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Dans le même numéro

L'islam au jour le jour

juillet 2015

#Divers

Repère

L’islam au jour le jour

À propos de…

Nilufer Göle, Musulmans au quotidien. Une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam, Paris, La Découverte, 2015.

Le quotidien et le controversé, voici deux phénomènes qui, bien qu’à première vue antithétiques, se trouvent intimement liés l’un à l’autre dans l’enquête que propose la sociologue Nilufer Göle dans son dernier livre. Les pratiques par lesquelles les musulmans inventent patiemment et quotidiennement leur appartenance à l’espace-temps européen y apparaissent comme la réponse et la solution aux controverses qui agitent les publics européens. Le livre rompt d’emblée avec les débats posés dans les termes de la mise en compatibilité ou de la juxtaposition d’entités séparées (islam et démocratie, islam et Europe, etc.). À la métaphore du collage, Nilufer Göle substitue celle du tissage, en cherchant dans la méthode des artisanes tisseuses d’Anatolie une inspiration pour le métier de sociologue.

À la différence du « collage », l’Europe s’est dessinée sous nos yeux comme un tapis tissé par les multiples fils citoyens, musulmans et non musulmans, un produit collectif, presque anonyme, mais avec des motifs distincts.

(p. 25)

Dans ce livre, l’auteure rend compte des résultats d’une enquête menée pendant quatre ans, de 2009 à 2013, dans le cadre du projet EuroPublicislam1, avec une équipe de jeunes chercheurs de diverses disciplines (anthropologie, sociologie, sciences politiques, histoire) dans plusieurs villes d’Europe, et en suivant un double objectif, dénationaliser l’Europe et décollectiviser les musulmans (p. 81).

Convergences européennes

Le livre propose d’abord une description très fine de plusieurs controverses, portant sur les mosquées, la charia, le halal, le blasphème, qui ont eu lieu en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni, mais aussi, et dans des termes curieusement similaires, hors de l’Union européenne, en Suisse ou en Turquie. L’enquête analyse à la fois la pluralité de significations que les musulmans donnent à leurs rituels et les termes des argumentaires antimusulmans. Nilufer Göle souligne le rapprochement paradoxal qu’opèrent ces controverses sur l’islam entre des pays de traditions politiques et religieuses très différentes. La distinction entre le modèle culturaliste allemand, l’universalisme français ou l’Italie de tradition catholique s’estompe face à l’islam, puisqu’on en débat dans presque tous les pays d’Europe en des termes étrangement similaires. (p. 90). La sphère publique européenne se construit ainsi « là où on ne l’attend pas, autour de l’islam », (p. 278). Si les musulmans européens sont désormais entrés dans une phase « post-migratoire », les travailleurs ouvriers ayant cédé la place aux écoliers, l’Europe entre quant à elle, par le biais de l’islam, dans une phase « post-occidentale ».

Ce changement se fait bien entendu dans la douleur et la contestation, et surtout dans la résurgence d’un tropisme philo-chrétien (p. 53) plus encore que dans l’affirmation agressive de la normativité séculière. Les controverses européennes révèlent et renforcent à la fois des processus tels que la fin du multiculturalisme, l’affirmation de la lecture sécuritaire de l’islam (au nom de la « guerre contre la terreur ») et le brouillage de la frontière idéologique droite-gauche.

Dans ce contexte, la visibilisation de l’islam est de plus en plus souvent perçue et construite non seulement comme une menace aux règles de la laïcité, mais comme une offense faite à la mémoire des racines judéo-chrétiennes de l’Europe (p. 257). Ainsi, la prière publique organisée par des musulmans devant la cathédrale de Bologne le 3 janvier 2009 en soutien à la population palestinienne a été interprétée comme un acte conquérant, visant à l’islamisation de l’Europe chrétienne. Mais comme le montre Nilufer Göle dans le chapitre ix (« Le curseur juif »), les controverses sur les rituels et les pratiques religieuses des musulmans interrogent également la place du judaïsme en Europe. Dans de nombreuses polémiques, autour de l’abattage rituel, de la circoncision, des tribunaux et de l’enseignement religieux, les juifs et les musulmans se sont trouvés placés ensemble dans la catégorie de l’autre barbare et antimoderne de l’Europe.

L’affirmation rhétorique de la défense des racines judéo-chrétiennes de l’Europe par les populistes de droite (et parfois de gauche) face à l’islam fait apparaître la place complexe du judaïsme en Europe, du fait de l’antisémitisme persistant, et suggère l’apparition en pointillé d’une nouvelle réalité européenne du judéo-musulman.

Dialogues de parasites

L’enquête montre la tragicomédie d’un débat sur l’islam souvent impossible. Car l’islamophobie libère les inhibitions et opère un renversement. Les islamophobes se présentent comme des victimes qui osent prendre la parole malgré toutes les intimidations dont ils sont soi-disant la cible. Les musulmans se trouvent de ce fait « dépossédés du langage politique » (p. 62), puisque le débat se déplace sur le seul terrain des émotions. Lorsqu’ils utilisent le langage du droit, leurs adversaires mettent en avant des émotions (peur, horreur). Une émotion n’étant pas contestable, le débat est d’emblée biaisé.

Nilufer Göle relate ainsi le comportement des individus antimusulmans qui ont participé aux séances de discussion qu’elle et son équipe ont organisées dans différentes villes d’Europe. Alors que les intervenants musulmans font preuve de patience, d’écoute silencieuse, leurs adversaires viennent avec pour seul but de « parasiter » la discussion. D’un côté une recherche de dialogue, de l’autre une volonté de sabotage (p. 102). À travers ce renversement opéré par les antimusulmans, l’incivilité est désormais érigée en norme et devient synonyme d’audace et de combativité.

Les porte-parole du néopopulisme, intellectuels de gauche ou de droite, ne font pas comme ils le prétendent « tomber les tabous », ils anéantissent les normes de civilité dans la vie publique. Il ne s’agit pas d’une relation conflictuelle avec l’autre, mais de la négation de l’autre et d’un refus de partager l’espace.

(p. 104)

La solution du quotidien

Si le miroir que cet ouvrage offre aux Européens de leur manière de débattre est peu élogieux, ce travail est pourtant plein d’optimisme. Une thèse centrale du livre est en effet que, si virulentes que les controverses puissent être, les solutions existent, et sont souvent formulées grâce aux controverses elles-mêmes. Face à toutes les polémiques dont ils font l’objet, les musulmans européens réagissent en grande majorité non par la violence ou par le repli sur soi, mais par la « conquête des gloires ordinaires » (p. 73) dans l’espace public. Les musulmans ne demandent pas à être reconnus, mais à affirmer leur singularité. Or cette demande est la preuve même de leur appartenance pleine et entière à l’espace européen.

Leur demande d’islam témoigne en elle-même de leur niveau d’intégration, car les revendications telles que la construction de mosquées, le port du voile ou l’alimentation halal montrent l’engagement des musulmans dans le vécu européen.

(p. 74)

Une contribution majeure de ce livre est ainsi de montrer la diversité des opérations par lesquelles les musulmans européens affirment leur individualité dans l’espace public en jouant à la fois des normes imposées par leur famille et des stéréotypes imposés par la société. Nilufer Göle accorde une place importante à la façon dont les artistes européens musulmans s’approprient les clichés sur l’islam et les subvertissent afin de leur donner un sens nouveau (p. 171).

Ainsi, loin de mener à une conclusion alarmiste, cette étude montre que les solutions au problème du vivre ensemble sont en réalité déjà présentes. Car lorsque l’on tente d’imposer un cadre normatif de la présence de l’islam, surgit l’inédit (p. 167). Le livre appelle ainsi à prendre au sérieux les pratiques du quotidien, plutôt qu’à sur-idéologiser les différences.

C’est justement dans ces questions écartées de la vie quotidienne que résident les possibilités créatrices de nos sociétés contemporaines.

(p. 225)

Sur la base de cette enquête, Nilufer Göle conclut par un appel à la poursuite d’un dialogue ouvert et pluriel, qui fasse une place véritable au dissensus. Dans le climat actuel de réaffirmation grotesque d’une forme de nationalisme ethnique, où la longueur de la jupe des écolières devient un critère acceptable de mesure de la loyauté républicaine, cet appel est plus que salutaire.

La sphère publique a besoin de polyphonie et de dialogisme – voire de carnavalesque – pour tenir compte de la variété des « maintenant » concurrents et saisir la complexité de l’expérience contemporaine.

(p. 283)

Librairie

Stefan Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations climatiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, 750 p., 23 €

Une idée cruciale parcourt l’excellent livre de Stefan Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? Elle est exprimée par la notion de « schisme » entre réalités du monde et sphères de la gouvernance climatique. Comme l’exprimait l’un des auteurs dans une interview :

Jusqu’à présent, la gouvernance climatique n’a pas eu de prise réelle sur les causes profondes du problème climatique. Le réchauffement est le résultat d’une certaine forme de mondialisation et de libéralisation de l’économie qui s’est imposée dans les années 1980 et 1990, déterminant aussi la trajectoire des pays en développement. La question n’est donc pas de définir des limites d’émission en alignant des chiffres abstraits comme la limite des 2 °C. Mais plutôt d’essayer de penser et de définir une économie mondialisée et un mode de développement qui seraient sobres en carbone. Or l’organisation de l’économie mondiale se joue dans des arènes comme l’Organisation mondiale du commerce (Omc) où il n’est pas question de climat2

Ce constat grave est basé sur la somme sans doute la plus considérable à ce jour d’informations et d’analyses aisément accessibles en langue française, un texte qui couvre en 750 pages vingt ans de négociations internationales et de débats universitaires ou issus de la société civile. Pour y parvenir, les auteurs puisent dans leurs travaux approfondis de ces dernières années, menés avec une petite équipe du Centre Alexandre-Koyré à Paris, et publiés notamment dans les Climate series3. Amy Dahan est une mathématicienne et historienne des sciences française, directrice de recherche émérite au Cnrs et directeur adjoint du Centre Koyré. Stefan Aykut est actuellement chercheur en sciences politiques et sociales au Latts à Marne-la-Vallée, où il travaille sur des scénarios énergétiques comparés entre plusieurs pays après avoir réalisé son doctorat sur la construction du changement climatique comme problème public.

L’ouvrage qu’ils publient en commun est marqué par une approche foisonnante des relations entre sciences, politiques et sociétés, appliquée au changement climatique. Bien que critiqué pour son inefficience, le processus onusien est détaillé à travers toutes ses étapes, renvoyant à d’innombrables sources de documents intermédiaires, ce qui permet à l’éditeur, les Presses de Sciences Po, de présenter le livre sur sa couverture comme « La référence sur les négociations climatiques ». Conférence de Paris oblige, chacun aura compris que sa mise à disposition en 2015 n’est pas tout à fait le fruit du hasard. Des chapitres retracent non seulement l’origine du régime climatique onusien, mais aussi les moments fondateurs que sont le Protocole de Kyoto et la conférence de Copenhague, chaque fois étudiés avec leurs tenants et aboutissants. Le prisme onusien est cependant loin d’être le seul qui structure l’ouvrage. De copieux chapitres sont consacrés aux États-Unis, à l’Europe et aux pays émergents. En outre, un chapitre sur la transition énergétique en Europe, en Allemagne et en France permet des comparaisons fines et offre, comme dans tout le livre, des repères à la fois en termes de données énergétiques ou économiques et en termes de positionnements politiques liés aux débats sociétaux.

D’autre part, la réflexion approfondie sur les rapports entre sciences, politiques et sociétés se révèle au cœur de plusieurs chapitres, comme le chapitre introductif qui fait du climat un problème de civilisation, le chapitre sur le schisme avec le réel dont il a déjà été question, un chapitre propositionnel pour « un autre ordre de gouvernementalité », et un chapitre sur les futurs. Voyons-en ici quelques points qui sont très loin d’épuiser la variété des auteurs et des positions analysés. Le chapitre sur le schisme par exemple suggère que l’abstraction scientifique accentue le processus décrit. De même, la fiction du « tous ensemble » se dissipe sous l’analyse des conflits d’intérêts et des obstacles matériels. Une autre forme de schisme est aussi le contraste entre la nécessité de changements fondamentaux dans le développement alors que, vu son peu de visibilité politique, la transition est menée « en catimini ».

Le chapitre sur la gouvernementalité poursuit la réflexion en relatant les interrogations de chercheurs en sciences sociales sur le discours à tenir face à la très grande improbabilité de l’obtention de l’objectif de 2 °C à respecter (objectif limite d’augmentation de la température moyenne du globe, par rapport à l’époque préindustrielle) alors même qu’il est constamment affiché dans les négociations. Grâce à l’ample tableau dressé au fil des pages, le lecteur saisit combien les déterminants des évolutions en termes d’émissions de gaz à effet de serre sont multiformes et enracinés dans des dynamiques sociotechniques ou encore culturelles. Dès lors, les négociations climatiques restreintes à des participants et des processus sans prise suffisante sur ces évolutions constituent un « enclavement » inefficace et répété. C’est bien la question de l’énergie qui devrait être au centre des débats, avec les problèmes de subventions aux énergies fossiles (qui restent largement supérieures à celles accordées aux énergies renouvelables), ou « l’impensé » de la question de l’extraction des énergies fossiles, un thème qui depuis début 2015 connaît une dynamique nouvelle avec la campagne Keep it in the ground4. On sait en effet encore peu que les prévisions scientifiques aboutissent à recommander de ne pas exploiter une grande partie des réserves d’énergies fossiles déjà recensées. Ce qui au passage change considérablement la perception du rapport à ces énergies par rapport à la période pré-Copenhague où l’anticipation d’un « pic du pétrole » était considérée par beaucoup comme une confluence bénéfique entre économies à faire sur les carburants qui deviendraient beaucoup plus chers et diminution des émissions.

Dans le chapitre « Futurs », Aykut et Dahan synthétisent et cartographient de grands travaux ayant structuré, au-delà de la question climatique, le cadrage écologique de ces dernières décennies : anthropocène, catastrophisme, effondrement, ou encore modernisation écologique. C’est à une forme de cette dernière que les auteurs semblent finalement accorder leur soutien. Il s’agirait d’une transformation technique très importante, tenant compte d’objectifs d’équité dans le monde, et orientée avant tout vers les besoins (rappelons-nous le non-accès à l’énergie ou à l’électricité de vastes parties de la population terrestre). Elle devrait également ne pas omettre son caractère pleinement politique et se désenclaver de la sphère dite environnementale où elle pèse peu sur les évolutions profondes du développement.

On trouvera un peu moins d’analyses accordées au thème de l’adaptation au changement climatique, qui acquiert rapidement une importance qu’il serait intéressant de scruter avec le même degré de précision et de connaissances accordé aux émissions perturbatrices du climat. Par ailleurs, dans la richesse des analyses géopolitiques, le point de vue des pays les plus pauvres ne fait pas l’objet d’un chapitre spécifique. Même s’ils pèsent très peu dans les émissions, ils regroupent néanmoins une large part de la population, et leurs trajectoires énergétiques représentent un enjeu crucial pour demain.

Gouverner le climat ?, dont le point d’interrogation a tout son sens, constitue un ouvrage qui sera d’une aide précieuse pour entrer de façon fiable, claire et profondément réfléchie vers une foule de références présentées en bibliographie. Des rapports, des thèses, des positions diverses y sont résumés et discutés avec une maîtrise et une connaissance fines. Il s’agit là d’un compagnon sûr et bienvenu pour s’orienter dans les arcanes de la conférence de Paris, et bien au-delà.

Edwin Zaccai

Anne Lambert, Tous propriétaires ! L’envers du décor pavillonnaire, Paris, Le Seuil, coll. « Liber », 2015, 304 p., 20 €

La politique publique du logement en France se réforme au milieu des années 1970 et choisit de miser sur l’accession à la propriété en développant les mécanismes d’aides individualisées. C’est la fin de l’intervention forte de l’État dans la construction et l’aide au secteur Hlm et c’est un changement de paradigme, qui dure depuis. Rendre aux Français une liberté de choix (donner des alternatives aux logements collectifs des tours et des barres) et leur permettre de se constituer un « patrimoine social » face aux accidents de la vie, disait en 1975 Valéry Giscard d’Estaing. Nicolas Sarkozy le réaffirme en 2007 pour sa campagne présidentielle en annonçant : « Je propose la propriété pour tous ! »

C’est ce modèle de société fondé sur la petite propriété, garant de l’ordre social et politique, que ce livre interroge dans ses différentes dimensions. Parce que « la » préférence des Français pour le pavillon et pour la propriété, postulat hissé au rang de vérité sociologique, a pourtant bien des déterminants politiques. En analysant les chemins de l’accès à la propriété et la condition pavillonnaire propriétaire, Anne Lambert démonte les rouages de cette politique de l’accession et en démontre ses effets : la périurbanisation des classes populaires et l’inégalité d’accès au logement au sein de la population, c’est-à-dire l’inverse des objectifs initiaux de « moyennisation » de la population française.

Au départ de ce tournant politique, la progression du taux de propriétaires a en effet été forte. Mais la mécanique s’est vite bloquée sur fond de crise économique. Utilisant les statistiques Insee du logement, Anne Lambert démontre qu’au final, la diffusion de l’accès à la propriété s’avère une politique socialement sélective. D’une part, les classes les plus modestes en sont écartées et la multiplication récente des dispositifs d’aide en faveur de l’accession sociale n’y change d’ailleurs rien (revalorisation des barèmes du prêt à taux zéro, « maison à 100 000 euros », Pass foncier…). D’autre part, s’additionnant à la hausse des prix immobiliers et fonciers sur les pôles urbains, les classes populaires parvenues à se frayer un chemin dans les méandres des dispositifs de solvabilisation et d’aide à l’accession sont renvoyées dans les zones périurbaines. Ces ménages modestes, dont les immigrés font partie, expérimentent alors une condition de propriétaire de pavillon plutôt éloignée du rêve pavillonnaire.

C’est l’histoire de ces nouveaux lotissements pavillonnaires construits à la périphérie des agglomérations françaises que va alors nous raconter Anne Lambert, à travers le cas du lotissement des Blessayes à Cleyzieu-Lamarieu, situé à la périphérie de l’agglomération lyonnaise.

Après un panorama statistique, l’auteur s’appuie sur la puissance de compréhension et de démonstration de son enquête ethnographique qui a l’avantage de permettre au lecteur, à travers la mise en récit des situations personnelles, de saisir la réelle complexité des choses.

Ce qu’elle montre alors, ce sont les transformations profondes des conditions d’existence quand on devient propriétaire de pavillon. Et cela démarre avec le parcours qui conduit à l’accession, quand les aides publiques, les montages financiers et les plans d’endettement ou les discriminations ethno-raciales sont des épreuves qu’on franchit selon ses « propriétés sociales » (Csp, éducation, réseau social, trajectoire…) et avec plus ou moins de succès, et de conséquences. Parce qu’une fois l’installation faite, ce que révèle l’enquête d’Anne Lambert, c’est d’abord un beau travail de deuil des aspirations premières du projet simple d’« avoir une maison à soi ». C’est ensuite, face à l’endettement contracté – « en prendre pour vingt-cinq ans » – une forte déstabilisation de l’économie domestique, au point que l’intérêt économique du travail de la femme n’apparaît plus. Ce sont d’ailleurs les premières « captives du périurbain », souffrant parfois de désarroi et d’isolement, et faisant leurs calculs :

Le foot, j’ai failli les inscrire et puis j’ai dit « zut, il faut encore payer » ! On va attendre l’année prochaine. Vu que là, on a eu pas mal de frais, et on fait encore pas mal de choses à nos frais… […] Je me dis, je vais essayer de les occuper au mieux. Et puis, maintenant, ils ont la maison, ils peuvent jouer dehors, c’est pas comme s’ils étaient enfermés. Et pour la cantine ? Je les ai à midi. Parce que même la cantine, c’est cher (entretien).

Anne Lambert démontre ensuite par l’exemple l’exacerbation des différences et des inégalités sociales induites par cette accession à la propriété. Quand la cohabitation de ménages aux trajectoires différentes, quand cette « mixité improbable » des Blessayes génère une véritable division spatiale du lotissement, où ceux du haut et ceux du bas se distinguent socialement à travers différents signes visibles – « En bas, ça sent le prêt Pass » – et différentes attitudes dans l’usage des espaces communs et en particulier les sociabilités enfantines. « Mêlant logiques sociales et raciales, l’honneur des familles semble gagé sur le comportement quotidien des enfants. »

Et donc, toute la journée, les gosses ils se promènent de terrain en terrain, ils jouent dehors. Moi, quand j’ai vu ça, j’ai dit franchement je ne veux pas. Parce que j’ai dit à mon mari : « Tu vois, c’est des enfants noirs, je suis sûr que nous, comme on est noirs, ils vont tous nous mettre dans un même panier. » C’est pour ça que je dis à mon fils : « Toi, je ne te vois pas jouer avec l’autre » (entretien).

Ainsi, nous dit Anne Lambert :

Bien que le mythe de la moyennisation semble tenace, [le classement social des familles par les familles] montre que la perception claire des hiérarchies sociales est loin de s’effacer…

Si « la nouvelle politique pavillonnaire semblait favoriser l’embourgeoisement de la classe ouvrière », avec les crises des années 1980 puis 2000, elle a conduit les classes populaires à la périphérie des grandes villes françaises, exacerbant du même coup les différences sociales. Parallèlement, l’« effet de conversion » de l’accession ne s’est pas produit et leur « sens civique » n’est pas éteint, comme en témoigne leur implication politique sur la scène locale et la continuité de leurs affinités à l’échelle nationale. Sur fond de vif débat qui pique notamment la presse et le milieu de la recherche urbaine à propos du vote FN des périurbains, Anne Lambert remet donc en cause les thèses du lien entre propriété et vote, ou encore entre périurbain et droitisation. Forte de son enquête, elle prend parti et se rallie à ceux qui voudraient réhabiliter l’analyse contextuelle du vote, faisant notamment de la trajectoire sociale un déterminant majeur.

Avec la puissance d’une méthodologie croisant les analyses statistiques, politiques et ethnographiques, Anne Lambert nous permet de repositionner le débat entourant la question pavillonnaire et périurbaine dans le champ de la politique du logement. C’est déjà fort salutaire, quand il s’enlise dans une critique au fond moraliste du repli domestique sans même, au préalable du raisonnement, reconnaître les diversités sociales et sociologiques. Surtout, en démontrant les divisions sociales et spatiales à l’œuvre sous l’effet de cette politique de l’accession à la propriété, elle alerte sur une situation non avouée de « Hlm à plat ». Pour Anne Lambert, les lotissements comme ceux des Blessayes constituent un équivalent structurel des grands ensembles d’habitat social de la fin des années 1960. Quand la dégradation sociale et urbaine des lotissements périphériques hérités des politiques de soutien à l’accession entraînera avec elle les communes périurbaines, l’État sera-t-il contraint de commander, comme il l’a fait pour les banlieues, un rapport sur une politique d’intervention dans les lotissements périurbains lointains ?

Céline Loudier-Malgouyres

Corine Pelluchon, Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2015, 390 p., 25 €

« Au commencement était la faim », affirme, non sans appétit, Emmanuel Levinas ; c’est la phrase d’ouverture de cet ouvrage savant et militant. Savant, car Corine Pelluchon connaît ses classiques (les Grecs, Descartes, Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau…) mais aussi ses contemporains (Arendt, Derrida, Heidegger, Levinas, Maldiney, Merleau-Ponty, Rawls, Ricœur…) et n’hésite pas à contester certaines de leurs analyses, à les interpeller sur ce qui à ses yeux leur manque cruellement, à inviter leurs lecteurs à poursuivre les réflexions engagées. Militant, car Corine Pelluchon ne pense pas pour le seul plaisir de la rhétorique mais pour participer à cette nouvelle approche écologique de l’Humain à partir et avec le Vivant :

Notre milieu est essentiellement hybride. La réflexion sur les conditions d’existence et le « vivre de », déjà présente dans toute philosophie de la corporéité attentive à ce qui échappe à notre intentionnalité, trouve dans l’écologie l’occasion d’un approfondissement inédit.

Par conséquent, il s’agit d’une écosophie appliquée aux nourritures, qui les saisit depuis l’agriculture, la cuisine, le repas, la santé, la mythologie, les représentations. C’est dire si ce livre « total » s’avère nourrissant, tout en laissant ouvertes de nombreuses pistes.

Manger, c’est manger avec les autres, c’est aussi manger ce qui a été cultivé, chassé ou pêché, préparé, conditionné, échangé, digéré, éliminé, recyclé…

Manger, c’est contester toute séparation entre les disciplines et se positionner dans l’existence, être d’emblée dans l’éthique et la politique.

Aussi, Corine Pelluchon ne reste pas dans la seule « phénoménologie des nourritures » (première partie), elle s’évertue à imaginer « un monde nouveau à instituer » (seconde partie). Rompant avec l’académisme, le lecteur s’en doute. Il est délicat de résumer un tel livre, qui privilégie les interrelations et les processus au jugement clos et définitif. Les sens (dont le goût, bien sûr), la production (l’agriculture productiviste d’un côté et ses alternatives « bio » de l’autre, y compris urbaines), la préparation des aliments (d’où un précieux commentaire du texte d’Okakura Kakuzô, le Livre du thé), l’obligation de consommer de la viande (dans les cantines scolaires, par exemple), la difficulté à populariser le végétarisme, la violence faite en toute impunité aux animaux (le gavage des canards et des oies pour obtenir du foie gras, la chasse à courre ou meurtres entre amis, la corrida et son esthétisation de la mort du taureau et plus ordinairement, les abattoirs et leurs cortèges de victimes sans défense…), les pathologies propres à l’acte de manger (obésité, boulimie, anorexie, etc.), sont étudiés par Corine Pelluchon, non pas séparément, mais de manière entremêlée, afin d’en établir les interactions et autres interdépendances.

Prendre en considération le monde vivant revient à rompre avec la démocratie représentative des seuls humains. Bruno Latour, Michel Serres, Dominique Bourg suggéraient, chacun, la création de nouvelles institutions qui tiennent compte du monde vivant qui ne peut pas s’exprimer sur son sort. Corine Pelluchon propose, quant à elle, une « Assemblée de la nature et des vivants », qui s’intéresserait prioritairement aux « questions écologiques », à la défense de la biosphère, au devenir de la Terre, etc. Il s’agit d’un nouveau contrat social, que l’auteure décrit davantage dans ses intentions que dans ses modalités. On l’aura compris, cet ouvrage représente une importante introduction aux débats qui ne sauraient tarder à se manifester au seuil de la zoopolis…

Thierry Paquot

Bernard Perret, Au-delà du marché. Les nouvelles voies de la démarchandisation, Paris, Les Petits Matins, 2015, 104 p., 10 €. Diana Filippova (sous la dir. de), Société collaborative. La fin des hiérarchies, Paris, OuiShare/Rue de l’Échiquier, 2015, 128 p., 10 €

L’épuisement de la croissance dans les pays riches fait progresser l’idée selon laquelle il nous faut changer de modèle de développement. Pour Bernard Perret, cet épuisement et le développement de pratiques hybrides, entre les sphères marchande et non marchande, sont les deux faces d’une même pièce. Car c’est le cœur même de l’économie capitaliste – la transformation des besoins en marchandises et en produits financiers – qui s’essouffle. Nos besoins aujourd’hui, liés à la santé, à l’éducation, aux transports…, sont difficilement monnayables, difficilement rentabilisables : « Notre survie dépend de biens indivisibles » (p. 22), qu’il faut apprendre à gérer en commun.

L’auteur dessine ainsi dans ce livre un paysage des alternatives qui ne se limite pas au domaine de l’économie et de la consommation collaboratives, objet de notre dossier ce mois-ci, mais inclut également l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire (fondée notamment sur le réemploi et le recyclage) ou l’économie de la fonctionnalité (remplacer la vente de biens par la vente de services, comme pour Vélib’ ou Autolib’). Toutes ces logiques, selon Bernard Perret, vont dans le sens d’une démarchandisation, soit un mouvement inverse à celui qui a prévalu pendant des siècles, et qui a vu l’extension du marché, du pouvoir social de l’argent et de la financiarisation. Il ne s’agit donc pas de dire que le système capitaliste se trouverait magiquement transformé, remplacé par un monde fondé sur l’échange et la solidarité, mais que

le potentiel de développement de nos sociétés se situe aux frontières de la sphère marchande, dans des activités hybrides dont la dynamique tire parti de l’incitation à l’efficacité résultant de la pression marchande, ainsi que de la mobilisation d’autres ressorts sociaux.

(p. 60)

Mais pour que ce potentiel soit exploité, encore faut-il sortir de la logique de « guerre économique » dans laquelle nous nous trouvons actuellement, qui empêche toute transformation de notre modèle de développement. En fin d’ouvrage, Bernard Perret propose ainsi des pistes politiques pour favoriser cette « démarchandisation » (limiter les besoins monétaires, s’appuyer sur le domaine public, développer la démocratie participative et la gouvernance des communs…).

Cette alternative, le collectif OuiShare la défend depuis 2012. Société collaborative ne se veut pas un manifeste idéologique mais se concentre sur des exemples précis, des questions liées au développement du modèle collaboratif. Optimiste, le texte ne cède pourtant pas à toutes les sirènes de l’utopie, mettant en avant le risque de précarisation des travailleurs et la nécessité de contrer la fragmentation du marché du travail par la mise en place de structures syndicales solides. Comme Bernard Perret, Flore Berlingen, qui signe la dernière partie du livre, n’oublie pas l’État dans le modèle à venir :

Le rôle du politique reste donc incontournable et complémentaire à celui des initiatives évoquées […] : quelle meilleure place que celle du terrain, de l’action, de la construction de solutions pour repérer les enjeux à porter au débat politique ?.

(p. 100)

Bien sûr, tout n’est pas parfait dans les modèles dessinés ; mais à l’heure où nous sommes entourés de nostalgiques et de pessimistes, on ne peut que se réjouir que des intellectuels et des citoyens se mettent à l’œuvre pour penser et mettre en place de nouvelles solutions.

Alice Béja

Julia Cagé, Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie, Paris, Le Seuil, coll. « La République des idées », 2015, 115 p., 11, 80 €

La presse d’information politique et générale va mal, très mal. Le numérique a amplifié l’effet des facteurs structurels de crise : désaffection du lectorat, baisse des ventes et croissance des coûts. Le livre de Julia Cagé rappelle les éléments d’un désastre annoncé : concurrence accrue pour les revenus issus de la publicité, dont le prix baisse inexorablement, moindre appétit des lecteurs pour une presse payante de qualité. Les journaux répondent à la baisse des revenus par la réduction des charges, qui entraîne une nouvelle dégradation de la qualité. Celle-ci accentue à son tour le déclin du lectorat, engendrant une spirale infernale à laquelle le numérique donne un coup d’accélérateur qui peut être mortel : sur l’internet, où des milliards de pages sont en concurrence, le prix de la publicité s’effondre et le consentement à payer s’avère faible et même inexistant pour certains lecteurs.

Côté demande, l’auteure montre, données à l’appui, que la lecture est considérablement plus courte et hachée en mode numérique. Peut-être sous-estime-t-elle une dérive de la demande qui ne saurait relever uniquement des évolutions de l’offre et qui se traduit par deux tendances : demande de spécialisation accrue et demande d’infotainment.

Du côté de l’offre, Julia Cagé relève à juste titre le déclin du nombre de journalistes par titre, et y voit la source première de l’affaiblissement des contenus (notamment du travail d’investigation), notant – certes un peu rapidement – qu’« un nombre croissant de journalistes est employé à reproduire de façon quasi instantanée les dépêches d’agences de presse sur leur site internet » (p. 30). De même, elle souligne (p. 27) qu’un nombre grandissant de journalistes travaillant pour l’écrit sont affectés au support internet, oubliant que le support internet, c’est aussi de l’écrit (même enrichi par des images) et confondant de la sorte l’écrit et l’imprimé. Plus généralement, la réflexion appelle une analyse approfondie de la transformation du métier et des offres. Pour mentionner un exemple emblématique de l’émergence de nouveaux modèles, l’américain Politico (arrivé récemment en Europe) rassemble plus de 7 millions de visiteurs uniques par mois, propose une édition papier et surtout des lettres professionnelles (Politico Pro) disponibles sur abonnement, tout en étant partenaire d’autres médias.

Julia Cagé analyse les effets pervers de la concurrence, qui provoque un émiettement des forces journalistiques, notamment dans le cas de la presse quotidienne régionale. On rejoint en partie les analyses de Steiner (1952)5, qui montrait, dans un article fondateur pour l’économie des médias, que dans le cas de la télévision, la concentration sert mieux des publics différenciés que des sociétés en concurrence, du moins sous certaines conditions.

Il faut craindre l’accentuation de la mainmise sur la presse « des milliardaires qui ont eu la largesse d’ouvrir aux journaux vieillissants leur portefeuille bien rempli ». Le pluralisme de la propriété des médias est essentiel à la démocratie, mais les sociétés de lecteurs et les sociétés de rédacteurs n’ont pas pour autant donné les résultats escomptés. C’est là que se situe le principal intérêt du livre. Il réside dans sa proposition, très argumentée, de créer une nouvelle structure juridique, la société de médias à but non lucratif, sans versement de dividendes aux actionnaires. Cette structure rassemblerait les avantages des fondations (caractère illimité des dons) et ceux des fonds de dotation (le capital investi ne peut être repris), en s’appuyant sur le financement participatif (les particuliers peuvent devenir actionnaires et, s’ils détiennent moins de 1 % du capital social, se regrouper en association et disposer de droits de vote préférentiels). Afin de limiter l’influence des gros actionnaires, un seuil limite serait instauré : au-delà de 10 % du capital, le nombre de votes ne serait plus proportionnel à celui des actions.

Stabilité des fonds propres, encadrement du pouvoir décisionnel des actionnaires extérieurs par l’adoption de statuts contraignants, « réappropriation démocratique de l’information par ceux qui la font et la consomment », le modèle, inspiré de celui des universités nord-américaines, aurait de surcroît l’avantage de revenir sur les aides à la presse (exonérations fiscales, aides au postage, dont l’auteure montre qu’elles ne sont pas une exception française contrairement aux idées reçues) afin d’en simplifier le fonctionnement. Les généreux donateurs accepteraient le plafonnement de leurs droits de vote au nom de l’avantage réputationnel et fiscal obtenu. En effet, les donateurs bénéficieraient des avantages fiscaux du mécénat, les deux tiers des sommes investies allant en déduction des impôts.

Il faut lire ce livre, à l’heure où la recherche de modèles économiques innovants doit aller de pair avec l’invention de modèles managériaux et actionnariaux qui protègent l’indépendance et la pérennité des médias. Il faudra s’interroger sur la structure qui aurait vocation à vérifier qu’il s’agit d’aider de vraies entreprises de presse dans le cas de créations ex nihilo (il est plus aisé d’attribuer une aide ou de consentir un avantage fiscal sur la base d’un média existant que sur un projet) et aussi se demander si, dans le cas particulier de la presse, l’impossibilité du retrait ne devrait pas être assortie d’une sorte de clause de conscience : s’il faut s’assurer de l’indépendance des médias, leur éventuelle dérive politique, dont rien ne peut garantir qu’elle n’adviendra pas, devrait légitimement permettre au donateur, sous certaines conditions, de s’en retirer…

Françoise Benhamou

Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2015, 715 p., 28 €

Riche de nombreux matériaux jusque-là inédits (lettres, agendas, carnets, fiches…), cette biographie a choisi la singularité dans son parcours : c’est ici moins l’homme privé qui est donné à voir dans son évolution que l’écrivain, le penseur, l’intellectuel. Choix mûrement réfléchi, justifié par l’auteur : Barthes n’avait-il pas en horreur la promiscuité et l’exhibition ? On nous présente donc une évocation discrète de la vie privée, à travers des « biographèmes », selon l’expression forgée par Barthes lui-même, donnés en ordre dispersé ; ce qui est donné à voir en continu, c’est l’évolution d’une carrière, des stratégies, de la pensée, du rapport aux idéologies, aux concepts, à l’écriture, aux arts.

Avec une grande honnêteté, Tiphaine Samoyault rappelle les ouvrages sur Barthes qui ont précédé le sien, justifiant ainsi son choix d’un travail différent. Elle prend pour guides des mots-clés de Barthes, qui lui servent de « postulats » : du côté du privé, la délicatesse, le déchirant, la douceur, l’amour maternel ; du côté du penseur, la clarté (« montrer comment l’œuvre monte, émane et irradie »), l’unité plutôt que la continuité, l’unité du cheminement autour du désir d’écrire. Si les années de sanatorium font l’objet d’un long chapitre, c’est moins pour l’histoire privée, celle d’une certaine idée du bonheur entre amis proches, que parce qu’elles sont la matrice du travail futur, celles aussi de la méthode des fiches, des notes ; là s’élabore le premier grand ouvrage de Barthes sur Michelet. Mais l’avancée du livre, si elle reste globalement chronologique, s’interrompt pour des arrêts sur images, des parenthèses synthétiques, récapitulant par exemple autour du thème « Structures » toute une période autour du structuralisme : « L’ordre des années est assoupli par d’autres évidences », « des thèmes rassemblent parfois textes et faits ». La vie du penseur est marquée d’étapes, qui passent souvent par des rencontres ou décisives – qui convoquent tous les grands intellectuels de la seconde moitié du xxe siècle, de Gide à Sartre, de Deleuze à Derrida, de Lévi-Strauss à Foucault, de Deleuze à Sollers, etc. D’où des chapitres établissant un parallèle, une image double, qui s’interrogent sur les raisons d’une attirance ou d’un retrait (« Barthes et Gide », « Barthes et Sartre »), proposant sur ces rapports des hypothèses fines et suggestives. Parallèles qui relèvent moins du récit biographique au sens strict que du souci de comprendre

[une] vie historique, prise dans l’époque et qui puisse donner une certaine représentation de l’époque.

Ainsi dira-t-elle à propos de « Sartre et Barthes » :

Nous avons besoin des deux pour comprendre ce qui s’est joué à ce moment-là de l’histoire des cultures, en France et dans la langue française.

On parcourt alors des lieux essentiels à la vie intellectuelle des années 1960 : la revue Esprit, où Barthes publie en 1951 ses premières Mythologies, et à laquelle il collaborera régulièrement ; Les Nouvelles littéraires, puis La Quinzaine littéraire de Maurice Nadeau, haut lieu de la réflexion sur la littérature ; les éditions du Seuil, où il rentre grâce à Cayrol ; le groupe Tel Quel, avec Sollers, et la revue Critique, où il rencontre Derrida.

Si entrée dans l’intime il y a, elle passe par les hypothèses proposées quant à l’évolution, par exemple, du rapport de Barthes à tel ou tel, les motivations intimes, peut-être subconscientes, qui poussent Barthes vers l’un, l’éloignant de tel autre. Ainsi du rapport à Gide, à Sartre, ainsi des raisons de la fascination pour Blanchot puis de la réserve marquée à son égard : c’est la négativité, le nihilisme de Blanchot (ainsi de « La littérature et le droit à la mort ») qui finissent par gêner Barthes, lequel préfère imaginer un « Orphée heureux ». Pour Tiphaine Samoyault, il y aurait une mise à distance concertée de l’angoisse de la mort chez Barthes au cours des années 1960, expliquant peut-être en partie l’écartement de Camus et de Cayrol, tant prisés auparavant, au profit de Robbe-Grillet et de Butor. Le choix de l’avant-garde serait ainsi une stratégie d’évitement. Et Sartre est à la fois image fascinante, et défi à relever : ainsi, au « Qu’est-ce que la littérature ? » de Sartre, répond bientôt le « Qu’est-ce que l’écriture ? » de Barthes.

De telles hypothèses sont sans doute aussi à associer à la dimension apologétique de l’ouvrage ; cela dit sans intention critique : on n’écrit pas un ouvrage si dense sur un auteur sans avoir pris son parti, et Tiphaine Samoyault ne cache pas sa proximité affective avec un auteur dont elle défend, en les expliquant subtilement, des « repentirs » – que d’autres appellent des palinodies ; car on peut se demander avec perplexité, à propos des nombreux Barthes : « Lequel est le vrai ? » S’enfouit la relation à Gide, naît celle à Sartre ; à l’éloge de l’Étranger succède l’éreintement de la Peste en 1955 ; à un marxisme intransigeant succède une distance marquée : refus de signer le Manifeste des 121, appelant à la désobéissance civile à propos de la guerre d’Algérie, distance gênée vis-à-vis de Mai 68, qu’il trouve « hystérique ». Côté littéraire, au choix systématique de l’avant-garde succède la défense des classiques. Etc.

Sans nier « l’oscillation tout aussi régulière de Barthes entre engagement et désengagement que le battement d’une horloge », ni l’histoire complexe d’une « longue série de filiations et de défiliations », selon la formule de Marielle Macé, qu’elle cite, elle tente d’en percevoir la raison profonde. Le pari ici est celui d’une interprétation empathique, le choix d’une focalisation interne, de parti pris pour l’unité intérieure « contre les césures de l’apparence extérieure » :

Comprendre Barthes, c’est comprendre des postulations qui ne sont contradictoires qu’en apparence.

Ainsi ces « oscillations et défiliations » témoigneraient-elles moins de la versatilité que

d’un débat intérieur complexe touchant à son rapport philosophique au marxisme et à sa pensée de la littérature.

Pour entendre Barthes, il faut, nous dit l’auteur, « se libérer du principe de non-contradiction ».

Car là est l’un des grands apports de Barthes : la recherche du troisième terme, du « neutre ». Le souci de « mettre la différence à la place du conflit ». Grand professeur, Barthes a formé ses élèves à la déprise, à la nécessité de mettre les savoirs en tension. Là est un point commun avec Derrida, prendre le contre-pied de ce qui stabilise et enferme le sens, pluraliser celui-ci, rêver à une « encyclopédie mobile et non totalisante », faire s’évanouir l’antithèse. Ainsi, ne pas choisir entre les classiques et les modernes : l’opposition n’a pas lieu d’être, l’ouverture des classiques, leur écriture « neutre », favorisant l’incomplétude, donc l’ouverture à des lectures futures ; les classiques sont modernes. L’autre grand apport littéraire est la théorisation (et la pratique) de la lecture, l’extension de ses pouvoirs au détriment de ceux de l’auteur (ainsi le célèbre article sur la mort de l’auteur, en 1967), l’anachronisme élevé au rang de méthode (« Essayons sur Racine, en vertu de son silence même, tous les langages que notre siècle nous suggère »), l’appropriation consciente des lectures, à la Montaigne.

Mais la vie est là, aussi ; dispersée, car les biographèmes prennent la place, comme le souhaitait Barthes, « de l’urne et de la stèle » : présence essentielle des amis, obsession des emplois du temps, sorties quotidiennes dans les lieux de drague gay et souci de discrétion sur sa sexualité, dû sans doute à la présence de sa mère, avec laquelle il n’a cessé de vivre, tant à Paris qu’à l’étranger ; dépressions fréquentes vers le milieu de la vie (« J’arrive au cœur de l’âge mûr avec une jeunesse imparfaitement réalisée ») ; mais bonheur de l’enseignant, qui intègre avec aisance et goût cet enseignement à sa vie personnelle. Et des notations plus « psy », ainsi la remarque sur l’absence de sur-moi produite par la mort et l’absence du père.

Dense, parfois austère, mais d’une grande richesse, cette biographie de Barthes est encadrée par deux évocations de sa mort, l’accident qui lui coûta la vie le 26 mars 1980. Ainsi sont suggérés les bords de l’urne, débordée de toutes parts par la souple densité d’une vie et d’une pensée.

Chantal Labre

Yves Bonnefoy, Le Siècle de Baudelaire, Paris, Le Seuil, coll. « La librairie du xxie siècle », 2014, 249 p., 20 €

« Il est aisé d’être poète parmi les dieux. Nous autres, venons après les dieux », affirmait Yves Bonnefoy dans l’Improbable6. Le Siècle de Baudelaire approfondit, sous l’égide de l’auteur des Fleurs du mal et de quelques-uns de ses « héritiers » (Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Laforgue, Hofmannsthal), les nouveaux défis que ce retrait du divin a imposés à la modernité poétique. D’un chapitre à l’autre se lit l’anxiété d’avoir à définir les missions d’une poésie tout à la fois délivrée des leurres décoratifs d’un faux romantisme et vigilante à ne pas basculer dans l’« empiègement » du vertige sémiologique qui ne ferait que substituer à la malédiction du concept les jeux stériles, fussent-ils savants, d’une poésie devenue insoucieuse du vif de la chose et des êtres, de leur essentielle finitude. « Tenir le pas gagné » rimbaldien devant l’« amer savoir » baudelairien se conjugue, chez Yves Bonnefoy, avec le souci de rappeler le besoin plus que jamais urgent, dans une Europe dont on ne cesse de souligner la grisaille culturelle, d’une poésie, mais aussi d’une peinture, d’une musique – le lien est constamment tissé d’une forme d’expression à l’autre – indispensables à la « santé » d’une société oublieuse d’« une parole partageable ».

« Leurre et vérité des allégories », chapitre consacré au traitement de l’allégorie chez Baudelaire, est exemplaire de ce qui sera le cheminement dialectique de la réflexion de Bonnefoy dans la suite de son essai : Baudelaire ne renonce pas à l’allégorie, cette imposante figure plastique, pleinement tributaire de l’autorité d’un signifié conceptuel, mais il l’arrache à la confortable chaîne des correspondances symboliques, lui insuffle la trouée de la chose mortelle. « L’allégorie n’est pas de ce monde », mais dans « Le cygne », ce grand poème de la mélancolie moderne, il en ruine les tentations factices et en sauve néanmoins la promesse : ce cygne, échappé de sa cage, dit l’éphémère de la finitude, dans « la pratique piétonne de la vie ». D’où l’importance des « Tableaux parisiens » – voir le chapitre « Paris en poésie » – et ce qu’ils viennent en quelque sorte corriger de l’idéalité « supérieure » et malheureuse de Spleen et idéal.

La réflexion poursuivie dans « Baudelaire au soleil du soir », et dans « Apparentements et filiations », loin du « prétendu satanisme des Fleurs du mal, piège pour les poètes médiocres », veut témoigner de ce même souci de chasser l’emprise du code rhétorique pour faire advenir la présence d’une finitude incarnée, comme un remords, celle par exemple de « La servante au grand cœur », assise « dans le fauteuil », fragile métonymie, pour désigner la chambre du poète, dont la capacité, qui n’est pas celle de la métaphore, est de « plonger dans l’existence ».

De ce fauteuil baudelairien, Mallarmé se souviendra étrangement, comme un furtif congé que le « poète du Néant » donne à sa poétique de l’absolu quand, dans le Sonnet funèbre, il évoque à l’intention de son ami l’âme de la morte « dans les bras de l’ancien fauteuil ».

Bien plus que Valéry, « qui ne tente pas dans ses vers une expérience de l’existence » (« Valéry et Mallarmé »), Mallarmé est au cœur des chapitres les plus ardus de l’essai : l’occasion pour Bonnefoy de mettre à l’épreuve cette dialectique qui consiste à montrer comment, et c’est la chance de la poésie, le concept n’arrive pas à tout contrôler dans notre rapport au langage, comment peut faire retour dans le verbe cette immédiateté à soi-même et à la pleine présence des choses.

Dans « Le secret de la pénultième », il mène une subtile enquête sur le « labeur linguistique » de Mallarmé, à propos de la disparité entre les deux langues, anglaise et française, l’une accentuée, l’autre pas, qu’il convertit en « conflit de deux modes d’être ». D’où sa lecture, dans le poème « Le démon de l’analogie », de la phrase mystérieuse, « La Pénultième est morte », où il déchiffre une angoisse secrète de Mallarmé quant au devenir de sa poétique des Idées, coupable dans son refus de l’accidentel, du hasard, bref de l’impur, de dénier le temps. Le chapitre « Mallarmé et le musicien » est un condensé ambitieux de la poétique du poète du Coup de dés, qui, après l’attaque violente de la modernité contre la tradition musicale initiée dans « Le corbeau » d’Edgar Poe, dénonce à son tour l’emploi mélodique des sons, invente un « clavier de la perception », riche du rapport de toutes les composantes sensorielles ; utopie d’une nouvelle gamme absolue qui a pu inspirer les compositeurs modernes de la musique atonale, dont le projet musical témoigne de l’espace contre le temps.

On sait l’intérêt passionné que Baudelaire portait à la peinture, son admiration fervente pour ces tableaux de Delacroix où « le rouge chante la gloire du vert ». Dans son sillage, à l’occasion de deux chapitres, « Laforgue, Hamlet et la couleur », « Hofmannsthal, la poésie, la couleur », Yves Bonnefoy pose un nouvel avenir du Ut pictura poesis. Par le biais d’une interrogation sur le devenir de la figure de Hamlet, ce « premier poète moderne » qu’invente Shakespeare, il montre comment à côté du Hamlet des Moralités légendaires, sans illusions sur ce « tas de loquace vacuité » qu’aucun lyrisme des hauteurs ne vient plus légitimer, viennent se glisser dans le décor « un ciel nuageux, des tulipes jaunes » : encore du langage sans doute, mais « quelque chose est », matière visuelle qui résiste à l’ironie réflexive de ce « lithographe de fin du monde ». Le dernier chapitre est consacré à Hofmannsthal. À partir du coup de cœur que l’écrivain autrichien prête au personnage de lord Chandos pour les tableaux de Van Gogh, si loin de l’« enclos mallarméen des essences », il y est question de la capacité de la peinture à « ouvrir sous les coups de sa couleur libre la figure close des choses ».

On aura compris que pour Bonnefoy, comme pour le poète des Salons, l’Ut pictura poesis à venir doit reposer sur une « recherche unitaire » de la peinture et de la poésie, dans une quête toujours inachevée pour prendre de court le concept, dans un « élan vers et dans les choses ». Un espoir que pour sa part la poésie ne peut confier qu’aux mots : c’est le beau et dur paradoxe que doit affronter une modernité désabusée des promesses du dire ancien : en poésie, le langage est à la fois le véhicule et le chemin.

Cécilia Suzzoni

François Rivière, Le Divin Chesterton. Biographie, Paris, Rivages, 2015, 224 p., 21 €

Chesterton déconcerte. Plus de cent livres publiés, une vie assez courte (1874-1936) et tous les genres concernés : articles de journaux, romans (Un nommé Jeudi, le Napoléon de Notting Hill), théâtre, poésie, philosophie, critique littéraire, critique d’art, économie, controverses religieuses (Hérétiques), voire littéraires avec ses adversaires ou complices (H.G. Wells et G.B. Shaw en particulier), roman policier (Enquêtes du père Brown), essais d’inspiration catholique (l’Homme éternel). Pour le comprendre – osons l’hypothèse tautologique – il faut, d’abord, l’aimer ; Alberto Manguel écrit :

Quand on lit Chesterton, on se sent submergé par une extraordinaire impression de bonheur. Sa prose est le contraire d’académique : elle est joyeuse, physique.

Il a raison : le secret, pour lire Chesterton et accéder à la profusion et à la diversité de son œuvre, c’est de le fréquenter jusqu’à en devenir un (presque) familier, s’imprégner de son tour, de sa manière, deviner le sourire derrière la facétie et comprendre que Chesterton est un état d’esprit – une fantaisie étayée par une pensée très cohérente (clé de l’œuvre) et très claire qui fait l’ensemble du corpus, subsumé par une vista dont son catholicisme serait la note de tête, de cœur et de fond.

Étincelant, pragmatique, aux antipodes de l’aristocratie anglaise qui ne l’accueillera pas, plutôt libéral avec une continuelle préoccupation de la justice sociale, de l’honnêteté et de la common decency qui consonent avec sa foi chrétienne, apôtre lui-même du paradoxe fécond, Chesterton est le contraire du « rouleau convertisseur » (Gide, à propos de Claudel). Les essais et chroniques qu’il a disséminés dans la presse, leur diversité, leur suggestivité, l’esprit d’enfance qui les caractérise, le font cousin, certes très anglais et catholique, de Vialatte : c’est encore Manguel qui ose la comparaison – et on entérine en le citant, tant la comparaison nous semble non pas aventurée, mais judicieuse. Le cercle de ses lecteurs n’a cessé de s’entretenir, voire de s’étendre : Russel, Shaw, Kafka, Hemingway, Larbaud, Gide, J. Green, Paulhan, Klossowski – jusqu’aujourd’hui Michéa ou Finkielkraut. Borges est sans doute celui qui se l’est le plus précisément, le plus profondément, le plus justement approprié :

Il aurait pu être Kafka ou Poe mais, courageusement, il opta pour le bonheur, du moins feignit-il de l’avoir trouvé. De la foi anglicane, il passa à la foi catholique, fondée, selon lui, sur le bon sens. Il avança que la singularité de cette foi s’ajuste à celle de l’univers comme la forme étrange d’une clé s’ajuste exactement à la forme étrange de la serrure.

On réédite l’Homme à la clé d’or7, son autobiographie – qui renseigne autant sur l’homme que sur l’époque – et François Rivière se tire avec les honneurs de la première biographie en langue française de Chesterton : cursif, inspiré et scrupuleux, son livre atteste sa longue fréquentation du colossal bonhomme.

François Kasbi

David Vogel, La Vie conjugale, Paris, Éditions de l’Olivier, 2015, 462 p., 15, 90 €

Seul roman de David Vogel publié de son vivant, la Vie conjugale est habité de toutes les errances qui ont ponctué le destin de l’homme comme de tous les mystères qui ont entouré la découverte récente de son œuvre. L’histoire est simple : dans la Vienne des années 1920, elle plonge au cœur de l’intimité entre Rudolf Gurdweil, un jeune écrivain juif sans ressources et son épouse, Thea von Tarkow, une baronne autrichienne désargentée. Avec pour décor des ruelles pavées qui mêlent chambres insalubres, hôpital psychiatrique, centre pour sans-abri, maisons closes et appartements bourgeois, autour de cafés enfumés où se retrouvent étrangers de passage, artistes démunis, notables à la recherche de conquêtes ou jeunes femmes désœuvrées, se construit le tableau saisissant d’une société entre parenthèses. Le récit lancinant de la perversité de Thea et de la difficulté de Rudolf à s’extraire de son emprise est emblématique de la pesanteur de l’ancien monde ; inscrites en pointillé, les réflexions sur les appartenances plurielles, les allusions à la psychanalyse, les références aux nouveaux courants artistiques dessinent les contours d’un futur autre.

Avec pour entrée en matière le suicide d’une jeune femme anonyme dans les eaux sombres du Danube et comme dénouement l’annonce froide de la mort d’un des protagonistes, la narration se déploie entre gravité et ironie cinglante, disséquant l’affrontement entre Rudolf et Thea et faisant puissamment résonner les forces en marge de ce huis clos.

Le roman s’inscrit dans le prolongement de la vie de David Vogel. Rudolf, juif exilé à Vienne, apprenti écrivain, lui emprunte sa relation à la langue et sa figure d’étranger perçu comme une menace. Né en Podovie (Ukraine) en 1891 avec pour langue maternelle le yiddish, David Vogel a appris l’hébreu à Vilnius et l’allemand à Vienne. Après avoir été interné en Autriche comme sujet russe pendant la Première Guerre mondiale, il part à Paris, où il se marie et a une fille, puis se rend à Tel Aviv où il compose en hébreu ce roman profondément européen8. La Vie conjugale n’est cependant ni le récit d’un écrivain raté ni une illustration de la montée de l’antisémitisme en Autriche. Les humiliations infligées s’expliquent tout autant par le mépris du puissant à l’égard du faible que par la revanche de la femme face à l’homme. Le riche libraire, qui emploie Rudolf pour un salaire de misère, le flatte cyniquement tout en l’obligeant à s’extasier sur son bavardage pompeux, truffé de citations incomplètes ; Thea le surnomme « mon lapin », le prend sur ses genoux, s’amuse à le faire sauter tant elle le domine par sa haute taille, le trompe ouvertement, lui ôte sa seule joie en le faisant douter de sa paternité.

L’intrigue emprunte des bribes d’anecdotes à des écrits antérieurs. Dans l’ébauche de Romance viennoise9, retrouvée par hasard à Tel Aviv dans les archives d’une association10, l’anarchiste Misha raconte l’histoire de l’un de ses amis contraint par l’incapacité de sa femme à élever seul un enfant jusqu’à sa mort précoce à l’âge d’un an. La tentation du suicide, les retentissements d’une faiblesse physique ou psychique sur la relation à autrui sont déjà présents dans le Sanatorium11.

Ce qui n’est qu’observation passive devient dans la Vie conjugale les stigmates d’un temps amené à disparaître. Plus Rudolf s’enfonce, renonçant à ses rêves d’écriture, à ses amis, à sa dignité d’homme, plus les appels à un acte libérateur se font pressants et plus son impuissance à les assumer rend la narration oppressante et le drame imminent.

David Vogel excelle à décrire des paysages urbains, à isoler des scènes de vie annexes – le traitement des malades dans les hôpitaux, le dur labeur d’un cordonnier –, à rendre sensible l’atmosphère empreinte de lassitude et de dérision qui règne dans ces cafés viennois où l’on quémande quelques sous tout en philosophant. Il sait imposer des personnages secondaires comme le voisin de lit de Rudolf dans le refuge pour sans-abri où il s’est résolu à passer la nuit pour ne pas risquer de retrouver chez lui Thea avec un amant. Il s’attache à l’impuissance des plus démunis, telle la mère de Franzi Mitteldorfer qui ne sait que faire pour sortir sa fille de l’asile psychiatrique où elle est enfermée.

Une certaine fragilité, faite d’incertitudes, d’incompréhensions et d’angoisses quant à l’issue du combat inégal entre Thea et Rudolf, éclate à chaque page. Les changements soudains de tonalité et de rythme concourent à la conforter. Au caractère sordide des avances prodiguées à Rudolf par le couple étrange formé par Gustl et Franzl Heidelberger répond l’expression touchante des soins qu’il apporte à l’enfant ; à la dureté abjecte des propos de Thea succède la douceur de l’amour incompris que Lotte éprouve pour Rudolf. L’intrusion de cauchemars (enchaîné par un pied puis amputé, Rudolf ne peut plus s’envoler pour rejoindre son fils qui l’attend sur l’autre rive du Danube), de visions (Rudolf voit Lotte, petite fille, faire une chute et être secourue par un homme coiffé d’un chapeau de paille), de rêveries éveillées (Lotte croit tuer ses parents) dans un quotidien raconté avec une profusion de détails (le choix d’un landau, l’allumage d’une pipe, l’ajustement d’une lumière) bouscule la fluidité de la narration.

Cette approche atomisée et souvent répétitive de l’univers de Rudolf intensifie la dimension obsessionnelle de son enfermement : il ne parvient pas davantage à se dégager de l’emprise de Thea qu’il ne réussit à s’éloigner de la ville de Vienne, à se réconcilier avec ce double imaginaire qui l’habite et le tourmente ou à déplacer ses difficultés économiques sur un terrain politique ou social. Seul son corps semble devancer le geste final par une rébellion muette – regard hagard, sueurs froides, fièvre, tremblements, démarche hésitante – et savoir que le retour dans le monde des vivants passe par la mort.

Sylvie Bressler

Brèves

Sanjay Subrahmanyam, Leçons indiennes. Itinéraires d’un historien. Dehli, Lisbonne, Paris, Los Angeles, Paris, Alma éditeur, 2015, 354 p., 25 €

L’auteur, qui a enseigné en France à l’Ehess et au Collège de France, est un historien particulièrement original. Sa biographie de l’explorateur Vasco de Gama, vu depuis les archives indiennes, s’appuyait sur une profonde connaissance des relations commerciales dans l’océan Indien aux xve et xvie siècles, et a fait de lui une figure de l’histoire « connectée ». Cette variante originale d’histoire comparée consiste dans un récit historique, avant tout appuyé sur des archives, proposant de décentrer le regard par rapport à une approche séparée des aires géographiques. C’est ainsi qu’il travaille sur la connexion entre le monde de la Méditerranée, les Ottomans, l’Iran, l’Inde et même l’Asie du Sud-Est. Si plusieurs textes de ce volume expliquent cette démarche, les autres articles rassemblés ici témoignent d’une large curiosité. En tant qu’intellectuel indien, Subrahmanyam est invité à écrire sur Naipaul ou Rushdie. En tant qu’historien, il intervient avec une grande assurance, et parfois un sens maîtrisé de la polémique, sur des questions de démarche historienne : quelle place accorder au rôle des « grands hommes » dans le récit historique ? Qu’est-ce qu’un empire ? Peut-on comparer les civilisations ? Enfin, comme universitaire polyglotte et globalisé, il livre quelques récits caustiques de ses pérégrinations académiques (« Jours tranquilles à la D. School », « Un été à Lisbonne », « Un Parisien ambigu »). Une manière savante de sortir des débats sur l’impérialisme occidental en proposant une autre approche des rencontres entre civilisations.

M.-O. P.

Georges Duby, Mes ego-histoires, Préface de Pierre Nora, postface de Patrick Boucheron, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2015, 160 p., 12, 50 €

Un historien peut-il raconter son histoire ? Georges Duby prend cette question à bras-le-corps avec ses « ego-histoires », publiées de manière posthume par Patrick Boucheron et Jacques Dalarun (qui font également paraître, toujours chez Gallimard, un ouvrage collectif, Georges Duby. Portrait de l’historien en ses archives). Pour éviter les pièges de la mémoire et ne pas succomber à l’hagiographie, Georges Duby choisit de mettre le hasard au centre de ses récits. Le livre donne à voir la genèse de cette « auto-histoire ». Ainsi, deux versions du même récit sont présentées. Dans la première, l’historien se raconte à la troisième personne, mais l’effet de dépersonnalisation produit ne parvient pas à garantir l’objectivité souhaitée. La seconde, à la première personne, rend à la vie un monde universitaire figé par la guerre et restitue l’enthousiasme propre aux Trente Glorieuses. Plutôt que de se mettre en scène, Duby tisse son parcours individuel dans la trame d’une histoire collective. Au sein même du récit, il évoque les méandres de sa construction et les hésitations inhérentes à ce projet ambitieux. Le remarquable travail d’édition permet de mettre en perspective ces tentatives d’« ego-histoires » avec leur contexte historique. Georges Duby est non seulement un excellent médiéviste, mais aussi un écrivain. Si la postérité s’en est aperçue, ces esquisses autobiographiques en sont la preuve.

P. P.

Edgar Morin, L’Aventure de la Méthode, suivi de Pour une rationalité ouverte, Paris, Le Seuil, 2015, 168 p., 18 €

Ce court ouvrage mené tambour battant relate la « cuisine » intellectuelle d’un penseur exceptionnel ou, pour le dire autrement, les coulisses de la création d’une idée, de sa formulation et de ses prolongements successifs. Il s’agit d’un retour en arrière sur toute une vie dédiée à la compréhension du monde, d’un monde qu’il n’est plus envisageable de saisir à partir d’une seule discipline (la sociologie, par exemple), tant il est complexe et exige de passer les frontières disciplinaires et d’inventer une méthode, mot construit en grec avec hodos, « la voie ». D’où ce cheminement qu’Edgar Morin nous décrit dans le moindre de ses plis, car la pensée n’est jamais unique, droite, logique, rationnelle. Pour rendre intelligible des situations changeantes, il faut un raisonnement qui intègre le pourquoi et le comment de ces transformations. Ce raisonnement, Edgar Morin le pressent déjà en France en enquêtant sur la « modernité » qui tarde à conquérir un village breton ; là, il comprend, encore confusément, que tout agit sur tout. Plus tard, en Californie, il découvre, outre l’ambiance peace and love propre à la fin des années 1960, la théorie de l’information et de la communication de William Ross Ashby (auteur d’une définition de la complexité comme étant le degré de variété d’un système), Claude Shannon, Warren Weaver, Heinz von Foerster et quelques autres… Il articule ces apports à la biologie qu’il étudie avec Jacques Robin, Henri Laborit, Henri Atlan, Jacques Monod, ce qui donne une nouvelle théorie de l’organisation tenant compte du monde physique, du monde vivant et de leurs innombrables interrelations, qui refusent toute interprétation en termes de dualisme, de causalité, de vérité… Cela va donner la Nature de la Nature (1977), la Vie de la Vie (1980), la Connaissance de la Connaissance (1986), les Idées (1991), l’Humanité de l’Humanité et l’Éthique (2004). Rétrospectivement, Edgar Morin trouve le fil d’Ariane qui conduit d’un volume à un autre, non pas selon une logique scientifique, mais systémique et écologique. Il expose et analyse les conditions de production et de réception de chacun de ses livres, qui remettent en cause bien des certitudes devenues des obstacles à la connaissance. Ce regard sur son œuvre est rarement effectué par l’auteur, ou alors avec une sorte de maniérisme teinté d’autosatisfaction. Edgar Morin joue le jeu de la confession, ne cherche aucunement à s’édifier une statue (qu’en ferait-il ?), mais à explorer les mécanismes de la pensée tout en décryptant le monde dans lequel chacun vit, avec ses folies, ses excès, ses répétitions, ses engouements, ses difficultés et ses rares satisfactions… Un arbre symbolise cette méthode, le banian, « dont les branches et les rameaux, nous dit Edgar Morin, en tombant à terre, se transforment en de nouvelles racines qui transforment les branches en nouveaux troncs ». Sans fin. Comme souvent avec Edgar Morin, et c’est sa marque de fabrique, les réflexions théoriques s’entremêlent à des « anecdotes » personnelles sur ses rencontres, ses amitiés, ses angoisses, ses joies de chercheur, démontrant que chacun est aussi fait des autres. Passionnant.

T. P.

Jean-Marc Dreyfus, L’Impossible Réparation, Paris, Flammarion, 2015, 390 p., 23 €

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Allemagne ont entamé, grâce à la construction européenne, un processus de réconciliation politique qui a changé la physionomie du continent. Les deux pays ont néanmoins aussi eu à régler de nombreux contentieux pratiques : comment retrouver les corps des prisonniers et des déportés disparus ? Comment restituer l’or volé aux juifs ? Comment juger les criminels de guerre ? Ces sujets ont été traités, dans plusieurs longs cycles de négociations, par les diplomates des deux pays, qui pouvaient eux-mêmes être marqués par leurs préjugés (notamment sur la question juive) ou leur expérience de la guerre. Parce qu’il est tiré d’un travail de première main dans les archives françaises et allemandes, cet ouvrage apporte un éclairage original sur ces sujets qui font souvent l’objet de commentaires politiques ou de conflits de mémoire. Il apparaît ainsi que le « travail de mémoire » de l’Allemagne n’est pas seulement un fait intellectuel et culturel mais qu’il a aussi supposé un édifice législatif complexe et des réparations matérielles négociées pied à pied.

M.-O. P.

Frédéric Faux, Coca ! Une enquête dans les Andes, Arles, Actes Sud, 2015, 330 p., 21, 90 €

Correspondant de presse en Amérique latine, l’auteur nous fait comprendre la violence et l’argent qui entourent le trafic de cocaïne dans toute la région andine. Mais pour décrire l’importance de l’économie de la drogue, il ne faut pas se limiter à l’acheminement de la cocaïne. Il faut en effet comprendre l’histoire d’une plante, la coca, dont le rôle est attesté dans la région depuis l’Empire inca. Qui cultive cette plante ? Quelle est sa consommation traditionnelle ? Peut-on l’accepter ou faut-il l’éradiquer ? L’enquête montre bien que si l’on méconnaît la profondeur historique de la culture de la coca, on ne peut établir de plan réaliste de lutte contre la fabrication et le commerce de la cocaïne. Il nous fait donc parcourir les campagnes d’altitude où les paysans cultivent l’arbuste, les villages où l’on fait sécher les feuilles, avant de nous emmener dans les prisons péruviennes et les bidonvilles de la Colombie. Un beau travail d’enquête, de portraits et d’analyses politiques qui met en perspective les stratégies américaines et européennes de lutte contre le trafic de drogue.

M.-O. P.

Christopher Hamilton, 40 ans. À la croisée des chemins, Paris, Autrement, 2015, 221 p., 16 €

En réfléchissant sur le sens de la découverte fortuite, à l’âge de quarante ans, de la véritable identité de son père, l’auteur nous propose une philosophie de la crise existentielle du milieu de la vie. Cette réflexion à la Montaigne, illustrée davantage par la littérature que par la philosophie, se lit comme une conversation ou une confidence qui tourne autour de cette énigme : si nous pouvons avoir l’impression, à mi-parcours de notre existence, d’avoir fait des choix qui décident de l’orientation de notre vie, nous ne pouvons pourtant pas nous considérer vraiment comme « auteur » de notre propre vie. Celle-ci, en effet, découvrons-nous à mesure que sa tournure prend forme, nous échappe en grande partie puisqu’elle est façonnée par le vaste ensemble de relations personnelles que nous ne maîtrisons pas. Nous ne pouvons cependant nous défaire de l’impression que notre vie doit avoir un auteur, tout en comprenant que notre dépendance aux autres rend illusoire notre espoir de maîtrise sur son orientation. « Je suppose qu’il s’agit ici de reconnaître qu’on est profondément dépendant d’autres gens, qu’on le veuille ou non. Cela crée chez moi un sentiment d’angoisse, mais une angoisse calme, comme si quelque chose d’important, mais inconnu, se préparait en moi. »

M.-O. P.

En écho

Charlie – Le Débat consacre son numéro d’été (mai-août 2015, no 185) à « L’effet Charlie ». On relèvera l’entretien avec Henry Laurens sur la situation historique du monde arabo-musulman. Une enquête sur la laïcité approfondit la discussion sur le « consensus » du 11 janvier (Paolo Flores d’Arcais, Abdennour Bidar, Paul Thibaud, Mara Goyet, Shmuel Trigano…). Un entretien avec le sociologue Olivier Bobineau, qui a mis en place le programme de formation des imams à la laïcité à l’Institut catholique de Paris (2007-2011), éclaire de manière originale les difficultés d’organisation de l’islam dans la République.

LE CRIEUR – Cette nouvelle revue (no 1, juin 2015, 15 €) se situe entre le journalisme d’investigation et le débat d’idées, et nourrit l’ambition de décrypter le monde contemporain à travers une étude de ses mythes. Ainsi, ce premier numéro interroge la posture conservatrice de Michel Onfray et de Marcel Gauchet et dénonce les rapports incestueux que Google entretient avec la presse. Un article d’Yves Pagès revient sur les mécanismes sociaux à l’origine des théories du complot. À travers une étude historique des mutations successives du pseudo-complot des Illuminati, il montre comment le même schéma se greffe sur nos fantasmes collectifs et peut s’implanter dans n’importe quel univers culturel. Les conspirations délivrent une grille d’interprétation manichéenne pour déchiffrer notre monde de moins en moins lisible. Plutôt que de sombrer dans ces travers, la lecture du Crieur permettra de penser notre temps sans être entravé par des œillères.

RACONTER LE MONDE – Décidément, les journalistes réévaluent de plus en plus l’apport du récit et du roman dans la manière dont ils nous présentent le monde. Le magazine Alternatives internationales consacre ainsi un petit dossier, dans son numéro de juin (no 67, 6, 90 €, www.alternatives-internationales.fr), à « La vie des autres. Un tour du monde en 15 histoires et 30 romans ». Les « histoires » sont en réalité des photographies venues du monde entier, qui chacune reflètent un aspect de la vie quotidienne (« naître » en Bolivie, « s’habiller » au Kenya, « vieillir » au Bangladesh), commentées par Yann Mens, le rédacteur en chef. Des vignettes nous présentent des romans venus de différents pays, du Japon à la Barbade, en passant par la Biélorussie ou le Mozambique.

IMMIGRÉS ET VIEILLISSEMENT – Le dernier numéro de la revue Hommes et migrations (no 1309, mars 2015, http://www.hommes-et-migrations.fr/) consacre son dossier au « Troisième âge des migrants ». La parole est donnée aux habitants des foyers : les histoires racontées décrivent la vie de ces locataires « temporaires » qui attendent toute leur vie un logement meilleur. La maladie, notamment le traitement de l’Alzheimer, l’accès aux soins, la retraite sont abordés, et ouvrent le débat sur la représentation de la mort de ces hommes « de passage ». Chaque culture est aussi définie par sa représentation de la mort ; comment les immigrés, qui partagent deux cultures ou plus, se la représentent-ils ? Envisagent-ils un retour dans leur pays ? Les difficultés économiques et la rupture des liens familiaux avec leur pays d’origine les poussent-elles à accepter rituels et célébrations du pays d’accueil ?

Avis

Le 8 juillet à la Gaîté lyrique, débat public autour de notre dossier « Le partage, une nouvelle économie ? » À partir de 19 h 19, entrée libre et gratuite, dans la limite des places disponibles. Plus d’informations sur notre site, www.esprit.presse.fr, rubrique « Actualités ».

À l’occasion de l’entrée d’un fonds Légaut aux Archives nationales, l’Association culturelle Marcel Légaut organise une journée d’études consacrée à ce penseur et écrivain chrétien le 23 octobre, intitulée « Un spirituel, son groupe et l’historien Marcel Légaut (1900-1990) ». Inscriptions et renseignements : Dominique Lerch (lerch.dominique@laposte.net).

Dans les mois à venir, nous consacrerons un numéro double à l’œuvre du philosophe allemand Jürgen Habermas. À la rentrée, nous nous interrogerons sur la question de la liberté d’expression en démocratie, puis sur l’environnement, dans la perspective de la conférence de Paris en décembre 2015.

Sur notre site (rubrique « Actualités »), retrouvez des bouquets thématiques d’articles (sur Germaine Tillion, Jürgen Habermas…), des textes en accès libre (sur le génocide arménien, le dernier livre de Michael Sandel, les séries américaines…) ainsi que les vidéos de nos débats à la Gaîté lyrique.

  • 1.

    http://europublicislam.hypotheses.org

  • 2.

    « Il faut cesser de séparer le climat du monde réel », Le Monde, 17 février 2015.

  • 3.

    http://koyre.ehess.fr/docannexe/file/370/rapport_durban__climate_series___no_4___2012.pdf

  • 4.

    http://www.theguardian.com/environment/series/keep-it-in-the-ground

  • 5.

    Peter Steiner, “Program Patterns and Preferences and the Workability on Competition in Radio Broadcasting”, Quarterly Journal of Economics, no 66, 1952, p. 194-223 (http://www.jstor.org/stable/1882942).

  • 6.

    Yves Bonnefoy, l’Improbable et autres essais, Paris, Mercure de France, 1992.

  • 7.

    Gilbert Keith Chesterton, l’Homme à la clé d’or. Autobiographie, Paris, Les Belles Lettres, 2015.

  • 8.

    De retour en France avec sa famille après un bref passage par la Pologne et Berlin, David Vogel est interné comme ressortissant autrichien jusqu’en 1940, puis arrêté par la Gestapo en 1944 et déporté à Auschwitz où il meurt. Le texte Et ils partirent pour la guerre (Paris, Denoël, 1993) est le récit romancé de son internement par les autorités françaises.

  • 9.

    David Vogel, Romance viennoise, Paris, Éditions de l’Olivier, 2014. La rédaction du roman, commencée à Vienne dans les années 1920, aurait été reprise en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

  • 10.

    Les archives Gnazim ont été créées au milieu du siècle dernier pour préserver l’héritage littéraire des écrivains de langue hébraïque pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale.

  • 11.

    David Vogel, le Sanatorium, Paris, Mercure de France, 2000.