
Messagers du désastre. Raphaël Lemkin, Jan Karski et les génocides, d'Annette Becker
Professeure d’histoire à Nanterre, spécialiste des violences de guerre, Annette Becker se demande pourquoi certains ont vu et pourquoi ils n’ont pas été crus. Pour l’auteure, Lemkin et Karski se heurtent tout d’abord à la difficulté d’expliquer et au refus de comprendre le fait que les nazis voulaient exterminer tous les Juifs (et non asservir les peuples conquis). C’est en effet le caractère inouï de la persécution qui explique l’incrédulité. Ensuite, les fausses nouvelles de la Grande Guerre font passer le message du désastre pour de la propagande de guerre. Le travail juridique de Lemkin en faveur de la reconnaissance du génocide est intimement lié au massacre des Arméniens, mais prétend armer le droit international en universalisant la notion : « Un million d’Arméniens sont morts, mais une loi contre le meurtre des peuples a été écrite avec l’encre de leur sang », écrit-il. Contre Lauterpacht, le théoricien du « crime contre l’humanité », il considère que, dans un génocide, c’est un groupe qui est ciblé (et que c’est un groupe qui cible). Karski est présenté selon toute la complexité de son identité : depuis sa visite dans le ghetto de Varsovie, au cours de laquelle il se transforme en « machine à enregistrer », jusqu’à sa reconnaissance comme « Juste parmi les Nations » et l’obtention de la nationalité israélienne, une « sorte d’auto-judaïsation » selon l’auteure. Même après sa mort, Karski poursuit ses transformations : il y a le Karski de Lanzmann, celui de Haennel, celui du gouvernement polonais révisionniste… Annette Becker fait une suggestion : « Son corps, plus que ses mots, exprimait-il la vérité ultime ? »