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Dans le même numéro

Pierre Teilhard de Chardin, entre Ciel et Terre

juin 2015

#Divers

Malgré la censure et les difficultés, Teilhard de Chardin n’a jamais renoncé à sa vocation de jésuite, ni à celle de scientifique. Une vie nourrie par sa foi en Dieu et dans le monde, fidèle au « devoir d’intelligence » et mieux (re)connue depuis le concile Vatican II.

Avant d’expliquer ce qui constitue à mes yeux la grandeur de Teilhard de Chardin, et la puissance d’attraction de cet esprit ardent, consumé par l’amour de son Seigneur et Dieu, je ferai un premier constat sur le déclin de son influence en France après l’immense succès des publications posthumes dans les années 1955-1970. De mes aînés jusqu’aux jeunes gens encore étudiants ou lycéens autour de moi, parmi mes amis et interlocuteurs du milieu intellectuel (je n’ai pas interrogé mes amis jésuites sur leur fréquentation de cet auteur), j’ai pu constater combien les textes de Teilhard s’étaient éloignés de nous. Quelques-uns seulement le lisent encore, personne ne marque d’hostilité ou de mépris à son égard1. Son nom est familier comme le sont les photographies de son beau visage et de sa silhouette altière, on le désigne volontiers comme un « auteur classique », mais rares sont les titres de ses écrits qu’on cite de mémoire et plus rares encore ceux qui déclarent l’avoir lu peu ou prou.

Comment s’en étonner ? Le 8 avril 2015 a marqué le soixantième anniversaire de sa mort à New York. Notre distance est grande par rapport au milieu intellectuel, religieux et social, dans lequel il reçut une double formation de religieux et de préhistorien. Qu’on en juge. Il grandit aux premiers temps de la IIIe République, entra au noviciat de la Compagnie de Jésus en mars 1899, peu avant l’établissement d’une stricte séparation entre l’Église et l’État ; ainsi,

[il] appartient à la première génération des jésuites expulsés par les lois antireligieuses de la IIIe République. De 1901 à 1912, il passera en exil ses années de jeunesse. Cela compte dans une vie d’homme. Les jésuites de ce temps en demeurèrent marqués2.

Le jeune Teilhard fit son scolasticat sur la petite île anglo-normande de Jersey, son temps de régence comme professeur de physique au collège jésuite du Caire (Égypte), sa théologie à Hastings en Angleterre. Revenu en France après son ordination, il compléta à la faculté des sciences de Paris et au laboratoire de paléontologie (Muséum d’histoire naturelle) sa formation dans les sciences de la terre, étudia les spécimens de carnassiers trouvés dans les fouilles du Quercy à la fin du xixe siècle, participa à une première grande fouille en Espagne du Nord, se lia d’amitié avec de grands préhistoriens (dont le fameux abbé Breuil, élu au Collège de France en 1929 et qui cherchera à l’avoir comme successeur après 19473). Mais bientôt la Grande Guerre vint interrompre le cours de ses travaux. Mobilisé et affecté comme caporal brancardier dans un régiment d’infanterie coloniale (j’y vois la malice d’un fonctionnaire anticlérical), il servira au front pendant plus de quatre ans4. Ce sera pour lui, étonnamment, un temps d’extrême fécondité, dans la solitude mentale qu’instaurait la vie du front, peut-être aussi dans la grande liberté intérieure qu’apportent des conditions extrêmes de vie, quand il est clair que chaque instant sera peut-être le dernier5.

Ce n’est qu’une fois retourné à la vie civile que Teilhard, âgé déjà de quarante ans, put s’engager pleinement dans la voie scientifique choisie en accord avec ses supérieurs. Très vite des publications scientifiques dans les revues de référence, une participation active puis d’importantes responsabilités sur des chantiers majeurs de fouilles, en particulier en Chine du Nord à partir de 1926 (où se place la découverte du premier Sinanthrope et de son outillage lithique), devaient lui attirer l’estime de ses pairs, le faisant circuler dans la communauté internationale des préhistoriens, l’associant aux rendez-vous savants de la discipline. En Chine, où il était venu non par un désir missionnaire, mais appelé en 1923 pour seconder un autre jésuite, Émile Licent (1876-1952), naturaliste, géographe et géologue très actif en Chine du Nord, il devait demeurer près de vingt-deux ans, avec des interruptions, et composer ses plus grands textes : la Messe sur le monde, le Milieu divin, et le Phénomène humain6.

L’étau de la censure

Mais il ne s’en tint pas à ses recherches scientifiques, il se donna tout entier en parallèle à une autre tâche, aussi exaltante à ses yeux, et tout aussi nécessaire. Depuis le temps de la guerre, il était habité par une perception aiguë des effets de la théorie de l’évolution sur la représentation du monde, il savait les bouleversements de la cosmologie apportés par la nouvelle physique, il mesurait l’allongement vertigineux de l’histoire des hominidés. Il entreprit alors de traduire dans le langage de la foi les conséquences du progrès des sciences de la terre et de la longue histoire de l’espèce humaine. Il travailla d’arrache-pied à trouver un langage adéquat, à proposer une description théorique pertinente et acceptable par les deux parties en présence. Ce faisant, il s’inscrivait dans la droite ligne de la tradition ignatienne, à la manière des jésuites du premier siècle qui s’étaient faits circulateurs des nouveaux savoirs de la Renaissance à l’échelle du monde habité, d’Europe aux Amériques et en Asie, pour « la plus grande gloire de Dieu », afin d’accomplir en tout lieu ce en quoi j’ai cru reconnaître un « devoir d’intelligence7 ».

Teilhard ne cherchait pas un accord de surface, d’ailleurs il ne savait pratiquer ni l’esquive ni le cloisonnement des problèmes. Son intelligence était trop vive, sa ferveur trop ardente, et sa liberté spéculative trop audacieuse pour convenir à une Église effrayée par l’essor des sciences, bousculée par les résultats de l’archéologie et de la philologie biblique, obsédée par les dangers de la crise moderniste. Ces prudences, ces frayeurs, ces lenteurs, tout cela ne pouvait pas faire grande impression sur un homme qui avait connu les dangers de la guerre des tranchées et qui avait le sentiment profond d’être tout simplement fidèle à la tâche qui lui était assignée. Il travailla donc sans trêve à l’esquisse, en paroles et par lettres auprès des amis proches (jésuites, préhistoriens, intellectuels ou artistes), en écrits pro manuscripto envoyés à ses supérieurs et à ses meilleurs interlocuteurs, d’une apologétique, d’une physique et d’une métaphysique, qui donneraient une traduction, acceptable dans la langue de la révélation christique, de la cosmo-genèse d’un univers dynamique en cours d’évolution. Il porta ce projet ambitieux sans interruption, vivant de foi et d’espérance sous le joug des censures successives et des mises au silence. Au soir de sa vie, après tant de rebuffades institutionnelles, d’interdictions de publier, d’enseigner, de diffuser sa pensée, de mises à l’écart toujours humblement acceptées et appliquées sans chercher à ruser avec la tutelle des autorités8, il écrivit avec une sincérité poignante dans un tout dernier texte, admirable de pudeur et de hauteur de vue :

« Faites de la Science paisiblement, sans vous mêler de philosophie, ni de théologie. » Tel est le conseil (et l’avertissement) que l’autorité m’aura répété, toute ma vie durant. […] respectueusement – et cependant avec l’assurance que me donnent cinquante années de vie passées au cœur du problème –, je voudrais faire remarquer, à qui de droit, qu’elle est psychologiquement invivable, et directement contraire, du reste, à la plus grande gloire de Dieu. […] Dire par conséquent à un Religieux de faire des Sciences sans lui permettre, en même temps, de repenser du même coup toute sa vision religieuse, c’est bien, comme je le disais en commençant, lui donner une consigne impossible – et le condamner d’avance à des résultats médiocres, dans une vie intérieure divisée9.

On sait que l’étau de la censure ne fut desserré qu’après sa mort, grâce au subterfuge que ses supérieurs locaux lui avaient conseillé : le legs de ses papiers à sa secrétaire, Jeanne-Marie Mortier. Entourée d’un double comité scientifique et amical, compétent et respectable, elle put faire paraître une édition soignée des nombreux inédits ayant circulé partiellement du vivant de Teilhard, sous la forme de copies non imprimées, avec tous les risques d’erreurs et de distorsions qu’un tel mode de circulation impliquait10. Ceux qui n’ont jamais fait un véritable travail de recherche et de réflexion mesurent mal quelle privation et quelle mutilation intellectuelle une telle censure imposa à l’intelligence et à la créativité de Teilhard. René d’Ouince, qui toujours respecta et admira Teilhard, et fit de son mieux pour aménager sa situation dans le respect des directives reçues de Rome, l’a fort bien énoncé :

Cette censure implicite a été doublement funeste : elle a retardé la diffusion d’une œuvre qui venait précisément à son heure ; elle a rendu pratiquement impossible la discussion publique que cette œuvre aurait exigée11.

Que Teilhard ait souffert dans une fidélité obéissante, avec tristesse et sans ressentiment, qu’il ait multiplié les efforts pour s’expliquer plus clairement, pour affiner, préciser, nuancer sa pensée, en écrivant d’innombrables brouillons pour ses tiroirs ou ses amis proches, sans découragement ni amertume, convaincu d’avoir à poursuivre dans la voie entamée, cela force l’admiration12. Cela aurait dû forcer le respect de ses ennemis et de ses censeurs, et les inciter à réviser non plus ses écrits, mais leur jugement sur ses écrits. Il n’en fut rien de son vivant, peu après sa mort la situation commença à changer, l’édition imprimée lui ouvrit une réception à sa mesure, et lors du concile Vatican II on s’aperçut enfin (trop tard ?) qu’il avait vu juste, que son regard lucide avait porté loin. Alors de plus lucides ont commencé à entrevoir que, sans l’acharnement de ses censeurs, Teilhard aurait pu accompagner la quête intellectuelle de plusieurs générations de croyants durement confrontés au mouvement des idées et des sciences, des croyants qui furent laissés désarmés par des pasteurs occupés à défendre les formulations du passé au lieu de déchiffrer les signes du présent.

Dialogue intérieur

Quant à moi, pourquoi n’ai-je pas lu les ouvrages enfin publiés après 1955, alors que j’étais étudiante, que mille problèmes m’intriguaient, que journaux et librairies rendaient visible le grand succès de Teilhard et lui assuraient un large écho ? Tout simplement ces livres ne me concernaient pas, l’affaire se traitait entre mes aînés et dans un milieu intellectuel et social qui m’était étranger. Au lycée, puis à l’université, j’avais été éduquée dans les écoles publiques par l’Éducation nationale, selon un système établi sous la IIIe République, tout entier fondé sur une nette séparation entre l’Église et l’État. Un partage strict réservait les questions religieuses à l’initiative privée des familles, ni les programmes ni les professeurs ne mentionnaient la tradition chrétienne, et encore moins ses apories contemporaines. Je n’eus ainsi l’occasion de lire que quelques petits textes de Teilhard, signalés ou prêtés par une camarade, mais jamais reliés au contenu de mes études. J’en gardai le souvenir d’une prose poétique et mystique célébrant l’univers, un peu à la manière des épopées savantes où les humanistes de la Renaissance avaient chanté la découverte du Nouveau Monde et voulu décrire les cieux selon les canons d’une astronomie nouvelle.

À mes yeux, ces textes concernaient davantage le passé que le présent ou l’avenir, peut-être parce qu’ils traitaient de questions scientifiques qui ne m’inquiétaient guère. Ayant choisi les mathématiques et la logique comme matière principale, avec la certitude naïve d’atteindre par ce moyen le plus haut degré de vérité accessible à l’esprit humain, une vérité assurée de ses fondements rationnels, je n’avais aucune raison particulière de m’intéresser au débat entre science et foi dans les termes discutés et commentés par Teilhard. Je n’étais en rien troublée par les conséquences du darwinisme, la généalogie des hominidés, ou la signification d’un univers en expansion, et je ne soupçonnais pas la profondeur et l’âpreté des débats qui avaient entouré l’émergence de ces théories et données scientifiques. Ce ne fut que bien plus tard, ayant passé, par quelques détours, des mathématiques et de la logique à leur histoire, quand je commençai à enseigner l’histoire des sciences, que je dus m’instruire de l’histoire d’autres sciences, de la cosmologie à l’histoire naturelle et à la biologie, que j’y pris goût et que je perçus l’ébranlement profond causé par le progrès des sciences de la Terre et du vivant depuis le xixe siècle13.

Teilhard, lui, avait éprouvé cet ébranlement de plein fouet, en raison de sa génération d’appartenance et de sa double vocation de jésuite et d’homme de science. Dans les années de guerre, il prit conscience d’être particulièrement bien préparé pour accomplir une tâche d’approfondissement et de réconciliation entre science et foi, il choisit alors de s’y consacrer ou plutôt il pensa qu’il avait été choisi en quelque sorte pour cela. Au iie siècle, Irénée de Lyon s’était pareillement cru obligé de poser les fondements d’une théologie trinitaire :

Dans la création de l’homme, le Père se complaît et ordonne, le Fils opère et fabrique, l’Esprit nourrit et accroît, et l’homme progresse doucement et monte vers la perfection, c’est-à-dire devient proche de l’Éternel14.

Cette citation s’accorde à merveille avec l’entreprise de pensée, novatrice et risquée, savante et forte, à laquelle Pierre Teilhard de Chardin devait consacrer quarante années d’un travail acharné, en dépit de l’incompréhension rencontrée, des obstacles institutionnels mis à son activité publique, des exils et des silences imposés (et par lui filialement acceptés dans une obéissance et une fidélité sans faille).

De ce destin hors du commun, il avait découvert le chemin sur le front de la Grande Guerre. Dans le temps haché, troublé, des mouvements de troupes, sous la mitraille et le canon, dans la boue, la souffrance et le sang, il commença à jeter en hâte les grandes lignes d’un dialogue intérieur, sans destinataire ni genre littéraire bien définis :

Je ne cherche à faire directement ni de la science, ni de la philosophie, encore moins de l’apologétique. J’expose avant tout des vues ardentes15.

Force de vie, jaillissement de l’esprit, cet élan intérieur lui révélait la nature de son désir :

J’ai un peu envie d’analyser et de justifier brièvement ce sentiment de plénitude et de surhumain que j’ai si souvent éprouvé sur le front et dont je redoute d’expérimenter la nostalgie après la guerre. Il me semble qu’on pourrait montrer que le front n’est pas seulement la ligne de feu, la surface de corrosion des peuples qui s’attaquent, mais aussi en quelque façon le « front de la vague » qui porte le monde humain vers ses destinées nouvelles. […] Le « moi » énigmatique et importun qui aime obstinément le front, je le reconnais : c’est le « moi » de l’aventure et de la recherche, celui qui veut toujours aller aux extrêmes limites du monde, pour avoir des visions neuves et rares, et pour dire qu’il est « en avant16 ».

Dans ce contexte, l’élan missionnaire emportait Teilhard loin, très loin de la guerre de tranchées, de sa sauvagerie brutale, de sa démesure insensée. Sa méditation s’élargit à la dimension du cosmos, sa plume trouve des accents mystiques pour célébrer l’appel reçu :

Je voudrais être, Seigneur, moi, pour ma très humble part, l’apôtre et (si j’ose dire) l’évangéliste de votre Christ dans l’Univers. – Je voudrais, par mes méditations, par ma parole, par la pratique de toute ma vie, découvrir et prêcher les relations de continuité qui font, du Cosmos où nous nous agitons, un milieu divinisé par l’Incarnation, divinisant par la communion, divinisable par notre coopération. Porter le Christ, en vertu d’attaches proprement organiques, au cœur des Réalités réputées les plus dangereuses, les plus naturalistes, les plus païennes, voilà mon évangile et ma mission17.

Alors que je préparais ce petit article, j’ai remarqué, un peu par hasard, que Teilhard de Chardin et Albert Einstein avaient été exactement contemporains. Si leurs date et lieu de naissance (1er mai 1881 en Auvergne pour le premier, 14 mars 1879 à Ulm en Allemagne pour le second) diffèrent un peu, si leur milieu d’origine (la tradition chrétienne d’une famille aristocratique pour l’un, une famille d’ingénieurs et d’entrepreneurs détachée de la tradition judaïque pour l’autre) et l’éducation reçue respectivement ont peu de chose en commun, leur mort est survenue presque en même temps en des lieux très proches l’un de l’autre (10 avril 1955 à New York pour Teilhard, huit jours plus tard à Princeton à soixante-dix miles de là pour Einstein).

Le jeune Einstein, réformé en 1901, n’eut pas à servir durant la Grande Guerre, il afficha avec constance et un certain courage face à la pression sociale des patriotes et des nationalismes son pacifisme internationaliste. Tous deux connurent de longues années d’exil, Teilhard mettant son point d’honneur à obéir à ses supérieurs sans perdre sa liberté et son intégrité intellectuelles, et Einstein se laissant ériger (et parfois utiliser) en autorité morale sur des questions brûlantes de politique internationale (contre l’utilisation de la bombe atomique, pour la fondation de l’État d’Israël).

Bien sûr, il n’y a pas d’échelle commune entre les travaux importants de Teilhard en paléontologie et le rôle décisif d’Einstein en physique théorique. Pourtant, ce fut Teilhard qui accepta très vite, sans hésitation, l’hypothèse d’un univers dynamique en expansion, alors qu’Einstein persistait à défendre l’idée d’un univers statique, sans commencement ni fin, même contre les résultats obtenus par ceux qui raisonnaient dans le cadre théorique de la relativité. Mais tous deux ont partagé un même goût irréductible pour la liberté de l’intelligence et une même confiance profonde dans le progrès du savoir. À cette confiance en l’homme, Teilhard de Chardin ajoutait une égale foi en Dieu, le Dieu de la révélation christique, créateur de l’univers, dont il ne semble jamais avoir douté, lui qui s’était reconnu indissolublement « enfant du Ciel » et « de la Terre ». Laissons-lui la parole.

Par éducation et par formation intellectuelle, j’appartiens aux « enfants du Ciel ». Mais par tempérament et par études professionnelles je suis « un enfant de la Terre ». Placé ainsi par la vie au cœur de deux mondes dont je connais, par une expérience familière, la théorie, la langue, les sentiments, je n’ai dressé aucune cloison intérieure. Mais j’ai laissé réagir en pleine liberté l’une sur l’autre, au fond de moi-même, deux influences apparemment contraires. Or, au terme de cette opération, après trente ans consacrés à la poursuite de l’unité intérieure, j’ai l’impression qu’une synthèse s’est opérée naturellement entre les deux courants qui me sollicitent. Ceci n’a pas tué mais renforcé cela. Aujourd’hui je crois probablement mieux que jamais en Dieu, – et certainement plus que jamais au Monde18.

  • *.

    Historienne, spécialiste de l’histoire des sciences.

  • 1.

    Exception féminine : A. (1942), philosophe devenue psychanalyste, a lu Teilhard dans ses jeunes années, avec un certain intérêt, pour y trouver une ouverture, une largeur d’esprit, une liberté vis-à-vis des programmes scolaires et d’un catholicisme provincial, incertain de lui-même et plutôt conventionnel. Exceptions masculines : D. (1947), esprit exigeant, métaphysicien étranger au christianisme, a lu ses Écrits du temps de la guerre (voir ci-dessous, note 5) ; il se dit saisi par la justesse des analyses, la beauté de la langue et du style, la retenue et la hauteur de vue dans la description de la vie au front ; J. (1931) de formation littéraire, historien du catholicisme, l’a beaucoup lu entre 1950 et 1970, et s’il ne le fait plus guère, il conserve néanmoins un petit fonds teilhardien dans sa bibliothèque (dont j’ai bénéficié pour préparer cet article).

  • 2.

    René d’Ouince s.j. (qui fut le supérieur local de Teilhard pendant ses derniers séjours parisiens), Un prophète en procès : Teilhard de Chardin dans l’Église de son temps, Paris, Aubier, 1970, t. I, p. 50.

  • 3.

    Sur Henri Breuil, voir sa notice dans Christophe Charles et Eva Telkés, les Professeurs du Collège de France. Dictionnaire biographique (1901-1939), Paris, Inrp et Cnrs, 1988, p. 37-38. Sur le refus définitif du supérieur général (le belge Jean-Baptiste Janssens, élu en octobre 1946) quant à une candidature de Teilhard au Collège en 1949, voir R. d’Ouince, Un prophète en procès, op. cit., p. 152-153.

  • 4.

    Dès que fut décrétée la mobilisation générale, les supérieurs jésuites décidèrent de faire rentrer en France tous les compagnons en âge de servir (la législation anti-congréganiste de 1901-1902 avait poussé les religieux à l’exil) : 870 jésuites furent mobilisés, quelques-uns comme officiers, beaucoup comme sous-officiers ou simples soldats, dans des fonctions diverses (brancardiers, infirmiers, aumôniers, etc.). Parmi eux, une soixantaine fut affectée aux fronts d’Orient en raison de leurs compétences linguistiques. Beaucoup servirent longuement au front, 163 perdirent la vie. Voir Marie-Claude Flageat, les Jésuites français dans la Grande Guerre. Témoins, victimes, héros, apôtres, Paris, Éditions du Cerf, 2008, une thèse fondée sur une vaste documentation à partir des archives et des imprimés de l’époque, mais dont l’écriture et les choix historiographiques sont plutôt décevants.

  • 5.

    Voir R. d’Ouince, « Le baptême dans le réel et l’éclosion du génie », Un prophète en procès, op. cit., p. 66-83. Les textes et lettres du front ont été édités en deux recueils : Écrits du temps de la guerre (1916-1919), Paris, Grasset, 1965 ; Genèse d’une pensée (Lettres 1914-1919) [à sa cousine Marguerite], Paris, Grasset, 1961.

  • 6.

    Voir Benoît Vermander, « Teilhard de Chardin en Chine », dans les Jésuites aujourd’hui depuis leur rétablissement (1814). Aller, rencontrer, servir, Paris, Médiasèvres, 2015, p. 91-100.

  • 7.

    Luce Giard (sous la dir. de), les Jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, Paris, Puf, 1995, « Le devoir d’intelligence ou l’insertion des jésuites dans le monde du savoir », p. xi-lxxix.

  • 8.

    Voir le récit précis et nuancé de son supérieur local à Paris : R. d’Ouince, Un prophète en procès, op. cit., t. I, en particulier « L’épreuve de l’obéissance », p. 120-137, et « Cas de conscience d’une vocation entravée », p. 138-167. Sur le contexte d’ensemble, dans l’Église de France, voir Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II (1914-1962), Paris, Desclée de Brouwer, 1998.

  • 9.

    Pierre Teilhard de Chardin, Science et Christ, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1999, « Recherche, travail et adoration », p. 273 et 276.

  • 10.

    Sur les circonstances de la rédaction du testament de Teilhard, R. d’Ouince, Un prophète en procès, op. cit., p. 171-173. L’essentiel de l’œuvre a paru aux éditions du Seuil (13 volumes, 1955-1976), à quoi s’ajoutent des recueils de lettres dispersés entre plusieurs éditeurs, et une édition de l’œuvre scientifique de géologie et préhistoire (Olten et Fribourg-en-Brisgau, Walter Verlag, 10 volumes, 1971). La bibliographie consacrée à Teilhard en toutes langues est immense : on pourra consulter Laszló Polgár, Bibliographie sur l’histoire de la Compagnie de Jésus 1901-1980, Rome, Institutum historicum S.I., t. III/3, 1990, p. 359-553 ; et le site www.teilhard.fr de l’Association des amis de Teilhard de Chardin (114, rue de Vaugirard, 75006 Paris).

  • 11.

    R. d’Ouince, Un prophète en procès, op. cit., p. 190 ; le second volume de son ouvrage, sous-titré Teilhard de Chardin et l’avenir de la pensée chrétienne, ouvre une discussion sérieuse de certains éléments. Teilhard fut pareillement respecté, soutenu, admiré par de nombreux jésuites français. En particulier Henri de Lubac, lié d’amitié avec lui dès 1922, semblablement « réduit au silence » par Rome avant d’être écouté au concile Vatican II et d’accéder au cardinalat en 1983, a vigoureusement défendu la pensée de Teilhard dans plusieurs ouvrages : voir notamment dans Henri de Lubac, la Pensée religieuse du père Pierre Teilhard de Chardin [1962], Paris, Éditions du Cerf, 2002, et id., Teilhard posthume. Réflexions et souvenirs, Paris, Fayard, 1977. Lubac a également édité ou supervisé l’édition de plusieurs volumes de lettres de Teilhard.

  • 12.

    Voir le beau portrait de Pierre Noir, « Teilhard de Chardin », dans Dictionnaire de spiritualité, t. XV, Paris, Beauchesne, 1991, col. 115-126.

  • 13.

    On trouvera une solide mise en perspective d’ensemble dans John Hedley Brooke, Science and Religion : Some Historical Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 1991. Sur les discussions récentes, voir Gary B. Ferngren (sous la dir. de), Science and Religion : A Historical Introduction, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2002, p. 245-344 surtout.

  • 14.

    Irénée de Lyon, Contre les hérésies, livre IV, chap. 38.

  • 15.

    P. Teilhard de Chardin, « La vie cosmique », introduction, 24 mars 1916, Écrits du temps de la guerre, op. cit., p. 7.

  • 16.

    Id., « La nostalgie du front », septembre 1917, Écrits du temps de la guerre, op. cit., p. 201 et 205.

  • 17.

    P. Teilhard de Chardin, « Le prêtre », 8 juillet 1918, Écrits du temps de la guerre, op. cit., p. 298-299 ; les italiques sont de l’auteur.

  • 18.

    P. Teilhard de Chardin, Comment je crois, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1998, p. 117-118 : il s’agit du texte qui donne son titre au recueil, il est daté de Pékin, 28 octobre 1934.