André Bazin
(1918-1958)
André Bazin est né en 1918. Il a commencé pendant l’Occupation à écrire sur le cinéma. Son activité de théoricien dans des revues comme Esprit ou les Cahiers du Cinéma allait de pair avec une activité éducatrice : animation de ciné-clubs ; publication d’articles dans des journaux populaires (Le Parisien Libéré) et dans Radio-Cinéma-Télévision (devenu Télérama) ; direction de la section cinématographique de l’organisation de gauche Travail et Culture. A l’origine de la « politique des auteurs », il a été le père spirituel des critiques et des cinéastes de la « Nouvelle Vague ». Il n’a pas connu la gloire de ceux-ci, car il est mort en 1958, après dix ans de maladie. François Truffaut a fait l’éloge de cet « homme extraordinaire, plein de bonté et d’une intelligence joyeuse ».
André Bazin est sans doute celui qui a su imposer aux critiques de films le devoir de ne pas se contenter de raconter le scénario ou de donner des avis impressionnistes sur les significations supposées du film. Dans son propre travail, il a pratiqué une analyse fine des séquences, longuement vues et revues. Il les étudie d’abord dans leur forme esthétique spécifique. Bazin s’appuyait pour cela sur sa connaissance de l’art classique, l’architecture romane en particulier. Ensuite, il met ses analyses techniques en relation avec leurs significations dans l’économie du film. Nombreuses sont ses analyses du style cinématographique qui sont restées célèbres : sur le panoramique dans Le crime de Monsieur Lange de Jean Renoir, figure rendue nécessaire à la fois par l’esthétique pure (le décor de la cour est complètement construit) et la signification sociale (la communauté unanimiste) ; sur l’ellipse, à propos d’Espoir d’André Malraux, comme discontinuité à la fois temporelle et spatiale qui empêche le spectateur de donner un sens trop simple à ce qu’il voit ; sur le plan séquence et la profondeur de champ dans Citizen Kane d’Orson Welles : puisque l’on voit tout avec une égale netteté, « ce n’est plus le découpage qui choisit pour nous la chose à voir, lui conférant par là une signification a priori, c’est l’esprit du spectateur qui se trouve contraint à discerner » ; sur la question « théâtre et cinéma » et le paradoxe du « cas Pagnol » ; sur (c’est-à-dire contre) « le mythe de Staline dans le cinéma soviétique », en pleine guerre froide. Ses critiques, remarquablement écrites, savent « faire voir un détail dans cette pleine clarté que capte seul l’œil de l’écrit » (Michel Mesnil).
Derrière ses analyses de films, une philosophie s’exprime. André Bazin voit dans le cinéma un art de la réalité. Il critique volontiers les effets spéciaux utilisés pour évoquer l’imaginaire ; il les juge de « valeur esthétique douteuse ». Le cinéma doit refléter le monde tel qu’il est : « Exprimer la société, c’est d’abord la représenter avec un souci d’exactitude matérielle et d’authenticité morale ». L’artiste doit « filtrer » le réel avec son art et sa conscience, il ne doit pas le manipuler : « il est des domaines où l’imagination est nécessairement inférieure à la perception ». C’est sans doute à propos du néo-réalisme italien, et de l’œuvre si singulière de Roberto Rossellini, que sa pensée la plus profonde s’est exprimée. Le cinéaste « ne laisse pas passer tout le réel, (…) son choix n’est ni logique, ni psychologique : il est ontologique en ce sens que l’image de la réalité qu’on nous restitue demeure globale » ; la Naples de Voyage en Italie est « un paysage mental à la fois objectif comme une pure photographie et subjectif comme une pure conscience ».
Jean-Louis Lambert
Bibliographie
Le cinéma français de la Libération à la nouvelle vague, 1945-1958, Paris, Cahiers du Cinéma, 1984
Dudley Andrew, André Bazin, préface de François Truffaut, annexe de Jean-Charles Tacchella, Cahiers du Cinéma-Cinémathèque française, 1983
Le cinéma de la cruauté, Paris, Flammarion, 1975
Orson Wells, Editions du Cerf, 1972, Ramsay Poche cinéma, 1985
Qu'est-ce que le cinéma? Paris, Editions du Cerf, 1971
Jean Renoir, Paris, Editions Champ Libre, 1989