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Notes de lecture

Dans le même numéro

Éloge de l’oubli. La mémoire collective et ses pièges, de David Rieff

mai 2018

#Divers

David Rieff est journaliste – il a notamment couvert les conflits dans les Balkans dans les années 1990 – et essayiste – voir l’Humanitaire en crise (Le serpent à plumes, 2003). Son dernier essai est celui d’un esprit libre : dans une époque marquée par le poids de la remémoration, l’auteur juge en effet qu’« il faut oublier pour que la vie puisse continuer ». À l’encontre des travaux d’Avishaï Margalit, de Tzvetan Todorov et de Paul Ricœur, il affirme que « ce sont les contradictions intrinsèques à toute définition de la mémoire collective, et non ses abus, qui expliquent pourquoi les hommes se laissent induire en erreur par des falsifications historiques ». Pour lui, la remémoration est d’abord un impératif moral : notre conception d’une commune humanité, au-delà de la diversité des peuples et de leurs conflits, est fondée sur la mémoire des « crimes contre l’humanité ». Or une telle perspective morale passe sous silence la réalité fondamentalement politique de la mémoire et de l’oubli. Les luttes de mémoire après la guerre civile américaine ou les mythes associés à l’Irlande permettent de présenter la mémoire collective comme une reconstruction du passé qui relève plus de l’identification politique que du travail historique. Ainsi, la mémoire historique collective « a bien souvent conduit à la guerre plutôt qu’à la paix, à la rancœur et au ressentiment plutôt qu’à la réconciliation, et à la volonté déterminée de se venger plutôt que de s’engager dans le difficile travail du pardon ». Il faut donc oublier pour assurer le silence des armes. Si la vérité historique importe lorsque les protagonistes sont encore vivants, au-delà la paix vaut mieux que la justice. S’agit-il de laisser oublier, au sens où Tony Judt parle, en voyant des jeunes jouer à cache-cache dans le mémorial de la Shoah à Berlin, de « laisser les monuments se souvenir à notre place » ou bien s’agit-il d’interdire activement, comme l’auteur semble le suggérer au sujet des drapeaux confédérés dans les États du Sud ?

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Joly Premier parallèle, 2018
232 p. 18 €

Jonathan Chalier

Rédacteur en chef adjoint de la revue Esprit, chargé de cours de philosophie à l'École polytechnique.

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Les engagements de Chris Marker

À l’occasion de la rétrospective consacrée à Chris Marker par la Cinémathèque française, le dossier de la revue Esprit revient sur les engagements de celui qui en fut un collaborateur régulier. Propres à une génération forgée par la guerre, ces engagements sont marqués par l’irrévérence esthétique, la lucidité politique et la responsabilité morale. À lire aussi dans ce numéro : Jean-Louis Chrétien sur la fragilité, les défis du numérique à l’école et les lectures de Marx en 1968.

 

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