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Dans le même numéro

Le diocèse de Paris après le cardinal Lustiger

Quelques questions sur les choix de l’Église à Paris

« Hommage unanime au cardinal Lustiger » titrait récemment La Croix après la disparition de l’ancien archevêque de Paris. Comme cela est habituel en pareilles circonstances, la personne du disparu focalise les éclairages, les commentaires, les réactions ; rien que de très compréhensible, surtout compte tenu des dimensions exceptionnelles du personnage, de son destin et des responsabilités qui furent siennes. Les médias avec le grand public sont friands de la personnalisation à outrance. Les propos qui suivent se placeront sur un autre registre.

Nous sommes vraiment maintenant dans l’ère de l’après-Lustiger : quoi qu’il en soit de ses intentions, de ses initiatives, de ses choix, est-il possible de porter une appréciation sur la situation réelle de l’Église catholique parisienne aujourd’hui, sans tout juger à travers l’itinéraire, la personnalité, les faiblesses ou les atouts d’un seul homme, aussi prestigieux et communicant eût-il été ? C’est ce que je voudrais tenter en rappelant certains paramètres passés d’ordinaire sous silence. Seront énumérés ici quelques domaines importants en fournissant pour chacun au moins un indice des problèmes qui demandent examen.

Voici quel est mon outil1 d’analyse : l’Église parisienne est assimilable à une entreprise religieuse parmi d’autres ; elle rassemble des personnes et les organise selon divers modes, édicte des règles et des procédures de fonctionnement, dispose de moyens matériels et intellectuels, diffuse des prises de position et des opinions, poursuit des objectifs immédiats ou à plus long terme. Impossible pour elle d’ignorer son environnement culturel et social, son héritage historique, le statut de Paris ville-métropole.

L’Église rassemble des personnes et les organise

• Les classes moyennes-supérieures sont dominantes au sein du diocèse ; elles imposent de fait le modèle d’une Église de style « bon-chic-bon-genre » alors que la composition sociologique de Paris est nettement plus diversifiée. Un seul indice pour étayer ce constat : tous les documents de communication créés et diffusés par le diocèse insistent sur la réduction d’impôt attachée aux dons faits à l’Église, alors que près de la moitié des paroissiens ne paient aucun impôt sur le revenu ! Comment aborder les problèmes collectifs (y compris économiques) avec des gens simples et peu habitués à être entendus ? Tel est le véritable défi démocratique que les communautés doivent relever.

• La paroisse, cellule de base du diocèse, est trop perçue au travers du filtre clérical, beaucoup plus que par la connaissance des paroissiens qui en sont pourtant l’élément stable. Si l’on cherche une illustration de cette distorsion, il suffit de lire dans la revue diocésaine Paris Notre Dame les présentations des paroisses à l’occasion de la nomination de leur nouveau pasteur. Comment améliorer la reconnaissance commune des spécificités locales sans laminer tout le monde aux normes de l’élite dirigeante ? Si l’Église contribue à cette amélioration, cela rendra un grand service à la vie des Parisiens, quelle que soit leur position religieuse.

• L’organisation catholique – un fruit de l’histoire – est prévue pour les « stocks » de population et a d’énormes difficultés à tenir compte des « flux ». Dans certains endroits, un quart de la population résidente change chaque année et il faut souvent des mois pour qu’une famille nouvellement arrivée se fasse connaître de sa paroisse. Comment découvrir et soutenir les nouveaux arrivants, mieux s’adresser aux touristes, accueillir fraternellement tous les étrangers ?

• Depuis 25 ans la « gouvernance » du diocèse de Paris a écarté ou réduit volontairement certains courants qui ne peuvent pas tous être rangés sous l’étiquette « années 1970 ». D’autres coupures sont nées qui ne relèvent pas d’un effet de génération, comme la multiplication des paroisses confiées à des groupes de religieux très divers (tous n’appartiennent pas forcément au mouvement dit du Renouveau charismatique). Remettre du liant entre les groupes organisés, faire grandir l’estime mutuelle, favoriser la rencontre des styles et des générations, au besoin panser les blessures : toutes ces tâches seront de longue haleine et demanderont la collaboration de tous.

Statut urbain de métropole

• Survalorisation du centrage autour de la cathédrale et de l’évêque métropolitain. Le choix du couvent des Bernardins – presque à côté de la cathédrale – pour y loger la nouvelle faculté de théologie créée par le diocèse de Paris alors qu’existent déjà l’Institut catholique et la faculté des jésuites sise rue de Sèvres, en est une des plus belles illustrations. J’y perçois un double décalage culturel avec le monde actuel :

l’agglomération parisienne est à centres multiples et l’éclatement de la Sorbonne en plus d’une douzaine d’universités le manifeste de façon exemplaire. Quand l’Église de Paris crée sa faculté Notre-Dame, veut-elle animer un centre intellectuel supplémentaire et original ou bien cherche-t-elle à éclipser ce qu’elle ne contrôle pas ? Il y a là deux directions : laquelle retenir ?

alors que depuis un demi-siècle les pouvoirs publics cherchent à dynamiser les zones périurbaines par l’action culturelle, les créations d’universités, le déplacement des Grandes Écoles, faut-il que le chantier universitaire de réflexion et de formation catholiques délaisse l’âge contemporain en oubliant les diocèses environnants pour préférer la restauration historique ?

• Beaucoup de commentaires ont insisté sur l’importance accordée par l’ancien archevêque à l’appel, la sélection et à la formation des prêtres parisiens. On a dénombré le total des prêtres ordonnés en un quart de siècle par feu le cardinal, c’est lui rendre justice. Mais quel média a pris la peine d’avertir lecteurs ou auditeurs qu’il leur fallait pondérer les chiffres bruts en tenant compte de la population de la capitale ? Paris compte environ 3, 4 fois plus d’habitants qu’un diocèse moyen en France ; certaines annonces triomphales sont à tempérer.

Recrutement et fonctionnement

• Quarante ans après le remodelage d’anciens et la création de nouveaux diocèses en région parisienne, on observe une quasi-disparition des instances interdiocésaines en Île-de-France (exemples : séminaires, formation, actions de solidarité). Maintenant qu’est passée cette période de « jeunesse institutionnelle », quelle organisation mettre en place à échelle régionale ? Cela est indispensable pour tout ce qui touche aux prévisions et aux grandes orientations.

• Absence de personnalités laïques connues et reconnues à l’échelle diocésaine comme au niveau régional. Cela n’est pas propre à Paris évidemment, et touche l’ensemble de l’Église de notre pays. Le monopole de la « représentation » – média aidant – est assuré par des clercs alors même que le nombre de personnes laïques exerçant des responsabilités augmente. Par quelles voies rééquilibrer la situation ?

• Isolement paroissial, chaque paroisse demeurant une île ; vacuité de l’instance d’animation intermédiaire (les doyennés) ; conseil presbytéral inopérant. Triple constat, ancien, qui requiert d’être réévalué collectivement pour en corriger les carences.

• Pas de procédures de recours, efficaces et connues, en cas de litige grave entre un curé et une fraction notable de paroissiens. Même flou au sujet des laïcs disposant d’une lettre de mission et s’acquittant d’un service pastoral. L’arrière-plan canonique de ces questions jure au niveau des principes avec la culture moderne de la séparation des pouvoirs. Un rapprochement des pratiques serait le bienvenu et Paris offre assez de ressources humaines et intellectuelles pour tenter de mettre au point de nouveaux modes d’agir.

• Qui est au courant des critères de sélection des futur(e)s embauché(e)s ? Même question pour les futurs ordonnés, diacres ou séminaristes ? Leurs lieux de stage gagneraient à être diversifiés et peut-être répartis sur l’ensemble du territoire de la région, surtout si l’on continue la péréquation des prêtres inaugurée avec la Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville (Fmpv).

• Vue de l’extérieur « l’École libre » est principalement catholique. Sur le terrain parisien, existent des écoles très diverses et le caractère catholique de certaines apparaît bien formel comparé à d’autres traits caractéristiques. Malgré la difficulté des questions soulevées en ce domaine, il faut continuer d’améliorer les relations entre les acteurs de la pastorale ordinaire et les acteurs de l’école catholique sans faire silence sur les questions qui fâchent (le catéchisme, la sélection sociale, la mixité religieuse, etc.).

Environnement culturel et social

• Suspicion voire refus d’instances de représentation. Deux exemples :

marginalisation des expériences de vote des paroissiens, non encouragées et dont le bilan n’a jamais été officiellement tenté (en tout cas publié) ;

aucune tentative de conseil pastoral diocésain, même à l’occasion des étapes de la « Marche de l’Évangile ».

On peut espérer que l’immobilisme en ce domaine finisse par laisser place à quelques ouvertures !

• Les instances de formation réunies sous la coupe de l’École cathédrale ont totalement éclipsé ce qui, de longue date, correspondait au sein des mouvements catholiques à l’Éducation populaire. D’où une question grave posée à l’Église parisienne qui depuis des décennies a homogénéisé son encadrement sur le plan socioculturel : comment aujourd’hui l’Église de Paris honore-t-elle concrètement son qualificatif de « catholique » ? On conviendra qu’il ne suffit pas pour ce faire de citer l’évêque de Rome dans chaque homélie ou de célébrer annuellement une messe des nations !

Moyens matériels

• L’immobilier. Deux problèmes me paraissent principaux en ce domaine, au risque de décevoir ceux qui préfèrent s’en tenir aux critiques fantasmatiques :

d’une part, la question des usages : à quoi et à qui servent les mètres carrés dont disposent les catholiques de Paris ? Au-delà du service direct rendu à une communauté (pour le culte, le catéchisme, les rencontres de groupe), quels services ces installations rendent-elles aux habitants parisiens ? Qui en a une idée fondée et cela est-il homogène en tout point de la capitale ? Certains services sont-ils à développer, d’autres à supprimer : comment en décider dans la concertation ?

d’autre part, la question de l’entretien de ces bâtiments : du point de vue de la sécurité comme de leur technicité ils demandent aujourd’hui plus de soins et de surveillance que les vieilles bâtisses d’antan. Les communautés locales qui les animent ne peuvent pas toujours disposer des connaissances et des moyens pour les entretenir. Comment concilier alors gestion locale et tutelle diocésaine, propriété canonique et bien commun ?

• Les ressources financières. Le diocèse de Paris donne à beaucoup de gens le sentiment qu’il dispose de moyens importants. Cependant les charges qu’il assume tant de façon classique qu’à la suite de ses investissements récents (la chaîne de télévision Kto, la restauration et l’utilisation du couvent des Bernardins notamment), celles qui résulteront des retraites à assurer aux anciens permanents, obligent à s’interroger sur la solidité des ressources actuelles2 et sur leur pérennité. Les trois quarts des ressources financières de l’Église parisienne transitent encore par les paroisses tandis que plus de la moitié des dépenses ordinaires demeurent liées au coût du personnel, part qui s’accroîtra inéluctablement avec le nombre de laïcs employés. Le bénévolat est-il une voie de solution économiquement et socialement satisfaisante ?

Objectifs

• Quels sont-ils à proche et à long terme ? Trop souvent la vie paroissiale organisée sur la base d’un calendrier annuel répété (année liturgique, catéchisme de type scolaire) et d’un cycle de vie (baptême, mariage, funérailles) n’a pas d’autre horizon temporel que de chercher à se maintenir. La vie urbaine, au contraire, offre des rythmes divers, dont le tempo varie selon les âges, les activités ; elle est scandée par de multiples changements (déménagements, travail, enfants). L’idée de trouver d’autres scansions habite la succession des initiatives diocésaines récentes : ne conviendrait-il pas d’ouvrir un débat sur ces hypothèses en rassemblant une grande variété d’acteurs ?

• Quelles images utopiques l’Église parisienne propose-t-elle comme figures d’espérance collective ? Face à la mondialisation, aux doutes concernant la réussite des révolutions sociales, à la précarisation de groupes humains de plus en plus nombreux, suffit-il de valoriser quelques grandes cérémonies liturgiques – très marquées au demeurant par un souci télégénique qui réduit les participants à un simple rôle de figurants ?

Messages

• L’Église de Paris a pris beaucoup d’initiatives en matière de communication (Radio, TV notamment), mais toujours selon un modèle privilégiant la diffusion. Ce n’est pas un hasard si Paris a fait cavalier seul vis-à-vis des autres diocèses. Les moyens de communication sont entièrement dépendants de la hiérarchie : combien l’hebdomadaire Paris Notre-Dame a-t-il « consommé » de rédacteurs en chef ? Combien y a-t-il eu de responsables de la communication du diocèse ? Dans quelles conditions ont-ils quitté leur poste ? Maintenant que les nécessités économiques imposent l’entente entre instances diocésaines, comment s’y prendre sans monarque (i.e. chef unique) ?

• S’interroge-t-on suffisamment sur la réception des messages par leurs destinataires ? Quel effet retour celle-ci produit-elle ? (exemple : des commissions d’après la « Marche de l’Évangile », notamment au sujet des divorcés remariés, dont personne depuis n’a entendu parler).

*

Voilà posée une série de questionnements au sujet de l’état réel du diocèse de Paris. Ces problèmes sont à traiter collectivement si l’on veut sinon les résoudre tous, du moins contenir les forces de désagrégation qui sous-tendent plusieurs d’entre eux ; cela ne peut se faire correctement que si beaucoup de monde participe à l’œuvre commune, sans ostracisme ou révérence indus. D’une personnalité aussi forte que celle de J.-M. Lustiger associée à l’organisation traditionnelle des pouvoirs dans l’Église est résulté mécaniquement un long exercice solitaire des responsabilités. Il est indispensable de passer à une façon de faire plus solidaire, concertée, collégiale comme l’on dit dans l’Église. Les changements d’hommes ne s’accompagnent pas forcément de nouvelle ère, mais ils permettent quand même des modifications de ton ou mieux d’air, à défaut de réécrire toute la chanson. Puissent le nouvel archevêque et les responsables diocésains qui l’entourent accepter d’entreprendre ce travail avec le soutien des évêques de la région, et puisque la mode cet été se cherche une inspiration latine : Utinam !

Jean Lavergnat

prêtre parisien

  • 1.

    Le choix de cet outil est volontairement pris en dehors des termes et habitudes ecclésiastiques, ce qui laisse dans l’ombre une foule d’aspects essentiels, comme la liturgie, l’œcuménisme, les options théologiques, etc.

  • 2.

    Depuis la Séparation les recettes proviennent essentiellement de quatre sources : les dons effectués par les fidèles à l’occasion d’un geste du culte, les participations volontaires s’apparentant à une cotisation (denier de l’Église), les produits du patrimoine (dans une collectivité il n’y a pas de redistribution à l’occasion d’un décès, d’où un effet d’accumulation avec le temps), les legs. Sous l’impulsion du cardinal Lustiger, la fondation Notre-Dame a innové en empruntant la voie du mécénat d’entreprises, ce qui n’est pas à la portée des communautés locales.