La sociologie est un sport de plein air. Remarques sur l'avenir d'une discipline
Remarques sur l’avenir d’une discipline
Les sciences sociales, et la sociologie en particulier, ont subi de nombreuses transformations au cours des dernières décennies. La posture critique doit elle-même être réévaluée, non plus simplement pour dévoiler mais aussi pour s’étonner, se décentrer. S’ouvrir, aussi, aux sciences « dures » et interroger le déluge des données auquel sont soumis les citoyens comme les chercheurs.
La connaissance de la société par elle-même est encore possible ? Ou faut-il se borner à constater l’infini chatoiement des trajectoires individuelles, des coalitions mouvantes d’intérêts et d’affects ? La question n’est pas technique. Elle touche au cœur du projet démocratique, sauf à admettre que celui-ci se borne désormais à allonger la liste des droits des personnes et des groupes, mais reste muet sur la manière de les composer, de les organiser, de les réguler en vue du bien commun. Comment en effet imaginer une telle régulation sans connaissance partagée ? Mais quelle connaissance ? La position de la sociologie, en particulier, interroge. Le projet cognitif et politique extraordinairement ambitieux et englobant porté par ses pères fondateurs, lors des intenses bouleversements de la fin du xixe et du début du xxe siècle, est-il encore crédible ? Les catégories forgées pour rendre compte de l’émergence de la société industrielle sont-elles pertinentes pour expliquer cette autre immense mutation que nous vivons ? Je n’ai pas la prétention ici de répondre à ces questions grandioses ! Mais elles sont la toile de fond des réflexions qui suivent, sur la situation de la sociologie, de ses paradigmes et de ses méthodes dans l’espace des sciences humaines et sociales (Shs) en France.
Dans le petit théâtre de la vie universitaire, l’affaiblissement de la sociologie est flagrant depuis plusieurs décennies. Il s’est réalisé principalement au profit de l’économie, plus sûre d’elle-même, mieux considérée par les chercheurs des sciences dites dures et les « décideurs », en raison de sa mathématisation et de ses paradigmes plus formalisés et plus affirmés – à défaut d’être mieux fondés théoriquement et mieux vérifiés empiriquement. Des modèles unifiés et stables qui gagnent la partie contre des modèles éclatés et instables : quoi de plus normal, pourrait-on dire ? Le problème est que l’hégémonie de l’économie est celle d’une pensée qui naturalise le monde social existant, en aplatit la complexité, tout en contribuant (de manière performative) à façonner le réel à l’image de ce modèle appauvri. Mais ce défi venu de l’économie n’est pas le seul. Car la sociologie, comme les autres sciences de l’homme en société, se trouve confrontée aujourd’hui à deux grandes nouveautés : d’une part la montée des paradigmes issus de la biologie, d’autre part les perspectives méthodologiques inédites nées de la révolution numérique.
Pour certains chercheurs, il y a là une promesse de renouveau radical. Nicholas Christakis, par exemple, médecin et social scientist à Harvard, pense que si la révolution numérique a jusqu’ici déployé ses effets dans les sciences de la nature et la technologie, son impact le plus profond sera en réalité la transformation des sciences du comportement humain en société, sous le triple effet (je cite) « de l’ouragan biologique, des sciences sociales computationnelles (big data) et de l’émergence de nouvelles possibilités d’expérimentation sociale à grande échelle1 ». Qu’en penser ?
On notera qu’à l’exception de la psychologie, les Shs se sont précisément construites sur l’hypothèse d’une compréhension du monde social faisant abstraction des niveaux comportementaux « enracinés » dans la biologie2. Elles ont même monté une garde vigilante à cette frontière, pour des raisons d’auto-affirmation et de défense territoriale, mais aussi en vertu d’une sorte de tabou éthique, l’histoire récente se chargeant de rappeler combien la relation entre biologie et sociologie pouvait devenir une liaison hautement dangereuse. Or ce tabou est en train de sauter, et les frontières entre niveaux s’estompent du fait d’une promesse de connaissance plus intime et profonde des ressorts biologiques ou bio-cognitifs des actions humaines et de leurs modes de coordination. D’autre part, les Shs se sont en grande partie définies et organisées pour capter et produire des données quantitatives, toujours difficiles à extraire de la complexité chatoyante du monde social. À ce titre, elles sont très proches parentes des dispositifs statistiques mis en place par les États-nations, et d’une certaine façon constitutifs de ces derniers. Or elles se trouvent aujourd’hui confrontées non plus à la rareté, mais à une explosive surabondance des données. Le fait que ces données soient largement privatisées change également la donne, Amazon et Google en sachant désormais davantage sur nous que l’Insee. D’ores et déjà, on perçoit que l’explosion des données accessibles dans l’espace public commence à modifier profondément le contexte d’action de la sociologie, ou de sciences connexes comme la géographie humaine.
Face à ce triple défi de l’« économisation » du discours de la société sur elle-même, de la montée de la biologie et de ce que j’appellerai par commodité le big data, trois attitudes sont possibles pour celles et ceux qui se veulent sociologues. La première est de continuer à faire comme si de rien n’était : elle pourrait conduire à la marginalisation définitive. La deuxième est de résister, en brandissant le vieux drapeau toujours disponible de l’« anti-réductionnisme » et en rappelant solennellement les différences ontologiques entre marketing et science. La troisième, dont on aura compris qu’elle a ma préférence, est de reconnaître que ces changements sont excitants et exigeants, à un double titre : parce qu’ils sont des composantes majeures de l’émergence d’un monde nouveau, qu’il est urgent de comprendre mieux ; parce qu’ils fournissent de nouveaux outils pour cette connaissance, y compris « critique ».
L’affirmation des sciences humaines et sociales
Je commence par une rapide rétro-perspective, qui, évidemment, ne peut être que partiale et partielle, les effets dits de génération n’étant souvent que des généralisations hasardeuses. On me pardonnera donc d’évoquer quelques données personnelles. J’ai découvert la sociologie dans la foulée de 1968 et dans l’ambiance des années 1970. Dans mon cas, ce fut après des études consacrées exclusivement aux sciences dites dures, même si quelques lectures de philosophie des sciences (l’éblouissement Bachelard en terminale) m’avaient laissé soupçonner qu’il y avait un monde au-delà des équations. Mon premier poste, dans l’administration des Ponts et Chaussées, consistait à animer une équipe pluridisciplinaire d’urbanisme, dans laquelle il y avait de jeunes sociologues. L’un d’eux me fit lire C. Wright Mills3, qui m’enthousiasma. Je me mis donc à l’étude de la sociologie, en parfait autodidacte. Et je fabriquais en douce une thèse, sans avoir jamais suivi un cours, mais avec beaucoup de terrain. (J’eus heureusement l’occasion de combler mes lacunes en assurant un cours de premier cycle à l’université de Marne-la-Vallée, près de vingt ans plus tard.) Je note au passage que ce type de parcours, passablement bricolé, allant des études scientifiques vers les sciences humaines, fut assez courant dans ces années 1970-19804. Dans les écoles d’ingénieurs, ce flux s’est ensuite tari au profit d’une nouvelle vague d’économistes mainstream, allant généralement faire leur thèse aux États-Unis, où ils furent très appréciés pour leur virtuosité mathématique, ce qui les conforta en retour dans l’idée que l’économie sérieuse s’écrivait en équations, voire, pour certains, que l’économie était une branche des mathématiques.
Pour être bref, je retiens cinq caractéristiques de cette période.
1) L’omniprésence de la politique, du projet de transformation de la société. L’omniprésence et le poids… Même pour quelqu’un comme moi, trop indépendant pour adhérer à un parti quelconque, la motivation fondamentale était politique. Le partage du monde était clair. Il y avait les auteurs de gauche, qu’on citait sans les avoir toujours lu, et les auteurs de droite, qu’on ne lisait pas ! On ne lisait pas Boudon, et on lisait Crozier du bout des doigts. Évidemment, il y avait dans cette ambiance beaucoup de sectarisme. Dans un cas comme le mien, qui me vante d’avoir toujours refusé les positions sectaires, cela ressemblait tout simplement à une forme de bêtise.
2) Personne ne mettait en cause l’existence du « social » comme instance spécifique. Nous étions naturellement durkheimiens, même si le père fondateur et son idéologie de la IIIe République ne faisaient guère partie de nos références. Le sociologue était celui qui injectait dans le débat les « explications sociales », qui étaient d’une autre nature, plus profonde, que celles du droit ou de l’économie (puisque ces dernières reflétaient les forces sociales sous-jacentes), et qui, d’autre part, n’étaient ni « culturelles » ni « psychologiques » (adjectifs toujours dépréciatifs). Ces « explications sociales » étaient naturellement conçues comme un dévoilement. Cette idée de la rupture avec le sens commun comme socle de base de la posture des sciences sociales était évidemment constitutive chez les marxistes et les bourdieusiens. Mais elle était partagée aussi par les foucaldo-nietzschéens, plus communément appelés deleuzo-guattariens, nouvelle tribu qui fit son apparition dans les années 1970. Tous, avec des boîtes à outils différentes, étaient là pour mettre à jour les ressorts cachés des acteurs – et donc surfer sur ce merveilleux mécanisme qui est aussi celui de la psychanalyse et qui veut que plus l’acteur résiste à la description, moins il se reconnaît en elle, plus elle est pertinente et salutaire. (Nous ne lisions pas non plus Popper, et cette superbe infalsifiabilité érigée en principe fondateur ne nous gênait pas, au contraire.) Il y avait bien sûr d’autres références, importantes chez certains, en marge des courants dominants, comme Goffmann, l’ethnométhodologie de Garfinkel, la sociologie des associations à la Callon-Latour. Mais l’idée que devait proclamer haut et fort Madame Thatcher (There is no such thing as society) nous paraissait simplement réactionnaire. (Dans le cas de Maggie, elle l’était, bien sûr.)
3) La diversité des paradigmes ne nous gênait pas, car elle faisait partie de la vitalité de la discipline. (C’était vrai aussi, à l’époque, pour l’économie, qui n’avait pas encore achevé son trajet vers la respectabilité mimétique des sciences formalisées.) Les paradigmes étaient personnifiés par de grands hommes, et on pouvait assez facilement les répartir dans une matrice 2 × 2, comme adorent faire les consultants, autour des deux couples d’oppositions. Axe 1 : sociologie des acteurs versus sociologie des systèmes et des structures. Axe 2 : rationalité économique versus pouvoir, passion, colère, conflit. Cela donne quatre cases, et c’est un jeu d’enfant, accessible à tout étudiant de licence, d’y installer Boudon, Bourdieu, Touraine et Crozier ! Le désordre des paradigmes était ainsi, d’une certaine façon, sous contrôle et fécond.
Le rapport avec les sciences dites dures était un non-sujet, sauf pour une petite minorité dont je faisais partie, et qui s’échinait à construire des liens entre les mondes techniques et les Shs. Les rares incursions desdites sciences dures dans les domaines sociaux étaient immédiatement taxées de réductionnisme (toujours naïf). Quant aux sondeurs, sociologues de la consommation comme Cathelat, spécialistes du marketing, ou encore spécialistes des ressources humaines porteurs de méthodes comme la dynamique de groupe, l’analyse transactionnelle, la Pnl5, méthodes en plein développement et produisant de confortables chiffres d’affaires – la question ne se posait pas : c’étaient des marchands de soupe. Ils incarnaient la version dégradée qui confirme par son existence même, voire par son succès commercial, la version noble et désintéressée de la discipline.
4) L’étrange et paradoxale proximité entre les sociologues, souvent les plus critiques ou radicaux, et le pouvoir d’État est une autre caractéristique de l’époque que je ne peux ici qu’évoquer sommairement. Contre l’État ? Oui, mais tout contre… pour reprendre le titre de l’excellent livre aujourd’hui oublié de Michel Amiot sur ce thème6. Dans le domaine des politiques urbaines qui était alors le mien, la proximité entre les échelons supérieurs de l’administration et des penseurs radicaux allait beaucoup plus loin que l’ordinaire tolérance du prince à l’égard d’une critique qui lui permet de montrer sa largesse d’esprit. L’État modernisateur, gaullien et pompidolien, crut alors vraiment pouvoir s’appuyer sur les Shs et leur regard critique. La sociologie tint une grande place dans ce jeu, avant que celui-ci, de facto, ne se referme sur la seule tribu des économistes, élevés progressivement au rang d’intellectuels organiques de la droite libérale comme de la gauche modérée. La création du Conseil d’analyse économique par Lionel Jospin marque clairement ce virage.
5) Les lieux d’exercice et de production de la discipline, dans ces années 1970-1980, étaient multiples, de même que les profils des chercheurs et les modes de financement de la recherche. La recherche sur contrats, très majoritairement en provenance de l’État, était essentielle dans la vitalité de la discipline et engageait des sommes sans commune mesure avec les montants standard actuels (les contrats finançaient les salaires). De nombreux laboratoires, qui joueront un rôle d’incubateur pour les générations suivantes, furent créés et se développèrent hors de la mouvance universitaire, ou à ses marges7. Le changement de paysage se produisit avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, l’intégration massive au Cnrs des « hors statuts » de la recherche contractuelle, l’explosion des formations universitaires et l’absorption dans le monde académique normal (Cnrs et universités, avec quelques petits noyaux dans d’autres grands organismes, comme l’Institut national de la recherche agronomique ou l’Institut de recherche pour le développement) de la totalité de la discipline. Je n’aborde pas ici les conséquences de cette mutation qui, à mon humble avis, furent loin d’être entièrement positives.
Conflits de frontières et nouvelles alliances
Ce bref rappel montre à quel point le contexte de la sociologie comme discipline et comme pratique a changé entre cette période de la fin des Trente Glorieuses et la période actuelle. Mais il y a des constantes. La plus frappante est sans doute le divorce entre la vision extérieure que portent les interlocuteurs des sociologues et la vision intérieure qu’en ont ces derniers, divorce qui explique que le sociologue, plus que d’autres sans doute, se sent toujours mal compris ou incompris. Pour expliciter ce point, je ne saurais mieux faire que de reprendre les formulations à la fois simples et éclairantes de Philippe Descola dans le discours prononcé lors de la remise de la médaille d’or du Cnrs et mis en ligne sous le titre Apologie des sciences sociales8. En bref : l’attente extérieure est utilitaire, la vision interne est anti-utilitaire et critique. Ce malentendu est ancien, mais il devient sans doute plus aigu. Comme dit Descola :
À des sciences qui ont l’humain pour objet, il est normal que les humains demandent des comptes.
Il est normal qu’ils attendent d’elles des réponses à des questions sociétales ou pratiques immédiates, questions que de surcroît chacun peut formuler, ce qui n’est pas le cas pour la physique quantique ou la biologie moléculaire. Le problème est que, non seulement cette injonction utilitaire contrevient à la légitime définition de l’objet de la science par le scientifique, mais aussi qu’en général, aux questions posées de manière naïve par ses interlocuteurs, le sociologue est parfaitement incapable de répondre. À propos des sciences sociales en général, Descola cite Lévi-Strauss :
Le vrai moyen de leur permettre d’être, c’est de beaucoup leur donner, mais surtout de ne rien leur demander.
Et tout apprenti sociologue qui a lu, dans une de ses nombreuses rééditions, le Métier de sociologue9 est censé savoir à quel point il ne saurait y avoir de sociologie qu’à l’issue d’une guerre menée contre les prénotions et autres évidences communes.
Une telle position, évidemment justifiée, est très mal comprise, non seulement par le grand public, mais, je peux en témoigner, par les scientifiques « durs », qui aiment les questions simples et les réponses précises, du moins quand il s’agit d’autres disciplines que les leurs. Elle met la sociologie en position d’infériorité manifeste par rapport à l’économie ou à la gestion, qui prétendent savoir répondre aux questions qui leur sont posées. Que cette prétention soit loin d’être confirmée et même obstinément infirmée par le monde réel ne change pas vraiment les choses. La certitude impressionne, surtout lorsqu’elle est appuyée sur des modèles et des équations sophistiqués. Le sociologue incompris se réfugie alors dans son bastion : le point de vue critique. Il cultive le sentiment d’être le dernier résistant dans un univers intellectuel laminé par le conformisme économiciste et managérial dominant, dont les enseignements dispensés dans les grands départements d’économie des universités anglo-saxonnes ou, mieux encore, la novlangue enseignée dans les maîtrises en administration des affaires ou masters of business administration (Mba) constituent l’expression massive. Dans les formations des écoles de commerce et dans les écoles d’ingénieurs où humanités, économie, gestion et communication font souvent partie d’un tout indistinct, le sociologue garde sa place, en bout de table. Il a le droit de participer à la discussion, pour porter deux messages : 1) le « social », c’est plus compliqué que cela ; 2) n’oubliez pas les pauvres et les exclus.
Je caricature, bien sûr. Mais je veux dire que cette posture critique – que j’assume évidemment – a besoin d’être questionnée, travaillée positivement, et pas seulement affirmée en postulat, ou de manière réactive. Je ne m’étendrai pas ici sur la position de ceux pour qui la connivence avec les sphères militantes suffit à décerner le label de la pensée juste, voire de son monopole. Plus sérieusement, il faut interroger la confusion courante entre critique et dévoilement. L’asymétrie de principe entre l’analyste, qui éclaire les mobiles cachés qui font agir l’acteur, et ce dernier, qui se trouverait structurellement dans l’ignorance desdits mobiles, pose question. Elle plaît à une partie du public cultivé, ou semi-cultivé, toujours friand de voir l’envers du décor. Et elle n’est pas pour rien dans le succès médiatique des chercheurs qui font profession de révéler l’ordre caché des choses, dont Bourdieu fut le plus célèbre. Mais, comme le dit excellemment Latour : « Le problème avec la sociologie critique, c’est qu’elle ne peut jamais manquer d’avoir raison10 », en vertu même du théorème de la résistance comme signe de pertinence que j’évoquais en commençant, c’est-à-dire de l’impossibilité théorique et pratique de « falsifier » ses positions.
Heureusement, d’autres voies critiques existent. D’abord, je crois que le sociologue peut entrer en dialogue avec les acteurs pour construire dans ce dialogue des positions nouvelles, sans point de vue surplombant. Une forme d’utilité critique peut alors émerger, dans l’esprit de ce que l’on peut appeler une « recherche-action » ou une recherche clinique. Ensuite, sur un plan plus théorique, on peut définir l’attitude critique comme celle qui consiste non pas à imposer au monde une grille a priori, exportée du laboratoire vers le monde naïf ou aliéné des acteurs, mais à réinterroger sans relâche les manières dont nos catégories filtrent le réel. Sans prophétisme académique ni téléologie réformatrice, pour reprendre les termes de Descola, il s’agit, je le cite encore :
[de] trier la diversité du monde en élaborant un langage de description et d’analyse qui permette de rendre compte des formes très diverses, mais non infinies, d’assembler les existants, les qualités, les processus et les relations, en évitant de recourir pour ce faire aux outils au moyen desquels ces opérations ont été conceptualisées dans notre propre tradition culturelle.
Si le dernier membre de phrase renvoie évidemment plus explicitement au programme de l’anthropologie, la perspective me paraît valoir pour l’ensemble des sciences sociales. Les mots clés ne seraient plus dévoilement, mais éloignement du regard, étonnement, fraîcheur. La désagréable ambiance d’aigreur et de ressentiment qui imprègne une partie des sciences sociales actuelles pourrait laisser place, non pas certes à un acquiescement béat face au moderne, mais à la joie de connaître, si sensible dans d’autres disciplines – cette joie de regarder le monde autrement, fût-elle mêlée de colère et d’angoisse face à l’état peu brillant des sociétés humaines.
Ce travail de décentrement, de recréation de l’étonnement, ouvrant des imaginaires bloqués vers la multitude des nouveaux possibles, est certainement ce que la sociologie pourrait aujourd’hui offrir de plus « utile », en s’appuyant évidemment sur la diversité géo-historique des mondes, mais aussi sur un travail théorique de dé-naturalisation des concepts qui nous englobent et nous étouffent. Cela est d’autant plus important que les disciplines dominantes – aujourd’hui l’économie, demain peut-être de nouvelles mixtures entre l’économie, la biologie et l’informatique – sont précisément marquées par l’acceptation massive d’un état aplati et homogénéisé du monde, qui rend très difficile l’exercice de penser « en dehors de la boîte ». Chacun pense avec son temps, et même les plus grands esprits du passé n’y ont pas échappé. Mais quel est l’enjeu des sciences sociales, si ce n’est d’ouvrir des « brèches dans la clôture moyennant laquelle, en règle générale, une société existe », pour reprendre la formulation de Castoriadis ? Cela suppose bien sûr de penser large, de retrouver le souffle de la grande critique d’un Mauss, d’un Weber ou d’un Polanyi, souffle qui n’est pas, on en conviendra, ce qui frappe en premier lorsqu’on parcourt le ressassement de micro-analyses – avec bibliographies implacables et étouffantes, dopées par l’internet –, à quoi se réduit la grande majorité des thèses et des articles publiés.
J’ajoute quelques mots sur la place singulière, qui tend progressivement à devenir hégémonique, de l’économie dans le concert des sciences sociales. Dans son livre les Trois Cultures, Wolf Lepenies11 a superbement raconté comment la sociologie émerge en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne, au tournant du xixe et du xxe siècle, en se dissociant de la littérature et des sciences de la nature. Aujourd’hui, le voisinage crucial est celui de l’économie. L’avantage concurrentiel de cette dernière, on l’a dit, est dans la stabilité de son vocabulaire, de ses concepts et de sa formalisation. Les enseignants de sociologie enseignent la pensée des grands sociologues, les controverses, la lutte des paradigmes, l’histoire de la discipline. Le professeur d’économie enseigne l’économie. Comme le langage courant cultivé, la sociologie absorbe d’ailleurs progressivement le vocabulaire économique, qui fournit tout un ensemble de petits modèles explicatifs : passager clandestin, dilemme du prisonnier, dépendance du chemin, prophétie auto-réalisatrice, etc. Ces modules de pensée, que Jon Elster qualifiait comme « les boulons et les écrous » de l’analyse des mécaniques sociales12, sont très utiles, parce qu’ils enrichissent les argumentaires en permettant des raccourcis logiques. On notera d’ailleurs, au passage, que ces mini-modèles sont souvent apparus sous la plume de non-économistes ou d’économistes très hétérodoxes. Le passager clandestin est une créature de Mancur Olson, le dilemme du prisonnier vient de la théorie des jeux, la prophétie autoréalisatrice est un concept de Robert King Merton, lequel a également introduit dès 1945 le concept de sérendipité, très à la mode aujourd’hui. Il reste que seule l’économie a su réintégrer ces notions dans son corpus de manière systématique, au point que tous les économistes (et sans doute beaucoup de sociologues…) pensent qu’ils ont été inventés par leur corporation.
L’humilité relative des sociologues vis-à-vis de cette capacité de digestion paradigmatique de leurs confrères est donc compréhensible. Mais j’avoue rester surpris par la timidité avec laquelle ils considèrent les montages mathématisés de leurs collègues – sauf à les rejeter radicalement et par principe. Pour trouver les critiques les plus féroces et les plus argumentées, il faut aller voir chez certains économistes eux-mêmes, et chez les praticiens de l’économie ou de la finance. Le sujet n’est pas anodin, compte tenu du rôle que cette mathématisation joue dans le prestige de la discipline. Pour assister à une mise en pièce radicale, lisez par exemple les livres à succès (et que certains disqualifieront bien sûr pour cette raison même) de Nassim Nicholas Taleb13. L’idée majeure de cet ex-trader, mathématicien lui-même, est simple : le monde social est simplement trop compliqué et trop aléatoire, au sens fort du terme, pour être mis en équations. Ayant toujours adhéré sans réserve à cette intuition, je ne cesse de m’étonner qu’elle soit si peu partagée. Bien sûr, cela ne signifie pas que l’économétrie, le traitement des données quantitatives ou des méthodes statistiques d’évaluation des politiques publiques, analogues à celles de l’épidémiologie14, soient dénués d’intérêt. Bien au contraire. Mais il y a un monde entre l’économie des chiffres arabes (données réelles) et l’économie des lettres grecques (modèles abstraits, plus ou moins normatifs). Pour Taleb (mais il exagère…), la majeure partie des modèles qui font et défont les réputations des économistes n’apporte rien, ou pas grand-chose. Il souligne aussi, et il est loin d’être le seul à le faire15, que même dans un domaine aussi mathématisable et mathématisé que la finance, les modèles canoniques ne sont pas pertinents, puisqu’ils sont fondés sur des hypothèses « gaussiennes » (la courbe en cloche) et négligent les événements extrêmes, non gaussiens, imprévisibles et pourtant déterminants.
Fort heureusement, nombreux sont les économistes qui échappent à ce mélange répandu de virtuosité technique et d’absence de réflexion qui, en économie comme ailleurs (peut-être un peu plus), fabrique en masse des « idiots savants ». De nouvelles alliances sont donc à chercher avec les économistes qui se montrent ouverts aux apports des autres disciplines, restent lucides sur la fragilité des fondations de leurs corpus, découvrent ou redécouvrent les complexités des notions élémentaires comme celle de « marché », le rôle crucial des institutions, publiques ou non, et renoncent aux attitudes arrogantes.
Avec la biologie, les neurosciences, l’informatique, les théories des réseaux, etc., les choses sont à ce jour beaucoup moins cristallisées, mais à terme, plus stratégiques. L’hégémonie de l’économie finira sans doute par s’atténuer, en raison des faiblesses structurelles qui sont le revers de ses succès actuels. Mais comment se recomposera le paysage des sciences humaines et sociales avec les nouvelles approches émergentes, liées aux révolutions numérique et neurobiologique ? Je pense que nous devrions accueillir avec bienveillance les apports parfois exotiques de ces nouveaux voisins, si différents de la plupart d’entre nous par leurs goûts et leurs manières. Avant de sortir du fourreau les grands anathèmes défensifs (le réductionnisme, le positivisme primaire, etc.), nous devrions sortir des tranchées, écouter, lire, débattre.
Un monde ouvert et opaque
Cela m’amène à ma troisième et dernière partie, relative aux méthodes, aux outils et aux objets de la connaissance réflexive de la société. Le constat troublant est que le monde semble devenir de jour en jour plus spectaculairement transparent et plus radicalement opaque. Opaque, parce que la complexité des interactions croît au point de rendre toute vision d’ensemble inaccessible, même pour qui pourrait prétendre à une vision panoptique des situations locales, puisque le local est désormais partout en relation immédiate avec le global ; opaque aussi, tout simplement, parce qu’une grande partie des lieux stratégiques où se joue le devenir de nos sociétés (ceux de la technologie notamment) devient strictement inaccessible à l’observation. Transparent néanmoins, parce que le déluge de données géographiquement et temporellement indexées ouvre, ou du moins semble ouvrir, des fenêtres sur les comportements et les interactions sociales qui ringardisent par leur ampleur et leur diversité les survols statistiques anciens. Le paradoxe est donc le suivant : la sociologie s’est construite à une époque où l’on pouvait dessiner une vue imprécise, moyenne mais relativement fiable et complète, de la société, une vue où tous les compartiments étaient éclairés, même médiocrement ; aujourd’hui, on voit émerger la possibilité d’une vision allant jusqu’au moindre détail, alors que le tableau d’ensemble devient de plus en plus illisible.
Allons un peu plus loin, d’abord, sur ce sujet de la « transparence ». D’une certaine façon, ce qu’on appelle le big data, c’est-à-dire l’explosion vertigineuse des données créées et distribuées sur l’internet – données brutes et très hétérogènes qui ne relèvent pas des modes traditionnels de gestion des données informatiques, comme les bases de données relationnelles –, paraît en mesure de réaliser le rêve d’une sociologie réflexive littéralement panoptique, d’une sorte de « sociologie du drone » qui permettrait à la société de s’auto-observer dans ses moindres mouvements. Le passage d’une sociologie du « social » abstrait à une sociologie des associations, d’une sociologie des groupes à une sociologie des groupements (pour reprendre des termes de Bruno Latour) semble à portée de main. On peut même traquer les non-humains, avec la montée de l’internet des objets. Je dis cela sans ironie, car je crois qu’il y a là, en effet, une source d’enrichissement potentiel considérable des méthodes et des objets mêmes de la discipline. En tout cas, c’est un sujet majeur pour elle, et il serait désastreux qu’elle campe à cet égard sur des positions coincées et dédaigneuses, par simple effet de peur. Des tribus voisines, comme celle des géographes, ont d’ailleurs commencé à comprendre l’immense potentiel de renouvellement dont ces nouvelles masses de données, très souvent géolocalisées, sont porteuses.
Faut-il pour autant adhérer à l’enthousiasme de certains, comme Christakis cité en commençant ? L’excitation futuriste, en réalité, ne devrait pas occulter quelques questions de fond.
1) Une idée à la mode avancée par certains (plutôt des journalistes scientifiques que des scientifiques proprement dits) est que la mise en évidence de « corrélations », la découverte de patterns révélée par l’analyse des très grands volumes de données, pourrait remplacer la théorie, et renouveler le vieux cycle théorie/vérification expérimentale16. Cette idée ne résiste ni à l’analyse ni à l’expérience – même si, bien sûr, la mise en évidence de tels patterns peut guider la conceptualisation. Elle ne tient pas en génomique, ni en météorologie, et l’on ne voit pas pourquoi elle tiendrait dans les sciences sociales. Sans concepts et sans intuitions, pas de science, pas de connaissance. Dans ce nouvel univers de données surabondantes, la fonction critique, au sens esquissé plus haut, reste donc plus que jamais nécessaire.
2) Une caractéristique majeure du big data est qu’il concerne à la fois la science et le business (marketing, finance), et qu’il se trouve aujourd’hui au cœur de la création de valeur économique dans le monde numérique. Les modèles économiques dominants sont en effet fondés sur la puissance ravageuse des externalités de réseau, la concentration et l’exploitation d’une masse gigantesque de données sur nos comportements, que nous fournissons gratuitement au commerce et à la finance, et qui permettent une accumulation sans précédent de richesse pour ceux qui contrôlent les réseaux et les serveurs les plus puissants.
Il est d’ailleurs fascinant de noter à quel point ces modèles sont peu interrogés, en dehors des questions relatives à la vie privée, questions importantes mais qui n’épuisent absolument pas le débat. Tout se passe comme si la trajectoire, en réalité très particulière, du monde digital, accaparé par les Google, Microsoft, Apple, Facebook, Amazon et autres Walmart, trajectoire très différente des modèles communautaires qu’avaient rêvés les utopistes de l’informatique, était en quelque sorte naturalisée, considérée comme la seule possible. Comme le montre Jaron Lanier, qui fut l’un des principaux créateurs des concepts de la réalité virtuelle, et qui est aujourd’hui l’un des critiques les plus affûtés de l’état du monde digital17, ces modèles économiques, souvent fondés sur le couple gratuité/publicité, sont profondément asymétriques, en ce sens qu’ils laissent très peu d’espace pour les joueurs petits et moyens, et sapent les bases économiques des classes moyennes. Lanier souligne aussi la différence radicale entre le big data pour la science et le big data commercial ou financier. Le premier est public et se soucie du vrai. Le second tend à être totalement privatisé et, paradoxalement, ne se soucie que partiellement de la pertinence et de la véracité de ses modèles18. Ces quelques indications, trop sommaires, suffisent à montrer, je l’espère, que cette question du nouveau monde numérique n’est pas seulement, pour une sociologie qui voudrait aller au cœur des enjeux de l’époque, un sujet d’interpellation technique et méthodologique mais un défi conceptuel de première grandeur.
J’en viens pour finir à la complexité et à l’opacité qui accompagnent paradoxalement ce déluge des données. Il faut d’abord rappeler que, comme on vient de le dire, une part très importante des données qui pourraient le plus directement intéresser le sociologue sont privatisées, et ce pour des raisons stratégiques qui ne seront pas levées facilement. De plus, ces données « commerciales » ou paracommerciales n’éclairent pas de manière homogène l’ensemble de la société. Tout le monde n’a pas de Smartphone et tout le monde n’est pas client d’Amazon. Enfin et surtout, l’extension d’échelle des interactions jointe à l’individualisation croissante des pratiques compliquent sérieusement – pour ne pas dire : rendent impossible – le dessin de tableaux d’ensemble. Acceptons donc la fin des grands récits, des fresques surplombantes. Mais le suivi irrémédiablement « local » des associations, des groupements, des coopérations, des conflits en train de se faire et de se défaire peut-il suffire à définir l’horizon d’une discipline dont l’ambition reste, me semble-t-il, de rendre notre société un peu moins illisible ?
De plus, le monde digital brouille en permanence les frontières. Les organisations productives, par exemple, qui étaient le prototype de l’espace clairement délimité et normé, deviennent des constellations floues. En raison du tissage et retissage permanents des réseaux de sous-traitance, jusqu’au « nuage » et à la « foule » (cloud et crowdsourcing), il devient extrêmement difficile de répondre à des question simples comme : où commence et où s’arrête telle entreprise, tel secteur (l’automobile par exemple) ? Combien y a-t-il de salariés ? Quel est leur niveau de qualification ?
Enfin, je note qu’en dépit du déluge incessant d’images, certains lieux pourtant stratégiques de la société deviennent totalement invisibles. C’est le cas des grands systèmes ou des infrastructures hautement technologiques sans lesquels notre monde s’arrêterait instantanément de fonctionner. Les usines sont devenues invisibles, par exemple, comme les centres logistiques, les salles de contrôle en tout genre, les mégafermes de serveurs, les salles de marché, les grands laboratoires. Nous vivons ainsi dans l’illusion d’une société « tertiaire », qui est celle de la majorité des emplois, qui représente la couche visible et accessible de notre monde, mais qui ne le résume en rien. En sociologie du travail, les travaux abondent sur les policiers, les infirmières, les enseignants, les guichetiers, les travailleurs sociaux, les artistes. Mais personne, ou presque personne, ne va voir dans les cavernes des back-office techniques (avec de belles exceptions, comme par exemple les travaux de Godechot sur les traders19). On ne va pas voir parce que c’est difficile d’accès, parce que le ticket d’entrée est élevé, en termes pratiques mais aussi cognitifs. Or il faut aller voir, surtout là où c’est difficile.
Ce qui vaut pour les lieux hautement technologiques est vrai aussi, du reste, pour l’autre extrémité du spectre social, c’est-à-dire les lieux tiers, les individus et les groupes exclus ou marginaux par rapport à la société « ordinaire », celle du Smartphone pour tous et des journées passées devant les écrans. L’idée selon laquelle les masses considérables de données que nous livrons via nos téléphones, nos ordinateurs et demain nos voitures ou nos réfrigérateurs pourraient apporter une connaissance quasi complète de la société est donc absolument naïve, même si cette création de données est au cœur de bouleversements économiques et sociaux majeurs.
Pas plus que les bonnes vieilles statistiques de type Insee, les nouvelles données digitales ne pourront remplacer pour le chercheur l’épreuve du « plein air », la vue directe, la puissance heuristique de la mise en dialogue des observations recueillies, dans les cercles savants ou profanes. L’internet, c’est l’extension magique des données accessibles depuis son fauteuil. Mais le grand risque est de démocratiser ainsi pour les apprentis chercheurs du monde entier le formidable privilège que les bibliothèques des universités américaines ont longtemps offert à nos collègues d’outre-Atlantique. Je dis bien « risque » : en l’occurrence, celui d’une science sociale conçue comme un immense chantier borgésien de recyclage de livres et d’articles écrits par les confrères, alimenté de manière secondaire par les échos assourdis du monde réel parvenant à filtrer vers les campus.
Les lieux stratégiques ne viendront pas à nous, si nous n’avons pas la curiosité et la ténacité de nous battre pour forcer leur entrée. Les organisations un tant soit peu complexes, qu’elles soient publiques, privées ou communautaires, ne livrent pas grand-chose – c’est une conviction que je tire de ma petite expérience – à ceux qui n’acceptent pas d’y être immergés, d’une manière ou d’une autre. Sans cette épreuve du réel, les sciences sociales peuvent constituer un univers professionnel parallèle, animé de conversations brillantes, mais coupées du monde. Pour éviter ce piège, il faut du temps, beaucoup de temps, de la patience, et de la liberté. Je reboucle ici avec le sujet effleuré plus haut, celui des nouvelles normes académiques. La tyrannie des publications, les incitations à la spécialisation, l’obligation absurde de publier des livres trop tôt et trop vite : tout cela ne fait pas pencher la balance du bon côté. Certains trouveront leur chemin hors de ces contraintes. Ce ne seront pas les plus pressés, ni les plus encensés. Mais le monde dans lequel nous entrons est trop riche de potentialités et de dangers, trop excitant et inquiétant, pour que des esprits libres ne se contentent pas de l’excitation de la distance critique, voire radicale, au sein du cocon académique, mais tentent l’aventure à risque de la proximité critique. En plein air.
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Sociologue et économiste, il dirige l’établissement public de Paris-Saclay. Il est notamment l’auteur du Nouveau Monde industriel, Paris, Gallimard, 2008 (rééd. 2014). Ce texte reprend, pour l’essentiel, une contribution présentée lors d’un colloque qui s’est tenu les 4, 5 et 6 juin 2013 à Sciences Po, sous le titre : « Transmissions. Une communauté en héritage. 40 ans de sociologie française », sous l’égide de l’Ifris. Ce colloque avait pour objet de créer un dialogue entre chercheurs seniors et juniors, d’où la dimension de témoignage gardée dans cette reprise.
- 1.
Voir par exemple l’interview de Christakis sur www.edge.org/conversation/a-21st-century-to-social-science
- 2.
Ce n’était pas toujours le cas des pères fondateurs. Pour Mauss, par exemple, le « physiologique » était une dimension fondamentale de la vie sociale, comme Lévi-Strauss le souligne dans son introduction au recueil Sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 1950.
- 3.
Voir C. Wright Mills, l’Imagination sociologique [1961], Paris, La Découverte, 2006.
- 4.
Qu’il me suffise de citer, dans des promotions polytechniciennes allant de 1959 à 1971 : Aglietta, Le Bras, Boyer, Lipietz, Desrosières, Walliser, Thévenot, Salais, Préteceille, Volkoff, Gollac, et j’en oublie…
- 5.
Programmation neuro-linguistique. Je me souviens de mon embarras lors d’un déjeuner avec le patron des relations humaines de Psa, apprenant que, bien qu’ingénieur, j’étais aussi sociologue, et qui se mit à m’entretenir avec enthousiasme et animation, pour me faire plaisir, des formidables apports de la Pnl à son entreprise. Rentré chez moi, je me précipitai sur un dictionnaire (il n’y avait pas d’internet…).
- 6.
Michel Amiot, Contre l’État, les sociologues. Éléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France, 1900-1980, Paris, Éditions de l’Ehess, 1984.
- 7.
Centre de sociologie urbaine (Csu), Centre de sociologie des organisations (Cso), Centre de sociologie de l’innovation (Csi), Laboratoire techniques territoires et sociétés (Latts), etc.
- 8.
Philippe Descola, « Apologie des sciences sociales », laviedesidees.fr (http://www.laviedesidees.fr/Apologie-des-sciences-sociales.html).
- 9.
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, le Métier de sociologue, Paris, Mouton, 1968 (rééd. 2005).
- 10.
Bruno Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2007.
- 11.
Wolf Lepenies, les Trois Cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, Paris, Éditions de l’Ehess, 1991.
- 12.
Jon Elster, Nuts and Bolts for the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 et Explaining Social Behavior: More Nuts and Bolts for the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
- 13.
Voir notamment Nassim Nicholas Taleb, The Black Swan, New York, Random House, 2007.
- 14.
Comme celles que développe Esther Duflo, du Mit. Voir Esther Duflo, Lutter contre la pauvreté, Paris, Le Seuil, coll. « La République des idées », 2010 (2 vol.).
- 15.
Taleb se réfère en particulier à Benoît Mandelbrot, le père des fractales, qui a depuis longtemps mis en garde contre l’inconsistance, à ses yeux, des modèles probabilistes à la base de la finance moderne.
- 16.
Voir par exemple Chris Anderson, “The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete”, Wired, 23 juin 2008.
- 17.
Son dernier ouvrage est à mon sens une contribution essentielle : Jaron Lanier, Who Owns the Future?, New York, Simon & Schuster, 2013.
- 18.
Voir J. Lanier : www.edge.org/conversation/big-data-commerce-vs-big-data-science
- 19.
Olivier Godechot, les Traders, Paris, La Découverte, 2005 et Working Rich, Paris, La Découverte, 2007.