
L’identité. Dictionnaire encyclopédique sous la dir. de Jean Gayon
Depuis quelques années, la question de l’identité s’est imposée comme un problème idéologique central. Au sein des débats concernant les conflits de classes ou les différences culturelles, les rapports de genre ou les relations internationales, l’interrogation sur l’identité revient constamment, comme le point nodal à partir duquel les positions idéologiques doivent être partagées. C’est ce constat qui a motivé la rédaction de l’ouvrage L’Identité. Dictionnaire encyclopédique, lequel réunit les contributions d’une centaine d’auteurs issus de plusieurs disciplines.
Le point de départ de ce travail est un diagnostic partagé : le concept d’identité est devenu le foyer d’une pluralité d’interrogations, qui exigent un travail de clarification. Depuis que le concept est devenu incontournable, sa signification semble inaccessible, puisqu’il est convoqué pour exprimer à la fois le changement et l’immuabilité, pour exalter la singularité comme pour établir des similarités. Dans un chapitre introductif intitulé « Philosophie de l’identité », Vincent Descombes tâche de clarifier les différents usages de cette notion. Selon lui, le questionnement contemporain sur l’identité, au sens de « l’identitaire », doit être distingué de la réflexion classique, qui portait sur l’identité au sens de « l’identique ». L’interrogation ne concerne plus tant le critère des jugements d’identification que la possibilité pour chaque individu de savoir ce qu’il est. C’est l’énigme de l’identité personnelle, qui polarise la réflexion sur l’identité dans la modernité.
Dans cette perspective, l’objet de l’ouvrage peut être précisé : il s’agit d’explorer les nombreuses difficultés que soulève, pour le sujet moderne, la tâche de s’approprier ce qu’il est. Étant donné la diversité des problèmes que recouvre la question « qui suis-je ? » – le problème du rapport entre les déterminations biologiques et sociales, entre l’individu et le collectif –, l’interdisciplinarité s’impose. C’est la raison pour laquelle ce livre réunit les contributions de philosophes et de biologistes, de sociologues et de psychanalystes, ou encore de spécialistes de la médecine et des études littéraires. Au début de l’ouvrage, une série de chapitres introductifs présente une synthèse des débats et des enjeux liés à l’identité au sein des disciplines convoquées. L’encyclopédie expose ensuite les notions que chaque savoir permet de mobiliser pour penser le problème : « ADN », « réflexivité », « autobiographie », « visage », « statut » ou encore « hérédité ». L’ambition de l’ouvrage est d’abord de « permettre au lecteur d’acquérir une autonomie de pensée sur la question ». Grâce à un système de renvois entre les différentes entrées, le lecteur est invité à cheminer entre les disciplines mobilisées. C’est la seconde ambition que cette encyclopédie vise à réaliser : pour éviter l’écueil qu’implique la séparation des savoirs spécialisés, il s’agit d’ouvrir un « espace de dialogue entre les disciplines » qui appréhendent le problème de l’identité.
En parcourant les nombreuses entrées, le lecteur est ainsi amené à se heurter aux différents clivages qui opposent les savoirs sur l’identité : tandis que la biologie tente de montrer comment la transmission de variants génétiques participe à la formation de l’identité, les sciences sociales critiquent la naturalisation qu’implique le discours sur l’hérédité, en rappelant que le corps humain est lui-même une entité socialisée. La psychanalyse propose de penser l’articulation des déterminations sociales et biologiques, en analysant le travail de sublimation ou de refoulement opéré par la personnalité psychique. Mais c’est la réalité de ces processus que les neurosciences invitent à remettre en question, en refusant de décrire l’inconscient comme une entité dotée d’intentionnalité. La fécondité des problèmes soulevés par le concept d’identité se révèle ainsi à travers les tensions qui séparent les différents savoirs mobilisés à son sujet.
Face à ces multiples controverses, le lecteur pourrait être désorienté. À la lecture de l’ouvrage, une évidence se dégage néanmoins, concernant l’émergence de cette interrogation propre à la modernité. L’insistance de la question « qui suis-je ? » se révèle finalement liée à la nécessité, pour le sujet moderne, d’appréhender réflexivement les liens d’appartenance qui le constituent. La proclamation moderne de l’autonomie, conçue comme une propriété naturelle du sujet, soulève pour chaque individu le problème de savoir comment inclure dans la définition de soi le processus de formation de sa propre volonté. C’est l’hypothèse que l’ouvrage invite à formuler : la centralité du problème de l’identité est peut-être l’indice d’une difficulté des sociétés modernes à concilier l’idéal d’autoréalisation avec le fait que l’individu ne préexiste pas à sa formation comme être singulier capable de s’autogouverner.