Orhan Pamuk, un jour d'automne à Istanbul
C’était il y a très longtemps, une époque où la Turquie rejetait derrière elle, patiemment, lentement, la dictature des généraux putschistes de 1980, une époque où la liberté d’expression retrouvait droit de cité, où la société réapprenait à vivre, à imaginer un futur qui ne soit pas seulement fait d’emprisonnements, de tortures et de terreur. C’était à la fin des années 1980. C’était un temps de bonheurs partagés, d’espérances à fleur de peau. À l’est de l’Europe allait tomber le mur qui amputait le continent depuis des décennies.
C’était il y a trente ans, une éternité. Aujourd’hui, la Turquie a plongé dans une tyrannie sans nom. Elle est devenue une immense prison, un pays sans avenir sinon dans la perte de tout imaginaire, de tout repère. L’État du président Erdogan traque la pensée libre, pousse les dissidents au suicide1, dénonce les artistes coupables de créer et les écrivains coupables d’écrire. Il ne reste plus qu’à s’armer de souvenirs pour reconstruire le temps d’après, qui viendra. La mémoire de la vérité des vies ne s’efface jamais. Il suffit d’un film, d’un livre.