Le passé nous attend
Repère
Le passé nous attend
À propos de…
Pierre Judet de La Combe, l’Avenir des Anciens. Oser lire les Grecs et les Latins, Paris, Albin Michel, 2016, 199 p., 18 €
« Je m’en tiendrai à mon métier de lecteur de textes. » C’est en ces termes que Judet de La Combe conclut l’introduction de ce nouveau plaidoyer en faveur des Anciens, dont la récente réforme des collèges a été l’occasion. Ces simples mots disent la neuve efficacité d’une approche qui séduit et convainc ; car pour ne jamais faire la moindre concession sur le rôle essentiel que joue la lecture des textes – et donc d’abord la maîtrise de la langue – dans une réappropriation de l’Antiquité, Judet de La Combe échappe aux pièges et aux caricatures qui grèvent trop souvent ce débat. Mieux, ce débat, il le fait respirer autrement ; en parcourant « ces chemins de langage » où entraînent les lectures à la lettre des textes, il l’ouvre, c’est le titre du dernier chapitre, à « La prose du monde : religion, science, société, politique ». Il nous invite à penser à nouveaux frais, et toujours dans le langage, cette somme de savoirs anciens, condition pour que notre culture « redevienne une culture ouverte, en tension, mobile et discutante ».
Judet de la Combe donne congé à une Antiquité patrimoniale et essentialisée, celle des traces fossilisées de nos vieilles humanités : son souci n’est pas de trancher dogmatiquement dans les clivages binaires entre « traditionalistes indécrottables et vrais progressistes » ; ni de s’enliser dans le dilemme « figé et stérile » d’une Antiquité « nôtre » ou « autre ». On lui sait gré, comme à Derrida qui déjà épinglait « l’usage fatigant et mécanique du mot autre », de ne pas se faire le chantre d’une radicale altérité des Anciens : l’indispensable décentrement culturel s’accommode de cette dialectique du même et de l’autre qui rend possible « la réactualisation toujours à recommencer de ce que nous a transmis le passé ». Mais il entend démontrer que la réforme des collèges, qu’il a l’honnêteté de présenter sans en nier les bonnes intentions, est malheureusement en phase avec un esprit du temps soucieux de trouver des solutions « adaptées », à courte vue à l’aune des graves crises économiques, politiques et religieuses qui déchirent l’Europe. La formation des décideurs les tient désormais loin de ces livres anciens, réservoir de débats et d’arguments à l’usage des contemporains. Elle les rend plus fragiles aussi devant l’emprise grandissante des nouveaux langages formels dont ils ignorent la genèse. En reléguant les langues anciennes au rang d’« enseignements pratiques interdisciplinaires », le fameux « socle », pilier de la nouvelle vision de l’École, fait ce même choix d’un solutionnisme qui se prive de l’inscription des problèmes « dans la longue durée des sociétés et de leurs savoirs ».
Alors, pourquoi « aller voir du côté des Anciens », et pourquoi une école démocratique et républicaine devrait-elle offrir à chacun la possibilité de combler ce « désir légitime » ? Les élèves et la société d’ailleurs dans son ensemble partagent un « goût de l’Ancien » qu’il s’agit justement de ne pas dénaturer, par manque d’ambition, par démagogie, ou par un réflexe démocratique infondé, dans l’affichage d’une « Antiquité sympa, plaisante et bigarrée »… Les deux premiers chapitres de l’essai, « Lire d’une langue à l’autre » et « Lire des commencements : Homère, Virgile », nous installent au cœur de « l’artisanat de la lecture » des textes de ces « lointains parents d’adoption ». En rappelant que « les Grecs ne sont pas nos ancêtres », et que les Romains, évidemment plus près de nous – « ils ont fait notre langue » – se sont d’emblée rendus au magistère culturel grec, Judet de La Combe, après Rémi Brague, dessine de notre généalogie culturelle une figure paradoxale qui bouleverse nos schémas linéaires et identitaires.
Ces Anciens ne sont pas non plus nos contemporains, au sens où ils le sont largement encore pour les Anglais et les Allemands, dont la tradition classique a connu moins de crises que chez nous. Dès lors, la lecture pas à pas à l’école doit se mener comme une « autoanalyse historique », attentive aux phénomènes de rupture et de continuité qui ont scandé la constitution d’une culture gréco-romaine non orthodoxe, où le fait religieux, par exemple, fait bon ménage avec la liberté de pensée. Le gain est double : d’une part, l’apport heuristique, grammatical, et même thérapeutique d’une langue morte qu’on n’est pas tenu de parler, et qui s’offre ce faisant comme un sésame non discriminant pour l’apprentissage de toute autre langue ; d’autre part, la découverte que les mots les plus disponibles, dont l’aura est la plus forte, comme démocratie, cité, mythe, loin de se livrer comme un savoir clos et immédiat, sont le fruit d’un itinéraire complexe dont la traduction livre les arcanes. Et justement les exemples passionnants et émouvants que donne Judet de La Combe de la traduction par de jeunes élèves de tels vers de Catulle ou de Virgile disent deux choses essentielles : la nécessité d’en passer par une compétence au fondement de toutes les autres, celle de sa propre langue, inséparable d’une courageuse réhabilitation de la grammaire, car « la langue se libère quand elle est passée par la grammaire ». Cette libération sert le texte traduit, en respectant son étrangeté sans l’asservir au « français plat, conformiste des corrigés de versions » ; elle fait aussi mesurer aux élèves le gain intellectuel du franchissement temporel de « la distance qui sépare une époque ancienne de leur présent ». C’est faire de la traduction de « textes forts » un outil méthodologique, historique et politique, à même de mettre en garde contre la catastrophe, avertissait Walter Benjamin, d’une transmission myope et « littéraliste » de la tradition. Plaider pour l’ouverture de classes d’arabe classique va naturellement dans le bon sens. Car les textes fondateurs, qu’il s’agisse de la Théogonie, de la Bible ou du Coran gagnent évidemment en complexité à accepter l’épreuve d’une lecture qui met en scène « le rôle productif des opérations de langage ». Si nous n’avons pas le choix de nos traditions, faire l’expérience de la traduction, cette épreuve de l’altérité au sein du propre, est un précieux garde-fou contre le solipsisme culturel.
Pierre Judet de La Combe est helléniste. Il est normal que cette aventure de la transmission à laquelle il nous convie, via sa rencontre avec Jean Bollack, passe par un commentaire des magnifiques premiers vers de l’Iliade et de l’Odyssée, aimanté par la « puissance expérimentale et vitale » de la poésie homérique. Celle-ci donne congé aux mythes et à leurs explications – ce sera le travail d’Hésiode et des philosophes de trancher sur le vrai et le faux – au profit d’« expériences humaines élémentaires », cruelles et brutales, racontées dans un langage poétique qui les transpose et les porte ainsi jusqu’à nous. C’est de ce « laboratoire magnifique » de la poésie archaïque grecque, non encore assujettie au dogmatisme des Écoles, qu’est sorti, entre autres courants de pensée et via Platon, le grand agôn philosophie-poésie : « Nous y sommes encore »…
Le théâtre grec est un autre « laboratoire expérimental », avec la figure du chœur, cette voix collective, véritable défi pour le metteur en scène moderne. La tragédie met les croyances collectives de la cité, dont le chœur est un flamboyant porte-parole, à l’épreuve du destin de figures « sublimes » qui se débattent, prises entre leur « rôle » social et leurs expériences individuelles : ce n’est pas le consensus autour d’un « espace public » qu’exhibent les œuvres de Sophocle et d’Euripide mais au contraire un univers de tensions irrésolues, et c’est ce qui en fait une leçon littéralement bouleversante. Dans le chapitre « Lire pour aujourd’hui : le théâtre », Judet de La Combe rend un magnifique hommage au travail de traduction d’Ariane Mnouchkine pour sa mise en scène des Atrides au Théâtre du Soleil – expérience à laquelle il a participé, avec Jean Bollack, au titre de philologue. Il est la preuve, corroborée par l’enthousiasme des adultes et du jeune public scolaire, que cette leçon de haut théâtre, rompant en visière avec les attentes routinières et les clichés, « aventure dans la langue et dans les corps », est plus urgente que jamais.
En fait, et c’est la paradoxale bonne nouvelle de cet essai, les Anciens ne sont pas à lire comme des « modèles de civilisation » : s’agissant des esclaves, des femmes et de ce que nous appelons, nous, les droits de l’homme, ils sont tout sauf exemplaires. Et leur culture, on le sait, ne s’est jamais opposée à la guerre. Mais ce qu’ils offrent, et dans le moment précieux de leurs commencements, ce sont des « événements de langage », à même de démonter les rouages du réel, et de ce fait toujours disponibles pour un « intellect collectif ». Leur audace et leur beauté sont telles qu’ils ont fait émerger du sens, du « sens fort », non dans l’intention de renverser les hiérarchies, mais dans celle de les délégitimer dans l’espace d’une fiction dont « le jeu vital » explose, par exemple, dans le théâtre d’Aristophane, entre farce et cruauté. Et pour terminer sur l’exemple de la démocratie, aujourd’hui plus que jamais en crise, il y a bien des écarts, les Modernes sont censés le savoir depuis longtemps, entre la démocratie grecque et la nôtre ; mais l’ampleur politique qu’ont revêtue, dans leurs fictions, leurs récits, ou dans leur espace public, les débats sur le sujet, devrait continuer à solliciter notre vigilance : la démocratie, une belle institution certes, mais dont il est vital, c’est la forte et tragique leçon de Démosthène, que les citoyens continuent à se sentir pleinement responsables.
« Oser lire les Grecs et les Latins », c’est faire le pari d’une lecture exigeante, non pas arrimée à une raison immuable et absolue, mais soucieuse de traquer dans la « forme-sens » des textes la façon dont se sont inventés des concepts auxquels nous sommes alors invités à revenir, dans le détour d’une précieuse défamiliarisation. On comprend que Judet de La Combe revendique cette lecture comme un « un acte politique », et pour finir comme « un droit à l’Histoire », seule condition, dans les mots récents de Patrick Boucheron, pour que ces « livres morts nous rendent vivants ».
Cécilia Suzzoni
Librairie
Vincent Bloch, Cuba, une révolution, Paris, Vendémiaire, 2016, 448 p., 24 €
En apparence peu de sujets sont aussi ressassés que la révolution cubaine. De l’enthousiasme délirant au désenchantement puis au tourisme pseudo aventurier, on croit tout savoir sur Cuba et le régime castriste. Les enquêtes pullulent, à charge comme à faveur, ou plus subtilement sur le style « Cuba quand même », en vogue depuis les années 19801. À lire tous ces ouvrages vite écrits et peu pensés, on croit l’affaire entendue. De l’universitaire en vacances au routard et du retraité découvrant l’île depuis un bateau de croisière au diplomate soucieux d’« objectivité », tous ont « leur opinion ». Certains évoquent inlassablement l’encerclement de la révolution et son inévitable radicalisation, d’autres rappellent le complot communiste à l’œuvre dès les premiers moments de la lutte contre Batista. Une nouvelle catégorie d’observateurs vante les marges d’actions qui existeraient aujourd’hui à Cuba, la fameuse agency des subalternes. Sans oublier les diplomates soucieux de multiplier les liens commerciaux et politiques avec un régime « en évolution ».
Autant de clichés avec lesquels rompt Vincent Bloch dans Cuba, une révolution. Fort d’un long travail de terrain à Cuba dans les années 2000 comme d’une lecture méticuleuse de l’énorme littérature consacrée à Cuba, Bloch construit son analyse autour de deux grandes questions : qu’est-ce qu’un régime politique, comment le saisir, le décrire et le penser ? Et qu’est-ce qu’un régime totalitaire ? Partant de ces questions il aborde de façon serrée deux moments de l’expérience cubaine : l’institution du régime castriste (1959-1961) ; son fonctionnement des années 1960 à la fin des années 1980. Lecteur attentif de Lefort, comme des grands analystes du totalitarisme Arendt et Aron, Bloch réfléchit en anthropologue du politique. Il cherche à saisir comment le totalitarisme castriste est un « fait social total » (Marcel Mauss), où les mutations dans un champ de l’activité humaine, politique, social, économique ou culturel, sont prises dans des effets de résonances et conspirent au même sens, quelle que soit la désarticulation entre ces champs. Il souligne aussi comment ce « fait social total » est inséparable de sa « mise en sens » par les acteurs eux-mêmes.
Suivant pas à pas la trame des événements des années 1959, 1960 et 1961 et les mettant en regard des discours de Fidel Castro, Vincent Bloch bâtit une interprétation très nouvelle et très audacieuse de la mise en place de la révolution cubaine et de la forme particulière du totalitarisme que représente le castrisme. Il met à l’honneur deux ensembles de phénomènes pour expliquer comment Castro a pu acquérir presque immédiatement le statut d’égocrate qui fut le sien.
C’est d’abord un contexte insulaire très particulier marqué par des phénomènes rarement analysés ensemble : une fragilité de l’imaginaire national, une tradition populiste, une soif de pureté et de renouveau, la peur des « classes dangereuses », la matrice du jeu des concurrents pour le pouvoir. Autant de phénomènes dont la conjonction va favoriser l’ascension de Castro. C’est aussi, et le fait est capital, que ses concurrents rivaux ne comprennent pas ce qui est en train d’advenir car ils partagent avec Castro l’idée qu’il est une pièce centrale dans l’entreprise de régénération dont ils rêvent pour Cuba.
Vincent Bloch souligne ensuite comment la peur du désordre associé à la soif de mobilité sociale va contribuer à l’instauration d’une dictature totalitaire. Il n’y a pas de dynamique révolutionnaire basée sur des mobilisations populaires autonomes et disparates comme en 1917 en Russie, mais constitution d’un nouveau régime politique à partir de la refonte du droit, du relais et de l’appui des communistes et de la création des organisations qui ont fourni une assise bureaucratique au nouveau pouvoir.
Une autre force de l’interprétation de Vincent Bloch est de montrer l’importance d’une dynamique interne où les États-Unis, malgré leur soutien ambigu au débarquement manqué des exilés à Playa Girón (la baie des Cochons) en avril 1961, sont avant tout spectateurs face aux agissements de Castro, tout en étant omniprésents dans l’imaginaire des Cubains.
Au terme de cette analyse de la période 1959-1961, Vincent Bloch brosse un tableau d’ensemble du fonctionnement au jour le jour de la révolution cubaine. Il utilise très savamment les témoignages des exilés et des dissidents, notamment Llovio-Menendéz et Juan Clark, comme ceux des anthropologues et au premier chef ceux d’Oscar Lewis et de ses collaborateurs : écrits capitaux et trop souvent oubliés auxquels il redonne toute leur importance. Il se fait le sociologue des pesanteurs quotidiennes et de cette immobilité propre à un régime totalitaire, où « tout passe » comme disait Vassili Grossman dans Vie et destin.
Au terme de son enquête, il formule trois remarques fortes, propres à faire comprendre la dynamique de la Cuba contemporaine. Celle-ci sera d’ailleurs le sujet d’un prochain livre, dont quelques remarquables essais donnent un premier aperçu2. Les éléments fondateurs de l’ordre social castriste sont tout d’abord « la perversion de la loi », dont témoignent des dispositifs comme la suppression de l’habeas corpus, les lois contre la paresse ou la dangerosité sociale… d’où la nécessité d’un conformisme pour une part ostentatoire et la possibilité pour le régime d’utiliser à tout instant l’arbitraire. Ce mode de vie en société altère la citoyenneté, le « sens du droit à avoir des droits » (Hannah Arendt), la durée de l’expérience qui amène à un pourrissement du social. On retrouve là les réflexions de Raymond Aron sur
la classe privilégiée composée d’hommes qui doivent tout à l’État, leur travail, leurs revenus, et qui perdent tout quand ils sont révoqués et épurés. Il ne reste qu’une voie d’accès aux positions importantes et aux honneurs, et elle passe par la bureaucratie d’État, avec les servitudes que comporte cette filière3.
De ce point de vue, quels que soient les changements amorcés par Raúl, les choses restent inchangées. Les Cubains sont toujours sommés de manifester une allégeance à des normes et à des discours ponctuels, afin de bénéficier en retour d’une relative liberté de circuler entre l’île et l’étranger, ou de quelque marge de manœuvre à l’intérieur des méandres de l’économie « réformée ».
Cuba, une révolution est incontestablement un livre fort et novateur qui permet de penser non seulement la montée en force du castrisme et son apogée mais aussi ses actuelles transformations qui ont peu à voir avec l’instauration d’un régime égalitaire et pluraliste.
Gilles Bataillon (Ehess-Cide)
Almudena Grandes, Les trois mariages de Manolita, Paris, JC Lattès, 2016, 729 p., 24, 50 €
Dans ce troisième volet d’un cycle de six romans, intitulé Épisodes d’une guerre interminable, Almudena Grandes, qui ambitionne de construire une œuvre de fiction fondée sur des faits réels, poursuit sa quête de la mémoire de l’Espagne. Après Inés et la joie4, qui greffe des histoires d’amour passionnées à la tentative d’invasion du val d’Aran en octobre 1944 par des Espagnols pour la plupart réfugiés en France, et le Lecteur de Jules Verne5 qui, situé au printemps 1947, raconte comment Nino, le jeune fils d’un garde civil, comprend la société qui l’entoure grâce à la présence amicale d’un étranger mystérieux et la découverte des livres, notamment ceux de Jules Verne, la romancière espagnole se penche sur les années de l’après-guerre civile en suivant l’itinéraire d’une jeune fille dans Madrid dévastée.
Un temps surnommée « Mademoiselle Faut Pas Compter Sur Moi », Manolita, déjà responsable de la survie de ses quatre plus jeunes frères et sœurs suite à l’emprisonnement des parents, se retrouve investie d’une mission délicate par Tonito, son frère aîné, opposant au régime : il lui faut apprendre d’un prisonnier politique, Silverio, comment réparer des imprimantes destinées à la diffusion de tracts clandestins ; pour justifier ses nombreuses visites à la prison de Porlier, elle va jusqu’à se prêter à un mariage fictif.
Autour de cette intrigue se glisse une pluralité de personnages qui, à peine introduits dans le fil du récit, deviennent des héros à part entière éclairant autrement le passé de l’Espagne et bousculant la chronologie. C’est cette architecture complexe de la narration qui donne toute sa puissance et son originalité au roman. Le passage imperceptible entre événements historiques et aventures fictionnelles, l’évocation des éléments qui peuvent jouer dans le choix d’un engagement politique, réfléchi ou spontané, le rappel du parcours intime des protagonistes, du hasard des rencontres et des liens qui se nouent, tous ces éléments disséminés au fil des pages témoignent avec force et émotion de la difficulté de survivre avec dignité dans un monde d’oppression.
Almudena Grandes consacre des chapitres entiers à des événements réels très documentés et excelle à les rendre proches en leur prêtant le visage, en leur attribuant les noms, les pensées, les actes aussi des héros de son livre. Le sort des enfants esclaves du franquisme surgit quand Manolita, qui espère avoir sauvé ses deux petites sœurs en obtenant leur admission à Bilbao dans le collège de Zabalbide, auprès des religieuses de Los Angeles Custodios, découvre que l’aînée, Isabel, est mourante, épuisée par les travaux qui lui sont imposés, victime aussi de maltraitance et de malnutrition alors que la plus jeune, Pilarin, totalement endoctrinée, la considère comme dangereuse. La condition des détenus politiques dans la prison de Porlier et les machinations des gardiens et de l’aumônier sont dénoncées par le regard et le désarroi des femmes qui font la queue chaque jour dans l’espoir d’une visite. Le personnage de Orejas, le traître ami de Tonito, est largement inspiré de Roberto Conesa Escudero, militant antifasciste dans sa jeunesse, mais tortionnaire et assassin sous le franquisme. Les références concrètes à l’usine d’armements souterraine de Nuevos Ministerios ou au camp de travailleurs de Cuelgamuros viennent rappeler que la fiction, si elle permet le croisement de destins insolites, est loin d’approcher la violence de la réalité.
La beauté de ce roman tient précisément à la solidarité qui se noue entre des êtres que séparent l’appartenance sociale, l’origine géographique, le métier ou les croyances, mais qui ont tous en partage une jeunesse malmenée et vivent des situations extrêmes dans l’après-guerre civile. Manolita, orpheline de mère, supporte difficilement le caractère imprévisible de sa belle-mère ; Francisco Roman Carreno, dit Palmera, danseur et musicien, a été chassé de la ferme familiale par son frère en raison de son homosexualité ; Eladia, la magnifique danseuse de flamenco, s’est enfuie pour échapper à Trinidad, l’amant de la grand-mère qui l’avait élevée à la place de sa mère prostituée ; Silverio a vu sa vie d’enfant bouleversée par l’apparent abandon du foyer conjugal par son père et les années de dépression de sa mère. Tous ces exclus, dont l’histoire est racontée en détail comme en voix off du récit d’actes de rébellion au régime en place, sont des anonymes magnifiques qui, parce que rien ne les prédestinait vraiment à une prise de conscience politique, offrent un tableau saisissant de l’Espagne franquiste.
La scène qui révèle que Tonito, recherché pour ses activités militantes, est caché par les danseuses amies d’Eladia dans le vestiaire du cabaret où elle se produit, celle qui montre Manolita voulant soutenir Antonio de Hoyos y Vinent, l’aristocrate anarchiste, homosexuel, grand d’Espagne qui, pour avoir abrité dans son palais des familles démunies, se voit abandonné par sa famille dans la prison de Porlier, celle qui révèle les efforts de sœur Carmen, une religieuse du collège de Zabalbide, pour avertir indirectement Manolita de la détérioration physique de sa sœur Isabel, sont bouleversantes par l’héroïsme qu’elles révèlent. En miroir, la répression, les enlèvements, les assassinats par le régime en place, revêtent un caractère d’autant plus terrifiant ; le parcours et les motivations des hommes responsables de ces actes ou en charge de l’infiltration des mouvements et partis d’opposition révèlent la part d’ombre et de mystère qui sévit en chacun, qu’il soit personnage de roman ou acteur de l’histoire.
Almudena Grandes ne cesse de se jouer de la frontière ténue entre réalité et fiction, allant même jusqu’à la gommer pour mieux inscrire dans la durée sa vision de l’Espagne. En 1977, à l’annonce de l’attribution de la médaille d’or du mérite policier à Roberto Conesa Escudero, Manolita décide d’épouser Silverio pour la troisième fois, les deux premières cérémonies factices ayant eu lieu dans la prison de Porlier. À cet instant, elle tient à raconter sa vie, toute sa vie, le roman des Trois Mariages de Manolita, au jeune juge officiant. Franco est mort, le juge est indifférent, le lecteur reste passionné.
Sylvie Bressler
Catherine Carré et Jean-Claude Deutsch, L’eau dans la ville. Une amie qui nous fait la guerre, La Tour-d’Aigues, L’Aube, coll. « Monde en cours », 2015, 320 p., 26 €
Forts d’une longue expérience d’enseignement et de recherche en ingénierie et en géographie, les deux auteurs se sont lancés dans une entreprise hardie : dévoiler au lecteur les enjeux actuels et futurs de la gestion urbaine de l’eau.
Il s’agit d’une question critique. Même si la fourniture de l’eau, les pollutions hydriques et les petits débordements ne font pas la une des journaux, le futur est inquiétant. Quantitativement, la ressource en eau n’est pas assurée. Qualitativement, les rivières et les fleuves, l’eau du robinet sont pollués par des substances très dangereuses et mal connues (par exemple les perturbateurs endocriniens). De plus, comme nous l’ont rappelé quelques catastrophes récentes, les risques d’inondations sont loin d’être maîtrisés. Enfin, le modèle de financement de l’assainissement en vigueur depuis des décennies repose sur une hypothèse de croissance de la consommation d’eau, qui est aujourd’hui mise en défaut.
Si l’on en croit les auteurs, face à ces menaces, les mesures prises jusqu’ici ne sont pas à la hauteur. Le livre pointe l’abondance des institutions, des textes législatifs et réglementaires, des politiques qui semblent vouloir répondre séparément à des demandes parfois contradictoires. On a un sentiment de malaise face au tableau d’une demande de protection exacerbée, d’une tyrannie de l’information médiatique, d’une marchandisation de l’eau et finalement d’une réclamation individualiste, alors que l’eau est un bien commun.
L’apport de l’histoire met justement le doigt sur ces contradictions. Au fond, il s’agirait de réaliser un changement de « régime ». L’ancien régime se caractérisait par un modèle technique très centralisé. Eugène Belgrand sous le Second Empire, Albert Caquot après la Seconde Guerre mondiale sont des personnages emblématiques qui, au nom de l’État et à partir de normes et de règles scientifiquement fondées, prétendaient apporter aux citadins l’eau potable, évacuer les eaux usées et pluviales, protéger chacun contre la montée des eaux. Le nouveau régime voudrait que le citadin naguère passif devienne acteur des réseaux, participant effectivement à l’invention et à la mise en œuvre des solutions pour « l’eau dans la ville ».
Or les auteurs nous montrent combien le nouveau régime peine à s’instaurer. Première hypothèse explicative : une somme d’inerties, de résistances bloque le changement. Les techniciens sûrs de leurs savoirs, les grands groupes de l’eau défendant leurs positions monopolistiques, les élus locaux peu soucieux de conduire à leur terme des réformes compliquées et électoralement peu payantes.
Deuxième hypothèse : contrairement aux apparences, le régime antérieur est loin d’être à bout de souffle. Il est vrai qu’entre la décentralisation et l’engagement européen, il n’y a plus guère d’État pour le maintenir en vie. Mais en France, le modèle étatique, fût-il technocratique, n’a pas perdu toutes ses vertus. L’opinion est là pour le rappeler en cas de crise.
Troisième hypothèse qui paraît finalement la plus vraisemblable : le décalage entre les impératifs issus du contexte international et les enjeux locaux concernant directement les citadins est trop important pour permettre le changement de régime évoqué ci-dessus. Les grands récits du développement durable et du changement climatique suscitent certes l’adhésion générale. Pourtant, ils ne sont pas de nature à provoquer une révolution dans les pratiques quotidiennes.
Une abondante littérature est mobilisée, y compris des thèses récentes qui fournissent des exemples au-delà du cas parisien, assez bien connu. On regrettera peut-être que la bibliographie soit essentiellement française. L’expérience américaine aurait créé un contraste. Des pays européens comme les Pays-Bas ou la Suisse, dont la maîtrise en la matière est reconnue, donneraient aussi d’utiles points de comparaison. Enfin, bien que la question de l’eau potable soit abordée, elle reste un peu mineure dans cet essai qui fait la part belle à l’assainissement et au traitement des eaux de pluie. Le lecteur reste un peu sur… sa soif.
L’Eau dans la ville est un ouvrage à lire par tous ceux que préoccupe l’avenir des villes alors que l’eau, ressource et menace, exige désormais de vraies politiques.
Gabriel Dupuy
Emmanuel Mounier, La pensée de Charles Péguy. La vision des hommes et du monde, Édition établie par Nadia Yala Kisukidi et Yves Roullière. Paris, Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2015, 311 p., 22 €
La Pensée de Charles Péguy6 met en pleine lumière la contribution majeure de Mounier, sans conteste l’auteur de la première synthèse qui rompt avec l’hagiographie du héros national et qui considère le poète d’Ève comme un philosophe du temps et des hommes. Le livre identifie aussi Mounier – et ce rôle intellectuel et politique est plus remarquable encore – comme le répondant de l’« humanisme » de Péguy tout au long des terribles années 1930-1940. Cet humanisme prend d’autant plus de portée que Mounier le définit par « l’intégration finale [] des grands courants spirituels » dans « leur valeur historique et culturelle » (p. 137). Le thème de la pluralité des mystiques, « l’antique, la juive, la socialiste, la chrétienne » (p. 105), est ainsi stratégiquement situé au centre de la vision du monde et de la cité selon Péguy. Un cas exceptionnel de rencontre philosophique s’est en effet produit à la fin de l’année 1929, quand Mounier découvre et s’approprie Péguy, événement dont Albert Béguin a bien saisi la signification tacite, existentielle : « Péguy autorisa Mounier à devenir celui qu’il avait à être. »
Si le dense commentaire de Mounier intitulé « La vision des hommes et du monde », qui ne constituait que la première partie du volume dans l’édition princeps, était déjà disponible dans le tome I des Œuvres complètes aux Éditions du Seuil, encore fallait-il en réactiver le sens et la portée, en l’inscrivant dans un champ de forces philosophiques, politiques et spirituelles, pour permettre d’en apprécier à nouveau toute la hardiesse et la profondeur.
L’édition critique très complète établie par Nadia Yala Kisukidi, philosophe spécialiste de Bergson et de Mounier, et par Yves Roullière, responsable de l’édition en cours des œuvres complètes de Mounier, éclaire la contribution de Mounier par un important corpus de documents retraçant la réception philosophique et littéraire de la Pensée de Charles Péguy, d’emblée marquée par des césures idéologiques insurmontables. Dans ce registre, la controverse mettant Mounier aux prises avec l’anti-intellectualisme éructant d’Henri Massis se distingue par la sidérante violence verbale du propagandiste de l’Action française, son mépris dégoulinant pour « l’agrégé » de l’université. Massis se targue en effet d’avoir côtoyé Péguy et s’érige ainsi en dépositaire de sa mémoire authentique pour détruire le postulat de l’intelligibilité intrinsèque d’une œuvre écrite en langage bergsonien que Mounier soutient à corps perdu.
Conscient que sa contribution s’inscrit à un « moment critique » pour la compréhension de l’œuvre de Péguy et pensant que les inédits ont été circonscrits, Mounier veut favoriser la lecture « directe » d’une œuvre considérée comme « toujours ouverte ». Dans ce but, son dispositif herméneutique est exclusivement centré sur « le monde intérieur » de Péguy, et non sur la biographie de l’écrivain, afin de préserver l’œuvre d’un accaparement par d’abusifs témoins. C’est donc sans doute grâce à Mounier que nous pouvons encore lire librement Péguy aujourd’hui, dans son ouverture indélébile.
Isabelle de Mecquenem
Michel Winock, Journal politique. La République gaullienne (1958-1981), Vincennes, Éditions Thierry Marchaisse, 2015, 600 p., 25 €
Historien et éditeur, Michel Winock pouvait avoir une double hésitation avant de publier ces notes personnelles. Historien, il connaît trop bien le risque de « Fabrice à Waterloo » : le témoin des événements n’y voit pas toujours l’essentiel. Éditeur, il pouvait douter de l’intérêt des lecteurs d’aujourd’hui pour des « choses vues » qui restituent les incertitudes de temps révolus.
Mais il a eu raison de dépasser ces éventuelles préventions, tant ces pages présentent des intérêts de lecture variés. Il s’agit bien d’un « journal », discontinu, livré aux aléas des curiosités, avec de longues interruptions et des moments plus intenses, où le diariste allonge ses paragraphes et se livre plusieurs jours de suite (doutes professionnels, livre en cours d’écriture, accélérations de la vie politique). Et il s’agit bien d’un journal « politique », consacré d’abord à la guerre d’Algérie puis au retour de De Gaulle, à l’instauration de la Ve République puis aux aléas de l’union de la gauche jusqu’à la victoire de mai 1981, où s’interrompt le journal. Rien d’intime donc, dans cet exercice quotidien de l’écriture, même si les amitiés, liées aux études et aux débuts de la vie professionnelle, donnent l’occasion de vrais compagnonnages (Jean-Pierre Azéma, en particulier, premier complice d’écriture pour les Communards et la IIIe République).
Trois lieux organisent en particulier les intérêts et les préoccupations de Michel Winock dans cette période : l’université de Vincennes, la revue Esprit et les Éditions du Seuil. À Vincennes, on voit sombrer, malgré quelques éclaircies, une utopie universitaire dévastée par la décomposition gauchiste des années post-1968. À Esprit, l’auteur fait ses premières gammes, publie ses premiers articles, s’agrège assez facilement à l’équipe qui entoure Jean-Marie Domenach, puis devient le chroniqueur distancié mais fraternel de la succession qui incombe à Paul Thibaud. Au passage, il dessine quelques portraits chaleureux (Jean-Marie Domenach, bien sûr, mais aussi Henri Marrou, Alex Derczanski ou Marc Osouf) ou mordants (Casamayor, Paul Fraisse). Au Seuil, c’est aussi une adoption, la dynamique d’une aventure collective (notamment les collections « Nouvelle histoire de la France contemporaine », « Histoire de la France rurale », « Histoire de la vie privée », etc.) puis les épisodes d’une succession difficile (celle des fondateurs, Bardet et Flamand) qui rythment les notes des années 1960 et 1970.
La fondation et l’aventure réussie du magazine L’Histoire, à partir de 1977, nouent en quelque sorte tous ces fils : le métier d’historien, le dur exercice de l’écriture périodique, l’édition et la relation aux auteurs… Mais les travaux personnels ne sont pas oubliés : les recherches sur la vie politique de la IVe République (La République se meurt) et l’Histoire politique d’Esprit mêlent les intérêts personnels de l’auteur aux grands moments de la vie politique et intellectuelle de la période, qu’il observe depuis les lieux de la gauche non marxiste qu’il fréquente. Il se trouve en effet aux premières loges pour croquer les ravages du maoïsme germanopratin, l’effet Soljenitsyne dans les lettres parisiennes puis l’engouement médiatique (le premier d’une longue série…) pour le culot à toute épreuve des « nouveaux philosophes ».
Finalement, le premier engagement anticolonial du jeune étudiant, qui le rapproche initialement du Psu, laisse progressivement place à une observation plus distanciée de l’union de la gauche, stratégie qui lui paraît à la fois indispensable et contradictoire, au moment où l’« imposture totalitaire », comme on disait à Esprit, éclatait enfin, en dépit des mensonges communistes. C’est cette juste distance du regard et le charme efficace d’une plume toujours alerte et imagée qui donne ce plaisir de revivre avec l’auteur des moments intenses de la vie intellectuelle et politique d’après-guerre, mais avec une grande liberté de jugement, que l’auteur a préservée et entraînée par l’exercice de l’écriture au fil des jours.
Marc-Olivier Padis
Jacques Le Goff, Le retour en grâce du travail. Du déni à la redécouverte d’une valeur, Namur, Lessius, 2015, 128 p., 14 €
Il y a une part de provocation, évidemment consciente, à traiter du « retour en grâce du travail ». Ce titre peut surprendre dans un pays où il y a plus de 3, 5 millions de chômeurs et environ 6 millions de personnes en situation de précarité. Mais il dissimule un vrai travail de recherche sur la redécouverte de la « valeur » du travail dans son contenu, son statut, son avenir probable. Jacques Le Goff nous invite à nous interroger sur le travail comme facteur de construction de la personne et comme agent d’épanouissement de celle-ci.
Tout en rappelant la distinction entre la question du travail et celle de l’emploi, l’auteur pose un certain nombre de problématiques essentielles pour l’avenir de nos sociétés : tandis que l’emploi se délite, peut-on parler de regain d’intérêt pour le travail ? Que faut-il entendre par travail ? Faut-il réduire la notion de travail à sa fonction utilitariste ? Malgré l’épidémie de souffrances au travail, pour quelles raisons reprend-il des couleurs ? Quelle peut être la contribution du catholicisme à cette réflexion dans un contexte de transformation complète de la notion d’emploi ?
Dans un contexte de montée générale des inquiétudes dans le monde du travail, Jacques Le Goff nous invite à porter un regard rétrospectif tant sur la courte durée de la société d’après-guerre que sur la longue durée de l’histoire du christianisme. Les années 1950 de la Libération et de la reconstruction voient le travail s’imposer comme valeur centrale. À partir des années 1980, s’ouvre une phase marquée par une forte revendication d’autonomie que l’on peut résumer par la formule « travailler moins et travailler mieux pour travailler tous ». Comme l’énonce Jacques Barrot, ministre du Travail en 1996,
l’entreprise doit gagner de la souplesse et donc de la productivité, le salarié doit gagner du temps libre et la collectivité doit gagner des emplois nouveaux.
Jacques Le Goff analyse ensuite les transformations techniques, économiques et culturelles des années 1980-1990 qui ont considérablement modifié les relations de travail. L’auteur met ainsi l’accent sur la recherche d’accomplissement et de reconnaissance qui est au cœur de la demande d’autonomie personnelle. Ce qu’avait exprimé Albert Camus en ces termes :
Je n’ai jamais été heureux ni pacifié que dans un métier digne de foi, un travail au milieu d’hommes que je puisse aimer. […] Sans travail, toute vie pourrit. Mais sous un travail sans âme, la vie étouffe et meurt.
Cette revendication d’autonomie se déploie dans trois sphères : celle de l’autonomie technique où chacun est invité à se transformer en entrepreneur de soi-même, la sphère de l’autonomie spatiale dans laquelle les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle sont singulièrement effacées, et la sphère de l’autonomie horaire où il devient très difficile dans beaucoup de professions de séparer le travail du non-travail et où l’on cherche à éliminer toute forme de temps mort.
Ces transformations ne sont pas sans conséquences négatives :
La distance au travail s’étant réduite par l’effet de l’implication personnelle, les brûlures qu’il provoque n’en sont que plus douloureuses.
L’auteur insiste sur le « délitement du collectif », lié à une montée en puissance de la solitude, de la distance, de la non-implication,
comme si le réseau finissait par vider le collectif de sa substance, sur fond de concurrence effrénée entre des salariés devenus rivaux.
En fin de compte, le discours du christianisme, qui s’est surtout préoccupé du statut des travailleurs, a, selon l’auteur, assez largement occulté la place du travail comme épanouissement personnel et collectif.
Philippe Pédrot
Brèves
Daniel Frey (sous la dir. de), La jeunesse d’une pensée. Paul Ricœur à l’université de Strasbourg (1948-1956), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2016, 217 p., 21 €
Ce livre est particulièrement précieux. Loin de se satisfaire d’une approche biographique concernant cette longue période d’après-guerre qui a précédé les années « nanterroises », il souligne la place de l’institution universitaire pour un enseignant qui a toujours accordé à la parole une place déterminante ; et il fait comprendre du même coup pourquoi Paul Ricœur devait proposer (dans Esprit en l’occurrence) une réforme de l’enseignement supérieur. Ensuite, il montre de manière paradoxale combien cet épisode strasbourgeois est décisif sur le plan de la pensée : les textes portant sur Jean-Paul Sartre, sur « la négation » ou sur le cours consacré à Platon et Aristote (récemment réédité au Seuil) exposent une pensée de l’être d’emblée conçue comme acte et comme affirmation (et non pas substance ou chose comme chez Sartre). Une ontologie indissociable de l’ontologie pluraliste analysée chez Platon (on est donc loin de l’opposition tranchée entre Platon et Aristote), qui sera l’un des leitmotivs de Soi-même comme un autre. Par contraste avec des débats à venir, on est encore à une époque où Ricœur peut croiser le social, le politique et le théologique, autant de sources de son engagement qui passe alors par une réflexion sur la non-violence et par la publication dans des revues comme Christianisme social, sans qu’on lui reproche insensiblement d’être un penseur chrétien. Un livre important puisqu’il ne cède pas à la tentation de découvrir un premier Ricœur, comme si on avait affaire à une coupure dans l’œuvre, et parle à juste titre d’une « jeunesse » de cette pensée si décisive aujourd’hui.
O. M.
Bossuet, De l’éminente dignité des pauvres, Présentation par Alain Supiot. Paris, Mille et une nuits, 2015, 72 p., 3 €
Si l’on en juge par le texte sur Simone Weil qu’Esprit a publié de lui récemment, Alain Supiot est coutumier de cet art de faire résonner à l’oreille de ses contemporains l’actualité de pensée d’un classique. Et quel classique dans le cas du sermon de l’Aigle de Meaux, prêché en 1659 aux filles de la Providence ! Sa démonstration se développe en trois séquences limpides et décapantes correspondant à trois renversements successifs : « le renversement des notions de richesse et de pauvreté » (il y a de la richesse dans la pauvreté et de la pauvreté dans la richesse), « le renversement des conditions humaines » (les pauvres servent les riches mais ce sont les riches qui devraient servir les pauvres) et le renversement actuel de l’État social en État ploutocratique. Ce dernier est analysé en profondeur dans les cours de Supiot au Collège de France, récemment publiés chez Fayard sous le titre la Gouvernance par les nombres. D’où l’indispensable piqûre de rappel qui conclut son exercice : « Ce n’est pas la pauvreté qui est créatrice d’un droit à être secouru, mais la participation à un système de solidarité au sein duquel chacun peut être à la fois créancier et débiteur à proportion de ses besoins et de ses ressources. C’est ce qui distingue la solidarité de l’assistance et en fait un instrument de l’égale dignité entre humains. »
O. M.
Jacques de Saint Victor, Blasphème. Brève histoire d’un « crime imaginaire », Paris, Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », 2016, 127 p., 14 €
L’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 a fortement relancé la réflexion sur un mot ou un concept non pas passé à la trappe, certes, mais invoqué à tort et à travers, et parfois de manière outrancière et déraisonnable. La « brève histoire » de Jacques de Saint Victor est particulièrement éclairante sur ce que la Révolution considérait comme un « crime imaginaire », dans la ligne de Montesquieu : on peut et on doit honorer Dieu, mais on n’a pas à le « venger ». L’« impiété » ne doit être jugée que pour le scandale qu’elle crée chez les fidèles et dans la société. On voit bien comment s’anticipaient ainsi les idées de « trouble à l’ordre public » ou de « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence ». C’est globalement la position de droit actuelle, qui ne punit que cela, et non pas l’outrage à la divinité en paroles ou en actes. Auparavant, il y a la longue histoire du blasphème avant la Révolution, que l’auteur retrace avec nombre d’informations mal connues. Il souligne notamment combien le blasphème était devenu un crime politique au service de la monarchie de droit divin. À propos de l’évolution récente, il est sévère : il voit en effet la liberté d’expression mise en cause par des groupes religieux sous divers prétextes, comme la « blessure » infligées aux « convictions intimes » par les moqueries religieuses. Selon lui, il ne peut y avoir d’offense à la religion ou à la doctrine (c’est le principe de Montesquieu) et la liberté d’expression absolue doit prévaloir sur les « sentiments » religieux. Est seule exigée en démocratie la protection du croyant (sa liberté absolue de croire). Une discussion serait-elle envisageable, malgré tout, sur ce que signifie, pour la liberté d’expression, une mondialisation qui impose inéluctablement la rencontre d’immenses différences de tradition, de mœurs et de savoirs religieux ?
J.-L. S.
Anastasia Colosimo, Les bûchers de la liberté, Paris, Stock, 2016, 231 p., 18, 50 €
Depuis une trentaine d’années (fatwa contre Salman Rushdie), et plus encore après le 11 septembre 2001 et l’affaire des caricatures danoises, répercutée par Charlie Hebdo (2005-2006), les groupes religieux n’ont cessé d’invoquer les droits de l’homme pour demander le respect de leur Dieu et de leurs croyances, donc tenter d’interdire le « blasphème », au nom du droit des minorités à ne pas être « offensées ». Dans le droit des États de l’Union européenne, le « blasphème » existe toujours, selon des conceptions différentes, dans les droits nationaux, mais partout son application a reculé – sans disparaître totalement. Selon l’auteure, il a toujours eu une fonction politique d’élimination des paroles dissonantes. Dans la France laïque, le « blasphème » n’existe plus : les attaques contre la religion relèvent, en cas de procès, de la provocation à la haine et à la violence. La loi Pleven de 1972 en a étendu la rigueur et ajouté l’offense à une « ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Par ce biais, les plaintes de groupes religieux se sont multipliées contre des offenses diverses. Anastasia Colosimo fait l’histoire du pourquoi, du comment et de l’issue de ces affaires multiples dans les prétoires. Auteure d’une thèse, « Juger de la religion ? Droit, politique et liberté face au blasphème en démocratie », elle est à l’aise pour démontrer, du point de vue du droit, que les « bûchers de la liberté » sont ainsi rallumés et que la liberté d’expression est en danger. Elle loue la Cour suprême des États-Unis qui, au nom du 1er amendement, a défendu la liberté de « blasphémer ». Mais, suscitant l’irritation des « Je suis Charlie » français, les médias américains ont refusé de montrer les caricatures du journal. Chaque démocratie a établi son propre équilibre des libertés et des interdits.
J.-L. S.
François Chevrier et Loïc Bienassis (sous la dir. de), Le repas gastronomique des Français, Paris, Gallimard, 2015, 272 p., 35 €
En novembre 2010, l’Unesco inscrit le repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (en même temps que l’art du pain d’épices en Croatie du Nord ou la procession dansante d’Echternach, au Luxembourg). Cinq ans plus tard, l’ouvrage qui paraît chez Gallimard en même temps que s’ouvre la Cité de la gastronomie célèbre ce repas. À travers une multitude de textes assez courts, il revient sur ses composantes, son histoire, le discours gastronomique auquel il a donné naissance, et donne la parole à des chefs comme Anne-Sophie Pic ou Olivier Roellinger. On appréciera en particulier les textes qui nous replongent dans l’histoire de la cuisine et de ses apprêts (voir par exemple celui de Patrick Rambourg sur le service à la française et le service à la russe), qui insistent sur son importance politique (Jean-Marc Albert, « La République reçoit ») et remettent en perspective des pratiques qui pourraient nous sembler fort anciennes alors qu’elles sont en réalité des modes assez récentes (Rachel Reckinger, « Les accords mets-vins, la complexité d’une norme »). C’est ce que l’on appelle un « beau » livre, richement illustré de photographies, dessins et reproductions de tableaux. Mais il demeure un livre commémoratif, célébrant les plaisirs de la table « à la française » (sous-entendu, contre une vision anglo-saxonne de la nourriture comme simple aliment), la richesse de nos terroirs et le génie de nos artisans. Sans que l’on y trouve d’approche critique, par exemple sur la puissance de l’industrie agroalimentaire au pays de la « bonne bouffe », ou bien sur la surmédiatisation et la starisation de chefs aujourd’hui devenus des marques qui s’exportent. Car la gastronomie, comme l’écrit d’ailleurs le ministre des Affaires étrangères dans sa préface, est un important « facteur d’attractivité » pour un pays en quête de croissance économique.
A. B.
Dominique Manotti, Or noir, Paris, Gallimard, coll. « Série noire », 2015, 336 p. 17, 50 €
Le jeune commissaire Daquin débarque à Marseille en mars 1973 pour prendre son poste à la brigade criminelle. Il a « deux grosses valises et très peu d’expérience ». La ville n’est guère hospitalière : depuis la fin de la French Connection, les clans sont engagés dans une guerre de succession, chaque service de police a ses propres allégeances et les jeunes loups du commerce mondial sont prêts à tout pour conquérir de nouveaux marchés. Dans une cité phocéenne corrompue, les morts sur la route du commissaire racontent chacun un pan de l’économie mondialisée : l’héroïne, le transport maritime, le trafic d’armes, le pétrole et le marché de l’art. Les indices s’accumulent, mais peinent à dessiner un tableau cohérent, entre la violence des assassinats et la complexité des montages financiers. Cette période de transformations économiques éclaire les réalités du monde contemporain. Le commissaire prend le temps de cuisiner des mets fins et s’accorde quelques caresses clandestines avant de repartir sur le front de « la guerre sale, la guerre d’aujourd’hui ».
J. C.
Salomon et Victor Malka, Le grand désarroi. Enquête sur les juifs de France, Paris, Albin Michel, 2016, 238 p., 18 €
Emportés par l’émotion après l’assassinat, le 7 janvier 2015, des journalistes et des employés de Charlie Hebdo, avons-nous, fût-ce involontairement, quelque peu minimisé, omis dans la conversation ou passé sous silence les morts juifs de l’Hyper Cacher de Vincennes, le 9 janvier ? C’est probable. En tout cas, nous n’avons pas perçu le traumatisme que ces meurtres, tout simplement « parce qu’ils étaient juifs », ont créé chez les juifs de France, après d’autres assassinats à Toulouse, Anvers… Une fois de plus, beaucoup d’entre eux ont été assaillis par la question : rester en France ou la quitter pour Israël ? Salomon et Victor Malka sont allés enquêter dans plusieurs villes de France – Toulouse, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Perpignan, Marseille, Nice, Paris bien sûr… – et aussi en Israël, pour comprendre, et sans doute d’abord entendre leurs désarrois, leurs sentiments contradictoires, leurs états d’esprit parfois très opposés. Cette radiographie de juifs français – très à gauche ou très à droite ou très au centre, célébrités ou gens de la rue, jeunes et vieux, femmes et hommes – reflète un moment exceptionnel de la « communauté », mais elle est très révélatrice des dilemmes et des angoisses où sont pris les juifs français. D’autant plus que les auteurs rappellent chaque fois le « contexte » des personnes qu’ils interrogent, l’histoire juive des villes où ils se rendent, sans cacher ce qu’ils pensent de leurs interlocuteurs. Ils parlent, à la fin du livre, des juifs sur le qui-vive, en attente malgré tout d’une « parole d’espoir ». Après les massacres du 13 novembre à Paris, mentionnés in extremis, ils terminent sur un gros point d’interrogation.
J.-L. S.
Maître Eckhart, Sermons, traités, poèmes. Les écrits allemands, Traduction de Jeanne Ancelet-Hustache et Éric Mangin. Introduction et notes d’Éric Mangin. Paris, Seuil, 2015, 858 p., 38 €
Il y a quelques années, on évoquait parfois un regain d’intérêt, non confessionnel, pour les écrits de Maître Eckhart, immense auteur spirituel du xive siècle (1260-1328), représentant majeur de la mystique dite « rhénane », capable de haute spéculation philosophique – en particulier dans des « traités latins », lesquels ne sont pas inclus dans cette édition des écrits allemands, mais qui ont été lus par la postérité philosophique (Hegel et Heidegger en particulier). Les sermons, prononcés devant des assemblées qui ne participaient pas de la haute culture médiévale, et les poèmes du religieux dominicain sont plus accessibles. Eckhart est surtout connu par son insistance sur le Dieu caché, le Dieu voilé, qui se dérobe à toute connaissance, donc à toute objectivation, ou plutôt qui ne se donne qu’en se dérobant : « Nous ne pouvons parler de Dieu en termes adéquats. Ce que nous disons de lui, nous devons le balbutier » (p. 269). On voit bien comment une vulgate de l’absence de Dieu peut offrir quelque séduction à des esprits modernes privés du sentiment de la présence… Quoi qu’il en soit, cette magnifique édition reliée, avec une introduction très pédagogique d’Éric Mangin, permet de lire des sermons de toute beauté, où domine le thème de la naissance du Christ dans l’intimité de l’âme.
J.-L. S.
Omar Benlaala, La barbe, Paris, Seuil, coll. « Raconter la vie », 2015, 106 p., 7, 90 €
La barbe, c’est celle qu’un jeune Français d’origine algérienne se laisse pousser à 20 ans, du jour au lendemain, après avoir poussé la porte d’une mosquée à l’invitation d’un ami. Trois jours auparavant, il consommait encore de l’ecstasy avec sa bande de Ménilmontant. Suit le récit coloré d’une formation ultrarapide, faite de passages du Coran appris par cœur (dont la récitation de la Fatiha – profession de foi – en arabe) et de la lecture des hadiths sur les débuts de l’islam. Elle est suivie d’envois en mission dans les banlieues : il faut « remplir la mosquée ». Un cheikh indien invité en France le subjugue et il part pour le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh. Lorsqu’il revient en France, la « mosquée » ne lui dit plus rien. Son salut, après une période de « défonce » dans les boîtes de nuit parisiennes et d’autres virées dans des pays musulmans, passe par la découverte de la foi apaisante du soufisme et l’exercice d’un métier. Il y aurait beaucoup à dire sur ce parcours, à la fois étonnant et triste. Il ressemble aux passages par les sectes dans les années 1980-1990. À quelques années près, Omar B. eût sans doute été islamiste, voire djihadiste. Le plus surprenant peut-être est qu’un pays, la France, semble quasiment absent dans ce récit d’un jeune franco-musulman, qui a pourtant des parents prévenants et aimants, et bien intégrés.
J.-L. S.
Collectif, François, le pape vert, Paris, Éditions Temps Présent, 2015, 154 p., 9 €
Parmi les innombrables ouvrages consacrés au pape François ou rassemblant ses interventions orales et écrites, on peut lire celui-ci, un livre collectif sur son encyclique Laudato Si’ et l’écologie (dont 100 000 exemplaires ont été vendus en France durant l’été 2015). L’homme en blanc y est célébré comme le pape vert par une dizaine d’auteurs (Jean Jouzel, Gaël Giraud, Nicolas Hulot, Guy Aurenche, Corine Pelluchon, Jean-Marie Pelt, Pierre Cannet, Mgr Marc Stenger, Odon Vallet…). La plupart – mais pas tous – sont connus comme catholiques. En fonction de leur spécialité et de leur compétence, ou de leurs responsabilités dans des Ong et d’autres lieux, ils décortiquent diverses facettes de l’encyclique, ses arrière-plans philosophiques et théologiques, ses options (y compris le choix des mots : François préfère parler d’« écologie intégrale » plutôt que d’« écologie humaine », expression de son prédécesseur Benoît XVI), son efficacité possible. Tous célèbrent sa nouveauté et son importance dans le contexte écologique mondial, dont toute personne sensée connaît l’urgence. La seule critique vraiment importante concerne la démographie : comme les papes avant lui, François ne touche pas au « dogme » de la non-limitation des naissances. Cette position a sa logique interne – mais en l’état actuel des choses, la surpopulation entre nécessairement en conflit avec la sauvegarde de l’environnement. Une absence, soulignée par Corine Pelluchon, est curieuse compte tenu du titre de l’encyclique, emprunté à François d’Assise : la cause des animaux, qui paient pourtant un lourd tribut à l’exploitation de la nature et à la consommation humaine sans limite.
J.-L. S.
En écho
POLITIQUE DE LA FAMILLE AMÉRICAINE – Dans son numéro d’hiver 2016, la revue Dissent explore les mutations de la famille américaine sous l’angle des inégalités, analyse les répercussions politiques du « rapport Moynihan » (1965) qui expliquait la pauvreté par la structure familiale afro-américaine et propose une enquête sur la petite enfance aux États-Unis. La revue reproche aux politiques publiques de promouvoir un modèle de la famille qui est soit indésirable, soit impossible (www.dissentmagazine.org).
POLITIQUE DE LA FAMILLE FRANÇAISE – Dans leur film La Sociologue et l’ourson, Étienne Chaillou et Mathias Théry suivent la campagne d’Irène Théry pour défendre la loi de 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. La sociologue y fait preuve de pédagogie envers son ourson et s’appuie sur le récit de sa propre famille pour expliquer les transformations historiques de l’institution du mariage. La bataille politique qui a secoué la société française tout au long des débats est merveilleusement mise en scène par des marionnettes artisanales pleines d’humour et de poésie. En salles le 6 avril 2016.
Avis
Le voyage de l’œuvre – Colloque Michel de Certeau au Centre Sèvres du jeudi 10 mars au samedi 12 mars 2016. Ce colloque international, sous la direction de Luce Giard, est destiné à saluer le 30e anniversaire de la mort de Michel de Certeau. Plus d’informations sur le site www.micheldecerteau-giard.paris
L’indiscipline de l’eau – Jacques Darras avec Jacques Bonnaffé et Louis Sclavis à la Maison de la poésie de Paris le 9 mars prochain à 20 heures. À la fois source et embouchure, la poésie fluviale de Jacques Darras s’énonce nécessairement à voix haute. Avec la complicité souple de Jacques Bonnaffé et le jazz fluide de Louis Sclavis, la performance tentera un panoramique indiscipliné de l’œuvre en cours. Places à réserver au 01 44 54 53 00 ou en ligne : www.maisondelapoesieparis.com
Vulnérabilités – Le Centre de recherche juridique Pothier organise un colloque sur le thème des « Vulnérabilités » à l’université d’Orléans, les 7 et 8 avril 2016. Vous trouverez toutes les informations utiles à l’adresse : www.univ-orleans.fr/vulnerabilites.
La Chine face au mur de l’environnement – La croissance économique chinoise a suscité de graves problèmes écologiques. L’objet de ce colloque, qui se tiendra les 12 et 13 mai 2016 à l’université de Rennes 2, est de comprendre comment les Chinois affronteront ces défis. Inscription et informations sur chine-envt2016.sciencesconf.org
Sur esprit.presse.fr – Retrouvez un texte de Jacques Le Goff, « Sécurité et liberté : sœurs ennemies ? », rédigé à l’attention de Jean-Jacques Urvoas, alors député du Finistère, ainsi qu’un texte de Jean-François Bouthors, « Guerre et paix à Bordeaux » sur l’actualité culturelle de la ville. Tenez-vous au courant des annonces de rendez-vous, retrouvez toutes les brèves dans l’actualité des livres et profitez de promotions sur des bouquets d’articles thématiques.
Numéros à venir – En mai, le dossier central sera consacré à la situation au Moyen-Orient, à sa généalogie en tant que région et aux risques d’éclatement consécutifs à la guerre en Syrie. En juin, la revue se penche sur notre rapport aux images, entre effroi et fascination.
- 1.
L’ouvrage de Marie-France Mottin, Cuba quand même. Vies quotidiennes dans la révolution (Paris, Seuil, 1980), illustre bien cette tendance persistante à considérer que Cuba reste malgré tout l’un des pays les plus vivables de la région.
- 2.
On verra tout spécialement ses articles parus dans Esprit, comme dans la revue Problèmes d’Amérique latine : « L’imaginaire de la lutte », no 61/62, été-automne 2006, et « Égalisation des conditions et formes du racisme à La Havane pendant la période spéciale. Une lecture du roman Las bestias, de Ronaldo Menéndez », no 77, été 2010. Voir également « Le sens de la lutte », dans Communisme, no 85-86, 2006.
- 3.
Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965, p. 345.
- 4.
Almudena Grandes, Inés et la joie, Paris, JC Lattès, 2012.
- 5.
Id., le Lecteur de Jules Verne, Paris, JC Lattès, 2013.
- 6.
La réédition du premier texte publié par Mounier, aux éditions Plon en 1931 dans la collection « Le Roseau d’or » dirigée par Jacques Maritain, fut annoncée sur des pattes de colombe dans la bibliographie, mise à jour par les soins de l’Association des amis d’Emmanuel Mounier, du Emmanuel Mounier de Jean-Marie Domenach (Paris, Points, coll. « Points Essais », 2014).