
Fatwâs et politique de Stéphane Valter
Les fatwâs sont des avis juridiques, des contrats ou des condamnations, mais avant tout des conseils aidant le croyant à se comporter selon la loi islamique. Quelques grands émetteurs sont devenus tristement célèbres. Ibn Taymiyya, rigoriste de l’école hanbalite a sévi, au xiiie siècle, contre les minorités hétérodoxes. Sa fatwâ fut prétexte, en 1979-1982, d’une campagne d’assassinats de personnalités alaouites. Un chiite de l’époque ottomane, Nûh Afandî al-Hanafî al-Hâmidî, a renouvelé l’appel à l’oppression des minoritaires de l’islam au xviie siècle. Le mufti saoudien du xxe siècle Al Baz a multiplié les blâmes contre la science, les minorités de l’islam, les arts, les femmes, les étrangers. À l’inverse, Abd al-Rahmân al-Khayyir, un mujtahid alaouite syrien, a développé, au xxe siècle, une conception de l’islam fondée sur la raison, la liberté et la tolérance.
Le livre consacre une attention particulière aux deux pôles spirituels du sunnisme actuel. Grâce aux pétrodollars de son protecteur saoudien, le wahhâbisme est devenu un « gros producteur de fatwâs », « un terreau pour une idéologie intransigeante et rétrograde ». Quant à l’université égyptienne d’al-Azhar, au rayonnement théologique historique, elle s’avère engagée in fine aux côtés du pouvoir, comme l’ont montré ses positions pendant les printemps arabes. La guerre actuelle en Syrie traduit de manière tragique les contradictions idéologico-politiques de ces deux grands émetteurs d’anathèmes, mais aussi les oppositions qu’elles ont rencontrées de la part d’organismes religieux étatiques ou de groupes djihadistes, non en reste en matière de sanctions et d’excommunications.
Stéphane Valter a également mis en relief certains sujets sociaux ayant donné lieu à controverses. Il en est ainsi du football, un sport très populaire soutenu par les monarchies du Golfe mais banni par les gardiens de la loi. L’Égypte s’est empêtrée dans les questions relatives à l’excision, une pratique antéislamique dans la région et en Afrique, et ses conséquences sur la sexualité féminine. Le mariage des filles fait l’objet de débats portant sur la puberté et la majorité.
Cet ouvrage illustre l’imbrication du religieux et du politique dans le cas de l’islam. Les fatwâs, au-delà de la piété ou de la foi, dans les périodes de changements ou dans les temps de troubles politiques, prennent une forme juridico-religieuse tendant à légitimer ou à modifier un ordre social. Il faut souligner l’effort de l’auteur pour rassembler en un ensemble cohérent un nombre considérable et varié de fatwâs, sur une longue période historique, permettant de démystifier les enjeux politico-religieux d’un monde musulman en ébullition.