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Tests génétiques : le passage en force

L’épisode de l’amendement sur les tests génétiques dans la loi sur les migrations inquiète par sa méthode qui tient pour négligeables les réactions fortes et convergentes de nombreux secteurs représentatifs de la société. La directrice générale de l’Unaf rappelle ici comment la définition française de la filiation équilibre nature et institution. Elle reste originale, et donc fragile, au sein du droit européen.

Pendant plus d’un mois, l’amendement prévoyant la vérification de la filiation par le recours aux tests Adn dans le cadre du regroupement familial a donné lieu à un véritable débat au sein de la classe politique et dans la société, au point d’occulter les autres aspects du projet de loi sur l’immigration. Présentée au départ comme une simple mesure technique déjà utilisée par d’autres pays, la portée de cette disposition a interrogé les consciences et dépassé les clivages politiques traditionnels. Elle a entraîné le débat national sur le terrain de l’éthique, des valeurs propres à la France, de la particularité de sa législation en matière de filiation. Quels sont les risques liés au développement des nouvelles techniques d’identification génétiques ? Sont-ils de nature à remettre en cause le modèle français qui est très encadré ? Comment concilier la soif de transparence biologique avec la sécurité des filiations ? La filiation doit-elle désormais reposer sur la réalité génétique ? Telles sont les questions que cet amendement survenu de manière inopinée a permis de soulever.

Une disposition présentée comme banale, devenue emblématique

Lorsque la commission des lois de l’Assemblée nationale examine le 12 septembre 2007 le projet de loi présenté par Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, elle ne soupçonne probablement pas la portée de l’incendie qu’elle va allumer. L’un des amendements proposés par le rapporteur, Thierry Mariani, porte sur le recours aux tests Adn pour prouver sa filiation. Son objectif est de lutter contre une « filiation de complaisance » qu’utiliseraient de manière abusive des étrangers dans le cadre du regroupement familial :

La fraude documentaire est devenue un phénomène endémique dans certaines régions du monde, pouvant atteindre entre 30 à 80 % des documents d’acte civil présentés dans certains pays d’Afrique. […] Afin que le doute portant sur ces actes d’état civil n’entraîne pas un rejet systématique des demandes, il est proposé de permettre au demandeur d’un visa la faculté de solliciter la comparaison, à ses frais, de ses empreintes génétiques ou de celles de son conjoint avec celles des enfants mineurs visés par la demande de regroupement familial. Cette procédure […] est utilisée par onze de nos partenaires européens1.

Dès l’origine, cet amendement est marqué par une ambiguïté sur les objectifs poursuivis2. Alors que le projet de loi vise à restreindre l’immigration familiale, cette disposition est présentée comme devant accélérer les demandes des étrangers qui ne peuvent obtenir de visa faute de parvenir à prouver leur lien de filiation. Le ministre Hortefeux affirme qu’il « s’agit en réalité de donner un droit nouveau aux étrangers de bonne foi3 ». Pourtant le rapport établi par M. Mariani montre que les pays européens appliquant ces procédures, notamment la Finlande, ont eu pour effet de diminuer les demandes de regroupement familial et la taille des familles accueillies.

L’affaire de l’amendement sur les tests Adn est lancée. Dès son adoption, les médias s’emparent de ce sujet qui va alimenter quotidiennement leurs rubriques. Il devient l’élément majeur de contestation sur le projet de loi. Tandis que des députés de la majorité formulent des réserves, le gouvernement réagit d’abord sans grand enthousiasme. Le ministre Hortefeux, sans trancher, affirme qu’aucun sujet n’est tabou et le président Sarkozy déclare qu’il ne voit pas où se situe le problème, douze pays en Europe appliquant déjà ce test. En revanche, les ministres dits d’ouverture, dans leur quasi-totalité, expriment franchement leur désaccord. Signe de l’importance symbolique qu’elle revête, d’anciens Premiers ministres, Dominique de Villepin, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, Édouard Balladur, s’exprimeront tour à tour contre la mesure.

À la veille de l’examen du projet de loi par l’Assemblée, la confusion règne au sein de la majorité. Beaucoup de députés Ump y sont favorables, le président de l’Assemblée nationale défend sans réserve cet amendement4, et le rapporteur qualifie les critiques de « fantasmes ». D’autres font preuve de prudence5, et le Premier ministre François Fillon semble à ce stade en retrait sur l’opportunité de légiférer en la matière. Cette affaire fera d’ailleurs une victime collatérale en la personne de son conseiller parlementaire démis de ses fonctions quelques semaines après. Enfin, des députés se déclarent contre le projet pour des raisons éthiques et de droit6.

De manière plus attendue, les réactions du côté des associations et de l’opposition sont massives, une pétition est lancée. Le généticien Axel Kahn monte au créneau à la radio et dans la presse7. Rappelant que la France a toujours considéré que la filiation ne pouvait se réduire à sa dimension biologique, il estime que l’amendement conduit à un bouleversement des valeurs, qu’il témoigne d’une régression de la pensée, et qu’il remet en jeu ce dont « notre pays est fier, sa pensée, ses principes ». Les religions interviennent également dans le débat, la conférence des évêques de France :

Nous nous réjouissons que des élus d’appartenance politique variée […] se soient opposés à l’imposition des tests génétiques pour vérifier les liens de parenté car il y aurait là le risque d’une grave dérive sur le sens de l’homme et de la dignité de la famille ;

la fédération protestante de France :

Cette intrusion dans la vie privée et l’intimité des familles nous choque, tout comme il est choquant de constater que la représentation nationale accepterait une telle intrusion dans la vie des étrangers, alors qu’elle le prohibe à l’égard des familles françaises ;

le recteur de la mosquée de Lyon :

La loi ne peut légitimer l’idée que l’identité d’une personne se réduit à ses caractéristiques génétiques8.

Tous les ingrédients sont réunis pour un débat explosif. Il démarre à l’Assemblée nationale le 18 septembre par la présentation générale du projet de loi au cours de laquelle le ministre Hortefeux défend l’amendement parlementaire, alors qu’il n’en est pas l’auteur. L’opposition proteste contre cette mesure9. Le vice-président du groupe Ump, Jean Leonetti, propose d’attendre la révision des lois de bioéthiques avant de légiférer. Optant pour un aménagement plutôt que pour le retrait, le gouvernement propose de corriger l’amendement en instaurant une période expérimentale de trois ans, une commission pour évaluer annuellement le dispositif, un remboursement des tests par l’État si le visa est accordé, et le recueil du consentement express des personnes concernées. L’amendement ainsi modifié est voté par l’Assemblée nationale.

Mais la polémique ne retombe pas car c’est au tour des sénateurs de donner de la voix, une voix dissonante dans le concert de la majorité. Le premier d’entre eux, Jean-Pierre Raffarin, indique, le 24 septembre, que l’amendement sorti de l’Assemblée nationale ne sera pas retenu par le Sénat. Pour apaiser les tensions, le ministre Hortefeux déclare qu’il écoutera et fera des propositions au Sénat. De grandes manœuvres se déroulent en coulisses. En commission des lois, des sous-amendements sont déposés afin d’encadrer davantage le dispositif voté par l’Assemblée, mais ces ajouts ne suffisent pas et la commission vote le rejet de l’amendement. Le gouvernement joue le chaud et le froid. Tandis que le porte-parole du gouvernement est chargé de défendre cette disposition10, le ministre Hortefeux négocie pour recueillir un accord du Sénat, quitte à vider l’amendement en partie de sa substance. À tel point qu’au moment où le texte arrive à discussion, les sénateurs de la majorité affirment que les modifications apportées par le gouvernement répondent désormais à leurs inquiétudes11.

Le Sénat vit son heure de gloire quand le débat sur le projet de loi démarre le 2 octobre, même si le suspense est éventé sur sa position. La discussion sur les tests génétiques va durer quatre heures le 3 octobre. Robert Badinter intervient pour dire qu’il a rarement vu, depuis vingt-cinq ans, un amendement d’origine parlementaire soulever autant d’émotion et de réactions. Qualifié de « ministre de la génétique » par un sénateur, Brice Hortefeux donne son accord sur une série de modifications proposées par le Sénat : le test ne sera possible que pour prouver la filiation avec la mère (il évitera ainsi d’aboutir à la révélation, pour un père, qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant12), le recours au test Adn sera l’ultime solution après vérification de la filiation par la possession d’état, la procédure sera placée sous le contrôle et la compétence du juge civil (en l’occurrence le Tgi de Nantes) chargé d’autoriser le recours au test Adn, l’expérimentation sera réduite à dix-huit mois, le décret sera pris après avis du Comité consultatif national d’éthique (Ccne), les tests seront gratuits même s’ils ne sont pas positifs et, enfin, l’initiative du test relèvera du demandeur du visa, et non des autorités consulaires. En somme, la version du texte est largement modifiée et elle se rapproche des procédures fixées par le code civil.

La majorité approuve ce nouveau texte, relevant non sans fierté les effets de sa pression sur le gouvernement. Pour elle, la mesure correspond désormais à une extension d’un dispositif existant déjà dans notre code civil en matière de recherche en paternité13, mais pour la plupart des adversaires de cette mesure, il s’agit d’une dérogation supplémentaire qui contredit les principes de notre droit de la filiation.

L’amendement sort du Sénat bien essoré tant la mise en œuvre du dispositif a été rendue compliquée, mais l’affichage du test génétique appliqué aux demandeurs de visa est préservé. Le débat ne s’éteint donc pas d’autant que, à peine passé le vote par le Sénat, le Ccne rend public son avis sur l’amendement. Saisi dans l’urgence par une sénatrice, il se montre sévère14. S’il prend acte que les amendements successifs ont mieux pris en compte la reconnaissance de la filiation sociale, il craint néanmoins que l’esprit du texte ne mette en cause la représentation par la société de principes fondamentaux :

L’erreur est de laisser penser qu’en trouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par la parole, pas par la science […] Cette inscription dans la loi d’une identification biologique réservée aux seuls étrangers […] introduit de fait une dimension symbolique dans la représentation d’une hiérarchie entre diverses filiations, faisant primer en dernier lieu la filiation génétique […] comme étant un facteur prédominant, ce qui est contraire avec l’esprit de la loi française.

Cet avis bref, mais sans appel, reste lettre morte du côté du gouvernement qui se garde de le commenter.

Le sujet est chauffé à blanc, chaque jour apporte son lot de rebondissements et il suffit d’une étincelle pour relancer les passions. La polémique se cristallise sur l’emploi des mots, celui de « détail » par le Premier ministre qui désormais défend avec vigueur le dispositif, puis celui de « dégueulasse » par sa secrétaire d’État. Peu à peu, le débat s’éloigne des raisonnements de fond et l’affrontement prend un tour plus classique entre droite et gauche, conduisant le gouvernement à ne pas céder. Le feuilleton approche de sa fin avec l’aval donné par la commission mixte paritaire à la version adoptée par le Sénat15.

Le choix de l’efficacité au détriment du débat éthique

Le traitement de cette affaire par le gouvernement a montré combien l’objectif d’efficacité prévalait sur toute autre considération. Confronté à une question ayant des répercussions sur le plan de l’éthique et devant le caractère improvisé de cet amendement, le gouvernement aurait pu décider de reporter son examen dans le cadre de la révision des lois de bioéthique prévue en 2009. Il a finalement choisi de légiférer immédiatement. Certes, le texte, qui se veut expérimental, prévoit une évaluation mais on voit mal comment il sera possible de revenir en arrière sur une telle disposition.

Au nom de l’efficacité économique, cette disposition si controversée est destinée à faire gagner du temps à l’administration chargée de vérifier les visas. Présentée sous la forme du volontariat et de la liberté, elle devrait dans les faits devenir une condition pour entrer sur le territoire, un refus de recourir au test donnant peu de chances au demandeur de bénéficier du titre de séjour.

C’est également au nom de l’efficacité des techniques modernes d’identification, qu’il a été décidé de recourir aux tests génétiques. Cette extension est en décalage avec les principes éthiques que la France s’est dotée visant à limiter et encadrer très strictement leur utilisation, contrairement à d’autres pays européens. Il est également paradoxal que le ministère, qui porte le nom « d’identité nationale », ait pu proposer un modèle différent de ce qui fonde la spécificité française, aux étrangers qui ont vocation un jour à devenir citoyens français.

On ne peut s’empêcher de regretter cette option d’agir en vitesse car des décisions qui mettent en cause la maîtrise de l’avancée des connaissances scientifiques et le droit de la filiation justifient de se donner le temps de la réflexion16. Légiférer sur une question aussi sensible que celle de la génétique, dans le cadre d’une procédure d’urgence qui écourte l’examen par les assemblées, et au détour d’un amendement, fragilise cette construction17. De plus, cette disposition, ne figurant pas dans le projet de loi initial, n’a pu de ce fait être soumise à l’avis du Conseil d’État. Le gouvernement a cherché en conséquence au fur et à mesure des débats à lui apporter une assise juridique plus certaine. L’élaboration des lois de bioéthique de 1994, puis de 2004, avait donné lieu à de vastes réflexions et avait permis à chaque courant de pensée de se faire entendre sur un sujet qui touche à des valeurs fondamentales pour l’être humain, dans sa vie sociale comme dans sa vie intime. Les textes votés ont ainsi bénéficié d’une large adhésion, gage de leur bonne application. Débattu de manière conflictuelle, cet amendement rompt avec le traitement jusqu’à présent consensuel de ces questions fondamentales.

Le poids de l’opinion publique dans la décision politique

Une des clés d’explication de la position adoptée par le gouvernement sur cette affaire réside également dans l’attention portée aux sondages d’opinion. Juste avant le déclenchement de l’affaire du test Adn, trois Français sur quatre (74 %) se disaient favorables à une limitation du regroupement familial18. En plein cœur de la polémique, 47 % des personnes interrogées estimaient que les tests Adn sont une bonne chose, contre 45 % qui les jugeaient mauvais parce que contraires aux valeurs de la société française19. À la question du site internet du Figaro, qui ne constitue néanmoins pas un sondage fiable : « Le gouvernement doit-il retirer l’amendement Adn ? », 72 % des internautes répondaient négativement20. Enfin, le 12 octobre, 56 % des Français se disaient encore favorables à l’utilisation des tests Adn dans le cadre du regroupement familial21.

Ainsi quels que soient les remous provoqués au sein de la classe politique et de la société civile, et bien que l’opposition à cette mesure ait été fortement relayée par les médias, l’opinion y est restée toujours majoritairement favorable. Cette position illustre le décalage entre les expressions formulées par les corps intermédiaires (réseaux associatifs, syndicats, notamment) et le sentiment exprimé par les Français. On peut ainsi comprendre que le gouvernement se soit appuyé sur cette forme de « référendum permanent » pour persévérer dans cette affaire, mais ce mode de fonctionnement présente des risques. La démocratie doit aussi fonctionner grâce à la présence d’organismes de régulation et de réflexion, tels que le Comité consultatif national d’éthique, chargés d’éclairer les décisions qui ont des conséquences sur l’avenir de l’ensemble de notre société. Ils contribuent en ce sens à l’harmonie sociale.

Une brèche élargie dans notre droit de la filiation confronté à l’influence de la biologie

Si notre code civil prévoit la possibilité de recourir à des tests Adn pour vérifier la réalité d’une paternité, cette procédure reste exceptionnelle. En effet, il ne suffit pas que l’enfant soit né pour être rattaché à ses père et mère, le lien de fait ne devient juridique que lorsqu’il a été constaté et prouvé dans les conditions fixées par la loi22. La filiation est le lien juridique qui rattache l’enfant à ses parents et à sa famille et le fait charnel de la procréation ne suffit pas à l’établir. D’autres éléments fondent la filiation : la volonté d’assumer un enfant pour sien (par le système déclaratif), la dimension sociologique (par l’engagement dans la durée). La filiation se prouve en premier lieu par l’acte de naissance de l’enfant23.

Les pères peuvent établir leur filiation de plusieurs manières : par le principe de la présomption de paternité dans le cadre du mariage (l’enfant né pendant le mariage a pour père le mari selon la règle du droit romain pater is est quem nuptiae demonstrant), par la reconnaissance volontaire (dans le cas d’un couple non marié, le père doit reconnaître l’enfant pour être son père juridique), par la possession d’état (elle passe par la réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté).

Le recours aux tests génétiques intervient lorsque, conformément à l’article 16-11 du code civil, le juge décide de rechercher l’identification d’une personne par ce moyen pour établir ou contester le lien de filiation. L’expertise est ordonnée une fois seulement les conditions de fond réunies24 et le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Si la personne refuse, le juge en tire toutes les conséquences qui, parmi d’autres, lui permettront de se forger une conviction. Dans le cas où la paternité est reconnue par décision de justice, le père doit en assumer les conséquences (participation aux frais d’éducation et d’entretien, héritage) et peut bénéficier de droits (voir l’enfant, autorité parentale, etc.). Sauf accord de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort25. Le recours aux tests Adn est donc déjà présent dans notre droit de la filiation. Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2000, l’expertise biologique est même considérée de droit dans le contentieux de la filiation. Toutefois elle est réservée aux cas de contestation ou d’actions dans le cadre de conflits familiaux portés devant les tribunaux. Dans le cadre défini par les lois bioéthiques, l’identification par empreinte génétique n’est donc pas laissée à la libre disposition ou initiative des personnes, elle doit être autorisée par un juge et répondre à des buts très précis. Agir en dehors de ce cadre est illégal. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un mode normal d’établissement ou d’identification de filiation, ou de confirmation d’état civil.

Enfin, notre droit a pour objectif de sécuriser la filiation. Récemment, l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation a prévu d’encadrer plus strictement encore les contestations de paternité, pour éviter que les enfants changent de père au gré des désunions. Les hommes contestant leur paternité doivent désormais agir dans un délai de cinq ans en cas de possession d’état, et dix dans les autres cas. Une fois le délai écoulé, la paternité doit être définitive.

L’interprétation du Sénat selon laquelle l’amendement correspondrait à une simple extension du droit existant est donc discutable. L’ouverture qu’il crée vers une banalisation des tests génétiques risque, en revanche, d’entraîner des conséquences générales, à terme et non voulues, sur le droit de la filiation.

Les risques liés à une généralisation des tests génétiques

Le code civil prévoit trois hypothèses dans lesquelles les tests peuvent être utilisés : en matière pénale afin de rechercher l’auteur d’une infraction, en matière médicale, et en matière civile pour établir une filiation dans le cadre précisé ci-dessus. Dans la pratique, un test de paternité peut être accompli selon deux méthodes, l’examen comparé des sangs ou l’identification par les empreintes génétiques généralement appelée test Adn. Le recours à cette dernière méthode n’est pas neutre : alors que l’empreinte digitale n’appartient qu’à une personne, la signature génétique met son détenteur en relation avec ses origines, dessine une filiation et retrace une histoire personnelle qui ouvre la voie à tous les rapprochements possibles26.

La loi française interdit de procéder à ces tests sans autorisation préalable par un juge, et leur recours fait encourir une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Mais leur accès est dans la réalité très facile. De nombreux laboratoires étrangers le proposent en kit via internet, moyennant un coût modique. Leur résultat est fiable, la paternité étant supérieure à 99, 99 % si le père présumé est le père biologique27. Devant tant d’avantages, la tentation est forte de pouvoir en élargir l’accès et de faire jouer aux empreintes génétiques un rôle accru dans la détermination de la filiation.

Or, il existe un déséquilibre considérable entre l’extrême simplicité du test et la complexité des questions qu’il engendre. Il peut être tentant de chercher son identité au travers d’une expertise génétique alors que ce n’est pas l’appartenance biologique qui fait la filiation. Le risque est d’accorder une importance démesurée à la paternité biologique, alors qu’elle est parfois pauvre comparée à la filiation affective et sociale. Il est également de fragiliser la sécurité du lien de parenté, l’intérêt de l’enfant, l’équilibre et la paix des familles, qui sont le plus possible protégés par le droit. Le risque enfin est d’accorder à la vérité biologique, une valeur qu’elle n’a pas dans les textes.

La France écartelée entre la transparence de la vérité biologique et l’esprit du code civil fondé sur la filiation affective et sociale

Pour Françoise Héritier, la vérité biologique et la vérité génétique ne sont pas, n’ont jamais été, ne peuvent être les seuls critères ou même les critères dominants pour fonder la filiation28. La dimension affective et sociale compte tout autant, sinon plus. Le biologique ne peut devenir le seul repère valable pour instaurer la filiation.

En dehors même du cas de l’adoption, les filiations juridiques ne correspondent pas toujours aux filiations biologiques. De nombreux articles font référence à une étude réalisée par la revue scientifique The Lancet, montrant qu’au moins 2, 7 % des déclarations de naissance seraient « fausses » au sens où elles ne correspondent pas aux parents biologiques déclarés. Les chercheurs qui étudient la transmission des maladies génétiques sur plusieurs générations disent écarter 5 % voire 10 % de leurs échantillons en raison des discordances de filiation29.

Par ailleurs, plus de 1 % des enfants nés en France sont conçus par voie de procréation artificielle. Or c’est sans doute dans le domaine des procréations avec tiers donneur que le droit français a élaboré le système de filiation le plus artificiel, dissociant à l’extrême les aspects biologiques et juridiques. Dans le cadre de ces techniques qui permettent de recourir à des personnes étrangères au couple pour un don de gamètes (sperme ou ovocyte) ou un accueil d’embryon, le législateur a en effet prévu qu’aucun lien de filiation ne pouvait être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation. Il a élaboré une apparence de filiation charnelle telle que la paternité, inexacte au plan biologique, est inattaquable contrairement à la paternité classique. Le consentement donné à une procréation avec tiers donneur interdit en effet toute action en contestation de filiation. La confusion peut devenir extrême entre le génétique et le biologique dans certains cas. Lorsqu’une femme, par exemple, met au monde un enfant issu d’un don d’ovocyte, l’enfant se retrouve avec deux « mères potentielles », une mère génétique (donneuse d’ovocyte), et une mère utérine ou biologique (celle qui l’a porté). Au regard de cette dernière considérée comme la mère biologique, un enfant peut donc être porteur de gènes totalement différents. Par ailleurs, pour la première fois une étude a été conduite en France récemment auprès d’adultes conçus par insémination artificielle avec donneur anonyme30. À cette occasion la question a été posée de savoir s’il fallait lever l’anonymat des donneurs, afin de faciliter la recherche des origines par les enfants. Une proposition de loi a été déposée en ce sens. Ces cas extrêmes illustrent le paradoxe de notre société qui crée de toutes pièces des filiations, et qui sacralise, par ailleurs, l’aspect génétique.

Si l’enfant ne doit pas être réduit à sa seule dimension biologique (un être est composé de dimensions d’humanité, psychique, sociale, culturelle, spirituelle), il convient néanmoins d’éviter de négliger totalement la dimension corporelle de sa conception. Le comité national d’éthique a ainsi soulevé le risque d’une trop grande dissociation entre filiation, sexualité, et procréation31. Les dissociations opérées par les fécondations avec donneur ou accueil d’embryon provoquent, selon lui, des situations difficiles à assumer éthiquement. La filiation ne peut en effet être une construction exclusivement juridique, sans rapport avec la réalité, que l’on pourrait échanger au gré des volontés. Notre filiation, même si elle est un lien culturel, est « adossée au charnel », selon l’expression de Pierre Murat. Ce point mérite d’être souligné car les débats sur l’amendement ont eu tendance à gommer de manière excessive la composante biologique dans notre droit de la filiation.

La mise à l’épreuve de la spécificité française en Europe

La comparaison avec d’autres pays européens a été l’argument le plus souvent avancé pour défendre l’amendement sur les tests génétiques : si d’autres pays démocratiques ont recours à ces tests, pourquoi ne le ferions-nous pas ? N’est-ce pas aller dans le sens de l’harmonisation européenne ? Cet argument est simpliste car sur les onze pays européens ayant recours aux tests Adn dans le cadre du regroupement familial (soit moins de la moitié des pays de l’union) recensés dans le rapport de M. Mariani, seuls trois pays (Danemark, Italie et Norvège) l’exercent dans un cadre réglementé. Pour les autres, il s’agit de pratiques selon des modes très variables, qui ne reposent sur aucun texte juridique. Or le modèle français est celui d’un cadre très réglementé et protecteur qui fixe des limites aux progrès des sciences. Ainsi, la Belgique et la Suisse ont légalisé les recherches de paternité privées en prévoyant le consentement écrit des personnes concernées, tandis qu’en Espagne et en Allemagne, les tests sont ouverts à tous et le recueil du consentement n’est pas nécessaire. Dans ces pays, il n’y a donc pas discordance de droits, les tests Adn sont libres d’accès à tous, ce qui n’est radicalement pas le cas en France. Plus généralement, en matière d’éthique, les pays européens ont recours à des pratiques très différentes les unes des autres. Les Pays-Bas pratiquent l’euthanasie, la Suisse reconnaît le suicide assisté, les maternités de substitution (mères porteuses) sont légales en Belgique et au Royaume Uni. Contrairement à la France, l’anonymat du donneur dans le cadre de l’insémination artificielle est levé en Suède, Autriche, Norvège, Pays-Bas, Islande et Angleterre.

Dans ce contexte, comment la législation française va-t-elle évoluer ? La France doit-elle nécessairement s’aligner sur les autres pays européens ou doit-elle résister ? Il n’est pas interdit de penser qu’elle peut aussi défendre en Europe les valeurs qui lui sont propres en matière d’éthique et de filiation. Mais, dans le même temps, il convient de reconnaître la difficulté à faire abstraction du cadre européen. La France aura certainement beaucoup de difficultés à préserver sa spécificité dans un contexte international marqué par la banalisation des tests génétiques, et par la primauté accordée de ce fait au biologique dans la filiation. Un arrêt rendu par un État peut avoir des conséquences par ricochet sur la jurisprudence d’un autre État et les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) montrent que la vérité biologique révélée par l’Adn prend de plus en plus de poids32. De même, les Français risquent, lorsqu’ils voudront immigrer dans un autre pays, de se voir appliquer des vérifications à caractère génétique et on ne voit pas désormais, au nom de quoi, ils pourraient s’y opposer. Comment le principe français d’égalité entre les filiations, sociale, adoptive, culturelle, génétique, pourra-t-il résister dans ce contexte ? L’empreinte génétique, « reine des preuves » en matière de filiation ne risque-t-elle pas de s’imposer progressivement ?

Le Prométhée, définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui33.

Puisse cette conscience animer les travaux qui seront conduits en France en vue d’une révision de ses lois de bioéthique.

  • *.

    Directrice générale de l’Union nationale des associations familiales (Unaf).

  • 1.

    Compte rendu Assemblée nationale, Commission des lois, 12 septembre 2007.

  • 2.

    Jean Leonetti : « La vraie question que nous devons nous poser, c’est comment cette mesure qui a été adoptée par douze démocraties, peut être utile aux migrants et non constituer pour eux un obstacle supplémentaire. J’ai bien écouté le ministre et aujourd’hui encore le Premier ministre. Mais tout débattu, le doute subsiste » (Assemblée nationale, 19 septembre 2007).

  • 3.

    Compte rendu des débats au Sénat du 2 octobre 2007.

  • 4.

    « Il y aura une large majorité des députés Ump pour soutenir cette mesure, prévoit M. Accoyer. Le nouveau centre s’y est également rallié, voyant dans ces tests Adn un droit nouveau » (Afp, 18 septembre 2007).

  • 5.

    « La ligne n’est pas totalement déterminée », Jean-François Copé, président du groupe Ump.

  • 6.

    « C’est de la surenchère, une erreur politique, a déploré François Goulard, pour moi ça s’apparente à un tatouage électronique. » « C’est effroyable » a tempêté Jean-Pierre Grand. Philosophiquement opposé au dispositif, Étienne Pinte voulait encore croire qu’un retrait de l’essentiel de cet amendement serait obtenu (Afp, 18 septembre 2007).

  • 7.

    Le Monde du 18 septembre 2007 et Le Figaro du 25 septembre.

  • 8.

    Sources : Afp.

  • 9.

    « “La bataille aura lieu dans le pays et vous serez obligés de céder” a menacé Julien Dray hier soir à l’Assemblée […]. La gauche pense avoir trouvé un cheval de bataille contre le gouvernement » (Le Figaro, 20 septembre 2007).

  • 10.

    Laurent Wauquiez : « C’est quand même un sujet sur lequel on n’est pas non plus totalement sûr du politiquement incorrect tels que peuvent le dénoncer les beaux esprits » (Lci, 2 octobre 2007).

  • 11.

    Jean-Pierre Raffarin : « Aux objections que j’avais faites, il y a eu un geste très important. Nous avons des réponses éthiques à des questions éthiques » (3 octobre 2007).

  • 12.

    Mais qu’en sera-t-il des enfants biologiques et élevés par le père, qui ne seront pas enfants biologiques de cette mère (exemple des familles recomposées) ? Cette version sera d’ailleurs modifiée en commission mixte paritaire pour tenir compte du cas où les mères seraient décédées.

  • 13.

    Pierre Fauchon : « Nous sommes […] dans une démarche non pas de dérogation, mais d’extension d’un texte existant dans un certain contexte [article 16-11 du code civil relatif à la recherche en paternité – voir ci-après], à un autre domaine qui concerne les regroupements familiaux. »

  • 14.

    Avis n° 100 du Ccne, « Migration, filiation et identification par empreintes génétiques », du 4 octobre 2007.

  • 15.

    Cet article a été écrit avant le retour du texte devant l’Assemblée nationale.

  • 16.

    Michel Mercier : « Les liens de filiation font partie de ce qu’il y a de plus sacré dans notre civilisation. On ne peut pas les modifier pour de simples raisons de commodité ou d’efficacité. Les règles existantes en la matière constituent un socle qui participe au fondement même de notre nation » (Sénat, 19 octobre 2007).

  • 17.

    La déclaration en urgence de ce texte n’est pas neutre puisqu’une seule lecture du texte par le Sénat et l’Assemblée est prévue. En cas de litige entre les deux assemblées, il appartient à une commission mixte paritaire, selon l’article 45 de la Constitution, de statuer et c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot.

  • 18.

    Sondage Opinionway pour Lci et Le Figaro, 18 septembre 2007.

  • 19.

    Sondage Csa pour Le Parisien le 4 octobre 2007.

  • 20.

    Le Figaro du 5 octobre 2007.

  • 21.

    Sondage Opinionway pour Lci et Le Figaro.

  • 22.

    Isabelle Corpart, supplément Ash sur l’autorité parentale, décembre 2002.

  • 23.

    David Assouline : « Depuis deux cents ans, c’est par l’inscription sur les registres publics que l’on fait son entrée dans le monde ; c’est à la faveur de ce passeport que l’on peut être admis et reconnu dans une famille […] Dans sa séance du 28 ventôse an XI, le député de la Gironde exposait que les dispositions du code civil faisaient de l’acte de naissance, le titre certain, authentique et irréfragable de la filiation » (Sénat, 3 octobre 2007).

  • 24.

    Ainsi malgré un examen démontrant la non-paternité biologique, l’action d’un père légitime (qui contestait la réalité de sa filiation) a été rejetée car l’enfant avait un acte de naissance et une possession d’état conformes.

  • 25.

    Cette rédaction fait suite à l’affaire Montand qui avait donné lieu à une mesure d’expertise par empreintes génétiques après sa mort. Elle montre le choix du législateur de privilégier en l’occurrence le secret de la filiation biologique, par rapport au droit d’un enfant à connaître ses origines.

  • 26.

    Marylise Lebranchu, ancien garde des Sceaux (Assemblée nationale, 19 septembre 2007).

  • 27.

    Dans une affaire jugée récemment à Lyon, les résultats ont permis d’établir que la paternité n’était possible qu’à 1 sujet sur 1 000 milliards des hommes pris au hasard de la population. Le nombre d’individus ayant vécu sur terre depuis 40 000 ans étant estimé à 80 milliards, le père prétendu était quasiment le seul père possible au sein de l’humanité (LexisNexis juris classeur, janvier 2006).

  • 28.

    Françoise Héritier, Masculin, féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996.

  • 29.

    Le Monde, 14 septembre 2007.

  • 30.

    Jean-Loup Clément, Mon père, c’est mon père, Paris, L’Harmattan, 2006.

  • 31.

    Avis n° 90 du Ccne, « Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation », novembre 2005.

  • 32.

    Françoise Dekeuver Défossez, « Les empreintes génétiques devant la Cedh : avis de coup de vent sur l’ordonnance du 4 juillet 2005 », Revue Lamy droit civil, mai 2007.

  • 33.

    Hans Jonas, le Principe responsabilité, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1998.

LENEVEU Guillemette

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