et interdépendante entre les animaux humains, les autres animaux, les plantes et les sols, coopération qui peut être interrompue à tout moment si l’un de ces acteurs fait défaut.

Il renoue ici avec George Perkins Marsh (Man and Nature, 1864) et avec Pierre Kropotkine (l’Entraide, 1902). Pour lui,

toutes les civilisations semblent avoir un lien de dépendance avec le cycle des végétaux et l’impact de ce cycle de l’occupation humaine.

Il imagine le devenir d’une terre si les Indiens n’en avaient pas été chassés ou si les pionniers se l’étaient appropriée autrement.

L’agriculture capitaliste (il n’utilise pas ce qualificatif), qui vise de hauts rendements signes d’une bonne productivité, n’hésite pas à détourner un fleuve, à araser une colline, à remembrer les parcelles en déracinant des arbres et en brutalisant des haies, à industrialiser les élevages, à uniformiser les productions, à normaliser les « produits », etc., modifie profondément et durablement ce qui assurait une certaine diversité et offrait à chaque espèce les conditions de son entretien et de sa reproduction. Ces violences économiques envers la terre exigent la mise en place d’une « protection de la nature » qui dispose « de trois modes de contrôle : la législation, l’intérêt de chacun et les considérations éthiques ». Pour ne pas avancer à l’aveugle, il convient d’encourager des recherches sur les diverses modalités d’interaction, sachant que bien souvent des décisions sont prises par défaut…

Aldo Leopold avoue ne pas tout savoir, mais il est persuadé

qu’une société suffisamment éclairée peut, en modifiant ses désirs et ses seuils de tolérance, influer sur les facteurs économiques qui affectent la terre.

Que les agriculteurs et autres moléculteurs, les ministres de l’Agriculture, les généticiens, les agronomes, les industriels de la chimie et de l’agroalimentaire, rêvons un peu, observent la nature avec les lunettes d’Aldo Leopold et quittent un instant les courbes de la croissance (y compris « verte ») de leur production… La santé de la terre est aussi celle des humains !

Thierry Paquot

Michel Agier (sous la dir. de), Un monde de camps Paris, La Découverte, 2014, 422 p., 25 €

Trois grands mécanismes, parfois intriqués, mettent en mouvement des individus, les poussant à abandonner la terre dont ils sont originaires, leur famille et leur communauté ethnolinguistique : les conflits, les dégradations environnementales majeures et la grande pauvreté. Le déplacement est alors un symptôme dont les camps (de réfugiés ou de déplacés) deviennent les balises visibles, souvent durables.

L’ouvrage réunit, décrit et analyse vingt-cinq situations concrètes, que des médecins qualifieraient de « vignettes cliniques ». Il s’intéresse ainsi aux mécanismes ayant conduit au regroupement sous forme de camps. Il étudie les relations de ces camps avec les sociétés dans lesquelles ils s’insèrent – ou pas – et les dynamiques internes qui mobilisent les personnes réunies. En cela, il contribue à revisiter quelques-uns des conflits et catastrophes majeurs des dernières décennies, comme la question des flux de populations attirées par la Terre promise de l’eldorado économique ou des « droits de l’homme » en Europe occidentale.

Lieux de protection, de répression, de relocalisation ou de transit, les camps permettent aux auteurs d’aborder des questions qui devraient être au cœur du cadre d’analyse de tous les acteurs de la solidarité internationale et qui bousculent les poncifs compassionnels. Les personnes qui résident dans les espaces décrits ne peuvent être réduites à des figures victimaires, qui, comme telles, se verraient dénier toute fonction de sujets pensants et agissants. La forêt de Belyounech au Maroc est l’occasion, dans un raccourci émouvant, de décrire une société de migrants aux origines diverses, qui se dotent d’un chairman, d’un Premier ministre, de responsables parlementaires et d’une « union africaine » pour gérer et apaiser les conflits intercommunautaires, et ce malgré le dénuement extrême de leurs conditions de vie. « Les refugiés sont supposés être les victimes et non les agents de l’histoire », peut-on lire sous la plume de l’un des auteurs. Les chapitres consacrés au Pakistan ou à la Tanzanie l’illustrent de façon fort opportune. Un regret à cet égard : l’absence de chapitre consacré aux camps du Kivu en République démocratique du Congo, dans la suite du génocide rwandais de 1994. Ce contexte a en effet confronté les acteurs humanitaires à des enjeux spécifiques : comment gérer (s’opposer ?) au leadership, dans les camps, de ceux qui avaient pris une part active à la planification et à l’exécution du massacre des Tutsis et qui s’activaient encore pour « finir le travail » ?

Les camps sont aussi l’occasion d’une approche normative et standardisée de l’action, dans une logique qui fait la part belle au « gouvernement humanitaire » évoqué à plusieurs reprises, et qui craint souvent de perdre le contrôle sur sa vision d’une efficacité parfois seulement envisagée en termes de calories ou de litres d’eau par jour et par personne.

Ce monde de camps est aussi un monde qui s’urbanise. Il confronte dès lors les populations qu’il regroupe à la rencontre avec les périphéries des villes. Les chapitres sur la Syrie, Haïti ou les faubourgs de Khartoum offrent l’occasion d’illustrer le rôle des réfugiés/déplacés comme « défricheurs », malgré une rencontre avec la ville à laquelle ils sont souvent mal préparés. C’est ainsi une occasion supplémentaire d’illustrer leurs capacités à s’adapter et à innover. Quitte à être chassés dès que les terrains auront été mis en valeur…

L’ouvrage nous conduit enfin vers la dernière fonction des camps, celle de la rétention, qui parfois se fait prison, au loin comme en Libye ou au Mali ; aux portes de l’Europe comme à Lampedusa en Italie ; ou en banlieue parisienne comme à Saint-Denis. On y retrouve des réflexes liés aux conditions d’emploi et de travail qui sont superposables à ceux mis en évidence, quelques chapitres auparavant, en des terres lointaines. L’Europe est engagée dans un processus visant à externaliser la garde de son espace, souvent au profit de pays et de pratiques qui ne respectent en rien le cadre éthique et juridique que l’Union entend voir appliquer sur son sol, quand les migrants y arrivent. Les derniers chapitres viennent alors sérieusement écorner le cadre revendiqué dans les textes européens. C’est ainsi l’un des aspects de la mondialisation qui est mis en lumière, au travers de la description du lien, chaque année plus perceptible, entre le « ici » et le « là-bas ». Dès lors qu’ils se rapprochent, les campements à nos portes deviennent plus dérangeants, comme si la compassion et la solidarité pour l’Étranger devaient être synonymes d’éloignement géographique…

L’auto-organisation des populations réfugiées, déplacées, migrantes, est-elle cette épreuve qui à la fois grippe la machine humanitaire et l’accule à réfléchir à l’avenir des camps, à leur définition et à leur usage ?

Cette question, empruntée à l’un des auteurs, est précisément au cœur de la réflexion proposée, au fil des pages, à tous les acteurs, financeurs et décideurs du « gouvernement humanitaire » international. Elle devient en effet centrale pour la perception, l’acceptation, l’efficacité et la sécurité des organisations humanitaires.

Pierre Micheletti

Dominique Salin, L’Expérience spirituelle et son langage. Leçons sur la tradition mystique chrétienne Paris, Éditions Facultés jésuites de Paris, 2015, 154 p., 14 €

Véritable somme en miniature, ce livre apparaît proche d’un « Que sais-je ? » par le format, le volume de texte et la performance que constitue la synthèse riche et limpide à laquelle il parvient. Reste que le voir s’inscrire dans une collection placée sous la devise sceptique de Montaigne aurait eu de quoi surprendre, s’agissant de la reprise des cours d’un jésuite à des étudiants en théologie. Mais la conviction croyante qui anime l’auteur de bout en bout ne tend nullement à éluder des interrogations énoncées sans détour avec partout le souci du parler vrai. Son « approche historique » et sa description des « enjeux » (chap. i-ii) affichent ce refus de la langue de bois et des pseudo-réponses, a fortiori des condamnations prononcées à travers l’histoire par l’institution ecclésiale (ainsi notamment à l’encontre de Maître Eckhart et de Fénelon). Dominique Salin prend d’emblée les problèmes à bras-le-corps : « tension dans la conscience chrétienne moderne », « divorce historique », « fossé qui ne cesse de se creuser », « statut flottant, instable, de la théologie spirituelle » (à l’« objet incertain », au « contenu à géométrie variable »), « crises » d’un « discours théologique » traversé de « scissions » profondes.

Résolument positif, mais d’une positivité non moins exigeante que ces diagnostics critiques, le chapitre iv propose de « nouvelles approches » dont les termes clés, qui donnent au livre son titre, sont « expérience » et « langage », la première définie comme justement un « fait de langage » (avec pour corrélats « texte », « sens », « négation »), le second diversement qualifié (« langage mystique », « humain », « langage du sens ») jusqu’à cette expression paradoxale : « Du silence au silence », qui évoque moins un contraire ou un envers du discours que sa « condition » qu’est précisément le silence, car le discours « s’enlève toujours sur fond de silence », celui dont « relève l’ineffable », mais un ineffable que « mieux vaut ne pas invoquer ».

Au cœur du volume, le chapitre iii est consacré à ce « moment mystique » à haute intensité des xvie-xviie siècles exploré profondément et théorisé magistralement par Michel de Certeau14. Dominique Salin, toujours attentif à reconnaître ses dettes (ainsi envers Mino Bergamo ou Jacques Le Brun), le fait ici encore plus expressément (comme déjà dans l’avant-propos). Sur l’ensemble du livre, c’est d’ailleurs le nom de Certeau qui, après ceux de Jean de la Croix et de François de Sales (« deux des trois grands auteurs qui », avec Thérèse d’Avila, « font autorité dans l’Église catholique »), revient le plus souvent sous sa plume. Le leitmotiv lancinant de ce chapitre iii est, entre guillemets dès son sous-titre, le mot de « psychologie » où ces guillemets sont comme les pincettes dont se saisit Dominique Salin pour exhiber et dénoncer sans relâche un mal fatal (je souligne) : « souci psychologique » qui « a commencé à contaminer […] le discours spirituel » à l’opposé du « langage ontologique » d’un Eckhart, lui « au-delà ou en deçà de tout psychologisme » ; « on est toujours tenté de rabattre [le] discours de foi au niveau de l’expérience psychologique », « fascination pour la psychologie qui caractérisera de plus en plus la modernité », « dérive du discours spirituel vers la psychologisation […] décelable […] dans […] François de Sales », « psychologisation en cours » chez Marie de l’Incarnation, Surin, Rigoleux, Fénelon, « glissement de l’ontologie à la psychologie », « problématiquepsychologisante” […] au xxe siècle […] réduisant la vie mystique ou la vie spirituelle à des formes pathologiques de la vie psychologique », etc. C’est à exorciser ce mal que vise le chapitre iv en présentant « la mystique comme langage », et plus précisément en allant jusqu’à soutenir que « le langage mystique dévoile la vraie nature et le vrai fonctionnement du langage tout court » (suivant trois « approches », « herméneutique, phénoménologique, théologique »). D’où à nouveau la référence à Certeau qui

remarque, sans avoir développé ce constat, que le langage mystique est révélateur au fond de l’essence du langage, du langage poétique et du langage tout court. Il y a homologie de structure entre le langage mystique et le langage humain.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où il est fait état de points non développés ou de questions laissées en suspens par Certeau, dans le sillage duquel s’inscrit Dominique Salin, mais toujours avec le souci de ne jamais confondre ce qui est de lui et ce qui est de cet autre, prédécesseur immensément inspirant, et à ce titre plutôt « passant considérable » (tel Rimbaud vu par Mallarmé, expression dont Jean-Louis Schlegel a fait naguère le titre d’un article sur Certeau pour la revue Choisir) que « marcheur blessé » (selon le titre de la biographie de Certeau par François Dosse dont Salin craint qu’il ne « suggère une aventure solitaire et un peu hagarde »).

Ce livre, ni doctoral ni donneur de « leçons » – sauf au sens, aucunement condescendant, où, s’agissant d’enseignement, ce mot figure dans le sous-titre –, est à la fois instructif et salubre. Instructif parce que ses exposés se fondent, non seulement sur une « bibliographie sommaire » judicieusement sélectionnée, mais aussi sur des notes importantes, jamais pesantes, où on apprend beaucoup sur tout ce qui caractérise la mystique chrétienne, « discours source ». Livre salubre aussi par la clarté de l’exposé, la vigueur des diagnostics, la franchise des appréciations. À chacun, fort de cet ensemble construit, de se situer par rapport à la conviction réaffirmée en conclusion qu’il y a là un « langage » et une « expérience » « à l’écoute » desquels « nous n’aurons jamais fini de nous mettre ».

Pierre Lardet

Gilles Lipovetsky, De la légèreté Paris, Grasset, 2015, 364 p., 19 €

Le dernier ouvrage de Gilles Lipovetsky, célèbre pour son essai précurseur l’Ère du vide15, engage le lecteur à saisir la modification du monde à travers l’examen de la notion de légèreté. Une telle entreprise s’inscrit dans une étude minutieuse des modes de vie quotidiens, allant de la miniaturisation de la technologie à la politique, en passant par l’art. La légèreté n’est pas étudiée « en soi », mais bel et bien à travers

[des] figures concrètes observables, dans l’histoire des sociétés et plus particulièrement dans le monde contemporain. C’est une approche anthropologico-sociale de la légèreté.

(p. 21-22)

C’est grâce à une telle méthode qu’il est possible de déceler le rôle de valeur directrice que revêt la légèreté pour une société dont la principale occupation se résume désormais à entretenir un mode de vie aérien en ce qui concerne le minimalisme, le divertissement, mais aussi éthéré lorsqu’il s’agit du culte de la minceur, du zen, etc. Les maîtres mots de cette civilisation sont les suivants :

Se débarrasser du poids des interdits et des tabous, jouir de la chair comme bon nous semble, vivre détaché, délié, de manière souple : la légèreté de l’être est devenue une aspiration, un ethos démocratique de masse.

(p. 289)

Tout cela semble être une voie pour l’insouciance. Pourtant, un tel élan vers la légèreté ne se conçoit qu’à travers des tâches « pesantes » ; c’est précisément ce paradoxe qui constitue le point d’orgue de la réflexion de Lipovetsky. L’auteur touche ici une problématique ancienne, mais son propos s’enracine dans un débat socioculturel bien défini : l’ère de l’hypermodernisme. Celle-ci se caractérise par la quête individuelle du confort matériel mêlée à un accroissement constant du mal-être. Il s’agit, en d’autres termes, de plaisirs éphémères et volatils qui relèvent d’une légèreté inconsistante qui touche tous les fronts. Il est d’autre part nécessaire de noter que cet élan vers la légèreté n’est pas un fait ponctuel, bien que l’accent soit mis sur l’état actuel de nos sociétés, ainsi que sur l’apparente contradiction qu’elles recèlent. L’auteur résume dès les premières pages ce paradoxe inhérent à l’hypermodernisme :

Ironie hypermoderne : c’est à présent la légèreté qui nourrit l’esprit de pesanteur. Car l’idéal de légèreté s’accompagne de normes exigeantes aux effets épuisants et parfois déprimants.

(p. 15)

Aussi avons-nous observé ces dernières décennies la sclérose du langage, la perte d’idéal commun, tout en nous adonnant à cette expérience limite que constitue la civilisation du léger. Il s’agit en somme pour Lipovetsky de rendre compte de cette nouvelle facette du monde afin d’éclaircir l’antinomie formulée par Milan Kundera :

Une seule chose est certaine. La contradiction lourd-léger est la plus mystérieuse et la plus ambiguë de toutes les contradictions.

S’il est impossible de résumer en quelques mots un ouvrage aussi dense que celui de Lipovetsky, un point retiendra tout particulièrement notre attention : l’hyperconsommation et la quête de soi. Une telle inclination du sujet contemporain gagne à être analysée du fait que « la légèreté hypermoderne est moins spontanée que consommée » (p. 57). En effet, qu’il soit question de voyages, de religions, de hobbies en tout genre, ou bien de detox, l’accent est mis sur l’effet d’immédiateté et par conséquent de volatilité.

Par exemple, tandis que les sagesses philosophiques et religieuses ont essentiellement vocation à rendre l’homme meilleur de façon durable, à travers un constant travail sur soi, l’hyperconsommateur vise l’efficacité ainsi que la rapidité de chaque sagesse. C’est ainsi que la quête de pleine conscience (mindfulness) perd de sa gravité. Les religions, de même que les différents loisirs, ont dorénavant une vocation light à l’image des sodas supposés nous rendre plus sveltes, plus équilibrés, tant sur le plan physique que sur le plan mental. C’est négliger une part importante de toute spiritualité. Cela démontre une fois de plus l’absence d’ancrage du sujet contemporain, délié qu’il est de toute attache. Sur ce point, Lipovetsky a parfaitement raison lorsqu’il énonce :

Si les nouvelles religiosités promettent un état de légèreté intérieure malmené par la société performantielle, elles n’en adoptent pas moins son ethos profond.

(p. 67)

et mènent de ce fait à une quête insatiable.

Cet exemple éclaire cette démarche de conquête de légèreté, mais plus encore d’affirmation d’un « soi unique » (p. 75) dont le xxe siècle n’a cessé de récuser la souveraineté (Hesse, Musil, Proust…). Consommer à outrance signifie ainsi se retrouver, s’affirmer, mais plus que tout s’alléger. Et Lipovetsky de soutenir que c’est dans cette quête incessante de soi qu’il est possible de déceler une des contradictions les plus aberrantes de notre civilisation, qui fait état d’une crise existentielle partagée par tout l’Occident :

Derrière les hymnes au corps et aux jouissances censées réconcilier les individus avec eux-mêmes, c’est paradoxalement un narcissisme négatif, insatisfait, toujours en lutte contre lui-même qui se déploie. Civilisation du léger ne signifie pas existence légère.

(p. 119)

Enfin, Lipovetsky décrit avec brio notre inclination pour la légèreté ainsi que ses sources moins explicites. Il aborde d’autres registres, par exemple le pendant de la dématérialisation technologique annoncée « dès les années 1980 » (p. 159) qu’est l’accroissement des industries « extrêmement lourdes afin d’obtenir l’énergie et les matières premières nécessaires à la nouvelle économie » (p. 161), mais aussi le renversement que constituent la mode minimaliste et le rôle de l’homme – sa féminisation (p. 183) –, de même que la place accordée à légèreté dans l’art (p. 212-213) et l’architecture. Ces analyses, bien que pouvant se lire indépendamment les unes des autres, forment un ouvrage qui souligne un mode de vie jusqu’ici insuffisamment interrogé.

Jean-Daniel Thumser

Iris Murdoch, Sartre. Un rationaliste romantique, Traduction et présentation de Frédéric Worms Paris, Payot & Rivages, 2015, 224 p., 16, 50 €

Iris Murdoch est passée de Sartre au roman. Ce n’est qu’après des études de philosophie qu’elle a commencé sa carrière d’écrivain. Immergée dans la philosophie analytique anglo-saxonne, élève de Wittgenstein, elle a toujours porté cependant un intérêt particulier à la « philosophie continentale », qui s’est concrétisé en une thèse sur Sartre. En 1953, un an avant la publication de Sous le filet16, son premier roman, elle a consacré à son philosophe d’élection un ouvrage singulier : Sartre. Un rationaliste romantique. En voici, soixante ans plus tard, la première édition française, chez Payot, grâce au salutaire travail de Frédéric Worms, qui en est à la fois le traducteur et le préfacier. Outre la présentation de Frédéric Worms, l’ouvrage comporte les textes introductifs, écrits par l’auteure elle-même, des deux éditions anglaises (1953 et 1987). La seconde introduction, placée stratégiquement au début du volume, resitue les thèses défendues au sein d’une œuvre et surtout au cœur de toute une époque.

Le Sartre d’Iris Murdoch autorise trois niveaux de lecture. D’une part, Murdoch fait le choix, assez radical, d’aborder les concepts clés et les idées fortes de la philosophie de Sartre en prenant appui sur son œuvre romanesque – et non pas littéraire en général. C’est ainsi que la Nausée, comme expérience de la contingence des choses et de la matérialité du langage, constitue le chemin le plus direct vers l’Être et le Néant. C’est ainsi aussi que les trois personnages centraux des Chemins de la liberté nous conduisent à l’opacité et à l’impureté de toute relation humaine. Sur ce modèle, l’ouvrage, composé de dix chapitres, s’attarde sur « la découverte des choses », « le labyrinthe de la liberté » ou encore « l’image de la conscience ».

Mais il est remarquable qu’Iris Murdoch ne se contente pas de considérer les romans comme un prisme d’interprétation de la philosophie de Sartre. À partir d’une relecture des thèses principales de Qu’est-ce que la littérature ?, elle mobilise pour ainsi dire Sartre contre lui-même : sous sa plume, les critères de la bonne prose que Sartre a établis vont devenir des critères aptes à juger de la qualité de ses propres romans. C’est ce point de vue qui permet de comprendre pourquoi le livre va des romans aux essais pour faire enfin retour aux romans. La question fondamentale devient en effet celle-ci : si Sartre a la « conscience de soi de la philosophie », « une telle conscience est-elle pour lui, en tant qu’artiste, un secours ou un obstacle ? » (p. 67). Si la littérature est d’abord apparue comme une occasion, excellente, d’entrer dans la philosophie, elle est en réalité étudiée pour elle-même, et c’est l’attitude philosophique qui se trouve finalement jugée à l’aune de la pratique effective du roman.

Nous pouvons alors appréhender le troisième niveau de lecture de l’essai, saisir la question qui donne son sens à toute la démarche : comment être romancier lorsque l’on est habité par la « conscience de soi de la philosophie » ? Iris Murdoch interroge l’avenir de sa propre pratique : au moment même de franchir le pas de la philosophie au roman, elle met en question la légitimité d’une telle intention.

Sartre se trouve donc d’un côté unifié : le lien est étroit entre l’œuvre philosophique et l’œuvre romanesque ; la Nausée, exemple parfait du roman philosophique, mène directement à la perte du sens, à la résistance du langage et à la mauvaise foi, tandis que l’Être et le Néant comporte une « imagerie métaphysique » (p. 25) aisément transposable en roman.

Cependant, en dépit de son intense réflexion sur la fonction même de la prose, Sartre se trouve tout aussi bien pris en défaut. Mû à la fois par son goût pour les détails et son goût pour l’analyse, il se montre incapable de concilier ces deux qualités ; il lui manque au fond l’une des vertus essentielles du romancier :

La compréhension de ce que les êtres et leurs relations mutuelles peuvent avoir d’absurdement et d’irréductiblement unique. Sartre semble être aveugle à la fonction de la prose, non pas comme un acte utile ou un outil analytique, mais comme création d’une image complète et inclassable.

(p. 213)

Il y a une forte connivence entre Sartre et Murdoch, mais elle finit par trouver son irréversible point de rupture. Le jugement est en effet sans appel : le « rationalisme » de Sartre, son attachement « aux essences plutôt qu’aux existences » (p. 214) lui permet d’être un bon dramaturge mais l’empêche d’être un grand romancier. Tandis que le philosophe se confronte aux problèmes, le romancier se heurte aux mystères, qui sont ceux de la vie elle-même. Dans le roman, l’image qu’il s’agit d’offrir ne doit pas être l’image d’une idée, l’image d’une essence, mais l’image d’une existence, avec son irréductible part de mystère. Celle-ci tient au fait même des relations, à leur dimension fondamentalement morale, à mille lieues de toute conscience isolée.

Comme l’écrit Frédéric Worms, le jugement final est que Sartre n’a pas su voir

ces pointes extrêmes des rencontres mystérieuses, de la violence comme de la bonté, qui éclairent aussi bien en retour la philosophie que la politique.

Mais ce que Sartre n’a pas vu, Iris Murdoch « l’a vu grâce à Sartre » (p. 17). Le fait est que la tension philosophique qui habite les romans de Sartre, et qui est d’ailleurs aussi celle d’une époque, trouve sans nul doute une résolution plus heureuse dans l’œuvre d’Iris Murdoch.

Carole Widmaier

Marilynne Robinson, Lila Arles, Actes Sud, 2015, 357 p., 22, 80 €

C’est encore dans la petite ville de Gilead, dans l’Iowa, et autour des mêmes personnages, Lila, les révérends John Ames et Robert Boughton, que l’Américaine Marilynne Robinson poursuit le dialogue entre histoires de vie et foi. Si l’intrigue peut se résumer en la rencontre entre une jeune femme marquée par l’abandon, le vagabondage, la pauvreté, la prostitution et un pasteur vieillissant s’étant consacré totalement à ses paroissiens, elle peut aussi résonner comme une suite de lentes réflexions métaphysiques sur fond de textes bibliques et de discours théologiques. La beauté du geste romanesque est de la transformer en une méditation poétique sur la solitude, le silence, la confiance, l’errance, avec en filigrane le tableau saisissant d’une Amérique fragile et malmenée.

À la fois universitaire chargée de cours d’écriture, citoyenne sensible aux problèmes de société17, essayiste proposant dans The Death of Adam : Essays on Modern Thought18 une nouvelle lecture de penseurs comme Calvin, Darwin ou Nietzsche, protestante pratiquante, n’hésitant pas à délivrer des sermons dans son église, Marilynne Robinson imprègne sa narration de cette vision plurielle du monde.

En recourant à une trilogie19 où chaque roman peut être lu indépendamment, mais où les mêmes scènes, comme la demande en mariage entre le pasteur et Lila, s’inscrivent dans un contexte différent, où les prêches se répondent d’un livre à l’autre, elle affirme que comprendre une âme humaine est aussi illusoire qu’espérer connaître Dieu. La puissance de Lila est d’intensifier la perception de cette impuissance en mettant en scène deux univers qui s’ignorent quand ils ne s’excluent pas. Une forme de distance entre les héros et ce qu’ils vivent ou ont vécu participe à ce décalage. Lila, tout en rapportant les pensées de l’héroïne, est écrit à la troisième personne du singulier, « elle » basculant en « je » quand Lila, enceinte, se met à parler à son enfant, tandis que le révérend Ames s’exprime essentiellement à travers sermons et discussions théologiques.

Au-delà de l’interrogation sur les valeurs fondatrices du pays que suscitent l’évocation de la région du Midwest, la crise économique de 1929, le sort des travailleurs agricoles itinérants, les camps de travail pour ouvriers, les grands rassemblements religieux, le quotidien des exclus, en marge du recours aux grands textes bibliques, Marilynne Robinson, par le récit de cet amour en devenir, dessine avec pudeur deux âmes tourmentées en quête de vérité et en mal de confiance.

Un sentiment indicible de fragilité se glisse au fil de ces confidences, comme arrachées à un passé qui ne veut pas davantage obscurcir le présent qu’en être exclu.

Le révérend John Ames, longue silhouette sombre surgissant à pas feutrés, comme par erreur, et croisant Lila au bord d’un chemin, près de la cabane où elle vivote, ou devant l’étang où elle pêche, semble s’être absenté de sa vie après le décès de sa jeune épouse et de leur nouveau-né et ne retrouver une existence que dans son seul rôle d’homme de Dieu. Les lieux qu’il habite – sa maison, son jardin, le parvis de son église –, ceux qu’il traverse – la petite ville insignifiante de Gilead, les fermes à l’entour, jusqu’au cimetière où sont enterrées plusieurs générations de sa famille – semblent frappés d’une dimension intemporelle, comme figés dans un arrêt sur images que rien ne peut venir troubler.

Les temps forts de la vie de Lila sont esquissés dès le début du roman : ses premières années dans une maison misérable où elle trouve refuge sous une table, son enlèvement par Doll, une femme balafrée qui porte un lourd secret, le groupe de travailleurs itinérants dont elles partagent les errances, la place du révérend Ames, la précarité de leurs moyens de survie, le mariage, la maison close de Saint-Louis, l’enfant à venir. La fulgurance et la pluralité de ces tableaux, déclinés au gré de souvenirs qui surgissent inopinément, concourent à insuffler au récit un rythme lancinant. La neutralité du ton adopté pour raconter des moments souvent durs et douloureux comme ces quelques heures où Lila est laissée seule sur les marches d’une église ou cette image de Doll revenant vers Lila couverte de sang après s’être battue au couteau avec un homme, la majesté étrange de certaines scènes qui pourraient paraître sordides, comme la préparation de Noël dans la maison close de Saint-Louis ou l’arrestation pour vol de Doane, le chef de la troupe de sans-abri, tous ces éléments disparates, égrenés sans chronologie aucune, éloignent toute velléité de jugement moral.

L’écriture se déploie comme une longue rêverie où les héros, dans le respect poignant de leur altérité – John Ames prie pour l’âme de Doll et Lila fleurit de roses la tombe de l’épouse et du fils de John – cherchent à se réconcilier avec leur histoire. Figures incomplètes parce que fondamentalement solitaires, ils ne peuvent espérer s’apaiser que dans l’acceptation d’affects qu’ils ont toujours eu peur d’éprouver. Il leur faut, à deux, mais chacun de son côté, apprendre à défier les zones d’ombre, les doutes étranges qui les torturent encore pour pouvoir accéder à la confiance et à l’amour. John Ames, interpellé dans ses connaissances théologiques par les questions de Lila, bousculé dans ses habitudes, doit intégrer dans sa lecture du monde environnant et sa pratique religieuse la violence des sentiments éprouvés par la jeune femme, la honte de soi, le désir de devenir invisible, la tentation du silence, la peur de la dépendance. Lila doit composer avec le caractère désormais illusoire de ses velléités de départ et d’errance, ne plus voir dans le baptême une trahison de Doll et de ses compagnons de misère qu’elle ne pourrait plus retrouver dans l’au-delà.

La prière ressemble exactement à la douleur. À la honte. Au regret.

(p. 132)

Sylvie Bressler

Brèves

Michel Marian, Le Génocide arménien. De la mémoire outragée à la mémoire partagée Paris, Albin Michel, 2015, 180 p., 15 €

Ce livre n’est pas une histoire du génocide mais une histoire des controverses portant sur la mémoire des massacres de 1915 depuis un siècle. Il retrace donc la bataille pour la vérité historique qui oppose en particulier les Arméniens au pouvoir turc. Progressivement, ce conflit se concentre sur un terme, « génocide », qui transforme la revendication de justice des Arméniens, fixée dans un premier temps sur un objectif de réparations matérielles. Mais le terme, qui n’existait pas en 1915 et est issu du procès de Nuremberg, entraîne des difficultés spécifiques, dont la plus importante tient à sa dimension juridique. Ainsi, pour que la demande de reconnaissance arménienne débouche, il faut qu’à la démarche historique qui concerne les faits s’ajoute une réflexion juridique qui concerne l’adéquation de la notion aux actions commises, ce qui a suscité un nouvel ensemble d’affrontements politiques et une crispation prolongée du pouvoir turc, même après l’arrivée du parti islamiste, qui n’avait pourtant pas de raison de ménager la caste militaire kémaliste. Malgré la commémoration du centenaire, la situation bouge lentement sur le plan de la reconnaissance internationale. Pour Michel Marian, c’est avant tout du côté d’évolutions profondes de la société turque qu’un changement peut advenir : à mesure que la parole se libère, le regard des Turcs sur leur histoire se transforme, ce qui semble offrir plus de perspectives à une reconnaissance de la demande arménienne qu’une stratégie purement juridique couplée à la pression internationale sur les autorités d’Ankara.

M.-O. P.

Nora Philippe, Cher Pôle emploi. Lettres de chômeurs entre détresse et contestation Paris, Textuel, 2015, 112 p., 11, 90 €

Nora Philippe est la réalisatrice du documentaire Pôle emploi, ne quittez pas, dont la revue Esprit était partenaire au moment de sa sortie en novembre dernier. En travaillant sur ce film, elle a recueilli des lettres de demandeurs d’emploi, pour la plupart répondant à un avis de radiation ou à des menaces de suppression d’allocation. Comme le rappelle Nora Philippe dans son introduction, ces lettres – et celles envoyées à d’autres administrations – sont souvent les seules productions écrites de leurs auteurs. Entre formatage et singularité, elles laissent entrevoir des vies, des souffrances, des épreuves ; le contraste même entre la grammaire et l’orthographe, parfois approximatives, et des formules ampoulées comme « veuillez agréer l’expression de mes sentiments distingués » montre bien la part d’absurde qu’il y a dans ce genre de communications, qui finissent pour la plupart au pilon et ne reçoivent d’autre réponse qu’un courrier standard. Faire entendre ces voix, c’est aussi montrer des bribes de vie et provoquer, sinon une réponse, du moins une écoute.

A. B.

Lucien Calvié, Heine/Marx. Révolution, libéralisme, démocratie et communisme Uzès, Inclinaison, 2013, 185 p., 15 €

Après son ouvrage sur Arnold Ruge (Aux origines du couple franco-allemand. Critique du nationalisme et révolution démocratique avant 1848), Lucien Calvié offre dans ce recueil une sorte de bilan de son passionnant travail au long cours sur l’histoire des idées politiques allemandes, de Hegel à Marx. Ici, le couple Heine/Marx donne l’occasion d’un retour critique sur le rapport de Marx à la politique. Il lui semble en effet que celui-ci se caractérise par une longue négligence à l’égard de la « démocratie révolutionnaire » liée au « modèle de 1789 », dans lequel Heine, pour sa part, puisait son espérance démocratique. Peut-on faire l’impasse de la révolution politique au nom de la révolution sociale ? La question a animé tout le xixe siècle et a nourri nombre de lectures critiques de Marx (voir le premier livre de l’auteur, cosigné avec François Furet, Marx et la Révolution française). L’originalité de Calvié est de mettre en lumière l’importance des « jeunes hégéliens », c’est-à-dire la gauche hégélienne qui se désespère de la « misère allemande », son absence d’« âme politique », et la fuite intellectuelle dans l’idéologie, voire le nihilisme, alors que le voisin français a montré la voie depuis 1789. Marx attend de son côté une révolution d’un autre type, supérieur, qui dépassera d’un bond de géant la révolution politique des Français et s’attachera directement à la question sociale. La reconstitution de ces débats politiques, y compris dans l’exil parisien, conduit Calvié à discuter la fameuse « coupure » repérée par Althusser dans l’œuvre de Marx en 1845, avec l’Idéologie allemande, laquelle lui aurait permis un retour vers le « monde réel ». Pour Calvié, au contraire, la vraie charnière est 1848, au moment de l’échec de la révolution espérée par les jeunes hégéliens de gauche : Marx est contraint à un « repli idéaliste » sur la science (c’est le projet du Capital), dans un style typique d’une tradition intellectuelle allemande qui, faute d’accéder à la politique vivante des Français, s’est contentée de l’horizon gris de la théorie. Cette controverse tardive, et sans réponse, avec Althusser souligne bien à quel point les cultures politiques, en France comme en Allemagne, ont été liées aux interprétations divergentes et conflictuelles des échecs successifs des mouvements révolutionnaires de 1789 à 1848. Mais aussi à quel point ces impasses, du point de vue de l’action et du pouvoir, restent des enjeux de la réflexion politique aujourd’hui.

M.-O. P.

Erri de Luca, La Parole contraire Paris, Gallimard, 2015, 48 p., 8 €

L’écrivain italien Erri de Luca, auteur notamment de Trois chevaux (paru chez Gallimard en 2002 ; son dernier livre, Histoire d’Irène, vient de paraître chez le même éditeur), a été accusé en 2013 par la société de construction de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin d’incitation au sabotage, pour un entretien accordé au Huffington Post dans lequel il déclarait soutenir des militants anti-Tav (pour Treno alta velocità, train à grande vitesse) qui avaient cisaillé des grillages entourant le chantier. Dans la Parole contraire, il revient sur le mouvement No-Tav, qui depuis des années combat, en val de Suse, le projet du Lyon-Turin, sur son propre positionnement politique, mais aussi et surtout sur le rôle de l’écrivain, sur son droit à la « parole contraire ». Comme il l’écrit : « J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire. » De Luca a reçu le soutien de nombreux écrivains et intellectuels, en Italie et ailleurs, qui considèrent sa mise en accusation comme le retour du délit d’opinion. Cette affaire remet également sur le devant de la scène la question de la contestation des grands projets d’infrastructure, des mobilisations auxquelles ils donnent naissance et de la répression que ces dernières engendrent, comme on l’a tragiquement constaté récemment en France, à Sivens, avec la mort de Rémi Fraisse.

A. B.

Blaise Cendrars, Mon voyage en Amérique Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 2015, 126 p., 6, 90 €

Ce texte n’est pas de Blaise Cendrars. Car c’est Frédéric Louis Sauser qui s’embarque en 1911 sur le Birma, à destination de New York. Un voyage dès l’abord placé sous le signe de l’impossible, car le médecin allemand lui annonce qu’il a une maladie aux yeux qui le fera probablement renvoyer à l’arrivée à New York. Le journal qu’il tient pendant la traversée est celui d’un jeune poète emprunt de lyrisme et de références, qui ne regarde pas les gens (« J’entreprends ce voyage pour être loin de l’hideuse face humaine… ! ») mais la mer, qu’il voit à travers les mots, les musiques des autres (Goethe, Baudelaire, Maeterlinck, Mozart, Beethoven). Il est habile, il a de l’esprit (« Il n’y a que les anti-poètes qui aient le mal de mer »), mais est encore trop habité par ses lectures et ses poses ; Freddy Sauser, après tout, n’a que vingt-quatre ans. Dans « Le retour », qui suit le premier texte, écrit sur le Volturno en 1912, qui le ramène en Europe, il rejoint les gens, ces « fatigués d’Amérique » auxquels il appartient désormais. Le poète n’est plus à part, seul sur le bastingage ; il regarde les autres, les observe, les dessine. Et ses notations éparses, dans l’esprit du lecteur, évoquent les œuvres futures. L’Amérique, on ne la voit pas, elle est dans le trou, entre les voyages. C’est pourtant elle qui fait naître les Pâques à New York, qui insuffle le dynamisme de ses grandes machines dans les vers souples de celui qui devient alors Blaise Cendrars.

A. B.

En écho

ÉMEUTES URBAINES – Dix ans après les émeutes de 2005, la revue Agora. Débats/Jeunesse, qui se présente dans une nouvelle formule très prometteuse (n° 70, Presses de Sciences Po), propose un dossier rétrospectif coordonné par Régis Cortosero et Éric Marlière. Un portrait d’émeutier, une comparaison avec la Grande-Bretagne et une analyse de l’arsenal répressif aident à mieux comprendre l’évolution du regard collectif sur la jeunesse des banlieues en France. Les coordinateurs du dossier proposent une synthèse critique sur les études sociologiques qui ont été consacrées en France à ces émeutes : ils sont frappés par la « nostalgie d’un grand acteur populaire » dans ces travaux. Question de génération ? Après la désagrégation du mouvement ouvrier, comment parler des classes populaires ?

CRISES INTERNATIONALES – Pourquoi y a-t-il autant de conflits et de situations d’urgence en même temps depuis quelques années ? Dans un texte panoramique, Les Carnets du Caps (publication du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères, n° 20, hiver 2014-2015) proposent un diagnostic en cinq points : l’ordre international est fragilisé par une forme de retrait américain ; la Russie, la Chine et l’Iran en profitent pour s’affirmer comme acteurs autonomes visant leurs propres intérêts ; des mouvements issus des sociétés civiles et des groupes terroristes s’imposent comme des acteurs globaux ; le Moyen-Orient et l’Afrique restent des zones très instables pour des raisons propres. Parmi les autres articles, une cartographie de l’euroscepticisme, une interrogation sur l’avenir du contrôle des armements nucléaires et une discussion sur le conflit entre sunnites et chiites, dont nous aurons l’occasion de reparler dans la revue.

NOUVELLE REVUE – La forme revue, décidément, continue d’inspirer. Signalons donc qu’en juin sortira le premier numéro de La Revue du crieur, publiée par les éditions La Découverte et Mediapart, qui veut « replacer les idées au cœur du débat public » à travers notamment des enquêtes. Au sommaire du premier numéro (sortie le 11 juin), des textes de Grégoire Chamayou, Joseph Confavreux, Marion Rousset, Marine Turchi…

DU RÊVE AU CAUCHEMAR SOCIAL ? – La revue Projet consacre son numéro de juin à la question « Social : réparer ou reconstruire ? » (Projet, n° 346, 12 €, www.revue-projet.com). À l’heure du chômage de masse, de l’isolement grandissant des personnes en situation de précarité, comment faire en sorte que la société se soucie à nouveau, se soucie mieux, des plus vulnérables, sans condescendance ? À noter, les articles de Fabienne Brugère sur l’émancipation de l’individu grâce aux autres, une analyse de Philippe Warin sur le non-recours aux prestations sociales et, hors dossier, un texte d’Anousheh Karvar sur l’énergie (« Soustraire l’énergie au marché »).

LES DÉBUTS DE LA CONSOMMATION – La revue Le Mouvement social, dans son numéro de janvier-mars 2015 (n° 250, La Découverte, 16 €, http://www.lemouvementsocial.net/), consacre son dossier à « Apprendre à consommer au xxe siècle ». À l’heure où l’on s’interroge sur les transformations de la consommation, sur le « consom’acteur » et le brouillage entre production et consommation (voir notre prochain dossier sur l’économie du partage), ce retour historique sur des pratiques de consommation est intéressant. À noter que dans le numéro de juin sera abordée l’histoire du travail du dimanche et de la Sécurité sociale.

Avis

En partenariat avec l’Institut d’études avancées (Iea), la revue Esprit organise le 16 juin à 18 h 30 une rencontre avec Massimo Vogliotti, chercheur invité à l’Iea, Dominique Borde, avocat, et Antoine Garapon (Institut des hautes études sur la justice) autour de la question de la formation des juristes. Alors que de plus en plus de questions se règlent aujourd’hui par le droit, la formation des juristes et des magistrats ne saurait être purement technique et formelle, elle doit retrouver une portée plus large, et plus humaniste. Entrée libre et gratuite, hôtel de Lauzun, 17, quai d’Anjou, 75004 Paris. Informations et inscriptions : a.beja@esprit.presse.fr

Du 3 au 16 juin, au cinéma l’Entrepôt (7-9, rue Francis-de-Pressensé, 75014 Paris), cycle de films et de débats, « Filmer la pensée en marche », en présence du réalisateur Abraham Ségal et de divers invités. À noter la projection de films en hommage à notre collaborateur Abdelwahab Meddeb, disparu à l’automne 2014. Informations : www.filmsenquete.com. Contact : films-en-quete@sfr.fr

Dans les mois à venir, nous analyserons le phénomène de l’économie du partage, ou économie collaborative, pour voir si et en quoi le fait de partager ou louer sa voiture, son appartement… remet en cause la notion de propriété. En août-septembre, nous consacrerons un numéro double à l’œuvre du philosophe allemand Jürgen Habermas.

Sur notre site (rubrique « Actualités »), retrouvez des bouquets thématiques d’articles (sur Germaine Tillion, le génocide arménien…), des textes en accès libre (Mad Men, le théâtre anglais, la situation au Yemen…) ainsi que les vidéos de nos débats à la Gaîté lyrique.

  • 1.

    Axel Honneth, Ce que social veut dire, tome II, les Pathologies de la raison, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2015.

  • 2.

    Id., Ce que social veut dire, tome I, le Déchirement du social, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2013 ; la Réification. Petit traité de théorie critique, Paris, Gallimard, coll. « Nrf essais », 2007.

  • 3.

    Id., la Lutte pour la reconnaissance, Paris, Éditions du Cerf, 2007.

  • 4.

    Id., la Société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La Découverte, 2006 ; les Pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, Paris, La Découverte, 2008 ; Un monde de déchirements. Théorie critique, psychanalyse, sociologie, Paris, La Découverte, 2013.

  • 5.

    Fidèle à la tradition francfortoise, Honneth préfère le premier terme : voir le premier chapitre de la Société du mépris, op. cit., et le chapitre iii de Ce que social veut dire, tome II, op. cit.

  • 6.

    A. Honneth, la Lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 49.

  • 7.

    G.W.F. Hegel, Préface aux Principes de la philosophie du droit.

  • 8.

    Voir A. Honneth, Ce que social veut dire, tome II, op. cit, p. 15 et suiv.

  • 9.

    Voir l’ouvrage le plus récent de Jeremy Waldron, Dignity, Rank, and Rights, New York, Oxford University Press, 2015.

  • 10.

    Voir par exemple Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2011.

  • 11.

    G.W.F. Hegel, Écrits politiques, Paris, Champ Libre, 1977, p. 95.

  • 12.

    Voir par exemple Laurent Davezies, la Crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Le Seuil/La République des idées, 2012 et la République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Paris, Le Seuil/La République des idées, 2008.

  • 13.

    Voir l’ouvrage d’Albert O. Hirschman devenu un classique, Exit, voice, loyalty. Défection et prise de parole, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2011 (version originale publiée en 1970).

  • 14.

    Notamment dans la Fable mystique, dont le tome II a été publié chez Gallimard en 2013. Voir l’entretien avec Luce Giard et Jean-Louis Schlegel, « Michel de Certeau, la mystique et l’écriture », Esprit, août-septembre 2013.

  • 15.

    G. Lipovetsky, l’Ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain [1983], Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1989.

  • 16.

    Iris Murdoch, Sous le filet [1954], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985.

  • 17.

    Comme le montre Mother Country : Britain, the Welfare State and Nuclear Pollution (New York, Farrar Strauss Giroux, 1989), son texte polémique consacré au site nucléaire de Sellafield.

  • 18.

    Marilynne Robinson, The Death of Adam : Essays on Modern Thought, Boston, Houghton Mifflin, 1998.

  • 19.

    Voir les deux romans précédents : M. Robinson, Gilead, Arles, Actes Sud, 2007 ; Chez nous, Arles, Actes Sud, 2009.