
Citoyenneté et résistances à l’Europe
Depuis le tournant néolibéral des années 1980-90, l’Union européenne apparaît comme le bouc émissaire de la réduction de la souveraineté nationale. La création d’une Assemblée européenne pourrait participer au renouveau d’une politique transnationale.
La crise de l’Union européenne semble se confondre avec une crise, plus générale, de nos démocraties : comment voyez-vous cette circulation entre paysages politiques nationaux et paysage européen ?
La question de la citoyenneté et de la démocratie européennes est une question qui me taraude depuis un certain temps. Dans mon dernier projet de recherche, « Les résistances à l’Europe », en 2006-2007, je cherchais à comprendre pourquoi l’Europe suscite des résistances et à comprendre l’Europe à travers les oppositions qu’elle suscite, à l’analyser par le négatif, par l’euroscepticisme. Depuis lors, ces réactions négatives se sont encore amplifiées, banalisées, voire sont devenues majoritaires.
Pour tenter de les saisir, on peut s’appuyer sur deux des politologues européens les plus importants, qui ont publié à quelques années d’intervalle des livres très sceptiques sur l’Europe : Stefano Bartolini et Peter Mair[1]. Dans son livre, Bartolini met en perspective cinq siècles d’intégration et de désintégration. Le livre de Peter Mair est quant à lui franchement critique, voire anti-européen – alors qu’il ne l’était pas auparavant – sur l’effet dissolvant de l’objet européen sur la démocratie. Ils ne prennent pas l’objet européen comme un objet en soi, mais l’approchent par le phénomène de l’intégration politique à long terme, dont l’Union européenne est une composante. Cette intégration politique repose sur la constitution de cinq cadres : le cadre étatique, le cadre national, le marché, l’espace démocratique, l’état social et l’État providence. Depuis le xvie siècle, on a assisté à un double phénomène de simplification politique. Dans un premier temps, alors que le cadre médiéval et renaissant est très morcelé, un nouveau cadre stato-national estompe ces anciennes structures politiques. Ensuite, dans le cadre d’une simplification fonctionnelle, les oppositions classiques (religieuses, économiques…) se simplifient en un système de partis binaire, où un conflit central remplace la myriade de conflits morcelés. Ceci a permis l’intégration des masses dans la vie politique.
Bartolini et Mair montrent que tout ceci atteint ses limites lors du tournant néolibéral des années 1980-1990 – l’intégration européenne en est la part la plus avancée et va être le révélateur de la transformation de la démocratie – : un phénomène qui n’est pas seulement économique mais aussi fondamentalement politique. L’idéal type de la démocratie au xxe siècle est le modèle de la démocratie nationale dans un cadre parlementaire et dans un système de partis de droite et de gauche. Ce cadre démocratique va de pair avec la participation de la quasi-totalité du corps civique adulte et une puissance publique qui a élargi son spectre d’action. À partir des années 1980, la puissance publique réduit son champ d’action : on passe de l’action directe à la régulation. On assiste également à la multiplication des formes de décisions politiques non majoritaires : contrôle de la constitutionnalité, Banque centrale, décentralisation… La souveraineté politique se réduit au profit de décisions politiques qui relèvent moins de la logique électorale.
Peter Mair relève, entre la fin des années 1980 et les années 2000, un affaiblissement des formes de participation civique. L’affiliation politique et syndicale s’érode, la participation électorale diminue et l’électorat devient volatil. La forme que la politique avait prise, et que l’on pouvait lier au contexte de la démocratie des Trente Glorieuses, est remise en cause. Le projet européen n’est pas la cause du phénomène, mais il en représente une nouvelle phase marquée par l’Acte unique (1986), le retour du projet européen sur la scène politique, une période de reformation de l’objet européen. Cette nouvelle phase dans l’histoire de l’UE est contemporaine de la reformation et de la décomposition du modèle démocratique.
Les populistes rendent l’Europe responsable de tout cela, en introduisant un lien causal. Cette imputation n’est pas correcte analytiquement, mais il vrai que l’UE est la forme la plus sophistiquée de démocratie ultra-libérale. Elle comprend un grand nombre de mécanismes non électifs de régulation politique : l’Europe est le cadre dans lequel les États ont promu la libéralisation de nombreux secteurs de l’économie de réseaux. Colin Crouch, qui parle à ce sujet de « post-démocratie », montre comment les grandes entreprises publiques avaient été un instrument d’intégration politique très important par le passé, en intégrant le corps ouvrier notamment[2]. Ainsi, les libéraliser est une décision qui ne va pas sans conséquences politiques. Dès lors, les travailleurs de ces entreprises publiques libéralisées, et les bénéficiaires de leur action, sont devenus de puissants foyers de résistance au projet européen.
L’Europe apparaît comme le lieu où ces décisions sont prises et comme la source de ces décisions. L’objet européen connaît la mobilisation politique la plus basse. La participation électorale européenne est en diminution constante. Les pouvoirs du Parlement augmentent, mais la participation baisse. Le dialogue social est quasi inexistant. Certes, on compte quelques Ong, mais ce n’est rien comparé aux formes de mobilisations nationales comme les Gilets jaunes par exemple.
Ainsi, l’Union européenne représente avec le plus de profondeur les transformations de la démocratie de la seconde moitié du xxe siècle. Puisqu’elle incarne ce nouveau type de démocratie, elle en apparaît comme la cause, plus que comme le symptôme. Elle est le bouc émissaire idéal et subit le blame shifting des élus nationaux. Néanmoins, on note une évolution dans le rôle de bouc émissaire. Pendant longtemps, l’euroscepticisme était occasionnel, suivant une directive par-ci par-là, comme si Bruxelles était un lieu de pouvoir en soi et pas un lieu de discussion des États. On fait comme s’il y avait des transferts de souveraineté, alors qu’en réalité il y en a très peu. Bruxelles est en fait un lieu où les États mutualisent leur souveraineté et négocient. Par exemple, avant l’euro, la politique monétaire de la Belgique suivait à la lettre la politique du deutsche Mark. La Belgique a donc gagné de la souveraineté monétaire avec l’euro. Mais le discours sur un supposé transfert de souveraineté est très présent. Ainsi, alors qu’il était au départ occasionnel, l’euroscepticisme, en se développant, est devenu un élément structurant de la vie politique européenne. La politologue américaine Vivien Schmidt résume parfaitement la déconnexion entre lieux symboliques et lieux effectifs du politique, quand elle dit que l’Union est porteuse de « policy without politics », tandis que les États membres sont le lieu de « politics without policy[3] ». Certes, l’État mène des politiques nationales, mais le sentiment qu’il n’a pas de prise réelle se généralise et entraîne des recompositions partisanes profondes. À cet égard, la dissolution politique italienne est fascinante ; la situation en Allemagne également, démocratie pourtant historiquement stable ; aux Pays-Bas, où tout a changé en trois ou quatre ans ; et en France aussi, bien sûr. Ce phénomène est sous-estimé, alors que jusqu’à présent, le cadre partisan était très stable depuis la fin du xixe siècle, moment de la structuration politique en Europe.
On se souvient en France des débats très vifs, au moment du référendum sur le Traité constitutionnel européen, autour de l’Europe ultra-libérale. Est-ce ce même débat qui revient en force aujourd’hui ?
Ce « tournant libéral » emprunté par l’Europe a en fait établi une asymétrie au sein des politiques publiques européennes. La politique monétaire est entièrement centralisée et centrée sur la lutte contre l’inflation. La politique budgétaire qui l’accompagne est axée exclusivement sur le contrôle et la réduction des déficits et dettes publiques. Mais, dans le même temps, les politiques sociales ne font l’objet que d’une coordination lâche et continuent d’être régies dans les faits par une compétition entre les États.
La Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), la bataille du charbon, l’aide à la reconversion sidérurgique : à ses débuts, l’Europe était vue comme celle qui permettait de protéger les emplois. Au commencement de la Politique agricole commune (Pac), les taxations des importations permettaient de financer l’agriculture européenne : on avait le sentiment d’une Europe qui protégeait. Aujourd’hui, ce sentiment que l’Europe aide ces catégories sociales a disparu.
Mais le tournant ultra-libéral dans l’UE s’est aussi joué sur le plan des valeurs. À titre personnel, je suis certes ravi des avancées concernant la fin de vie, le mariage pour tous, mais je reconnais que tout ceci donne un cadre normatif. Le problème de l’Union est qu’elle n’est pas « normativement neutre » : elle porte une conception monétariste de la monnaie, une conception austère du budget et une conception libérale des valeurs. Or les réactions populistes se font aussi contre ces valeurs-là. La convergence italo-polonaise se fait par exemple notamment sur la question de la famille, de la liberté des femmes et des droits individuels.
Dans un article publié dans Raison publique, j’avais essayé de montrer que la citoyenneté européenne est faible si on la considère dans sa dimension verticale, mais forte si on la considère dans sa dimension horizontale d’extension des droits à ceux qui n’en ont pas[4]. Or on assiste à un phénomène d’érosion de la dénationalisation des droits, comme le montrent par exemple les discussions autour de la question du droit d’asile et les arrêts de la Cour de justice qui ont limité l’accès des droits suivant la nationalité.
Ce phénomène de renationalisation des droits pointe aussi un autre élément récent. Les études sociologiques des années 1990-2000 montraient que les pro-européens étaient ceux qui étaient aussi les plus attachés à leur identité nationale et les anti-européens étaient plutôt ceux qui se sentaient mal dans leur identité nationale (peur du déclassement, de l’immigration…). Il y avait une véritable complémentarité : l’Europe était le prolongement de l’identité nationale. Aujourd’hui, la donne a changé. Les plus pro-européens sont aussi les plus cosmopolites, les « anywheres[5] », disposant du plus grand « capital socio-culturel ». Les plus anti-européens sont aujourd’hui ceux qui sont assignés à résidence dans leur identité nationale, les « somewheres ». Les pro-européens ont une conception a-nationale de la citoyenneté : pour eux, le cadre national a moins d’importance qu’avant. Il y a donc un véritable risque de décrochage entre l’identité nationale et l’identité européenne. Lorsque j’ai mené ma campagne municipale, je me suis rendu compte qu’une part de plus en plus importante de la population ne sort pas de chez elle, de son quartier. Ceux qui bougent se situent aux deux extrêmes du spectre social (l’expatrié et le plombier polonais). Le problème est que, structurellement, le système politique de l’UE colle beaucoup plus aux nomades.
L’Europe agit comme un révélateur de courants profonds de désintégration et de réintégration politique selon de nouvelles lignes de fracture. De ce point de vue, l’initiative qu’Emmanuel Macron souhaitait prendre avant le mouvement des Gilets jaunes de recomposer la politique européenne, un peu comme il l’avait fait en France, est révélatrice. Mais les extrêmes jouent la carte de la recomposition politique aussi, Salvini et Kaczynski se sont rencontrés tout comme la gauche extrême européenne. On assiste à une restructuration durable du cadre partisan et à un désarroi du corps civique.
Pensez-vous que l’UE puisse véritablement, aujourd’hui, se désintégrer ? A contrario, peut-on encore espérer que l’UE devienne un véritable espace politique et à quelles conditions ?
Que se passera-t-il si les populistes gagnent ? Il y aurait effectivement un renforcement des populismes de droite et de gauche, mais pas au point d’un renversement[6]. Néanmoins, si cette tendance de croissance des populismes est stable, l’Europe court effectivement un vrai risque.
Par définition, les idées extrêmes sont plus faciles à porter et il est bien plus compliqué de défendre ce projet européen. Tocqueville disait : « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe[7]. »
Je suis très hostile à cette partition de l’espace entre d’un côté les pro-européens et de l’autre les anti-européens. À vouloir réunir les sociaux-démocrates, les libéraux et les conservateurs modérés, on ne fait que renforcer le sentiment anti-européen. Aux Pays-Bas par exemple, la grande alliance centriste contre Wilders et l’extrême gauche a simplement fait passer le parti social-démocrate de 25 % à 5 % des suffrages. Dans cette optique, la désignation de Frans Timmermans comme chef de file des sociaux-démocrates pour les élections européennes n’est pas très astucieuse. Je milite pour que les sociaux-démocrates présentent un réel projet socialiste, de gauche.
L’objet européen est très difficile à changer, étant donné le haut degré d’intégration économique, juridique et bureaucratique atteint. Pour les institutions, le risque d’implosion est faible. Il faudrait que l’extrême droite et l’extrême gauche s’allient, mais je suis sceptique. Il y a donc plutôt un risque d’immobilisme qui pourrait avoir pour conséquence le transfert du pouvoir vers la Cour de justice de l’UE, qui prendrait le relais (comme aux États-Unis avec la Cour suprême). L’Acte unique avait en son temps été précédé par un activisme jurisprudentiel afin de pallier les blocages.
Je ne vois de solution
que dans la politisation
à l’extrême de l’objet européen.
Néanmoins, il manque un vrai débat public européen. Le cadre institutionnel est là. Sur le papier, l’Europe est la forme de démocratie la plus avancée (moins de concentration des pouvoirs qu’en France, pas de 49.3), mais cela ne se traduit pas par un comportement et une représentation.
Le cloisonnement national est profond. L’objet européen est perçu différemment suivant le territoire, contrairement aux États-Unis où les gens ont la même représentation de Washington un peu partout. La représentation de Bruxelles en Europe est plus complexe. En Roumanie, lors des vagues de contestations, la jeunesse brandit le drapeau européen comme symbole des droits et des libertés. On y retrouve la même dimension de stratification sociale, mais pas seulement. Autre exemple : l’interdiction de la chasse à la palombe a été très mal reçue en France, où il y a une tradition de la chasse paysanne, alors qu’elle a été bien reçue au Royaume-Uni où la chasse n’est qu’aristocratique. Ce cloisonnement national est là pour durer.
Dès lors, je ne vois de solution que dans la politisation à l’extrême de l’objet européen. Dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live, Machiavel montre que la République romaine a perduré car elle assumait le conflit éternel des « citoyens contre les élites[8] ». Les tribuns de la République romaine portaient le conflit de la part du « peuple ». Pour que le système politique ne succombe pas à cette conflictualité, il faut qu’elle lui donne les canaux qui lui permettent de se structurer. Au début de la Ve République, le Pcf a joué ce rôle d’intégration du peuple dans le cadre républicain. Nul besoin de sortir de la République, dès lors que l’on peut exprimer son mécontentement à travers ses institutions. On retrouve ici la trilogie d’Albert Hirschman : exit, voice, loyalty[9]. Trois positions sont en effet possibles dans un système politique donné : la loyauté, la contestation (les citoyens peuvent exprimer leur mécontentement à l’intérieur du cadre institutionnel) ou la sortie (ni la loyauté ni la contestation ne sont possibles, il ne reste donc comme solution que la sortie). Si la loyauté n’est plus une évidence et si l’on veut éviter un départ massif, il faut rendre l’expression de la contestation plus facile. L’Union doit donc connaître son « moment machiavélien ».
Concernant le modèle politique européen, il faut faire attention au mimétisme qui ne prend pas. On a voulu transposer des modèles nationaux au niveau européen, mais on n’y arrive pas. Il faut donc trouver autre chose, une autre forme de contestation, qui se fasse au sein de l’objet politique européen de manière à ce qu’elle ait de l’influence et soit en même temps canalisée. Ensuite, il ne faut exclure aucune forme, en assumant un expérimentalisme démocratique, et il faut que l’objet européen accepte de s’ouvrir à des contestations qui se fassent à l’intérieur et non pas contre lui. Enfin, il faut sortir de l’idée que, quand on critique les politiques de l’Union européenne, on en devient automatiquement anti-européen. Il n’y a aucune raison de confondre un État (le cadre institutionnel) et un gouvernement (cette confusion est d’ailleurs l’archétype des régimes non démocratiques).
Le Brexit, qui nous préoccupe tant, est beaucoup plus un accident politique qu’on ne veut le dire. Il ne faut pas en tirer de leçon générale sur l’Europe. Le Royaume-Uni a toujours eu un pied dedans et un pied dehors et n’a pas de tradition référendaire. Je suis d’accord que le cadre est très solide et le Brexit le montre. L’euro et l’absence de contrôle aux frontières sont très durs à remettre en cause. Françoise Dolto parlait au sujet des adolescents du « complexe du homard » : l’adolescent perd sa mue et se retrouve dès lors très vulnérable en attendant d’avoir sa carapace adulte[10]. On peut dire la même chose de l’Europe. Dans son « enfance », il n’y avait pas de vraie adhésion européenne, mais on laissait faire : il était avantageux d’avoir l’Europe face aux États-Unis et à l’Urss, puis d’avoir une monnaie. Ce consensus permissif, pour l’instant, n’a pas été remplacé par une carapace adulte. L’Europe n’a pas de vraie légitimité sur ce qu’elle apporte et n’a plus la mythologie de la paix ni le consensus permissif, donc elle se retrouve dans une position vulnérable.
Il n’y a pas d’espace public sans pouvoir. Mais je ne crois pas que l’espace public et politique européen puisse prendre la forme qu’il a prise dans les pays. Je pense plutôt que le système européen va évoluer comme le système américain, où la mobilisation de la société civile passe par le campaigning. L’égalisation des droits entre les hommes et les femmes est venue par ce biais. Le bien-être animal au Royaume-Uni vient par ce moyen aussi. On voit que cela agit sur la législation, même si cela n’a pas vraiment d’effet sur le cœur économique.
Si l’Europe peine à mobiliser (par exemple, les consultations citoyennes voulues par Emmanuel Macron n’ont pas eu beaucoup de succès), c’est qu’il n’y a pas de mobilisation sans enjeu, sans conflit. Pensons, par contraste, à la mobilisation des Européens contre l’intervention en Irak en 2003. L’Amérique de Bush permettait aux Européens de se sentir européens et l’attitude de Tony Blair a été vécue comme une trahison. On voit un peu la même chose aujourd’hui, quand l’Europe condamne les Gafa. En plus du demos et du kratos, il faut penser au kairos : ces moments opportuns permettent une cristallisation de la conscience politique.
À la Commission, Juncker est extrêmement politique. Tous les commissaires ne sont pas que des technocrates, certains sont très politiques. En fait, la Commission est moins technocratique que dogmatique. Si l’on veut réellement politiser l’Union, il faut encourager l’extension du vote à la majorité, ainsi que la procédure législative ordinaire, en donnant un réel pouvoir de codécision au Parlement européen. Mais cela ne suffira pas à former un espace public en quelques années. Si l’hypothèse fédérale paraît improbable dans un horizon prévisible, il faut pouvoir enclencher une politisation plus transnationale de l’Union. Établir des listes transnationales aux élections européennes s’inscrit dans cette idée, permettant d’instituer des références communes dans les différents débats nationaux. La création d’une nouvelle Assemblée européenne, composée d’élus nationaux, pourrait participer à cette transnationalisation de la politique de l’Union[11]. Cette assemblée pourrait avoir des pouvoirs de contrôle complémentaires de ceux du Parlement, pourrait participer aux débats et créer un dialogue entre le Parlement européen et ses homologues nationaux. Si la politisation transnationale de l’Union n’est pas une évidence, elle n’est pas inatteignable. La présence croissante des enjeux européens dans les débats nationaux ou les mobilisations de la société civile contre des décisions européennes, notamment concernant la politique commerciale de l’Union, montrent l’interpénétration des sphères politiques européennes et nationales.
Je parlais du « moment machiavélien » que l’Europe doit connaître : si les « princes modernes » que sont les partis politiques sont prêts à s’engager dans la politisation de l’objet européen, alors les oppositions strictes à l’Union pourront se transformer en contestations au sein des institutions, renforçant par là même leur légitimité.
[1] - Stefano Bartolini, Restructuring Europe: Centre Formation, System Building, and Politica Structuring between the Nation State and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 2005 et Peter Mair, Ruling the Void: The Hollowing of European Democracy, New York, Verso, 2013.
[2] - Colin Crouch, Post-démocratie [2004], trad. par Yves Coleman, Dijon, Diaphanes, 2013.
[3] - Vivien A. Schmidt, La Démocratie en Europe. L’union européenne et les politiques nationales [2006], trad. par Christine Merllié-Young, Paris, La Découverte, 2010.
[4] - Paul Magnette, « Comment peut-on être européen ? », Raison publique, n° 7, 2007.
[5] - David Goodhart, The Road to Somewhere: The Populist Revolt and the Future of Politics, Londres, Hurst, 2017.
[6] - Voir Pascal Lamy (sous la dir. de), « Parlement européen 2019 : quel hémicycle ? Quelle Europe ? », Institut Jacques Delors, 25 octobre 2018.
[7] - Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, livre I, vol. I, chap. 8.
[8] - Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, édition d’Alessandro Fontana, Paris, Gallimard, 2004.
[9] - Albert O. Hirschman, Exit, voice, loyalty. Défection et prise de parole [1970], trad. par Claude Besseyrias, Bruxelles, université de Bruxelles, 2017.
[10] - Catherine Dolto, Françoise Dolto et Colette Percheminier, Paroles pour adolescents ou le complexe du homard, Paris, Gallimard, 2007.
[11] - Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacristie et Antoine Vauchez, Pour un traité de démocratisation de l’Europe, Paris, Seuil, 2017.