Introduction. La reconnaissance ou les nouveaux enjeux de la critique sociale
Jamais, depuis la fin de la guerre, les inégalités de revenus n’ont été aussi grandes à l’échelle mondiale comme à celle des nations, et jamais la critique sociale n’a semblé aussi désarmée. C’est de ce paradoxe qu’il faut partir si l’on veut comprendre la prégnance actuelle du thème de la « reconnaissance », aussi bien dans le domaine de la philosophie politique qu’à l’intérieur des conflits sociaux. Le droit à la reconnaissance remplit deux objectifs : il permet de conférer à de nouvelles indignations un statut d’exigences sociales et il se substitue à des modèles de justice affaiblis (égalité, équité).
Il n’est pas hasardeux qu’Axel Honneth, le principal représentant des théories de la reconnaissance, s’inscrive dans l’héritage de la « théorie critique » initiée par Adorno et Horkheimer au début des années 19301. C’est sur la base d’une désillusion à l’égard de l’optimisme marxiste que les penseurs de l’École de Francfort avaient initié leur critique d’une modernité technique et progressiste. On peut dire que les théories actuelles de la reconnaissance trouvent elles aussi leur origine dans une certaine déception, mais cette fois à l’endroit de l’optimisme libéral si caractéristique de la période qui suit la fin des tr