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Notes de lecture

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Apocalypse du politique de Vincent Delecroix

Ce livre de Vincent Delecroix présente une grande originalité quant à la question, devenue récurrente ces dernières années, du théologico-­politique chrétien. Les quatre parties de l’ouvrage : «  Le théologico-politique  », «  Passé  », «  Présent  » et «  Avenir  », indiquent clairement la thèse défendue.

Le théologico-politique chrétien se présente selon deux types ­d’expression : une théologie politique fondationnelle, celle qui appartient à l’histoire passée de la chrétienté, et une théologie politique messianique, que Vincent Delecroix qualifie de « hantise du Royaume ». Cette dernière appartient à l’avenir. La première s’est inscrite dans une logique de puissance dont le corollaire est la souveraineté, celle de l’Église ou celle des États. Au xxe siècle, cette théologie politique a un représentant topique avec la pensée de Carl Schmitt. Dans le même contexte, la deuxième trouve son terrain d’élection du côté d’Ernst Bloch et, plus récemment, de Giorgio Agamben. Le premier type dispose de ses conditions de possibilité avec ­ « l’invention de la religion et de la théologie » et, précise l’auteur, de l’onto-­théologie. Il en résulte une théologie de la puissance. Accéder à une théologie politique messianique suppose et implique au contraire de renoncer à la souveraineté.

Ce faisant, un travail de double déconstruction est à effectuer pour retrouver la hantise messianique du Royaume : l’inévitable déconstruction du discours onto-théologique et la déconstruction de la religion. Il importe cependant de ne pas réduire la thèse de Vincent Delecroix à une opposition binaire entre les deux types, celui de la théologie politique et celui du messianisme. C’est particulièrement net lorsque l’auteur met en évidence, avec raison, l’ambivalence inhérente au discours théologico-­politique. Peut-on en effet s’en tenir à une opposition entre deux types de théologies politiques ? Celle messianique aurait-elle été complètement recouverte par celle de la puissance ? S’il en était ainsi, comment expliquer les multiples contestations des pouvoirs dits «  spirituel  » et «  temporel  » ? Les Réformes protestantes sont typiques de l’oscillation entre tropisme eschatologique et besoin d’ordre et donc de fondement. Elles montrent combien « la théologie forte » peut changer de statut.

À la lumière de cette ambivalence, on peut se demander si le vocable «  théologie  » est encore opératoire pour penser une «  théologie  » politique messianique. Mais peut-on s’en dispenser tant le «  christianisme  » s’est élaboré par une dogmatique qui lui a permis de se distinguer du judaïsme ? Dans la perspective qui lui est propre, qui n’est pas celle de l’historien des doctrines théologiques mais du philo­sophe, Vincent Delecroix semble le suggérer lorsqu’il affirme qu’« à l’autre extrémité du spectre émerge alors la figure théologico-­politique de l’impouvoir, exerçant sur le politique une “force” de suspension ou une désactivation des puissances du politique ».

Tout en adhérant à l’essentiel de cette analyse, il me semble que, sans sa dogmatique (Trinité, Incarnation), qui ne saurait se confondre avec une onto-théologie et une hétéronomie, le christianisme ne serait qu’une protestation éthique. L’hétéro­généité de la parole (ou de la Parole) est indéniablement plus féconde que l’hétéronomie, mais quelle en est le fondement ? Nous voici revenus à la question : l’Écriture en christianisme ne peut se dissocier d’un «  discours  » théologique, qui est lui-même lié à une communauté croyante. Certes, celle-ci ne se confond pas forcément avec une «  hiérarchie  », mais peut-elle éviter un rapport à l’autorité ? Ces quelques interrogations m’amènent pour conclure à une dernière observation. Si c’est de cette parole hétérogène que les démocraties contemporaines ont besoin, un civisme de la foi messianique, qui n’est pas une théologie forte (ou un discours sur le fondement), ne s’impose-t-il pas ? Par l’écart que ce civisme introduit entre les fins du politique et les fins du religieux, il pourrait bien être une ressource pour l’apocalypse du politique, autrement dit sa révélation à lui-même.

 

Desclée de Brouwer, 2016
368 p. 19 €

Bernard Bourdin

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