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Flux d'actualités

La colère n’est pas une politique

Table ronde de la rédaction

par

Esprit

La mobilisation des gilets jaunes témoigne d'un profond sentiment d'injustice sociale et fiscale. Mais elle bute également sur un refus des médiations symptomatique d'une crise de la représentation qui s'aggrave, de telle sorte que la colère, sans trouver d'expression proprement politique, menace de dégénérer en violence destructrice.

Depuis trois semaines maintenant les manifestations des Gilets jaunes bénéficient d’une couverture médiatique ininterrompue, sans qu’on ait pour autant le sentiment d’en saisir les contours ni la portée. Quel regard portez-vous cette mobilisation ?

Jean-Louis Schlegel – Il faudrait déjà savoir qui ils sont. Sur la carte électorale des résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle, en mai 2017, on voyait se dessiner « deux France ». La première, relativement à l’aise dans la mondialisation, active, dynamique, citadine et issue des classes moyennes plutôt aisées, avait voté pour Emmanuel Macron. Emblématiques de ce vote : Paris et les départements d’Île de France (90 % et 79 % pour Macron). D’autre part, la France qui a voté pour Marine Le Pen : c’est une France qui va mal, à la fois physiquement (économiquement, socialement) et moralement ; une France que la mondialisation néo-libérale laisse sur le tapis, fût-ce avec de grosses différences. Elle est présente surtout dans le Nord-Est désindustrialisé et dans le Sud-Est, où le rejet de l’immigration est marqué, mais aussi dans des zones rurales « abandonnées » par l’État (services publics absents ou délaissés, gares fermées, moyens de transport inexistants).

Le sociologue Hervé Le Bras conteste que le fer de lance des gilets jaunes se soit, trouvé, en tout cas au début, dans les régions du vote mariniste : il le voit plutôt dans une large bande rurale allant des Ardennes à l’Aude, et donc c’est l’explication par l’« abandon » qui prévaudrait, et… le besoin d’essence pour la voiture, seul moyen de locomotion pour aller au travail, faire ses courses, aller chez le médecin.

Quoi qu’il en soit, il me semble que le choix – volontariste – d’Emmanuel Macron, sa visée, était de faire en sorte que cette France qui n’avait pas voté pour lui s’aligne peu ou prou sur la première, la rejoigne dans sa capacité de transformation, alors que cette France a plutôt un besoin de réparation de son tissu social, de reconnaissance de ses difficultés de toutes sortes. D’où l’invitation permanente à se prendre en main, avoir de l’initiative, être « mobile ». Je ne crois pas qu’il ait du mépris pour cette France, mais il ne sait pas lui parler. Ses interpellations pour secouer les gens et les inviter à réagir par eux-mêmes pour sortir de leur condition sont apparues comme de l’arrogance : au lieu de les dynamiser, il a semblé surtout stigmatiser la nullité de ses interlocuteurs en dénonçant leur passivité.

 Les mesures trop apparentes et multipliées en direction des riches ont fait le reste : elles avaient leurs raisons, mais n’ont pas été comprises du tout, tandis que les demandes d’effort, fussent-elles modulées, envoyées aux « pauvres » et aux personnes avec peu de ressources lui ont vite enlevé tout crédit : ça ne pouvait marcher qu’avec des résultats économiques rapides, qui ne sont toujours pas là. Cela a d’autant moins marché que les explications du président et du gouvernement ont toujours été faibles et sont souvent venues après coup. On a dit que Macron, adepte d'un pouvoir vertical, lointain, aurait explicitement préconisé ce mode de communication « rare » : je ne sais si c’est vrai (il a tenté de l’installer avec les journalistes), mais c’était au fond un gros contresens.  

Anne-Lorraine Bujon - Il faut pour moi se méfier d’une lecture trop binaire qui consacre la vision d’une coupure radicale entre des métropoles dynamiques et des territoires « périphériques ». Dans un texte paru dans Alternatives Économiques[1], Daniel Béhar, Hélène Dang-vu et Aurélien Delpirou montrent que si le pays est traversé par des inégalités sociales et des inégalités spatiales, celle-ci ne se recouvrent pas aussi nettement que le disent ceux qui voudraient opposer en bloc un seul peuple à des élites uniformes. La révolte des gilets jaunes est d’ailleurs partie d’île de France, où l’usage de la voiture est crucial, et l’effet de la hausse des taxes particulièrement sensible. On y entend une protestation contre des conditions socio-économiques objectivement difficiles, mais aussi une demande de reconnaissance, de respect, contre ce qui est ressenti comme du mépris – cantonner ces Français dans un rôle de « perdants » de la mondialisation ajoute encore de l’huile sur le feu.

Ce qui est sûr c’est que la mondialisation bouleverse notre rapport aux espaces dans lesquels nous vivons, et à la mobilité. La voiture est un abcès de fixation pour des raisons pratiques, mais aussi symboliques. Je retiendrais plutôt que la contestation vient d’une France de l’entre-deux – ni vraiment riche ni vraiment pauvre, ni vraiment urbaine ni vraiment rurale. On l’a beaucoup dit, mais le malaise qui s’exprime aujourd’hui en France comme dans d’autres pays développés tient aux trajectoires sociales plus qu’aux situations de revenu en un instant donné : la peur du déclassement, et que l’avenir de nos enfants soit plus sombre que le nôtre, ou la difficulté au contraire à s’arracher à sa condition de départ, à briser le plafond de verre…. On entend chez les gilets jaunes une multitude de récits de vie souvent poignants, mais cela n’en fait pas un groupe social unifié.

Emmanuel Laurentin– Il faut d'abord souligner l'effet de surprise. La France n’est pas territoire sous-administré, ce n’est pas un territoire sous-surveillé pas les statisticiens, les analystes, les sociologues, les anthropologues… et malgré les nombreuses études, les livres publiés chaque année sur la France, tout le monde a été surpris, y compris les forces politiques qui pouvaient avoir intérêt à ce qu’une telle révolte ait lieu et en guetter les signes. Pour moi, le mouvement des gilets jaunes repose la question de comment peut naitre un événement historique. C’est le retour de l’événement, qui ne prend pas les formes habituelles de la contestation mais en trouve d’autres, imprévisibles et inattendues. Il y a deux mois à peine, de nombreux analystes parlaient de la France comme d’une société amorphe où les manifestations ne marchaient plus, où l’engagement disparaissait… 

Antoine Garapon– Il y a un consensus pour dire que ce mouvement vient de loin, même s’il fait irruption quand on ne l’attendait pas. Mais ce qui me frappe le plus est moins la violence destructrice, profanatrice, que l’immense soutien populaire qu’elle reçoit des Français. La description que fait Christophe Castaner des affrontements autour de l’Arc de triomphe est à proprement parler effarante. Les forces de polices sont débordées. Apparemment, les casseurs sont assez minoritaires, ce sont surtout des gilets jaunes qui ont mené les assauts. On découvre une violence nue, désintermédiée. L’impuissance politique due à la perte du territoire comme espace politique de référence finit par enrager le peuple. Phénomène que renforce le troisième pied de notre modernité inquiétante : après le néolibéralisme et la mondialisation, le numérique. Ce mouvement est favorisé par le séparatisme rageur que libèrent les réseaux sociaux. Il y a une crise de la représentation, non pas par défaillance des politiques mais pour des raisons malheureusement plus profondes. Toute délégation à un autre que moi est suspecte de trahison, toute institution est potentiellement criminelle : la preuve en est que ceux et celles parmi les gilets jaunes qui ont voulu aller à Matignon ont reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux ; ils ont donc jeté l’éponge, pas par mauvaise volonté, là encore, mais en raison de l’intimidation et des pressions de leur pairs.

Anne Dujin– Il se dégage de tout cela, malheureusement, comme une joie mauvaise.  Ce mouvement est à la fois hystérique et triste. Depuis un moment, dans toutes sortes de milieux, pas nécessairement précaires, on sent monter une forme de jubilation à l’idée que qu’il va se produire quelque chose, que cette fois ça y est, le vase déborde. Comme une euphorie du chaos, qui laisse très mal à l’aise. Les mouvements sociaux des années 60 et 70 étaient marqués par une forme d’espoir en des lendemains meilleurs. Aujourd’hui les mouvements comme celui des gilets jaunes mais aussi – bien que très différemment – Nuit debout auparavant, semblent avoir perdu cet espoir. Cela montre combien notre imaginaire social a changé dans les dernières décennies. Les gilets  jaunes ont la conscience malheureuse que le monde est inégalitaire. Cependant, comme on a pu le voir, ils s’en prennent également aux « assistés », ou aux migrants. On est face à une cristallisation malheureuse. Sans espérance d’un horizon plus égalitaire, on semble se résigner au fait que c’est « chacun pour soi ». Ils expriment moins la volonté de se battre collectivement pour l'avenir de leurs enfants que la déception de vivre moins bien que leurs parents.

 

Peut-on faire une lecture politique de ce mouvement ? Comment faire la part des causes profondes et des responsabilités plus directes, plus immédiates d’Emmanuel Macron et du gouvernement d’Edouard Philippe ?

 

Antoine Garapon– La différence entre Emmanuel Macron et ses prédécesseurs est qu’il a assumé avec entrain des politiques libérales que les autres avaient accompagné de manière honteuse, en évitant de chatouiller notre peuple irascible.  Sur le plan politique, le même mouvement profond de nos sociétés qui l’a porté au pouvoir (désaveu des partis, désir de changement, dégagisme) se retourne contre lui aujourd’hui. Il n’a pas su, ou voulu, construire de parti et s’est donc appuyé sur l’État profond, c’est-à-dire la haute fonction publique. Mais je continue de penser qu’il mérite d’être soutenu. Il a engagé des réformes profondes et nécessaires alors que depuis François Mitterrand aucun président n’a rien fait, à l’exception peut-être à la marge de Nicolas Sarkozy.

La question centrale, en réalité, est que l’espace national reste l’espace des revendications mais n’est plus le lieu de l’intégralité du pouvoir. L’échelon national n’est ni le lieu du conflit, ni véritablement le lieu de la décision. On a sous-estimé – voire ignoré – le fait que la mondialisation était une trappe à souveraineté. La souveraineté fuit, non pour être exercée ailleurs par d’autres mais pour n’être plus exercée par personne ; le pouvoir est devenu incrémental, réparti de manière diffuse en des personnes qui n’ont pas le sentiment de l’exercer, comme des financiers ou des techniciens. La mondialisation fonctionne comme un véritable transcendantal de la politique aujourd’hui. Cela se vérifie moins dans ses effets directs que dans l’alternative introuvable, dans la nouvelle nature de la contrainte qui fait qu’il n’est pas possible de sortir de ses normes. La richesse vient désormais de l’attractivité, de l’investissement externe. Existe-il d’autre alternative à cette politique que de renouer avec le protectionnisme, ou de sortir de l’euro ?

Anne Dujin– Le sociologue Wolfgang Streeck, dans son livre Du temps acheté : la crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique[3]explique comment le capitalisme démocratique est un compromis construit après la sortie de la guerre, qui donnait un horizon de progrès collectif. Cependant ce compromis s’est fissuré très tôt, peu de temps après le premier choc pétrolier. Les États ont alors pris le relai pour soutenir artificiellement une demande qui ne garantissait plus les débouchés nécessaires aux entreprises, et ont ainsi favorisé l’endettement public et privé, avec des conséquences qui sont devenues particulièrement visibles après la crise de 2008. S’est également mis en place un mécanisme pervers de « privatisation des gains et [de] socialisation des pertes »selon une expression de Streeck, que les États n’ont fait qu’accompagner. Les pouvoir publics n’ont pas voulu ou pu changer cela, et la colère des gilets jaunes s'inscrit dans cette crise « politique » du capitalisme. Le système fiscal est devenu illisible, leur pouvoir d'achat se dégrade, et ils voient les services publics se détériorer.

Lucile Schmid– La responsabilité particulière d’Emmanuel Macron et du gouvernement est d’avoir beaucoup joué avec la fiscalité depuis 18 mois alors que le système français est complexe, qu’entre les annonces et la réalité il y a un écart non négligeable et que les impôts sont lourds. Le niveau des taxes devient insupportable à la fois pour les personnes en situation de fragilité, les petits entrepreneurs, et même les fameuses classes moyennes. La suppression de l’impôt sur la fortune a été une grave erreur symbolique.

Jean-Louis Schlegel– Il faut se rappeler qu’en juin dernier, Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry, les trois économistes qui ont inspiré le programme d’Emmanuel Macron, avaient rédigé une note[4]exprimant leur inquiétude quant à un déséquilibre à droite de la politique menée par le gouvernement. On a l’impression qu’il n’en a pas tenu compte du tout. Il a cherché à écarter toute médiation des corps intermédiaires : syndicats, partis politiques, régions, maires… Pendant un temps, sa volonté inflexible de réaliser les réformes promises a joué en sa faveur, mais désormais, elle apparaît comme de l’entêtement qui lui rend la nouvelle situation inintelligible. Plus largement, on pourrait se demander à partir de quand et pourquoi une cassure s’est produite entre Macron et une fraction des gens qui avaient voté pour lui.  À titre personnel, le « pognon de dingue » (pour les dépenses sociales) m’est resté en travers, moins pour le constat lui-même (on peut en discuter) que pour la vulgarité exhibée par quelqu’un qui voulait manifester mieux que ses prédécesseurs la dignité de la fonction. En fin de compte, ce n’est pas la constance pour réaliser les réformes qui l’a « perdu », mais des fautes de langage, presque de « goût », indéfiniment répercutées, détournées, grossies par la dérision sur les réseaux sociaux, qui n’ont cessé de le poursuivre ensuite.

Emmanuel Laurentin– Le problème, précisément, est qu’Emmanuel Macron a souhaité resacraliser le rôle du président à un niveau inédit depuis François Mitterrand, être dans un dialogue direct avec les Français, comme le montrent les bains de foules auxquels il se prête lors de chaque déplacement.  Il a souhaité redonner une aura symbolique à la fonction, remettre le président sur le trône. Cette posture se retourne aujourd’hui contre lui, notamment par l’effet des réseaux sociaux qui permettent d’interpeller directement le « roi ». À la symbolique monarchique répond l’imaginaire révolutionnaire. Depuis deux siècles, l’idée que la liberté se gagne par les barricades est profondément ancrée dans les esprits. À cet égard, les images de Paris en feu avaient de quoi frapper tous les esprits. Cela renvoie à l’histoire française, notamment aux feux des soulèvements qui ont essaimé pendant tout le XIXe siècle[5]. Tous les journaux étrangers ont d'ailleurs publié des unes de CRS et de pompiers face aux flammes.

 

Quel lien peut-on faire entre ce mouvement et ce qui se passe ailleurs en Europe ? Sur quoi est-il susceptible de déboucher ?

 

Anne-Lorraine Bujon– S’il y a bien une spécificité française de cet imaginaire insurrectionnel, on doit je crois rapprocher la mobilisation des gilets jaunes d’autres mouvements qui ont eu lieu chez nos voisins européens ou aux États-Unis. Le mouvement des Tea-Party, Occupy Wall Street ou encore le Mouvement Cinq Etoiles ont en commun cette organisation spontanée, horizontale, le refus d’être instrumentalisé par des partis politiques ou même de se choisir des porte-paroles, ainsi que l’assemblage de revendications hétéroclites et parfois contradictoires. Par ailleurs, on voit bien dans le cas de l’Italie que si la « plateforme » Cinq Étoiles était difficile à situer politiquement, c’est l’extrême-droite qui a raflé la mise, et Matteo Salvini, à la tête de la Ligue, un parti néo-fasciste qui dirige désormais le pays en soufflant sur les braises anti-migrants et anti-Europe. La colère contre la mondialisation libérale, que l’on ressent un peu partout aujourd’hui, trouve dans l’Union européenne sa cible idéale.

Antoine Garapon– En réalité, il y a peu ou pas de marge de manœuvre. Le projet d’Emmanuel Macron était de récupérer de la puissance vis-à-vis de l’Allemagne pour être en mesure de ne pas subir ses choix – une nécessité encore accrue depuis le Brexit. La Chine, Les États-Unis souhaitent que Europe s’écroule. Le capitalisme destructeur est aujourd’hui arrivé à un point tel que l’on sent qu’il faut en sortir, sans savoir exactement comment ; effet de paralysie renforcé par le fait qu’aucun État ne veut s’aventurer le premier dans cette voie. On est à la fin d’un cycle, beaucoup de choses ne peuvent plus durer. Il ne faut pas oublier que la première mondialisation a débouché sur la Première guerre mondiale. Pour moi, le grand péril, l’urgence absolue, c’est de sauver l’Europe. Si la France cède, ce sera la fin de l’Europe. En France, tout cela va profiter à Marine Le Pen. Si quelqu’un monte sur une caisse au milieu des gilets jaunes et propose de sortir de l’euro, de laisser filer les déficits, d’augmenter significativement le pouvoir d’achat en distribuant un argent que nous n’avons plus, il sera plébiscité, et il nous lancera dans la spirale infernale qu’ont connu nos pays dans les années 1930. L’Europe joue son avenir dans les jours qui viennent : sans la volonté européaniste d’Emmanuel Macron, elle ne tiendra pas. En Italie aujourd’hui, où les similitudes sont frappante, Matteo Salvini est à 35% d’intentions de vote pour les européennes.

Jean-Louis Schlegel– Dans le journal québécois Le Devoir, un éditorialiste[6]pointait le fait que tous les pays développés connaissent aujourd’hui le même type de crise, entre gagnants et perdants de la mondialisation. Mais tout le monde n’a pas (encore) de gilets jaunes. Un des scénarios de sortie possibles, c’est que le mouvement va se scinder entre pacifiques ou non violents, et des radicaux de plus en plus extrémistes. Le gouvernement pourrait jouer sur les premiers. Sa chance, depuis son élection, est une opposition proche du néant dans ses réactions et ses propositions. Et d’ailleurs le rejet des partis d’opposition par les gilets jaunes a aussi quelque chose de significatif. C’est ce qui donne, en dehors de la diversité des demandes, cet aspect insurrectionnel inquiétant parce qu’il ne semble maîtrisable par personne, ni par les gilets jaunes eux-mêmes ni par l’État ni par l’opposition politique ni par les syndicats. Pourtant, il va bien falloir se mettre à table un jour prochain (peut-être les efforts de la CFDT et de la CGT réunis finiront par y arriver). En l’absence de médiation, il ne restera que l’épreuve de force. Il n’est pas exclu que Macron doive finalement se plier alors à un des scénarios évoqués par l’opposition : dissolution de l’assemblée, référendum ou sa propre démission. Enfin, j’ai l’impression, hélas, qu’il va falloir pratiquement renoncer pour un temps à la variable « écologie », ou du moins revoir les modalités ou les rythmes de la transition.

Lucile Schmid– Je ne crois pas du tout que ce soit une chance pour Emmanuel Macron de ne pas avoir d’opposition. Le réflexe « Macron, démission » est le pendant du discours « moi ou le chaos ». Je trouve par ailleurs que Marine le Pen a eu des accents d’empathie pour parler des Gilets jaunes et qu’elle a repris de la place. Cela renvoie plus largement au sujet des contrepouvoirs et au besoin de réinventer une vie démocratique dans notre pays. La dénonciation des journalistes « collabos » montre aussi des débordements et que les médias cherchent leur légitimité tout autant que les hommes et femmes politiques. Ensuite je ne crois pas qu’il faille laisser l’écologie de côté. Au contraire il y a un refus, de la part de nombreux gilets jaunes, d’être stigmatisés sur ce point : c’est plutôt une demande d’écologie pour tous, d’écologie populaire.

Emmanuel Laurentin– Si on veut risquer une hypothèse plus optimiste, on peut aussi imaginer que cette crise provoque une prise de conscience au niveau européen. Il faut jouer la carte d’une nouvelle Union européenne car sinon l’Europe court à la catastrophe. Ce qu’on voit à l’œuvre est un mouvement profond, comme on a pu l’observer au moment du référendum sur le Traité constitutionnel européen de 2005, de refus des intermédiaires. Cette crise de la représentation pourrait-elle trouver des réponses si on se saisissait du puzzle institutionnel, en introduisant une dose de proportionnelle, ou de démocratie directe ?  

Anne-Lorraine Bujon– Quels remèdes trouver à ce défaut de représentation ? Faudrait-il refaire de la politique à plus petite échelle, afin de retrouver une forme de souveraineté ? Peut-être parviendrait on ainsi à donner corps à des niveaux emboités de citoyenneté où les gens auraient l’impression de reprendre du contrôle, au moins par rapport à un espace proche, à un territoire.

 

[1]« ‘France périphérique’, le succès d’une illusion »,  Alternatives Économiques, 29 novembre 2018,

[2]« A Denain, ‘avant, avec 100 francs, on faisait nos courses pour le week-end’ »,  Libération, 30 novembre 2018.

[3]Wolfgang Streeck, Du temps acheté : la crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, Gallimard, 2014.

[4]« La note confidentielle de trois fidèle de Macron pour un rééquilibrage social  », Le Monde, 9 juin 2018.

[5]Jean-Claude Caron, Les feux de la discorde, Hachette, 2006.

[6]« Le monde est jaune », Le Devoir, 26 novembre 2018.