
Pourquoi reconnaître le crime d'écocide ?
Co-fondatrice en 2015 de l’association Notre Affaire à tous, à l’origine de la pétition l’Affaire du siècle contre « l’inaction climatique » de l’État, Valérie Cabanes travaille depuis plusieurs années à la reconnaissance du crime d’écocide. Dans ce dialogue avec Lucile Schmid, elle revient sur son parcours intellectuel et ses engagements, sa vision du droit de l’environnement, et la nécessité d’amorcer au plus vite une véritable transition écologique.
Après neuf mois d’auditions et de délibérations, la Convention citoyenne sur le climat a rendu ses propositions au gouvernement le 21 juin dernier. Quel regard portez-vous sur cette assemblée et ses travaux ?
Les citoyens de la Convention ont fait preuve de courage et d’abnégation pendant ces longs mois. Ils ont accepté de se former sur des sujets complexes, ce qui les a conduits à se forger une opinion éclairée sur la gravité de la situation planétaire, et à chercher des solutions innovantes et systémiques dans la poursuite de l’intérêt collectif, parfois au détriment de leurs propres intérêts. Ce qu’ils ont compris les a tant bouleversés qu’ils ont accouché de mesures plus ambitieuses que ne le commandait leur mandat ; parmi celles-ci la reconnaissance du crime d’écocide et le nécessaire respect des limites planétaires. Ils ont compris que l’on ne pourrait protéger les générations futures qu’en s’attaquant, en même temps, aux causes de la crise climatique, de l’érosion de la biodiversité, de la déforestation, de la pollution, de l’acidification de l’océan, de la raréfaction de l’eau douce. Ils ont compris que tout était lié, que l’équilibre des écosystèmes et l’avenir de l’humanité étaient interdépendants, que nous risquions de ne pas survivre à une 6e extinction de masse et à une augmentation des températures de 7° d’ici la fin du siècle.
Voici quelques années que vous êtes engagée pour faire reconnaître les atteintes graves à l’écosystème terrestre comme un crime. Pourriez-vous revenir sur votre parcours et nous expliquer comment vous en êtes venue à porter cette notion d’écocide ?
J’ai débuté ma vie professionnelle en dirigeant des projets de solidarité internationale au Burkina Faso, puis à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan, en Ouganda et au Cambodge. Après cette première expérience j’ai entrepris un double cursus en droit international et droit international des droits de l’homme, puis dirigé une ONG qui luttait contre le trafic humain et l’exploitation d’enfants et de jeunes femmes. Assez tardivement, j’ai entrepris une thèse en anthropologie juridique, qui m’a conduite au Québec, dans une communauté amérindienne, le peuple algonquin des Innu. À leurs côtés, j’ai suivi des négociations avec la compagnie d’État Hydro-Québec, qui souhaitait construire un très grand barrage sur la rivière La Romaine. C’est alors que j’ai commencé à m’interroger sur le non-respect par les États et les grands groupes industriels de leurs obligations en termes de respect des droits humains et de droit de l’environnement, y compris lorsqu’ils sont signataires de conventions internationales comme la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui stipule un droit des peuples autochtones à être informés et consultés.
Ce premier combat m’a conduite ensuite auprès des Kayapos en Amazonie, qui luttaient aussi contre un grand projet de barrage, à Belo Monte. Or ce barrage avait été interdit par la Cour suprême brésilienne, il avait été dénoncé par deux rapports de James Anaya, Rapporteur spécial des Nations Unies, ainsi que par la Commission interaméricaine des droits de l’homme : il a fait l’objet de plus d’une vingtaine de procès, dont les jugements ont été chaque fois cassés par des juges parachutés de Brasilía. Il m’est apparu clairement qu’il y avait un écueil dans la protection des « communs naturels » et que le droit des populations locales n’était pas respecté. C’est là qu’est venu le déclic. À la suite d’une conférence donnée en compagnie du cacique Raoni en France, j’ai appris qu’une avocate anglaise, Polly Higgins, avait fait en 2010 une proposition à la Commission du droit international pour que la Cour pénale internationale puisse reconnaître un cinquième crime grave, le crime d’écocide. En 2012, Polly Higgins a relayé sur internet un appel à lancer une Initiative citoyenne européenne (ICE), un instrument de démocratie directe et participative. Nous avons donc lancé en janvier 2013, avec six autres citoyens européens, une ICE pour pousser l’Europe à légiférer. Il nous semblait que c’était la pièce manquante du puzzle en droit international, surtout dans le contexte de la crise écologique et climatique de plus en plus évidente. En 2015, nous avons travaillé un an, avec trois autres juristes, à une proposition d’amendement du statut de la Cour pénale internationale. Dans la proposition initiale de Polly Higgins, il s’agissait d’une simple définition de trois lignes, qui demandait un gros travail de transcription dans son contenu et ses modalités d’application.
J’ai ensuite écrit deux ouvrages sur la transformation du droit, qui m’ont amenée à réfléchir au nécessaire renversement des normes, afin de reconnaitre les éléments de la nature, les systèmes écologiques et les communs planétaires comme des sujets de droit, afin que leurs intérêts à exister puissent être défendus en justice. Depuis quelques années je plaide donc en droit civil, pour la reconnaissance des droits de la nature, et en droit pénal, pour la reconnaissance du crime d’écocide. Il faudrait, idéalement, faire évoluer aussi le droit constitutionnel pour que celui-ci reflète le principe d’interdépendance qui régit nos relations avec le vivant.
Cette notion d’écocide est-elle d’abord juridique, philosophique, militante ou politique ?
Le droit est le reflet de nos valeurs à un moment donné, c’est une fiction juridique qu’on écrit, ce sont des règles de vivre ensemble auxquelles on décide d’adhérer. Il a forcément une origine culturelle et philosophique. Mon premier constat a été que le droit occidental, construit autour de la valeur pivot de la dignité humaine, est extrêmement anthropocentré. Or la dignité humaine a été mise à mal depuis les années 1970 par une montée en puissance des multinationales, qui ont construit après la Seconde Guerre mondiale, parallèlement au droit international des droits de l’homme et même au droit international tout court – qui régit les règles entre États –, un droit commercial affranchi des obligations auxquelles les États avaient souscrit. Mon second constat est qu’on a construit des règles qui ne concernent que l’humain et ses activités, parce que culturellement, dans notre tradition judéo-chrétienne et dans la notion de progrès proposée par les Lumières, en particulier par Descartes, on postule que l’homme domine sur terre, que la nature est à son service et qu’il peut la maitriser et l’exploiter. Or la nature est aujourd’hui exsangue. D’après les alertes de la communauté scientifique, nous sommes clairement engagés dans une sixième extinction de masse, après avoir provoqué avec les deux révolutions industrielles un changement climatique irréversible et au bord de l’emballement.
On ne peut plus souscrire à des règles qui ne prennent pas en considération le droit à exister des autres éléments de la nature : le constat est à la fois scientifique et pragmatique. Nous sommes un élément de la nature, et vivons dans une situation d’interdépendance avec les autres : nous avons besoin des végétaux et des animaux pour respirer, pour boire ou pour manger. Tous nos droits fondamentaux dépendent aujourd’hui des droits de la nature à exister ; le droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé, à l’habitat, sont tous menacés par la disparition de la vie sur terre et donc de nos conditions d’existence. C’est pourquoi j’en appelle à définir de nouvelles règles qui prennent en considération ce principe d’interdépendance, oublié du droit occidental. C’est pourquoi aussi je me réfère au droit coutumier, aux visions du monde des peuples traditionnels ou autochtones qui considèrent qu’ils appartiennent à un territoire, et non que le territoire leur appartient. Ces peuples ne prennent aucune décision sans penser aux conséquences de celles-ci sur les autres éléments de la nature qui partagent ce même territoire, et aux conséquences pour leurs descendants, parfois jusqu’à sept générations. Dans le droit occidental, ni la nature ni les générations futures, c’est à dire les êtres humains qui ne sont pas encore nés, ne sont considérés comme des sujets de droit. Nous agissons dans un cadre autocentré et de court terme.
La question est également politique, car si on renverse cette échelle de normes en considérant que le droit commercial doit être assujetti aux droits humains, et que les droits humains ne peuvent être garantis que si on reconnaît le droit des éléments de la nature à jouer leur rôle, il faut transformer la manière dont on conçoit les politiques publiques. C’est pour cela que je plaide, en France, pour que l’article premier de la Constitution reconnaisse comme valeur fondamentale la préservation de la biodiversité et du climat et l’obligation de maintenir l’activité humaine dans le respect des limites planétaires. Tout un système industriel et financier se retrouverait, dans ce contexte, contraint d’amorcer la transition énergétique. Greta Thunberg disait à Davos « ce n’est pas demain qu’il faut agir, c’est maintenant » ; mais ce qu’il manque dans son discours, c’est le « comment ? ». Au vu de la rapidité avec laquelle les scénarios catastrophes se confirment et de la lenteur du virage économique, on ne peut se contenter de demander simplement au système financier, industriel et politique de s’engager volontairement dès maintenant dans du zéro carbone. Cela ne se fera que par la contrainte – en proposant évidemment dans les modalités d’applications une période de transition, qui donne le temps aux investisseurs et aux exploitants de changer complètement d’orientation stratégique.
Qu’entendez-vous exactement par contrainte ? La possibilité d’infliger des sanctions ?
Le droit n’a pas vocation d’aller poursuivre toutes les personnes qui enfreignent les lois, c’est impossible. En revanche il a un rôle dissuasif, c’est à dire qu’il permet de poser le cadre dans lequel on peut évoluer, et de signifier qu’on risque des poursuites si on ne s’y conforme pas. Il s’agit donc de poser une responsabilité pénale sur les épaules des dirigeants économiques, politiques, bancaires, s’ils portent trop gravement atteinte aux systèmes écologiques et qu’ils participent en conscience au franchissement des limites planétaires, mais surtout – cela m’a été confirmé par les dirigeants d’entreprises – parce que s’ils ont cette responsabilité pénale ils seront en position de pouvoir s’opposer à ceux qui ne craignent rien, je pense en particulier aux actionnaires. Aujourd’hui un dirigeant d’entreprise ne peut pas s’opposer à ses actionnaires quand ceux-ci lui demandent de s’investir dans une activité hautement lucrative, même si celle-ci est hautement polluante.
Vous avez parlé du Québec puis du Brésil. Or il existe certes des traits communs entre ces peuples, mais aussi une grande diversité dans leurs situations et leurs cultures… De quoi leurs modes de vie vous semblent-ils exemplaires ?
J’insiste en effet plutôt sur les traits communs, puisque les diversités culturelles se comprennent en fonction d’un milieu : les pratiques, les rituels, les croyances sont construits en rapport avec celui-ci. En soixante-mille ans d’existence, par exemple, le peuple aborigène d’Australie a développé une connaissance extrêmement précise de son environnement désertique. Dans le contexte récent des immenses feux en Australie, de nombreuses études ont montré que la gestion des feux par les aborigènes est une forme de science : leur langue comporte treize mots différents pour parler de treize types de feux différents ! À l’inverse, les Inuits disposent d’une centaine de mots pour décrire la neige selon son état. Ces différences de milieu expliquent que chaque peuple ait développé sa propre vision du monde.
En revanche, il existe effectivement pour moi des traits communs entre un Achuar en Amazonie, un aborigène, un Inuit ou un Nenet en forêt Sibérienne, dans leur rapport au territoire, si différent du nôtre. Cela interroge la notion de propriété privée, vécue chez nous comme un sacro-saint principe, et celle de la liberté. Reconnaître des droits à la nature implique de poser des limites à la liberté d’entreprendre, comme à la propriété privée ; cela remet aussi en question l’aspiration, dans notre culture, à un individualisme exacerbé. Tous ces peuples ont en commun un sens du collectif, et d’un collectif qui va au-delà de l’humain ; ils apprennent à partager un territoire, et à maintenir un lien d’interdépendance vivace, une volonté de vivre en harmonie avec ce qui les entoure. Quand il s’agit de chasser par exemple, on ne prend pas plus que ce dont on a besoin, on ne cherche pas à accumuler, ce qui est le propre du capitalisme. Un animal chassé n’est jamais gardé pour une famille, il est toujours partagé avec le groupe de manière à maintenir la vie de tout le monde, parce que cette conscience de l’interdépendance est très forte ; de même, on ne chasse pas plus que ce dont on a besoin pour le groupe de manière à pouvoir maintenir les cycles naturels de régénérescence et de reproduction du milieu dans le long terme.
L’individualisme et la propriété privée poussent l’homme occidental à se soucier de moins en moins de ses voisins et à ne pas prendre soin du territoire sur lequel il vit si ce n’est le carré de gazon enfermé entre ses murs ou son grillage. Il nous manque la conscience des équilibres écologiques, à l’échelle locale comme à l’échelle globale. C’est le paradoxe de la mondialisation actuelle : alors qu’elle devrait nous amener à une conscience universelle élargie et une tolérance de la diversité par la rencontre avec d’autres cultures, elle est trop souvent menée dans un but d’abord mercantile et conduit à uniformiser les peuples du monde.
Vous insistez sur la question du « comment ». Comment faire en effet pour engager les transformations nécessaires alors que le temps presse ? La priorité est-elle plutôt d’agir à l’échelle nationale, en initiant par exemple l'Affaire du siècle, ou à l’échelle internationale, comme vous le faites auprès de la CPI ?
Il faut agir à différentes échelles, auprès de différentes acteurs et grâce à différents instruments. J’ai d’abord voulu œuvrer à une transformation du droit à l’échelle européenne et internationale parce que les problèmes globaux demandent des solutions globales. C’est pourquoi en 2013, nous avons essayé d’obtenir la reconnaissance du crime d’écocide par les institutions européennes. L’Initiative citoyenne n’a pas pu obtenir suffisamment de signatures, du fait de contraintes techniques et sans doute parce que le sujet était très nouveau. Le fonctionnement même de l’ICE n’est pas encore au point, car nombre de pays dont la France exigent un numéro d’identité pour le vote, ce qui a un effet dissuasif. À ce handicap s’est ajouté le renouvellement de la représentation politique en 2014. La plupart de nos soutiens sur le sujet n’ont pas été réélus au Parlement européen, et il a fallu attendre 2018 ou 2019 pour retrouver une dynamique. Aujourd’hui, le Parlement redevient une arène où il est possible de débattre de concepts prometteurs, comme la reconnaissance des droits des communs planétaires ou des écosystèmes aquatiques, marins ou terrestres.
Au niveau international, il faudrait faire avancer les débats à la CPI, plutôt qu’à l’ONU. Deux projets complémentaires donnent en effet aujourd’hui à la France l’occasion de prendre des positions fortes sur la scène internationale en matière environnementale : une proposition de Convention internationale sur le crime d’écocide, à laquelle Laurent Neyret travaille depuis 2007, et le Pacte mondial pour l’environnement, qui a été coordonné par Yann Aguila. Toutefois, ces textes ont peu de chances d’être adoptés par les Nations-Unies dans le contexte actuel, alors qu’un Donald Trump ou un Xi Jinping refusent même d’ouvrir des négociations sur ces sujets. En 2019 à Nairobi, Donald Trump a expliqué que même si le pacte mondial n’était pas contraignant – il n’a pour ambition que de poser des principes innovants en matière de droit environnemental – il n’atit pas question de transiger sur la souveraineté des États-Unis. Pour ce qui concerne la Convention sur le crime d’écocide, la difficulté est pour moi qu’elle repose sur une définition trop restrictive, à l’image du crime en droit français depuis 1994, dans laquelle l’intention est un élément incontournable ; or l’intention de nuire, de la part des multinationales ou même de la plupart des chefs d’États, restera toujours très difficile à démontrer.
Dans le statut de la Cour pénale internationale, en revanche, l’élément moral du crime se décline de deux manières : l’intention et la connaissance. Pour le crime d’écocide, qui a vocation à protéger la sureté de la planète, il faudrait que l’élément moral puisse s’entendre selon le critère de l’intention ou celui de la connaissance. Il est assez simple aujourd’hui de démontrer que de nombreuses entreprises pétrolières continuent à exploiter des énergies fossiles en connaissance de conséquences qu’elles ne peuvent plus ignorer, et qui menacent les conditions de vie de populations entières, et ces entreprises font malgré tout le choix de continuer à investir dans les énergies fossiles, voire même dans la désinformation sur le changement climatique. Le droit pénal international doit aussi s’ouvrir à la possibilité – qui correspond à la volonté de certains États membres lors de l’écriture du statut de Rome dans les années 1990 – de poursuivre des entités morales qui ont comme seul objectif le profit quand elles commettent des crimes environnementaux graves. Malheureusement le statut initial n’a retenu que les crimes environnementaux graves en temps de guerre, alors mêmes que des articles ont été proposés dès cette époque sur le crime d’écocide en temps de paix.
Pour la première fois en 2019, à l’assemblée générale des États parties, deux États ont pris la parole pour demander la reconnaissance du crime d’écocide : le Vanuatu et les Maldives. Deux États insulaires qui risquent de disparaître sous la montée des eaux liée à la dilatation des océans, elle-même liée au réchauffement climatique. Si la France souhaite soutenir le projet de reconnaissance du crime d’écocide, elle a l’occasion d’apporter un soutien diplomatique à ces États vulnérables. La Cour pénale internationale est une instance stratégique, parce qu’elle qualifie les crimes contre la paix et la sécurité humaine : or les atteintes graves faites aujourd’hui à l’environnement planétaire peuvent être considérées comme une atteinte à la paix et à la sécurité humaine au regard des rapports scientifiques et de la montée en puissance des conflits dans le monde autour des ressources. Dans un monde de plus en plus dangereux et chaotique, le crime d’écocide a pour moi toute sa place auprès du crime de guerre, auprès du crime contre l’humanité et du crime d’agression ; mais il est nécessaire qu’il soit reconnu comme un crime autonome parce qu’il permet alors de couvrir la protection des générations futures et des droits de la nature.
En France, des propositions de loi sur le crime d’écocide ont été présentées dans les deux chambres à l’initiative de différents groupes en 2019. Parallèlement, nous avons travaillé, dans le cadre d’une initiative politique transpartisane, sur une proposition de loi distincte sur le crime d’écocide, qui avait vocation à être soumise en même temps à l’Assemblée et au Sénat. Entretemps, les citoyens de la Convention pour le climat ont demandé que j’intervienne devant eux sur deux axes stratégiques : premièrement, sur la réforme de la constitution, pour y inclure la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité et le respect des limites planétaires ; deuxièmement, sur des propositions de loi portant sur le crime d’écocide et la création d’une Haute Autorité indépendante qui pourrait passer au filtre des limites planétaires toutes les propositions de loi et toutes les réglementations françaises. Ces deux propositions ont été retenues comme des mesures structurantes par les citoyens, au point de demander qu’elles fassent l’objet d’un referendum. Ils ont adopté la proposition de légiférer sur le crime d’écocide à 99, 3%.
Dans votre stratégie de plaidoyer écologique, comment voyez-vous les priorités de l’année qui vient ou des deux ans qui viennent ?
À l’agenda de cette année, il y a deux moments importants : la prochaine Assemblée des États parties à la CPI en décembre 2020 à New York puis le Congrès mondial de la nature en janvier 2021 à Marseille.
Emmanuel Macron s’est engagé à soutenir la demande de reconnaissance du crime d’écocide par la CPI devant les citoyens de la Convention climat, nous allons donc faire en sorte qu’il n’oublie pas sa promesse. Il doit démontrer l’appui de la France aux États insulaires qui ont entamé fin 2019 leur plaidoyer sur le crime d’écocide, qui sera réitéré en 2020 ou 2021 à la CPI. Il ne suffit pas de dire en Assemblée générale qu’on aimerait que le crime d’écocide soit reconnu, il faut très concrètement qu’un État, il suffit d’un seul, pose à l’agenda d’une Assemblée générale la proposition d’amendement sur le crime d’écocide, pour qu’ensuite (si c’est accepté en assemblée) un groupe de travail soit constitué pour travailler sur cet amendement. La demande peut aussi provenir du Secrétaire général des Nations unies. Ce sont les deux moyens les plus efficaces.
En France, pendant la semaine du Congrès de l’IUCN à Marseille, nous organisons un tribunal des droits des systèmes aquatiques avec différentes associations, dans le cadre d’une alliance européenne des droits de la nature. C’est une initiative à vocation pédagogique alors qu’en France, et plus largement en Europe, les questions sur les droits de la nature et le crime d’écocide commencent à être débattues par les parlementaires et font leur chemin dans les programmes politiques de différents groupes. Il existe aussi un projet intéressant de création d’un parquet européen de l’environnement : si la notion d’écocide pouvait y être incluse, on aurait non seulement la reconnaissance de celui-ci en droit, mais aussi une institution qui permettra de l’instruire.
La prochaine étape importante sera in fine la campagne présidentielle en 2021 qui permettra de compter nos alliés. Il faut se préparer, à toutes ces échelles, pour espérer voir aboutir une des initiatives qui ouvrira le chemin à d’autres : il nous faut travailler en droit européen et international, avec des propositions de loi en France, et des propositions en vue d’une réforme constitutionnelle.
Propos recueillis par Lucile Schmid