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Manifestions contre le projet de loi d’extradition, Honk Kong, le 16 juin 2019, Studio Incendo
Manifestions contre le projet de loi d'extradition, Honk Kong, le 16 juin 2019, Studio Incendo
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Hong Kong : la lutte continue

Entretien avec Émilie Tran

Hong Kong vit un tournant de son histoire.

Émilie Tran a fait un premier séjour à Hong Kong il y a près de vingt ans, pour ses recherches doctorales à l’EHESS sur la modernisation du Parti communiste chinois. Puis, elle a travaillé à Shanghaï, Hong Kong et Macao (2003-2016) où elle a enseigné et dirigé la faculté de Business, Government and Social Work à l’université Saint-Joseph. De retour à Hong Kong depuis trois ans, enseignant-chercheur au département de science politique et relations internationales à Hong Kong Baptist University, elle a vécu le mouvement de protestation qui a fait plier le gouvernement en juin dernier[1].

Marie Mendras – Deux millions de Hongkongais, soit près d’un adulte sur deux, ont manifesté le dimanche 16 juin. Leur calme détermination m’a alors fait penser à la révolution EuroMaïdan à Kiev en décembre 2013. Vous attendiez-vous à la montée de la colère et à un mouvement de protestation d’une telle ampleur ? Pensiez-vous que la révolution des parapluies de l’automne 2014 pourrait se reproduire ?

Émilie Tran – Personne ne s’attendait à un mouvement d’une telle ampleur : les participants eux-mêmes ont été les premiers surpris de leur force de mobilisation. Cela dénote un mal-être profond de la société hongkongaise. La colère sourde depuis longtemps.

Les jeunes nés après la rétrocession de Hong Kong à la Chine (1997) constituent une génération généralement frustrée et relativement pessimiste quant à son avenir. Leurs parents ont travaillé dur pendant des années, mais ils ont réussi, à divers degrés, à grimper l’échelle sociale. Pour cette génération, la pression est trop forte. Dès le plus jeune âge, ils sont soumis à un système éducatif exigeant et compétitif. Il faut avoir de très bonnes notes pour se placer en haut du classement : moins de 20 % des élèves du secondaire sont admis dans les universités publiques de Hong Kong – c’est le quota instauré par le gouvernement. Après des années d’études, ces jeunes ne sont pas en mesure de trouver un emploi assez rémunérateur pour devenir autonomes et partir du foyer parental ; les coûts locatifs et à l’achat pour des appartements petits et modestes sont exorbitants. Cela a un effet négatif sur leur vie affective et la manière dont ils envisagent de fonder un foyer.

À ce contexte de difficultés socio-économiques vient se superposer l’environnement politique. Hong Kong à été rendu par le Royaume-Uni à la Chine en 1997, avec des conditions. Pékin s’engageait à préserver l’État de droit et l’autonomie du gouvernement de Hong Kong pendant cinquante ans. Or cet équilibre fragile – « un pays, deux systèmes » – penche en faveur de Pékin. Le poids économique et démographique de la Chine continentale, ainsi que l’autoritarisme du pouvoir communiste, avec des actes d’ingérence dans la vie publique à Hong Kong, suscitent la peur, mais aussi la révolte. Plusieurs crises ont eu lieu : en 2003, lors de la tentative de faire passer un projet de loi sur la sécurité nationale, en 2012, contre le projet de réforme de l’éducation morale et civique, et, en 2013, avec le mouvement Occupy Central with Love and Peace qui demandait le suffrage universel et s’est transformé en Mouvement des parapluies en 2014.

Quelles ont été les causes immédiates du mouvement du printemps 2019 ? Était-ce principalement le projet de loi sur l’extradition vers la Chine ?

En effet, la cause immédiate est le projet de loi sur l’extradition, qui aurait permis d’extrader vers la Chine continentale n’importe quelle personne, quelle que soit sa nationalité, soupçonnée de crime ou délit par les autorités chinoises. Or Hong Kong est un centre financier et logistique où résident et transitent des millions d’hommes et de femmes d’affaires. C’est pour cette raison que l’opposition à ce projet de loi a rassemblé autant de monde de tous âges et horizons. Les milieux d’affaires ont dans l’ensemble soutenu le mouvement de protestation, car cette loi aurait menacé leurs intérêts.

Comment le mouvement a-t-il réussi à s’organiser et à gagner une première victoire, la suspension du projet de loi ? Il semble que la rébellion civique de 2019 soit plus forte que la révolution des parapluies en 2014.

La menace que fait peser ce projet de loi sur la sécurité de tous est grande et bien réelle, et constitue le dernier épisode de l’érosion accélérée de la formule « un pays, deux systèmes ». Selon celle-ci, Hong Kong bénéficierait de cinquante ans d’autonomie (jusqu’en 2047) vis-à-vis de Pékin. Or la disparition soudaine, en 2015, de cinq résidents hongkongais – employés d’une librairie qui vendait des ouvrages critiques des dirigeants chinois –, puis leur réapparition en Chine continentale où ils se virent accusés de divers crimes, a réellement fait froid dans le dos et marqué les esprits. Tout à coup, alors que l’échéance de 2047 semble encore loin, Hong Kong n’est plus ce refuge pour tous ceux et celles qui fuient le régime communiste ou qui veulent tout simplement s’éloigner du système communiste sans pour autant quitter la sphère culturelle chinoise. Car le projet de loi sur l’extradition est vu comme l’extension de la campagne anti-corruption menée par le Président Xi Jinping depuis 2012. N’importe qui, résident hongkongais ou homme d’affaires de passage, aurait pu se retrouver extradé en Chine continentale, à la merci des tribunaux chinois, eux-mêmes contrôlés par le Parti communiste.

La commémoration de la féroce répression place Tiananmen le 4 juin 1989 a-t-elle contribué à attiser les tensions ?

Il est vrai que, lors de la veillée du 4 juin pour commémorer le 30e anniversaire du massacre de Tiananmen, qui a lieu tous les ans au parc Victoria dans le quartier de Causeway Bay, les organisateurs ont appelé à maintes reprises à se rassembler le dimanche 9 juin contre le projet de loi sur l’extradition. Ce message a été relayé via d’autres canaux et par des groupes qui n’étaient pas a fortiori associés, voire en porte-à faux, avec les organisateurs de la veillée du 4 juin.

La gouverneure de Hong Kong, Carrie Lam, n’avait pas anticipé la rébellion. Elle semble avoir multiplié les maladresses et les erreurs. Peut-elle conserver le soutien de Pékin, alors qu’elle n’a plus ni autorité ni légitimité auprès des Hongkongais ?

Carrie Lam Cheng Yuet-ngor s’est entêtée à faire passer le projet de loi par voie accélérée au lieu de suivre la procédure normale, en dépit de l’opposition ouvertement exprimée dès le mois de mars 2019 par les députés démocrates et divers secteurs de la société hongkongaise. Elle a sciemment ignoré la pression des milieux d’affaires locaux et internationaux, ceux-ci s’inquiétant de façon légitime de voir disparaître le système juridique de Hong Kong, qui constitue le fondement même de son succès comme place financière internationale.

À ce jour, rien ne laisse penser que madame Lam ait agi sur ordre de Pékin. Les autorités chinoises n’attendaient pas spécialement un tel projet de loi. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que Pékin a été pointé du doigt et terriblement embarrassé par l’exposition médiatique de toute cette affaire : jamais dans l’histoire de Hong Kong, il n’y avait eu une si grande mobilisation. De surcroît, à la veille d’une rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping, alors que le dirigeant chinois cherchait à convaincre son homologue américain de cesser la guerre commerciale !

C’est une faute que le Parti communiste ne pardonnera pas à Carrie Lam. Depuis le 9 juin, les manifestations ont lieu toutes les semaines. Non seulement elles s’organisent dans d’autres quartiers de Hong Kong, mais elles s’étendent aussi à Kowloon (7 juillet) et dans les Nouveaux Territoires (17 juillet). Les heurts entre manifestants et policiers sont de plus en plus violents. Nous sommes toujours en pleine tourmente. À ce jour, personne ne se risque à prévoir la suite des événements, mais il est évident que Hong Kong vit un tournant de son histoire.

Propos recueillis par Marie Mendras

[1] Voir ses publications récentes : Ho Wing-Chung & Émilie Tran, “Hong Kong–China relations over three decades of change: from apprehension to integration to clashes”, China: An International Journal, vol. 17, n° 1, 2019, p. 173-193; Émilie Tran, « Marseille : bientôt un comptoir chinois ? », Confluences Méditerranée, n° 109, février 2019 ; Émilie Tran & Ya-Han Chuang, “Social relays of China’s power projection? Overseas Chinese collective actions for security in France”, International Migration, à paraître.

Marie Mendras

Politologue, Marie Mendras est chercheure au CNRS et au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po, où elle enseigne. Elle est spécialiste de la Russie, de l’Ukraine et des relations Europe-Russie. Elle travaille sur le système politique et les élites russes, ainsi que sur les conflits menés par Moscou hors de ses frontières. Marie Mendras a rempli de nombreuses missions d’observation…

Émilie Tran

Enseignant-chercheur au département de science politique et relations internationales à Hong Kong Baptist University, elle a notamment contribué à L'Asie-Monde (sous la dir. de Jean-François Sabouret, CNRS, 2011)