
Nous qui ne cultivons pas le préjugé de race. Histoire(s) d’un siècle de doute sur le racisme en France de Dominique Chathuant
Le 22 avril 1919, à Nantes, Saint-Éloi Théophile Étilce, jeune Guadeloupéen, est abattu par un membre de la police militaire états-unienne. Ouest Éclair rapporte ce fait en concluant : « Nous, qui ne cultivons pas le préjugé des races, croyons rester d’accord avec notre tradition en saluant cette victime d’une méprise lamentable. » Cette histoire, avec ses suites médiatiques et politiques, introduit l’essai que l’historien Dominique Chathuant consacre au racisme dans la société française.
La thèse défendue est que le racisme, appelé avant les années 1930 « préjugé de couleur », fut d’abord dénoncé comme étranger (états-unien, allemand, voire italien). D. Chathuant propose une chronologie de la prise de conscience d’un racisme français, du doute au déni pour, difficilement, parvenir à une reconnaissance officielle. Jusqu’au début des années 1970, alors même que les organisations antiracistes (la Ligue internationale contre l’antisémitisme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) dénoncent des faits racistes et antisémites, les autorités françaises persistent dans le déni.
D. Chathuant associe l’antisémitisme, qui connaît durant l’entre-deux-guerres une acmé, et le racisme dont sont victimes des « Français de couleur ». Pour l’auteur, le racisme se recompose progressivement après 1945 : l’antisémitisme cède la place à l’« arabophobie », tandis que la « négrophobie » perdure et s’accentue. La presse relaie ce doute quant au racisme français, tout en usant de stéréotypes racistes.
Le « doute » puis le « déni » sont évidents chez certains hommes politiques des IIIe, IVe et Ve Républiques. Mais l’auteur souligne que ce doute n’empêche pas l’antisémitisme de s’exprimer crûment dans les tribunes politiques, même après 1945 (voir la campagne électorale antisémite du sénateur-maire Auberger en 1959) et rappelle que le déni fait l’impasse sur l’empire colonial. Il est regrettable qu’il n’interroge pas la prégnance du racisme dans la population française1. On aurait souhaité qu’il mentionne la disqualification, en 1922, du boxeur Battling Siki (Amadou Mbarick Fall) à la suite de sa victoire sur Georges Carpentier, et la mobilisation en faveur du Sénégalais par le député Blaise Diagne et le militant Lamine Senghor. On aurait également souhaité qu’il évoque les mesures prises, durant la Grande Guerre, par les autorités militaires et civiles pour limiter les contacts entre ouvriers et soldats coloniaux et la population française, en particulier les femmes. Ces deux exemples indiquent en effet que, dès cette époque, la mise en doute d’un racisme français relève du déni…
À l’autre bout de la chronologie, D. Chathuant illustre les limites de la loi de 1972, qui n’empêche pas la « flambée raciste de 1973 » et les « arabicides » de cette époque. Mais il omet l’affaire du « village de Bamboula » à Port-Saint-Père en 1994-1995, alors que la loi de 1972 ne fut là non plus d’aucun recours. Il est enfin dommage que l’auteur n’aborde pas les controverses du xxie siècle autour de la question de la race et du racisme dans la société et l’État français.
- 1. Voir notamment Pierre Laborie, Les Français des années troubles : de la guerre d’Espagne à la Libération, Paris, Desclée de Brouwer, 2001.