Relire Louis Massignon
Coup de sonde
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À propos de…
Louis Massignon, Écrits mémorables, textes établis, présentés et annotés sous la dir. de Christian Jambet par François Angelier, François L’Yvonnet et Souâd Ayada, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2009, 1 942 p.
Il faut saluer l’entreprise dédiée à Louis Massignon (1883-1962) menée par l’équipe réunie autour de Christian Jambet. Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle sont rassemblés les textes importants du grand orientaliste dont plusieurs inédits, dans une édition critique couvrant toute la gamme des thèmes traités dans l’œuvre de Massignon. Composée de douze parties1, chacune précédée d’une introduction très documentée, elle regroupe des textes d’inspiration chrétienne, qui ouvrent le recueil, des articles politiques, des écrits scientifiques, ainsi que les résumés des leçons au Collège de France.
Présenté comme « le plus inclassable des grands écrivains français du xxe siècle », Massignon nous est restitué, à travers la grande diversité des textes, dans sa polyvalence et sa complexité : à la fois intellectuel catholique, islamologue rigoureux, personnalité engagée, enquêteur attentif au social. Sont mises en valeur tant la portée spirituelle et politique de ses engagements que l’ampleur de son champ d’étude, nullement axé sur le seul religieux, comme a pu le faire penser son travail fondateur sur le mystique musulman martyr du xe siècle El Hallâj. Même si la mystique a eu une importance axiale dans sa recherche, ce qui aura pour effet, dans le champ de l’orientalisme arabisant, de marquer durablement et peut-être injustement Massignon du côté du « sacral » plus que de « l’historique2 ».
L’ouvrage est trop riche pour en détailler tous les aspects. Mais ce qui frappe à la lecture de ces textes, au-delà de leur force d’érudition ou de conviction, c’est pour nombre d’entre eux leur étonnante résonance dans notre présent : leur capacité à éclairer nos interrogations sur la nature de l’islam et l’état des sociétés musulmanes, à la lumière d’une « géopolitique spirituelle » qui, mêlant études de la langue, des idées et des influences, nous aide, deux ou trois générations après leur publication, à mieux mettre en perspective les débats d’aujourd’hui sur le « fait religieux » ou le « choc » des civilisations.
S’impose aussi au fil de la lecture la puissance de témoignage de Massignon, servie par une langue singulière s’accordant à la fois à une sensibilité religieuse atypique et à une activité scientifique de grande ampleur. On sait la prégnance des évocations transhistoriques – « intersignes », « substitués », saints et inspirés – dans la vision et l’engagement spirituel de Massignon. Elle n’a d’égale que la rigueur de sa méthode et la constance de ses engagements publics, auxquelles elle était intimement liée. Figure dominante de l’islamologie française durant près de cinquante ans, savant imprégné d’éthique scientifique, Massignon aura en effet orienté sa vie selon une visée qui marquera toute son œuvre : explorer à travers la figure d’Abraham, l’étranger en une terre nouvelle, la possibilité de la réconciliation entre judaïsme, christianisme et islam, et d’une manière de fonder la vie en société sur le respect dû à l’hôte étranger, son droit à l’hospitalité. Cette quête aura trouvé des points d’application souvent douloureux, le conflit israélo-palestinien, l’avenir de l’Afrique du Nord, les « personnes déplacées », la relation au monde musulman, questions amplement traitées dans ce recueil. Les textes révèlent la capacité d’empathie qui soutenait ses combats, de « participation » comme il le revendiquait, « à la mentalité de ceux avec qui nous avons à discuter notre avenir et notre salut ».
Son refus de la partition de la Palestine mandataire fut souvent perçu comme une attitude « pro-arabe » et anti-israélienne. Fondé sur une conception spirituelle de la terre sainte, ce refus avait un pendant politique, le projet d’État binational, alors défendu par Martin Buber et Judah Magnes, dont Massignon fut proche. Il partageait avec eux une critique issue de l’intérieur du sionisme, qui en visait l’aile dure, un sionisme de la surenchère militaire et de la conquête territoriale, prônant pour les juifs de Palestine retranchement dans la nationalité et avance militaire sur les Arabes. Après plusieurs guerres israélo-arabes, l’enlisement du règlement du conflit israélo-palestinien dans une atmosphère saturée d’invocations au « religieux » justifie peut-être, rétrospectivement, une écoute attentive de l’exhortation de Massignon à une reconnaissance réciproque inspirée de la vocation messianique, supranationale, des monothéismes, aussi irénique puisse-t-elle paraître.
Pour l’Afrique du Nord, on connaît l’argumentation « canonique » de Massignon contre la déposition de Mohammed V, son dévouement à la cause des travailleurs nord-africains, ses vues généreuses et très documentées sur une société algérienne « colonisée sans ménagement ». Les textes rassemblés sur le sujet révèlent une perception très fine de la situation psychologique au Maghreb et une prescience étonnante de ce qui allait advenir en Algérie une décennie plus tard (la guerre et l’exode des Français « européens »). Les termes dans lesquels Massignon traite certains aspects de notre politique nord-africaine d’alors et des possibilités ouvertes à notre « politique musulmane » (l’éducation, l’enseignement de l’arabe et du français, la place de l’islam dans la communauté française) font encore écho à certaines questions concernant aujourd’hui tant notre diplomatie culturelle au Maghreb et au Moyen-Orient que la situation des musulmans de France.
Son engagement inlassable en faveur du droit d’asile et des « personnes déplacées », particulièrement dès 1948 des réfugiés palestiniens, conserve toute sa signification actuellement, alors que le nombre croissant des réfugiés, l’ampleur inégalée des migrations internationales et la figure du travailleur immigré clandestin constituent des défis politiques majeurs pour nos sociétés. Ces questions interpellaient pour Massignon la « vocation internationale suprême de la France à ordonner un idéal selon la justice » : ces « écrits mémorables » en témoignent abondamment.
Ces divers combats furent souterrainement nourris par l’étude rigoureuse et passionnée de la langue arabe, dont la présence agissante a imprégné son retour à la religion (en Irak, en 1908). La lecture de Massignon montre à quel point l’approfondissement de la spécificité « sémite » de l’arabe a déterminé chez lui, en interaction intime avec sa foi, un cheminement intellectuel et spirituel tendu vers l’universel. Parmi les langues que la prophétie a instituées, nous dit-il, l’arabe est celle qui a conservé les propriétés essentielles les plus pures. Après une tendance initiale en faveur de la réforme de cette langue de civilisation, qui fut durant des siècles une grande langue de diffusion à vocation universelle, Massignon aura lutté contre les tentatives de modernisation qui en menaçaient la complexité, porteuse pour lui d’un rapport à la réalité abrupt et épuré, concentré sur l’acte plus que sur le sujet : réceptacle et expression, par sa capacité de condensation et de concision, de la matérialité des choses autant que de la transcendance.
D’où un regard sur les sociétés musulmanes marqué par une forte attention au concret et à la charge spirituelle de la langue : sa méthode d’investigation sociologique avait trouvé son origine dans l’étude de la structure interne des corps de métiers en Islam, pour aboutir à dégager, expliquait-il, « la valeur sociale permanente » de l’arabe, langue liturgique du Coran et « seule langue sémitique à expansion technique internationale ». Et il précisait3 :
La mystique, spécialement en Islam, a sur la vie sociale une incidence secrète et profonde, en tant que source de purification des intentions. La majeure partie de mes recherches et publications, tant en français qu’en arabe, étudie cette incidence.
Pour autant, le lien entre langue, mystique et société ne définit pas chez Massignon un système clos, replié sur un sémitisme étroit, fût-il spiritualisant. À partir de sa pratique d’arabisant, Massignon explore d’autres univers : turc, persan, indien, mais aussi au-delà des frontières de l’Islam. La vocation supranationale de l’arabe, qui a été un puissant vecteur de traduction et d’expression scientifique, et dont il nous rappelle qu’il a servi à l’élaboration au Xe siècle de la première ébauche de droit international, a soutenu et accompagné l’universalisme passionné, le « catholicisme » au sens plénier du terme que Massignon n’a cessé de professer. Son plaidoyer argumenté pour l’organisation d’échanges intellectuels fondés sur une politique de traductions, comme « solution culturelle » aux conflits de civilisation, en procède naturellement et apparaît de manière récurrente dans ses écrits.
Ces « écrits mémorables » restituent aussi la tonalité conférée à sa vie et à son œuvre par sa culture catholique et sa sensibilité dévotionnelle, liées à une forme d’esprit chevaleresque trempé à l’expérience du désert, dans le voisinage spirituel de Psichari et Foucauld. Ce qui pourrait amener à s’interroger sur la réception et la portée de l’œuvre aujourd’hui : quelle place occupent les conceptions de Massignon dans le champ de l’orientalisme, si on les compare par exemple à celle de Berque, laïcisant épris de modernité, solidaire des Arabes entraînés dans la « profanation du monde », le seul peut-être à l’égaler par la capacité intuitive, l’originalité du style, l’imprégnation de l’arabe, l’ampleur de la perspective ? Massignon fut décrié autant que révéré pour ses fulgurances irrationnelles. Celles-ci n’auront-elles pas injustement et superficiellement oblitéré la justesse de ses intuitions et de ses percées scientifiques et affecté de manière réductrice la perception de son œuvre ? Dans quelle mesure enfin Massignon, entre l’héritage de Huysmans, Péguy et Bloy, le compagnonnage de Claudel et le rappel inlassable à une vocation universelle de la France, ne demeure-t-il pas un phénomène très français, voire trop français pour être aujourd’hui pleinement entendu ?
La lecture des textes apporte d’elle-même la réponse. En premier lieu, Massignon nous laisse une grande leçon de méthode. Dans un temps marqué par la montée de l’Islam au-devant de la scène mondiale, alors que la recherche sur celui-ci est largement dominée par les sciences politiques, et requise par une forte attention à l’actualité, la vision ample de Massignon illustre les vertus d’une approche transversale et en profondeur. Le livre montre bien comment l’intellectuel engagé pour la justice, le catholique imprégné de spiritualité « abrahamique », a ancré ses prises de position dans une pratique scientifique pluridisciplinaire exigeante : traducteur, commentateur et exégète de l’expérience mystique en Islam (à partir de son « Grand « Œuvre » sur El Hallâj), interprète respecté des fondements spirituels de la légitimité islamique, il fut également sociologue de l’islam (il a été élu au Collège de France à la chaire de sociologie et de sociographie musulmanes). Responsable de nombreuses enquêtes de terrain, il a manifesté une immense attention aux réalités psychologiques et matérielles des sociétés étudiées.
La grande force de Massignon aura été sa capacité à se placer dans l’axe profond de la légitimité musulmane, celle de la tradition longue (qui n’a jamais cessé d’être actuelle), en deçà du néofondamentalisme islamique moderne et de ses avatars contemporains (les divers « islamismes »), qui déterminent largement notre vision de l’islam. Elle se fondait sur sa perception acérée, comme croyant et comme savant, de la capacité spécifique de la langue arabe, et de la tradition spirituelle à laquelle elle a donné forme, à « convoquer la vérité ». Ce « littéralisme inspiré » l’aura prédisposé à saisir les lignes de fond de la conscience et de l’histoire musulmanes, orientées selon lui par une pure et récurrente revendication de justice. D’où son attention, non seulement à l’esprit du raisonnement canonique, mais aussi à la puissance d’admonestation et à la dimension eschatologique de l’islam, et sa conviction que l’esprit de cette religion légalitaire « vit moins dans ses institutions que dans sa foi en un sauveur, en la promesse du jugement ». Son empathie à l’égard de cette « clameur de justice » authentifiera d’un sceau particulier tant ses prises de position politiques que son décryptage des réalités arabes et musulmanes4.
Cette capacité à restituer de l’intérieur la spécificité musulmane ne l’empêchera pas d’avoir un sens aigu de l’opposition des civilisations. Mais pour Massignon les civilisations ne sont pas des ensembles purs, hétérogènes les uns aux autres. Elles sont le résultat d’« infiltrations » successives et réciproques, prises dans la dynamique de transformation du mouvement historique. La reconnaissance de ces infiltrations, et de la part éventuellement positive que peut y prendre le politique, est aussi importante dans sa vision que le constat du conflit proprement dit. Il souligne à plusieurs reprises le caractère asymétrique de celui-ci et la « blessure psychique » qui en découle, aggravée à l’ère coloniale par les techniques d’exploitation du monde déployées sans retenue par un Occident oublieux de son legs chrétien. Des voies de réconciliation existent, insiste-t-il, moins « par le milieu social » qu’en mobilisant « les éléments intellectuels supérieurs » propres à chaque culture (concepts, valeurs, œuvres) par l’intermédiaire de traductions : désamorcer le conflit, c’est avant tout réduire et objectiver des écarts tenant essentiellement au « mode de présentation de l’idée » spécifique à chaque langue.
L’ouvrage réserve une place centrale à El Hallâj, le « témoin essentiel », à travers une série de textes autour du grand livre de Massignon consacré à la Passion du « martyr mystique de l’islam ». Ce monument de l’islamologie demeurera une référence majeure : outre la restitution d’une époque et d’un climat humain, il aura ouvert à une véritable phénoménologie de la conscience islamique, inaugurant une lignée qui en France notamment nous conduit à travers Henry Corbin jusqu’à Christian Jambet, et aura fécondé au-delà de nos frontières de nombreuses recherches.
Ces Écrits mémorables apparaissent finalement comme un manifeste « pro Massignon » par lui-même, particulièrement utile et bienvenu5. Ils mettent en perspective tous les contrastes d’une vie de recherche et d’engagement, ici à peine effleurés : le témoignage du chrétien et le pacte d’honneur avec les musulmans, la révérence envers Israël dépositaire de l’espérance messianique (raison profonde d’un sionisme initial jamais reniée), une sensibilité antimoderne mêlée à la « rage laïque de comprendre », l’éthique de l’officier et la stigmatisation du mépris colonial, la positivité scientifique et, au cœur de son rapport à l’islam, le sens aigu de la « substitution » spirituelle (notamment par les figures « christique » et « mariale » d’El Hallâj et Fatima, fille du prophète). On sent à leur lecture combien la méditation de la parole humaine et de la toujours mystérieuse « Visitation de l’Étranger » aura fait d’un grand savant attentif au monde un apôtre de la sortie de soi, vers l’autre et le différent.
Bruno Aubert
Librairie
Wendy Brown, MURS, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009, 208 p., 15 €
Le livre de Wendy Brown se propose de revenir sur la thèse, déjà défendue dans les Habits neufs de la politique mondiale (Les Prairies ordinaires, 2007), d’un déclin des souverainetés nationales sous l’essor du néolibéralisme, interprété cette fois à la lumière d’un phénomène qui, en apparence, suggère le retour des États-nations, la prolifération des murs aux quatre coins du monde. La présence de murs, entre le Mexique et les États-Unis, entre l’Inde et le Pakistan, l’Arabie Saoudite et l’Irak, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, en Palestine, etc., suggère un devenir inattendu des frontières que la chute du mur de Berlin a pu, en son événementialité propre, occulter.
Pour la philosophe américaine, les murs, c’est là sa thèse majeure, ne doivent pas être compris selon leur seule fonction de séparation entre des États-nations. En réalité, ces nouvelles barrières « ne visent pas à parer aux attaques éventuelles d’autres souverains » (p. 15) mais elles déplacent la nature même du danger d’un envahisseur extérieur identifié à une nation vers un envahisseur doté d’un tout autre statut, celui de l’individu ou du groupe potentiellement dangereux, qui cherche à s’immiscer pour des raisons propres dans le pays protégé par le mur. Les murs répondent moins à un désir de protection contre d’autres nations qu’à la construction d’une nouvelle dangerosité en rapport avec les formes nouvelles des relations transnationales. C’est en ce sens qu’ils sortent d’une logique stricte de souveraineté. Les migrations, les contrebandes, les crimes, le terrorisme ne sont pas tant les émanations d’une souveraineté nationale que des phénomènes postnationaux qui entérinent l’idée d’une mondialisation néolibérale des échanges. Les murs tiennent lieu ainsi d’une politique à l’âge de la mondialisation, hors des logiques des souverainetés nationales. D’où la thèse centrale de Wendy Brown :
C’est l’affaiblissement de la souveraineté étatique […] qui a poussé les États à bâtir frénétiquement des murs.
Pour comprendre cette thèse, Wendy Brown rappelle que la souveraineté de l’État-nation a été affaiblie, d’une part du fait de l’essor non contesté des critères marchands du néolibéralisme qui ont progressivement prévalu sur les formes de rationalité politique et juridique du libéralisme classique, d’autre part du fait du développement des institutions internationales (FMI, OMS…). L’amplification des mouvements des capitaux et le développement des institutions internationales ont pour conséquence une certaine dissolution du thème de la souveraineté politique. Il en résulte une dissociation de la logique de l’État et de la fonction de souveraineté. Le premier s’exerce de plus en plus comme acteur non souverain tandis que la seconde tend à être reversée du côté de l’économie politique et également de la violence religieuse. La souveraineté quitte alors son enveloppe d’État-nation pour verser du côté de la domination du capital ou de la violence politique qui se réclame de Dieu. Dans ce contexte, les murs expriment moins la souveraineté nationale qu’ils n’attestent de son érosion et de sa métamorphose. Les murs relèvent donc alors moins d’une logique de la nation qu’ils ne participent d’un paysage mondial postnational où ce qui mérite d’être séparé ce sont les zones riches des zones pauvres, les zones habitables des zones dangereuses.
Reste alors à poser la question suivante : si les murs ne répondent pas à une souveraineté nationale, d’où vient le désir de mur ? En fait, il répond tout d’abord au désir de faire ressurgir dans un monde postnational le fantasme de la souveraineté nationale : il participe ainsi d’une volonté de faire revivre le monde « aux anciens parapets » en recréant une aura d’un pouvoir souverain largement discréditée. Mais le désir de mur répond aussi à une fonction anthropologique centrale consistant à offrir « ce que Heidegger appelait un “tableau du monde rassurant” à une époque où s’effacent progressivement les horizons, les limites et la sécurité » (p. 25-26), permettant de répondre positivement aux conditions d’intégration sociopsychique des êtres humains. Cette dernière perspective, amplifiée en fin de livre, fait surgir l’étranger comme individu dangereux par excellence. Que ce soit comme immigré ou, le cas échéant, comme terroriste, l’étranger est cet être amalgamé à partir du désir de faire mur pour une société. Il est une construction produite par la nation en mal de souveraineté. Les murs ne se contentent pas de séparer, ils produisent un fantasme de la séparation qui relègue dans l’altérité étrangère toutes les formes du mal.
Les murs sont des écrans sur lesquels peut être projeté un Autre anthropomorphisé, cause des maux qui affectent la nation, dilution de l’identité nationale par le brassage ethnique, usage de drogue, crime, baisse des salaires réels.
Ainsi les murs sont-ils moins des remparts que des écrans dont la demande procède de la nécessité psychique d’ordonner le monde de tous les jours afin d’éviter toute menace.
C’est donc la phobie d’un réel bousculé qui induit la construction des murs. Cette dernière relève alors d’une anthropologie de la quotidienneté dont certains traits sont communs à la sécurisation dans l’ordinaire analysée par Heidegger (cité p. 183). Le désir de quotidienneté est un désir d’imperméabilité doublé d’une angoisse de la souillure. Le lien à la souveraineté se voit ici proposé par Wendy Brown. Si l’une des prérogatives de la souveraineté est de délimiter soigneusement l’espace intérieur sur lequel gouverner en le séparant de toutes les formes externes, alors il existe un jeu de renvoi entre le gouvernement de soi et le gouvernement de la nation. Dans les deux cas perce le fantasme de la maîtrise articulé à l’impossibilité physique et psychique d’être pénétré par l’autre. Dans les deux cas, l’identité est comprise comme une forteresse à protéger absolument.
Cette compréhension masculiniste du pouvoir sur soi et sur les autres repose sur un mécanisme de défense que Wendy Brown étudie à la fin de son livre en se rapportant à Freud qui souligne que l’hystérie de défense constitue une réaction pathologique à une angoisse devant un contenu psychique bouleversant. En réalité, les sujets individuels comme les sujets nationaux sont des sujets perméables, pris dans des relations de voisinage, de dépendance mais ils ne construisent leur scène psychique intérieure qu’en niant les formes d’exposition qui les traversent. C’est donc par le biais de murs psychiques qu’ils rejettent à l’extérieur des éléments qui ont déjà pénétré à l’intérieur :
Les murs offrent une défense psychique qui projette au dehors un ensemble d’échecs internes ou systémiques, empêche de les reconnaître, et occulte la réalité intolérable de la dépendance, de la vulnérabilité nue.
Il existe donc une forte analogie entre le moi psychique et le moi national. Ces deux formes de moi veulent se tenir à distance de ce qui l’a déjà pénétré.
Le désir de murs, s’il est suscité par l’angoisse devant la pénétration, tend ainsi à construire l’idée même de moi en la soustrayant à toutes les multiplicités dont il cherche à se tenir à distance. Si la cause de ce désir de murs est la volonté d’échapper à des souffrances en rapport avec des formes de violation, c’est pour mieux asseoir le projet d’un moi maître à bord. Mais les murs ne se contentent pas de mettre à distance du moi ou de la nation l’envahisseur. Ils le construisent comme envahisseur et produisent la scène intérieure d’une guerre avec l’extérieur. En ce sens, les murs ne font pas que protéger une identité menacée, ils construisent l’« hyperidentité » (p. 202) du moi ou de la nation en créant une vision du monde entièrement en rapport avec le fantasme de l’agression. Ce faisant, ils réactivent la fonction de protection de la souveraineté dont l’attribut, viril, par excellence, est d’empêcher tout type de pénétration. Comme l’affirme Wendy Brown, « les murs restaurent l’image du souverain et de ses capacités protectrices » (p. 203).
Ainsi compris, le livre de Wendy Brown retrouve certaines questions laissées en suspens dans les dernières réflexions de Derrida sur l’hospitalité. Pour les deux auteurs, il semble que ce soit seulement en laissant libre accueil à « ses » autres que l’on peut, dans le même temps, accueillir « les » autres. La condition de ce double transport, c’est une volonté de ne pas tellement clôturer et il semble bien, dès lors, que la possibilité de la non-clôture ce soit une certaine éthique de la non-violence comprise comme disponibilité à « ses » autres et « aux » autres. Il faut alors comprendre le désir de mur comme l’abandon de toute possibilité d’une vie selon la non-violence.
Guillaume le Blanc
Ahmet Insel, Michel Marian, DIALOGUE Sur LE TABOU ARMÉNIEN, Paris, Liana Levi, 2009, 168 p., 15 €
Pourquoi le livre ici présenté a-t-il une force de conviction particulière ? Sans doute parce que le même discours n’a pas la même signification, la même véracité, selon ceux qui le tiennent. Qu’est-ce qui fait la crédibilité du dialogue conduit par Ahmet Insel et Michel Marian ? D’abord que chacun d’eux peut mobiliser, au-delà de ses compétences d’analyse, des récits familiaux, transmis parfois au travers même des pudeurs et des silences. On n’a donc pas affaire d’abord à des généralités, à des causes, à des grandeurs, mais à des engagements ancrés dans un vécu capable de se raconter. Capable aussi de se rapporter à soi de façon réfléchie, c’est-à-dire réfractée, décalée. Et c’est justement cette étroitesse de l’angle narratif qui atteste la puissance d’élargissement du regard qui est ici à l’œuvre.
D’où provient cette puissance d’élargissement ? D’un double événement : la parole et l’assassinat de Hrant Dink. Cet intellectuel arménien d’Istanbul, héritier d’un marxisme critique autant que d’un évangile vibrant, n’avait eu de cesse de déconstruire et de reconstruire autrement l’identité bloquée des Arméniens de Turquie, mais aussi des Turcs eux-mêmes, et de la diaspora arménienne où il avait beaucoup voyagé. Le charisme de son appel au pardon, la sincérité de son témoignage quasi prophétique que l’histoire n’est pas finie, avaient su provoquer une dynamique, un déplacement des points de vue. Et c’est pourquoi son assassinat, en janvier 2007, par un jeune militant turc d’extrême droite, a suscité une telle émotion. Cent cinquante mille personnes à son enterrement, un procès qui montre l’implication de généraux au plus haut niveau, et une pétition signée par quatre intellectuels turcs, dont Ahmet Insel, pour demander pardon – les signataires, immédiatement menacés de mort, se voient rejoints en quelques semaines par des milliers de cosignataires.
Demander pardon ! C’est un thème que j’ai assez travaillé moi-même depuis plus de vingt ans, celui des mémoires blessées et trouées, et de savoir « ce que le pardon vient faire dans l’histoire » (Esprit, juillet 1993), et jamais je n’aurais osé demander une telle chose. C’est d’abord que seuls peuvent demander pardon ceux qui ont commis le tort, écrivais-je dans les tables des conditions du pardon. Mais le geste ici proposé, sans doute sous l’ébranlement d’une émotion sensible (je veux dire une émotion ayant des effets d’intelligibilité), déplace tranquillement les conditions du problème. Voici des intellectuels turcs qui se déplacent pour prendre sur eux la responsabilité politique du passé, et donc de l’avenir : une responsabilité politique, à ne pas confondre avec une responsabilité morale ou pénale.
C’est donc un acte dont il faut mesurer la portée politique, et auquel répond ici un acte non moins étonnant, non moins politique, celui de Michel Marian et de ses amis arméniens de France. Le génocide de 1915 avait déjà été publiquement reconnu par un tiers, le parlement européen, l’assemblée nationale française, et c’était sans doute pour eux une délivrance, ce n’était plus à eux seuls de porter cette parole. Mais ils avaient aussi découvert que cela n’avait rien changé en Turquie : au contraire, les choses semblaient plus que jamais bloquées. Et c’est parce que des intellectuels turcs se sont ainsi déplacés, qu’à leur tour ils peuvent changer de pied, en quelque sorte. L’histoire est comme débloquée. Non qu’ils puissent prendre sur eux d’accorder le pardon, mais qu’ils puissent prendre sur eux d’entendre cet appel, de le considérer comme audible, acceptable, de le recevoir simplement, même sans pouvoir y répondre.
Et cela suffit à autoriser une histoire à plusieurs voix, une histoire ancrée dans des mémoires et des narrations qui acceptent de s’intriguer mutuellement, de se replacer mutuellement dans un contexte plus vaste. Ce n’est donc pas seulement de récit familial qu’il s’agit, mais de ce que chacun avait fait en termes d’engagement politique, qui rend ce dialogue plausible et ce déplacement crédible. Il s’agit d’une réinterprétation du passé à deux voix. Certes, on y apprend beaucoup sur la chronologie des événements et les rôles des différents acteurs : comment Clemenceau voulait ériger un tribunal pour punir les individus responsables du génocide, quand Wilson préférait sanctionner par le démembrement de l’Empire. On y mesure l’importance de la contribution ottomane à l’invention des génocides, et la résistance de certains préfets. On y découvre l’ampleur de l’islamisation forcée des femmes et des enfants arméniens rescapés des déportations, et qui fait que de nombreux Turcs aujourd’hui descendent sans même le savoir d’Arméniens. On y entrevoit l’énormité de l’ébranlement.
Mais aussi les points d’ancrage de la mémoire collective s’y avèrent non seulement différents mais objets de différends. Et justement parce qu’ils mesurent et formulent peu à peu les points sur lesquels ils ont encore le sentiment que « les autres ne comprennent pas », ils opèrent ce travail de mémoire qui permet d’intégrer à la mémoire commune les points d’accord, mais aussi les points importants de la mémoire de l’autre qu’il leur faudra prendre en considération. Les uns rouvrent le passé, découvrent qu’ils ont manqué de curiosité pour leur histoire, en mesurent les dégâts jusqu’à aujourd’hui, les possibles enfouis et écrasés. Les autres découvrent qu’ils ont manqué de curiosité pour la société turque et sa réalité plurielle, hétérogène ; ils rouvrent au présent la possibilité d’un autre avenir du passé. Tous savent l’extrême dangerosité du nationalisme turc, ont mesuré la dissymétrie démographique et l’énormité des décombres de l’Empire ottoman, qui fait du génocide arménien un problème parmi d’autres – là où les enfants de victimes ne peuvent qu’y voir un malheur incomparable.
Ce livre, enfin, est comme un témoignage à deux voix que l’histoire n’est pas finie. Elle n’est pas finie au sens d’abord où cela ne « passe » pas facilement, où les forces de ressentiment sont puissantes, et où le pire peut être à venir. Il faut être prudent, mesurer les obstacles, respecter les inimitiés. Mais cette histoire n’est pas finie au sens où le combat de Hrant Dink pour une réelle égalité des droits civiques pour tous les minoritaires de Turquie est aussi un combat pour une Turquie démocratique, capable de rouvrir un autre rapport à son passé et à son avenir.
À notre tour, voudrais-je ajouter, de déplacer les opinions publiques en France et en Europe, pour prendre aussi sur nous une partie de la responsabilité de ce qui s’est passé dans ces années terribles de la Grande Guerre, où nos nationalismes ont fait éclater les vieux empires. Je dis cela non par nostalgie des empires multinationaux, mais parce que c’est bien notre tâche à tous, après la destruction de la dernière guerre, que de s’inventer avec nos ennemis mêmes, et sans nous cacher les conflits mais en cherchant ensemble les conflits les plus représentatifs, une société européenne assez postnationale pour se regarder en face. Merci à ce livre d’être un magnifique exemple du travail qui nous attend.
Olivier Abel
Gilbert Achcar, LES ARABES ET LA SHOAH. La guerre israélo-arabe des récits, Arles, Actes Sud, 2010, 525 p., 26 €
Il est des livres dont l’impact réel va au-delà de ce qu’affiche leur titre. C’est le cas du dernier ouvrage de l’historien et politiste Gilbert Achcar. À un premier niveau, il s’agit d’une enquête sur un cas particulier de « concurrence des victimes ». En effet, à un niveau propagandiste, l’interminable conflit israélo-palestinien (ou encore « judéo-arabe ») se double depuis plus de soixante ans d’une référence à deux catastrophes subies par les protagonistes. La première, et la plus reconnue comme telle, est le génocide des Juifs commis par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, et dont les dénominations les plus courantes dans la sphère publique sont, on le sait, « Shoah » et « Holocauste6 ». La seconde est l’exil des Palestiniens en 1948 et après, qu’il est difficile – les travaux des historiens permettent aujourd’hui de l’établir – de distinguer dans bien des cas d’un nettoyage ethnique. L’auteur rappelle utilement qu’il n’en découle aucune symétrie. Ces « mots chargés de douleur » ne renvoient pas à des torts partagés. D’abord, parce que la Nakba – c’est ainsi que cette catastrophe (traduction littérale) est désignée en langue arabe – est un fait interne au conflit du Proche-Orient, alors que la Shoah concerne l’Europe. En d’autres termes, les Palestiniens ont été victimes de ceux qui étaient en train de devenir des Israéliens, alors qu’il est impossible d’affirmer la réciproque, quels que soient les efforts récurrents pour assimiler hier Arafat ou aujourd’hui le Hamas ou le Hezbollah à Hitler. La seconde différence se trouve dans ce qu’on est bien obligé d’appeler une « échelle de la barbarie » : il n’y a pas de commune mesure entre l’entreprise nazie d’extermination et l’expulsion des Palestiniens. Là aussi, les tentations rhétoriques (qui sont loin de concerner uniquement la Palestine…) d’appeler « génocide » n’importe quel crime de guerre sont insupportables, et condamnées comme il se doit par Achcar. En rupture avec la théorie du « différend », chère au regretté Jean-François Lyotard, ce dernier, comme d’autres auteurs avant lui (Henry Laurens par exemple dans sa monumentale Question de Palestine), ne désespère cependant pas de pouvoir intégrer à une histoire faisant consensus les récits antagonistes des différents peuples en conflit au Moyen-Orient. Ce n’est pas que la chose soit aisée ; après tout, on peine encore à y parvenir concernant la France et l’Allemagne, pourtant réconciliées depuis un demi-siècle ! Encore n’a-t-on jamais douté qu’il y avait entre ces deux pays une étroite, quoique souvent tragique, communauté de destin. Ce n’est nullement le cas pour les Juifs et les Arabes, si on laisse de côté quelques propos convenus sur d’hypothétiques « âges d’or ». Pourtant, il y a déjà des tentatives en cours pour élaborer ce récit commun, alors que la perspective d’une paix fondée sur la justice semble plus lointaine que jamais. Cela passe par exemple par des initiatives sur lesquelles nos médias, prompts à monter en épingle la moindre manifestation de « négationnisme » arabe, se montrent d’une grande discrétion. Ainsi, ces voyages à Auschwitz organisés par tel prêtre palestinien, ou encore cette exposition organisée le 27 janvier 2009, journée commémorative de la libération des camps, dans le village cisjordanien de Naalin, haut lieu par ailleurs de la lutte contre le « mur de séparation » isolant les territoires occupés !
Fort d’une connaissance peu commune des courants politiques au sein du monde arabe, l’auteur tord le cou à un certain nombre d’idées reçues. Du point de vue de l’idéologie, parler des « Arabes » ou de l’« islam » est totalement dépourvu de sens. Loin de ces platitudes « orientalistes » (au sens d’Edward Saïd), Achcar distingue au Machrek quatre familles politiques. Deux sont connues, ce qui ne veut pas dire comprises, du buzz (pardon : du ramdam !) médiatique : les nationalistes et les islamistes. Deux autres sont systématiquement oubliées : les « occidentalistes libéraux » et les marxistes. Pour la première catégorie, celle en somme des « Lumières » arabo-musulmanes dont on méconnaît aujourd’hui (y compris dans les sociétés concernées) la position de force qui fut la leur dans les années 1920 et 1930 du siècle dernier, l’auteur a choisi de prendre l’exemple de son propre père. Joseph Achcar avait soutenu en 1934 une thèse portant sur la France et l’Angleterre dans le Proche-Orient. Ce choix n’a pas seulement été dicté par la piété filiale, il lui permet de réfuter d’emblée l’image d’un « monde arabe » uniment indifférent aux persécutions nazies, alors dans leur phase initiale. Le père de l’auteur faisait preuve d’une empathie indiscutable avec les victimes de ces persécutions tout en affirmant cette vérité trop souvent occultée : « On ne répare pas une injustice par une autre. » Joseph Achcar n’était pas une exception. Il y a lieu d’en finir, comme nous le démontre rigoureusement son fils en se fondant sur les sources en langue originale, avec la vision d’un monde arabe accueillant par essence aux doctrines fascistes et nazies, à l’antisémitisme, au négationnisme. Il y a eu, et il y a encore des fascistes arabes, comme il y a des fascistes et des racistes français, latino-américains… et juifs, ou israéliens. Mais il y a eu aussi, et c’est un des principaux scoops de ce livre, des antifascistes et des « philosémites7 » arabes ou musulmans. Même un futur pilier de l’islamisme comme Rashid Rida (1865-1935) avait commencé sa carrière comme dreyfusard ! Et, plus près de nous, s’il est, hélas, vrai que le livre négationniste de Roger Garaudy, et son auteur lui-même, ont reçu un accueil généralement dithyrambique au Proche-Orient, il faut aussi souligner que même au sein de ce que l’auteur considère comme une époque marquée par un recul de l’esprit critique, il s’est trouvé des intellectuels (comme Samir Kassir) pour sauver l’honneur. De même, quelle qu’ait été son évolution ultérieure, le parti Ba’ath était loin au départ d’être monolithique. Si un Al-Arsuzi, lecteur de Houston Stewart Chamberlain, a indiscutablement incarné une tentation pronazie, il n’en fut pas de même d’un Michel Aflaq (1901-1989), la figure la plus charismatique du Ba’ath pendant près d’un demi-siècle. Les références d’Aflaq, qui sympathisa avec le Front populaire, étaient au départ du côté de la grande tradition démocratique et humanitaire (Gide, Rolland et Mazzini). Ces figures sont également celles qu’invoque au même moment la mouvance de l’occidentalisme libéral en Égypte. Analysant les textes du mouvement « Jeune Égypte » ou des revues Ar-Risala et Al-Hilal, l’auteur ne manque pas de rappeler leur opposition au nazisme et leur dénonciation de la chasse aux Juifs. Non pas, par ce qui reviendrait à la construction d’un contre-mythe, qu’Achcar minore les tendances pronazies ou judéophobes. Mais, même là, il ne faut pas confondre propagande et histoire. Après tout, la partie adverse infère des contacts avérés entre ultranationalistes de Jabotinsky, l’ancêtre du Likoud, et les puissances de l’Axe des équations absurdes du style « sionisme = nazisme ». Ainsi, à propos du fameux mufti de Jérusalem, Hajj Amin-el-Husseini (1895-1974), toujours cité comme « preuve » de la collusion entre nationalisme palestinien-arabe et Allemagne nazie, l’auteur est parfaitement clair. En premier lieu : il est vrai que le mufti a non seulement approuvé la « solution finale », mais il a mis la main à la pâte, en « conseillant » Heinrich Himmler et en recrutant une légion musulmane SS dans les Balkans. En second lieu : le fait n’est pas représentatif. Dans la grande majorité des cas, les nationalistes arabes et les islamistes – à l’exception du Syrien Chekib Arslan (1869-1946) – ont refusé la main tendue par Rome et Berlin. Il faut donc refuser une stigmatisation qui ne repose pas sur des faits et dont les arrière-pensées ne sont que trop évidentes.
L’auteur conclut sur une proposition peut-être moins utopique qu’il n’y paraît : celle d’une « reconnaissance mutuelle » de la Shoah et de la Nakba. Elle permettrait d’isoler les négationnistes et autres prêcheurs de haine en tous genres dont l’action néfaste ne saurait être sous-estimée. « La guerre des récits », comme la guerre tout court ne peut être pacifiée que par la justice et la vérité.
Daniel Lindenberg
Jean-Claude Caron, FRÈRES DE SANG. La guerre civile en France au xixe siècle, Paris, Champ Vallon, coll. « La chose publique », 2009, 306 p., 25 €
Spécialiste des révoltes populaires et de la violence au xixe siècle, l’historien Jean-Claude Caron étudie dans un ouvrage dense les luttes fratricides qui ont violemment divisé les Français depuis la Révolution française et pendant une grande partie du xixe siècle, de la révolution de Juillet 1830 jusqu’à la Commune de Paris, en passant par la révolte des Canuts lyonnais en 1831 et 1834 et la révolution de 1848.
C’est un lieu commun de considérer que la fréquence de ces luttes intestines que l’on a un peu trop facilement et rapidement qualifiées de guerre civile selon J.-C. Caron, aurait constitué depuis 1793 l’une des caractéristiques de la France et des Français qui, à la différence des Britanniques, seraient incapables de trouver des formes pacifiques de régulation du conflit ou, à la différence des Allemands, les moyens de dégager un consensus susceptible de leur épargner des mouvements de violences, récurrents. Il n’est d’ailleurs pas un seul conflit de notre histoire récente où le spectre de la guerre civile n’ait été agité. Que l’on se souvienne de l’allocution radiotélévisée du général de Gaulle le 24 mai 1968, appelant les Français à ne pas « roul[er], à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses ». En invoquant la guerre civile pour discréditer le mouvement étudiant et ouvrier, de Gaulle reprenait un thème qui avait été utilisé avant lui au xixe siècle par les républicains modérés, dont Tocqueville, en juin 1848, ou par Thiers et « les Versaillais » pour – et c’est toute la différence avec de Gaulle en 1968 – justifier le massacre d’une grande partie des ouvriers insurgés qui entendaient que la République ne soit pas seulement celle des libertés politiques mais aussi une république sociale.
Qualifier ces événements de guerre civile était « une nécessité historique » pour discréditer l’adversaire, lui refuser de s’inscrire dans l’achèvement – social – d’une révolution commencée en 1789, en particulier quand le suffrage universel était posé dès 1848 comme un droit rendant l’insurrection définitivement illégitime et de nature à pacifier et ordonner la République. C’était aussi pour les vainqueurs une manière de vider ces insurrections de leur signification sociale et politique, de les réduire à la seule volonté des insurgés de porter un coup fatal, tels des ennemis de l’intérieur, à la stabilité, à la paix civile, de répandre le désordre et la discorde, ce qui justifiait les violences les plus terribles – 5 000 morts et 18 000 arrestations en juin 1848, 4 000 morts pendant la Semaine sanglante de 1871, peut-être 17 000 morts après le verdict des cours, 40 000 arrestations.
La démonstration très serrée de Jean-Claude Caron procède en deux temps. Les six premiers chapitres définissent ce qu’est la guerre civile. Ils en délimitent les frontières particulièrement poreuses, étudient les façons dont les philosophes, les juristes, les sociologues et les historiens, mais aussi les écrivains du xixe siècle (Chateaubriand, Hugo), ont construit cet objet en la distinguant de la guerre extérieure. Chez tous les auteurs, à l’exception des auteurs anarchistes ou bien partisans de l’action directe (Bakounine, Blanqui et Sorel), à l’exception aussi des marxistes pour qui la guerre civile est analysée comme une guerre sociale, acmé de la lutte des classes, elle est le mal absolu, détruisant la polis, justifiant toutes les violences, remettant en cause toutes les catégories du bien et du mal, et auquel aucun jus belli ne s’applique, à la différence de la guerre extérieure. Les septième et huitième chapitres étudient comment cette idée de « guerre civile » a été utilisée au cours des journées de juin 1848 et au cours du printemps 1871 par les insurgés d’un côté mais surtout par l’Assemblée et les gouvernements pour justifier la répression de ces tentatives révolutionnaires d’instauration d’un ordre social plus égalitaire. Le dernier chapitre revient sur la question de la réconciliation, venant après la répression pour « pacifier la République » et « empêcher la guerre civile ».
À l’heure où les guerres entre États semblent disparaître et les guerres internes, d’intensité variable et déterminées par la conjonction de facteurs intérieurs et internationaux, deviennent la règle et par conséquent à l’heure où les frontières entre la guerre extérieure et ce que l’on appelait la guerre civile deviennent particulièrement floues, à un moment aussi où la sécurité et l’insécurité recouvrent l’opposition classique entre la paix et la guerre, le retour historique sur cette catégorie politique, la guerre civile, dont J.-C. Caron estime qu’elle eut pour principale fonction de disqualifier les insurgés, partisans d’une République sociale au xixe siècle, à un moment enfin où le capitalisme libéral apparaît comme un ordre économique et social indépassable bien qu’il entraîne l’appauvrissement des classes populaires et la désorientation de la jeunesse des quartiers pauvres, l’ouvrage de J.-C. Caron nous enseigne comment se fabriquait dans des situations révolutionnaires des ennemis intérieurs qu’aucun droit ne protégeait des pires violences d’un État, pourtant démocratique et républicain, quand les fondements de ce dernier étaient menacés, en particulier la propriété privée. Jean-Claude Caron a ainsi raison de terminer son ouvrage en rappelant au lecteur que l’historien est toujours de son temps.
Jean-Pierre Peyroulou
Francis Ginsbourger, CE QUI TUE LE TRAVAIL, Paris, Michalon, 2010, 187 p., 17 €
Économiste du travail, consultant en entreprise et pour les services publics, spécialiste des relations sociales, l’auteur prend ses distances avec le mode d’intervention habituel des consultants aussi bien qu’avec le lamento consensuel sur la souffrance au travail. Ce livre n’est pas un how to de plus s’ajoutant à la pile des manuels de management. Plutôt que de laisser libre cours à l’indignation, à la dénonciation et à l’émotion, l’auteur y fait appel à la réflexion.
Pour commencer, il s’interroge sur ce qu’est devenu le travail et prend en compte ses mutations. Pour lui, nous ne pouvons continuer de raisonner comme dans un univers industriel, alors que nous sommes dans un monde de services. Le passage à l’ère des services transforme radicalement le travail, c’est un véritable changement de paradigme dont il importe de prendre en compte toutes les conséquences. Dans ce nouveau contexte, travailler consiste, pour l’essentiel, à répondre de manière relativement autonome à une demande de services et non à fabriquer des objets selon un schéma et un rythme prédéterminés. Cette logique « servicielle » née dans le tertiaire s’étend aujourd’hui aux entreprises industrielles et touche même les salariés dits d’exécution. Ces derniers en effet doivent faire face à des changements fréquents et parfois imprévus, ils sont appelés à une prise d’initiative et d’auto-organisation. Pour faire face à des situations toujours nouvelles et non totalement prévisibles, les salariés ont besoin d’appui, de soutien et de disposer de ressources nouvelles (informations, aide à la décision, conseils) qu’ils devraient pouvoir trouver auprès des organisations. Or, bien souvent, les modes d’organisation n’ont que peu évolué, ils demeurent marqués par le taylorisme et par la logique industrielle. Autonomes, les salariés ne le sont qu’en partie, souvent bridés par des consignes, des procédures, des modes de commandement inadaptés ou bien, à l’inverse, abandonnés à eux-mêmes sans appui organisationnel ni vision claire de ce qu’on attend d’eux. Il arrive d’ailleurs que, ballottés par le flot incessant des changements de tous ordres et soumis à des injonctions paradoxales, ils aient le plus grand mal à « bien faire leur travail », ou même à le comprendre.
À l’âge « serviciel », la notion de qualification typiquement industrielle cède la place à celle de compétence.
Si l’on parle de compétence, c’est parce que conception et exécution tendent à ne plus être complètement séparées : le travail dit d’exécution comporte une part croissante d’initiative, d’autonomie, d’« auto-organisation ».
C’est aussi parce le travail est devenu plus complexe et plus sensible à l’événement. Mais l’appel à la compétence comporte un risque de confusion entre ce qui relève des qualités personnelles et les qualités professionnelles. Cette possible confusion expose les salariés en personne lors des évaluations ou lorsque leur travail ou leurs résultats sont critiqués car c’est, au-delà de leurs compétences professionnelles, leurs qualités personnelles qui se trouvent mises en cause. C’est là une des raisons de la « souffrance au travail ». En outre, l’engagement personnel qu’appelle le travail « serviciel » encourt le risque d’être découragé par la rémanence des anciens dispositifs de contrôle hérités de l’ère industrielle et par le culte des résultats chiffrés et des indicateurs de gestion standard dont l’absurdité a été fort justement épinglée par Maya Beauvallet8.
Concentré sur sa critique justifiée de l’approche en termes de souffrance au travail, Francis Ginsbourger passe un peu trop rapidement sur les diverses manifestations de la nouvelle pénibilité du travail alors qu’il nous en donne les moyens d’intelligibilité, cette inadéquation des instruments de gestion et des formes de contrôle à la nature du travail « serviciel ». En revanche, il dégage bien les solutions pertinentes pour sortir des impasses actuelles : la reconnaissance des capacités des travailleurs avec et par le soutien de l’organisation. Il faut, nous dit-il, reconnaître la capacité des travailleurs à composer avec les contraintes, à se forger des marges de manœuvre et à apprendre en situation (p. 153). Il ne leur manque que la possibilité de contribuer à la mise en place d’une organisation du travail qui les équipe et les soutienne en situation et dans la durée. L’autonomie ne doit pas signifier solitude et abandon par une hiérarchie aussi aveugle qu’inflexible, mais appui collectif par la mise à disposition de ressources, reconnaissance des compétences acquises et aide pour les stabiliser et en faire des acquis collectifs. C’est tout autre chose que d’ajouter aux critères de gestion déjà existants qui nient les salariés en tant qu’acteurs conscients, une nouvelle catégorie de critères prenant en compte le stress et les divers risques dits psychosociaux. L’analyse rigoureuse et outillée que nous propose dans son livre Francis Ginsbourger contribue à nous sortir de l’impuissance à laquelle mène cet étrange consensus qui, de la droite à l’extrême gauche, nous dépeint les travailleurs comme les victimes impuissantes de dirigeants sans foi ni loi, le regard rivé sur les cours de bourse.
Pierre Boisard
Nick Hornby, JULIET, NAKED, Paris, 10/18, 2010, 313 p., 19 €
Après l’attention accordée à son talent de scénariste pour le film An Education – parcours initiatique d’une adolescente de seize ans dans la Grande-Bretagne encore étriquée des années 1960 –, Juliet, Naked permet de retrouver Nick Hornby en écrivain portraitiste d’une époque et fin analyste des ressorts psychologiques de ses héros dans leur lente accession à la maturité.
Entre Gooleness, petite station balnéaire anodine du nord de l’Angleterre, Londres, la Pennsylvanie, San Francisco et Minneapolis, naviguant à travers les années 1960, 1980 et jusqu’à nos jours, le récit s’articule autour de trois personnages principaux, l’Américain Tucker Crowe, un chanteur disparu sans laisser de trace en 1986 au moment de la sortie de Juliet, un album remarqué, et un couple britannique de trentenaires, Duncan, un fan irréductible obsessionnel de l’idole introuvable, à l’origine d’un site à sa gloire, et Annie, une enseignante frustrée reconvertie dans un emploi administratif au sein du musée local. La circulation d’une version « démo » de l’album, sous le titre de Juliet, Naked, ainsi que la réapparition de l’artiste vont bouleverser le cours de leur vie.
Nick Hornby manie humour et causticité pour disséquer les atermoiements douloureux de ses personnages, corsetés entre culpabilité et sentiment de responsabilité, peu habiles à maîtriser le réel dans un monde dominé par le virtuel.
Nick Hornby, né en 1957 à Redhill dans le comté de Surrey, suit des études à Cambridge où il enseigne avant de publier des articles pour le Times Literary Supplement ou des critiques musicales pour le New Yorker et de se consacrer à l’écriture. Il connaît le succès dès son premier livre en 1992, Carton jaune9, récit autobiographique centré sur sa passion pour l’équipe de football d’Arsenal. Depuis, sa popularité ne se dément plus. La publication de six romans, des adaptations au cinéma, la collaboration avec le groupe de rock Marah, fondé par Dave et Serge Bielanko, confirment la résonance de son univers auprès du grand public comme des critiques : en 1999, il reçoit le E. M. Forster Award de l’Académie américaine des arts et lettres et en 2002 le W. H. Smith Award for Fiction.
Dans Juliet, Naked, Nick Hornby joue sur la tonalité désinvolte du récit et le comique de situations pour accentuer le décalage entre les événements et la gravité des questionnements qu’ils soulèvent. Sous la forme d’un romanphoto burlesque qui raconte les aventures sentimentales de Duncan, Tucker et Annie, le texte décrit la prégnance de l’internet et la confusion qui en résulte.
Nick Hornby inscrit ses héros dans un contexte familier, où l’on retrouve les préoccupations de son univers romanesque : obsessions récurrentes, centralité de la musique, omniprésence de la culture, complexité du passage à l’âge adulte. Les allusions aux bouleversements sociaux rythment une narration qui oscille entre ridicule et pathétique.
De même que dans Haute fidélité10, un collectionneur de disques maniaque, Rob, établit frénétiquement un hit-parade de tout ce qui se présente, dans Juliet, Naked, Duncan se réfère compulsivement à Tucker Crowe. En pèlerinage avec Annie aux États-Unis, il veut être photographié à Minneapolis dans les toilettes du bar où Crowe aurait renoncé à sa carrière et, à San Francisco, il entre par effraction dans la maison de Julie Beatty, la femme aimée à l’origine du dernier album. Nick Hornby excelle à s’amuser de ces comportements extrêmes, suggérant aussi l’angoisse qui y transparaît.
Avec le personnage de Tucker Crowe, Nick Hornby s’intéresse à la vulnérabilité de l’artiste, instrumentalisé par ses fans et confronté à ses propres doutes. Il témoigne de sa tendresse pour tout musicien, nonobstant la qualité de sa création comme il décryptait déjà dans Vous descendez ?11 le drame d’un rocker déchu, JJ, ne pouvant renoncer à la musique tout en sachant confusément être dépourvu d’un quelconque talent.
La pratique culturelle est aussi un élément déterminant du décor et de l’intrigue. Installés dans cette petite ville de Gooleness qui n’a même pas un cinéma d’art et d’essai ou une librairie, Duncan et Annie finissent par cohabiter pour prolonger leurs discussions sur des livres, des expositions, des concerts. Nick Hornby s’attache à mettre en scène des enseignants, des journalistes, des conservateurs de musées, même s’il tourne en dérision leurs ambitions : l’inauguration de l’exposition organisée autour de l’année 1964 à Gooleness se réduit à la photo d’un énorme requin échoué et à la prestation de Gav et Barnesy, deux amateurs locaux cantonnés à la Northern soul.
Nick Hornby privilégie les protagonistes immatures, englués dans des relations amoureuses ou amicales inopérantes. Annie se réveille de quinze années de vie commune avec Duncan, terrassée par un désir d’enfant et la certitude d’avoir négligé de vivre ; Duncan quitte Annie pour une nuit avec Gina, professeur d’art dans son lycée et se retrouve désarmé devant cette fausse liberté retrouvée. De même, dans Haute fidélité, Rob, abandonné puis repris par Laura, ne parvient pas à affronter seul ses interrogations métaphysiques, cherchant vainement dans les chansons des réponses rassurantes.
Ces tergiversations singulières renvoient dans ces romans à des phénomènes de société. Après le suicide dans Vous descendez ? ou l’humanitaire dans la Bonté : mode d’emploi12, Nick Hornby, dans Juliet, Naked, revient sur le positionnement nouveau de l’enfant dans les familles éclatées, thème déjà évoqué dans À propos d’un gamin13. Tucker Crowe ne sait comment gérer la relation à ses anciennes compagnes, accueillir ses enfants grandis loin de lui et assurer des conditions de vie décentes à son petit garçon. Des remarques à l’ironie cinglante sur le recours à la psychanalyse, sur les sorties faussement accompagnées dans les bars, sur les préjugés qui perdurent dans les petites villes, sur les rapports mouvants entre hommes et femmes, contextualisent le récit. Les allers-retours entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, les paysages qui s’y superposent, les comportements antagonistes, les périodes évoquées contribuent à construire un panorama social pluriel, unifié toutefois par l’intrusion de l’internet dans les vies.
L’album Juliet, Naked, vecteur des rapports sur l’internet entre les personnages, symbolise la confrontation désopilante entre un épanouissement factice et un vécu décevant. Les liens qui se créent par courriels interposés entre Duncan et les autres groupies de Tucker Crowe ou entre Annie et Tucker Crowe, la consultation de son site par Crowe favorisent la pérennité de leurs illusions et masquent la triste banalité de leur quotidien. Duncan se sent reconnu en qualité d’expert de Crowe, Annie s’invente une aventure, Crowe retrouve sa posture d’artiste.
Le passage à la réalité provoque un déferlement de quiproquos loufoques et de situations cocasses. Tucker, victime d’une crise cardiaque à Londres, s’enfuit de l’hôpital avec son petit garçon et accompagne Annie à Gooleness pour échapper à l’invasion de ses ex-femmes et de ses enfants ; Duncan ne le reconnaît pas, suite à une photo erronée qui circule sur l’internet.
Les héros ne peuvent plus ignorer leur mal-être, se contenter des satisfactions que leur procure le recours à l’internet ou s’enliser dans un imaginaire trompeur. Dans Juliet, Naked, Nick Hornby invite ses héros comme ses lecteurs à ne pas passer davantage de temps dans la salle d’attente de leur propre vie.
Sylvie Bressler
Brèves
Silvano Petrosino, BABEL. Architecture, philosophie et langage d’un délire, Paris, Le Félin, 2010, 176 p., 22 €
Faut-il rapporter Babel au « babil », en faire le mythe de l’impossibilité des hommes à communiquer entre eux ? Faut-il babéliser Babel et sacrifier au relativisme ? En s’appuyant sur le Babel de Paul Zumthor et sur les analyses du bibliste Paul Beauchamp, l’auteur propose un commentaire avisé du texte de la Genèse. Ce qui ne surprend pas de la part de Silvano Petrosino qui est l’auteur de deux ouvrages consacrés à de grands commentateurs (le talmudiste Emmanuel Levinas et le déconstructionniste Jacques Derrida). De sa lecture de la Genèse il retient que l’être humain cherche à s’« établir » (dans une maison susceptible d’être un lieu d’hospitalité), qu’il n’est pas un nomade permanent et que cette volonté de s’établir le conduit à construire. Or, la construction peut aviver le désir idolâtre de se rapprocher de Dieu et donc de monter le plus haut possible, ce dont témoigne la tour de Babel comme les gratte-ciel contemporains qui rivalisent de hauteur (en tout cas jusqu’à la faillite de Dubaï). C’est donc à une réflexion fort originale sur les liens entre le haut et le bas (et non pas sur l’incompréhension horizontale du fait de la pluralité des langues) que l’auteur nous convie en nouant la question de la langue et celle de l’habiter. Dans ce fort beau livre (digne de la tradition des meilleurs essayistes et commentateurs italiens comme Pietro Cittati et Gustavo Macchia), S. Petrosino affirme la nécessité de penser simultanément la création et la séparation, c’est-à-dire de ne pas se prendre pour Dieu Le Très-Haut. Alors que le XXe siècle a connu bien des égocrates divinisés.
O. M.
Eduardo Lourenco, EUROPE INTROUVABLE. Jalons pour une mythologie européenne, Paris, Métailié, coll. « Essais », 2010, 186 p., 10 €
Regroupant un certain nombre de textes des années 2000 sur l’Europe, l’intellectuel portugais Eduardo Lourenco, historien et fin connaisseur de la littérature, que les lecteurs d’Esprit ont eu l’occasion de lire, s’interroge sur les raisons de ce qu’il appelle sans détour l’échec culturel européen. Pour lui, le choix économique libéral (celui qu’incarne aujourd’hui le Portugais Barroso) ne se démarque pas des choix européens sur le plan culturel, il les accompagne car il est indissociable de la manière dont l’Europe se pense. En effet, si la culture européenne n’est pas le supplément d’âme de l’économie européenne, invoquer des valeurs européennes dans le contexte actuel n’a guère de sens. Mais pourquoi donc ? Ce qui manque à l’Europe, ce ne sont pas les certitudes et les valeurs (on peut les décliner si on le désire, cela ne change pas grand-chose) mais des convictions fortes et explicites, bref une « foi ». Une « foi » : ce terme inattendu renvoie bien entendu à la vision historique de ce que porte (devrait porter) une culture qui n’est peut-être déjà qu’un « lieu de mémoire ». Ces propos iconoclastes ne seront guère entendus dans les enceintes culturelles de l’institution européenne ; ils n’en sont pas moins légitimes. D’où l’intérêt de se reporter à l’un des textes que Lourenco consacre à Balthazar Gracian et donc à la « part » espagnole de l’Europe. En effet, l’Espagne fut marquée du sceau de la foi et non pas, comme le cartésianisme (dont est issu selon l’auteur le credo économiste actuel), de celui de la certitude du cogito. Ce qui manque naturellement à l’Europe, au terme de ce raisonnement, c’est une foi en elle-même (qui ne soit pas la certitude scientifique d’avoir raison). Une foi à l’espagnole mais sans inquisition. Une foi qui ne soit plus religieuse mais historique. Une foi qui permette à l’Europe de s’inscrire dans la mondialisation sans céder sur ses propres valeurs. Le moins que l’on puisse dire est que le propos est dérangeant et original.
O. M.
Daniel Heller-Roazen, L’ENNEMI DE TOUS. Le pirate contre les nations, Paris, Le Seuil, 2010, 334 p., 21 €
Dans le numéro d’Esprit consacré en juillet 2009 à la piraterie et aux piratages, l’accent était mis, non sans lien avec la découverte du nouveau monde et le rôle des protestants et de leurs flottes, sur le pirate des mers. La force de cet ouvrage passionnant, rédigé par un professeur de littérature comparée de l’université de Princeton, est de remonter le fil historique et de rappeler que la figure du pirate remonte beaucoup plus loin (les chapitres sur la piraterie maritime n’en sont pas moins nombreux : voir « Dialectique des loups de mer », « Terre et mer », « À flot »…). Elle est ainsi déjà présente chez Cicéron pour lequel le pirate, alors assimilé au barbare, est « notre ennemi commun à tous » puisqu’il ne respecte pas les règles de la guerre. Un autre intérêt du livre est d’inciter à réfléchir, à travers cette généalogie, sur les dérèglements de la violence guerrière et sur les liens tissés entre les figures du terroriste, du pirate et du barbare. Parallèlement, cette thématique éclaire les métamorphoses du droit relatif à la Terre, à la mer et aux airs (place de l’espace aérien). Faut-il s’en étonner, le pirate, celui qui « disjoncte » et fait « disjoncter » par refus des règles communes, est au cœur des mutations de la planète ! Mais aujourd’hui, il est délicat de mettre sur le même plan le pirate internaute du web et le terroriste.
O. M.
Dominique Bourg et Alan Papaux (sous la dir. de), VERS UNE SOCIÉTÉ SOBRE ET DÉSIRABLE, Paris, PUF, 2010, 512 p., 25 €
Dans le sillage du Pacte écologique et des prises de position de la Fondation Nicolas Hulot (ce livre inaugure une collection liée à celle-ci) animée entre autres par Dominique Bourg et Alain Papaux, cet ouvrage collectif plaide pour une double décélération : celle de la création infinie de richesses (la croissance version Pib) et celle de consommation tout aussi infinie des ressources énergétiques, minérales et biotiques. La conviction qu’il faut procéder à cette double décélération débouche sur la proposition d’une société « sobre et désirable ». La sobriété est-elle susceptible de nous sortir de l’alternative habituelle de la croissance et de la décroissance ? Si l’ouvrage se demande au fil des séquences ce qu’est « être sobre » sur le plan urbain, écologique, commercial comme sur celui du développement des sciences et des techniques, il a surtout le mérite de s’interroger sur ce qu’il faut appeler la sobriété démocratique alors que les institutions démocratiques sont fragilisées par les pressions de la vitesse et de l’immédiateté. Les suggestions de Pierre Rosanvallon concernant une politique du temps long sont particulièrement stimulantes et ne sont pas sans rappeler des exigences formulées par Jacques Delors il y a deux décennies. (P. Rosanvallon propose quatre types de mesures ou d’institutions pour corriger le court terme : introduction de principes écologiques dans l’ordre constitutionnel ; renforcer et étendre la définition patrimoniale de l’État ; mettre en place une Académie du futur ; créer des formes publiques mobilisant la participation et l’attention des citoyens.) Il ne fait guère de doute qu’une remise à jour, un tantinet utopique, de notre relation au temps et à l’espace serait « constitutive » d’un contrat social et politique adapté au temps présent mondialisé.
O. M.
Peter Kemp, SAGESSE PRATIQUE DE PAUL RICOèUR. Huit études, Paris, Éditions du Sandre, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 2010, 150 p., 21 €. Jerôme Porée et Gilbert Vincent (sous la dir. de), PAUL RICŒUR. La pensée du dialogue, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 316 p., 20 €
Le premier ouvrage recueille des textes consacrés à la pensée de Paul Ricœur par l’un de ses proches. Peter Kemp, philosophe engagé dans la vie politique danoise, auteur de nombreux rapports, acteur très présent sur le front des questions de bioéthique, met ici l’accent sur l’anthropologie philosophique sous-tendant l’éthique de Ricœur et sur ce qu’il appelle l’éthique narrative. À travers ces textes, ce sont deux pensées qui se croisent et conversent. La conversation est le thème central des actes du colloque organisé à Rennes (une ville où Ricœur a vécu) par Jérôme Porée et Gilbert Vincent. À côté de textes sur le mal (M. Foessel), Karl Jaspers (J. Porée) ou le consentement (O. Abel), l’approche privilégiée est celle de l’engagement au sein de la Cité (P. Portier sur le politique et Jacques Le Goff sur le social). Ce qui explique que la thématique du dialogue croise celles de la médiation imparfaite et des conversations imaginaires chères à Ricœur (dont les actes publient un texte de 1997 sur le dialogue des cultures où il développait de manière originale les cinq niveaux de la tolérance). Alors que le Fonds Ricœur vient d’être inauguré à Paris, ces deux livres manifestent la vitalité de cette pensée.
O. M.
Faculté de droit et de science politique, université Paul-Cézanne Aix-Marseille III, DROIT ET RELIGIONS. Annuaire, vol. 4, année 2009-2010, Marseille, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2009, 675 p., 45 €
Cet annuaire considérable, le quatrième d’une série portant ce titre, est un outil précieux, qui à la fois marque et éclaire la complexité juridique des évolutions récentes, qu’on pourrait résumer au paradoxe d’une sécularisation accrue des sociétés avec une présence croissante des religions dans l’espace public. Sous la direction de Blandine Chelini-Pont, il aborde aussi des problèmes internationaux (surtout à propos de l’islam, il est vrai) et des points d’histoire. Le dossier le plus important est consacré aux réformes du droit de la famille dans les sociétés musulmanes (les politiques de la famille, le consentement dans le mariage, le droit de la filiation, la transmission des biens, les appartenances…). Dirigé par H. Benkheira et P. Bonte, l’ensemble aborde une multiplicité de situations historiques et actuelles (mariage précoce en islam ancien, adoption, émergence du couple après l’Empire ottoman, réformes du statut personnel en Égypte, reconnaissance du mariage civil au Liban, mariages mixtes de musulmanes au Maghreb, adoptions et maternités hors mariage en Tunisie, statut des femmes célibataires en Algérie, code de la famille appliqué à des mariages collectifs au Maroc, pratiques familiales des immigrés musulmans en Europe…). La liste des évolutions en cours est longue, même si les réalisations sont compliquées, semées d’embûches dues aux États ou aux cultures. Le reste de l’annuaire illustre à lui seul l’extrême abondance et l’énorme diversité des questions nouvelles qui se posent. Voici, à titre d’échantillons, quelques sujets d’articles : conceptions différentes de la différenciation sexuelle (ici entre judaïsme et christianisme), influences religieuses sur l’évolution du droit, pratique religieuse et acquisition de la nationalité française, gestion des sites cinéraires (avec les urnes contenant les cendres de la crémation), retraite des ministres du culte, pluralité de la présence des cultes dans l’audiovisuel public, le juge civil face aux règles religieuses… Des questions spécifiques se posent à leur tour dans divers pays européens et hors Europe, et l’Europe elle-même, avec ses institutions, vient apporter son grain de sel. Des évolutions du droit des cultes non musulmans dans les pays musulmans sont en cours. La diffamation des religions (en particulier depuis l’affaire des caricatures de Mahomet) et le droit autour de ces problèmes font l’objet d’une longue analyse de B. Chelini-Pont. Une importante chronique de jurisprudence, toujours autour de la sphère religieuse et cultuelle, achève le tout, impressionnant à tous égards par le nombre et la qualité de ses informations et réflexions.
J.-L. S.
En écho
SOCIOLOGIE – Tel est le titre de cette nouvelle revue éditée par les Puf (2010, no 1) et dirigée par Serge Paugham (avec pour rédacteurs en chef Agnès Van Zanten, Laurent Mucchielli, Sylvie Mesure et Olivier Martin). Du fait de ce panel rédactionnel, on comprend que la revue Sociologie aurait pu s’appeler Social et qu’elle contribuera à renouveler, ce qui n’est pas un luxe par les temps qui courent, la réflexion sur les politiques sociales et sur l’apparition de nouvelles formes de précarité et de pauvreté. Si le sommaire indique clairement cette première direction (voir « écrire la rue »), des textes prennent de front des questions institutionnelles liées à l’avenir de la discipline (« Comment les docteurs deviennent-ils directeur de thèse ? », « Les relations entre les scientifiques et la société »). Bon vent à Sociologie.
ALAIN SUPIOT, SIMONE WEIL ET LA DÉMOCRATIE SOCIALE – Les Cahiers Simone Weil, la revue de l’association des amis de Simone Weil animée avec ferveur par Robert Chenavier (voir par exemple les dossiers sur Weil et Albert Camus, sur Weil et Joë Bousquet…), publient un dossier intitulé « Le travail ou l’expérience de la nécessité » qui reprend la seconde partie des actes d’un colloque organisé à l’université de Nantes (t. II, vol. XXXIII, mars 2010, no 1, la première partie du colloque a été publiée en décembre 2009 dans Les Cahiers). Dans cet ensemble, Alain Supiot s’interroge longuement sur Simone Weil en tant que « juriste du travail », ce qui le conduit à croiser les réflexions de S. Weil sur le travail et le droit. D’où trois séquences très weiliennes (connaître : éprouver l’injustice ; comprendre : penser le droit ; juger : dire ce qui doit être). Au terme de cette lecture, on comprend mieux pourquoi Supiot a donné le nom de Simone Weil à l’une des salles de conférence de la Maison des sciences humaines récemment créée à Nantes qu’il dirige.
Dans Droit social (mai 2010, no 5) qui publie un dossier sur « La place des partenaires sociaux dans l’élaboration des réformes », Alain Supiot signe un article sur la loi Larcher et les avatars de la démocratie représentative. Ce qui le conduit à réfléchir sur les liens de la démocratie représentative (jacobine à la française) et de la démocratie sociale et à déplacer les enjeux en intégrant la question de la gouvernance actuelle. « Malgré leur différence, la démocratie parlementaire et la démocratie sociale ont en commun d’une part de chercher à représenter l’expérience humaine dans sa diversité et d’autre part de donner lieu à des assemblées de parole dont on attend des justes décisions. Tel n’est pas le cas des formes de représentation typiques de la “gouvernance” qui visent à quantifier des faits plutôt qu’à refléter des expériences et où il ne s’agit donc pas de parler mais de compter. La question la plus ardue qui se pose à nous n’est donc pas celle de l’articulation de la démocratie sociale et de la démocratie politique, mais bien plutôt celle des relations à établir entre d’un côté ces deux formes de représentation délibérative et de l’autre les représentations quantifiées de l’état du monde que l’idéologie de la gouvernance fétichise et soustrait à tout processus délibératif. »
LES NEURONES – La Revue nouvelle de Bruxelles (mars 2010) publie un dossier utile sur les neurosciences en se demandant : « Les neurones expliquent-ils tout ? »
BANQUES – La revue L’Économie politique fait le point pour « maintenir la pression » sur le secret bancaire suisse en donnant la parole à des représentants officiels suisses, à des Ong et à des historiens. Un second dossier fait le point sur les négociations internationales sur le climat après l’échec de Copenhague, tandis que Jean-Paul Maréchal plaide pour « une économie politique romantique » (avril 2010, no 46, 10 €, www.leconomiepolitique.fr).
Avis
Penser la crise actuelle avec Mounier. À l’occasion du 60e anniversaire de la disparition d’Emmanuel Mounier, fondateur d’Esprit, l’Association des amis d’Emmanuel Mounier et la faculté de droit de Brest organisent une journée d’étude intitulée « Penser la crise actuelle avec Mounier », aux Champs-Libres, à Rennes, le 15 octobre 2010. Il s’agit, d’une part, de revenir sur l’analyse proposée par Mounier de la crise des années 1930 et plus généralement du fonctionnement de l’ordre économique avec notamment Jacques Delors, Jean Boissonat, Jean-Baptiste de Foucauld, Alain Touraine, Alain Supiot, André Orléan, Christian Chavagneux… D’autre part, d’évaluer l’influence que sa pensée continue d’exercer à l’étranger (Afrique, Amérique latine, Benelux, Espagne, Italie, Pologne, Portugal…). Entrée libre. Inscriptions à la conférence et à chacune des deux demi-journées, à partir de début septembre, au 02 23 40 66 00. Contact avant cette date : jacques.legoff@univ-brest.fr
Débat sur les retraites, report de la dette sur les générations futures, décisions en attente sur la prestation dépendance : avec le vieillissement de la population, les sujets de solidarité entre les générations ne cessent d’occuper le devant de l’actualité. Les interrogations sur la formule de la « société du soin mutuel » lancée par Martine Aubry, objet de multiples contresens, délibérés ou non, concernent également la manière collective de considérer des situations de fragilité qui appellent des prises en charge spécifiques entre proches. C’est pourquoi nous consacrerons notre livraison de juillet au grand âge, considéré non pas comme la fin de vie mais comme un âge de la vie à part entière. Nous tenterons de répertorier les questions proprement médicales liées à l’âge et à la prise en charge mais aussi d’approfondir la réflexion sur le « soin » et de voir les conséquences des évolutions en cours pour les solidarités entre générations. Après le dossier estival sur Ivan Illich et ses relectures dans le nouveau contexte de crise environnementale, nous prendrons la mesure, dans le numéro de rentrée (octobre), des perturbations européennes liées à la dette grecque et aux spéculations des marchés sur la fragilité de la zone euro.
- 1.
Les intitulés des parties thématiques donnent une image fidèle du profil de l’œuvre et de la vie de Massignon : « La visitation de l’Étranger » ; « Témoins et intercesseurs » ; « Le témoin essentiel : El Hallâj » ; « Massignon politique : le savant et le mystique » ; « Pensée musulmane et proximités chrétiennes » ; « L’eschatologie musulmane et le shî’isme » ; « Formes symboliques en terre d’Islam » ; « La foi aux dimensions du monde ».
- 2.
Selon les mots de Berque lors d’un dialogue mémorable entre les deux arabisants organisé en 1961 sous les auspices d’Esprit, et reproduit dans le volume.
- 3.
Au début d’un de ses textes les plus politiques, publié en 1953 par Esprit, contestant la légitimité islamique de la pétition des caïds marocains demandant la déposition de Mohammed V.
- 4.
Elle éclaire utilement les altérations et dévoiements contemporains (et leurs antécédents dans l’histoire) de l’eschatologie islamique explorés et analysés par Jean-Pierre Filiu, l’Apocalypse dans l’Islam, Paris, Fayard, 2008.
- 5.
Dont la remarquable préface de Christian Jambet donne le ton.
- 6.
Gilbert Achcar ne choisit pas entre les deux, contrairement à ce que suggérerait le titre de son livre ; il semble ignorer le terme de hurban (destruction), autrefois courant dans les milieux juifs, et qui permettait dans une certaine mesure d’éviter des connotations théologiques superflues.
- 7.
Il vaudrait mieux dire à mon sens « judéophiles », pour éviter toute équivoque.
- 8.
Maya Beauvallet, les Stratégies absurdes, Paris, Le Seuil, 2009.
- 9.
Nick Hornby, Carton jaune, Paris, 10/18, 2000.
- 10.
Id., Haute fidélité, Paris, 10/18, 1999.
- 11.
N. Hornby, Vous descendez ?, Paris, 10/18, 2006.
- 12.
N. Hornby, la Bonté : mode d’emploi, Paris, 10/18, 2003.
- 13.
Id., À propos d’un gamin, Paris, 10/18, 2002.